Dietsche Warande. Jaargang 7
(1866-1868)– [tijdschrift] Dietsche Warande– Auteursrechtvrij
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Bulletin périodique de la ‘Dietsche Warande’. Tom. VIIe. - No 5 & 6.A Mademoiselle la Ctesse V.d.B. à Anvers. Hilversum, le 21 Oct. 1866.
Mademoiselle,
S'Il est permis de supposer un rapport direct (comme celui d'une cause et de son effet) entre la prière, que j'eus la hardiesse de Vous adresser, il y a quelque temps, et la prolongation de l'exposition Overbeck, - je devrais rougir jusqu'au blanc des yeux de ne pas être allé voir les derniers cartons de l'illustre peintre. Je tâcherai d'expier ma faute, en Vous avouant ce que, peut-être, j'aurais pu taire, qu'aux plus beaux jours de l'exposition j'ai salué de loin les clochers de Ste Gudule, - et que j'ai omis d'aller m'incliner devant les chefs-d'oeuvre du fondateur de l'école catholique allemande. Après cet aveu humiliant, daignez accepter un mot d'excuses. Si un devoir impérieux, un manque de temps absolu ne m'avaient forcé de passer ‘sous les murs’ de Bruxelles, sans m'y arrêter, ne serais-je pas au moins venu à Anvers pour Vous demander la permission de manquer à, ma parole? - Dieu sait combien je désirais me retremper un moment dans les vivifiantes grandeurs de l'art monumental du vénérable maëstro. Certes, les impressions que M. Adolphe Siret nous a communiquées dans son ‘Journal’, quelques vives et fécondes qu'elles puissent être, étaient loin de me satisfaire au point de pouvoir tenir lieu d'une contemplation immédiate; elles n'ont fait qu' aiguillonner mon désir: mais - l'on fait ce qu'on peut, non ce qu'on veut. En attendant j'ai pu aller voir les expositions de peintures à l'huile, ouvertes à la Haye et à, Amsterdam! Celle de la résidence se composait principalement de tableaux nouvellement peints; | |
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celle de la capitale, succursale do l'exhibition de l'industrie, était un assemblage peu nombreux de pages recueillies dans différents cabinets d'amateur, dans quelques magasins d'honnêtes bvocanteurs et dans les ateliers de quelques peintres. Il y avait, naturellement, du bon; mais je ne puis me résoudre à préparer toujours le même rechauffé de points d'exclamation, à chaque rechauffé de paysages, marines, intérieurs, têtes d'hommes et de femmes, qui nous sont servis. Je conviens qu'une critique permanente et de tous les jours doit tenir note des répétitions comme des nouveautés: mais je ne m'arroge pas le titre de critique permanent. La permanence je ne la soutiens pour mon plaisir que dans les principes philosophiques et dans les relations de l'amitié; dans tout le reste j'aime la variété. Les choses que je fais tous les jours de la même manière, je ne les fais que par obligation. Un de nies amis, avec lesquels on prétend que j'ai beaucoup de points de rapportsGa naar voetnoot1, s'énonçait, dernièrement, sur notre école de peinture, de la manière suivante: ‘Où en est la peinture chez nous? - M. Herman ten Kate laisse-t-il le défunt Pieneman, fils, bien loin derrière lui? - M. Rochussen sait-il réaliser, par des tableaux achevés, les espérances qu'il nous avait fait concevoir par ses ébauches toujours neuves, toujours spirituelles? M. le directeur Wijnveld, ancien lauréat, éclipse-t-il feu Pieneman père? M. Taco Scheltema, un talent nouvellement éclos, et qui ne pâlit aucunément à côté de son compatriote, M. Alma Tadema, fait-il aussi bien que Mieris, Ter Burgh, Metzu et tous ces maîtres qui l'ont dévancé de 200 ans?’ - Pour être juste il faut dire que depuis que cette question a été faite, M. Scheltema a exposé un chef-d'oeuvre, lequel comme création, comme pensée, comme sentiment moral l'emporte infiniment sur les petits maîtres de la Hollande du XVIIe siècle. ‘Dans le paysage on prétend avoir fait des progrès: mais, la main sur le coeur, serait-il vrai que M. Roelofs, avec sa manière confuse et son éternel mauvais temps, MM. Van der Maaten ou Weissenbruch, avec leurs tons crus et leurs cieux sans nuages (je ne cite que les maîtres de premier ordre) sont à tel point supérieurs aux Both, Berchem, Ruysdael, Hobbema, van der Heyden (ou rien qu'un simple Jean Hackaert) qu'il vaille la peine de venir au monde, encore 100 ou 200 ans après ces peintres?’ | |
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Nos artistes modernes pensent avoir fait une grande découverte. C'est le réalisme. Quelle illusion! Il y en a eu de tout temps - du réalisme. Sur les murs de Pompeji comme dans les tableaux de Buffalmaco. Les écoles de Bruges et d'Harlem étaient d'abord cela - et puis encore quelque chose: ‘ô Vieil Albert Dürer, ô que profondément
Tu as senti cela dans ton coeur d'allemand!’
Le sujet de nos jours fait communément défaut. Je suis un admirateur de M. David Bles: mais si vous me demandez: s'il fait mieux que Troost - un saisissement me prend - car ce n'est que depuis peu de mois que nous connaissons cet inimitable Troost, dans toute la puissance de son grand talent. Figurez-vous, Mademoiselle, notre étonnement: Troost n'est pas seulement cet excellent dessinateur comique que tout le monde connait (quoique, effectivement, la finesse de sa raillerie n'approche pas de celle de M. Bles), mais il est aussi un grand peintre sur large échelle. Il a peint ses Colléges de Régents à la Van der Helst, à la Ferdinand Bol, à la Karel Du Jardin, avec une hardiesse de pinceau, une vigueur de ton, une disposition du groupe, une vitalité des personnages, un maniement des étoffes, un charme dans tout l'agencement, qui ne le cède en rien aux peintres du XVIIe siècle - sauf la différence de date, indépendante de la grandeur du talent. La langue de notre poëte Poot (1700) n'est pas celle de Spieghel (1600) - partant Troost (1750) fait rayonner, dans sa poésie peinte, d'autres harmonies que les élèves de Rembrandt (1650). A propos de littérature. Barement j'ai à consigner dans la revue, dont je continue toujours la publication, quelque nouveau phénomène dans cette sphère de la vie intellectuelle de notre nation. Deux de nos beaux génies, des enfants de la ville d'Alkmaar, publient encore de temps en temps des élucubrations tant en prose qu'en vers, dont la mission principale est de discréditer le catholicisme. Vous pensez, peut-être, qu'après le romancier Spindler, on devrait abandonner le soin de cette branche littéraire au romancier M. Ernest Renan; puisque, également, la langue française se lit partout. Mais Madame Bosboom-Tousaint et M. Hofdijk jugent différemment, et continuent d'exploiter le XVIe siècle, pour leur prêter des épisodes, dans lesquelles leur antipathie contre l'Église de Rome puisse s'épancher à son aise. Je suis heureux de pouvoir ajouter à cette communication que cette | |
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tendance devient de plus en plus exceptionnelle. Il y a un rapprochement visible entre les protestants, qui n'ont pas perdu toute croyance, et les catholiques. Deux oeuvres littéraires, d'une nature essentiellement différente, déposent, sous ce rapport, un témoignage des plus favorables. M. J.-J.-L. ten Kate, ministre protestant, a publié un poëme magnifique, intitulé la Création. Cette pièce, par laquelle l'auteur, dans une facture de vers comme lui seul sait en faire, prouve une fois de plus que la Génèse s'adapte parfaitement à la doctrine géologique de nos jours, trouvera un écho dans les coeurs des catholiques comme de tous les serveurs du Christ. L'autre grande composition littéraire, dont l'opinion publique s'est fortement occupée dans les derniers mois, est un roman en cinq volumes de M. Van Lennep, intitulé Klaasje Zevenster. Ce qu'on a écrit relativement à l'histoire de cette Clarisse moderne, forme toute une bibliothèque; à-peu-près comme la littérature dantesque et la littérature shakesperienne. Quelque soit le jugement qu'on porte sur Klaasje, comme oeuvre morale, comme poëme, comme noeud, comme conception de caractères - toujours est-il que M. van Lennep avec sa verve créatrice en a pu faire un miroir remarquable des moeurs et coutumes de la Hollande dans la première moitié du XIXe siècle. Les catholiques et les protestants s'y sentent également chez nous. L'ouvrage a été lu, il a été dévoré: tel bon chrétien voudrait décerner a l'auteur un prix Monthyon, tel autre crie à l'inconvenance, à l'immoralité. M. Busken Huet, un de nos critiques les plus judicieux et les plus spirituels, en a donné une analyse, que je crois consciencieuse et par laquelle il motive un jugement très sévère, très défavorable. Je Vous avoue que le livre m'a procuré des moments agréables et que j'y trouve quelques situations admirablement peintes. C'est dans la ‘Dietsche Warande’ que MM. Huet et Foreestier ont pris la parole, pour caractériser Klaasje Zevenster chacun à, sa manière. Pour Vous prouver que je ne reste pas les bras croisés, pendant que les autres travaillent, je me permets de Vous communiquer que j'ai préparé pour ma revue deux travaux, dont le commencement a déjà vu le jour. Si Vous ne tardiez pas tant à honorer d'une seconde visite mon cher pays natal, j'aurais eu le plaisir de Vous montrer, chez moi, différents objets provenant des archives de la branche catholique des Seigneurs de Bréderode: comme leurs diplômes de noblesse, les titres de leurs fiefs et domaines, des fragments généalogiques, des copies | |
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de monuments funéraires; mais surtout une douzaine de portraits, dont le plus ancien représente Messire Reynoult de Bréderode, lequel, étant veuf à soixante ans et éperdument amoureux d'une ‘damoiselle’ qui n'en avait que dix-huit, ne l'a pas voulu demander en mariage, parce que sa noblesse n'égalait pas celle du descendant des comtes de Hollande. Notre Sire de Bréderode, par suite de cet inconvénient, a fait enlever Mademoiselle de Holten (c'était là, son nom) et parait avoir conclu avec elle un mariage clandestin, invalide devant la justice séculière, parce que les chevaliers de la Toison d'or ne pouvaient se marier sans le consentement de l'empereur. De ce mariage provint la branche sus-dite des Bréderode, que votre noble impératrice Marie Thérèse a bien voulu faire enregistrer dans les rangs des comtes de l'Empire. C'est dans les papiers de la famille de Bréderode que j'ai trouvé un manuscrit rédigé par un petit-fils de Messire Reynoult, dans lequel l'histoire de sa grand-mère est racontée avec une piété filiale vraiment touchante et dans un style très naïf. J'ai préparé ce manuscrit pour la presse. Un autre travail est une petite étude sur les Harmonies de l'ancien et du Nouveau Testament, à propos de la publication de la Biblia pauperum, par Berjeau. Dans ce moment je m'occupe d'une monographie de la famille Dommer, une des plus anciennes de la ville d'Amsterdam, et dont les traditions se rattachent au miracle de 1345. J'ai beaucoup connu feu M. Gustave Dommer, qui, pendant plusieurs années, a rempli avec honneur les fonctions de membre de la 2e Chambre de nos États-Généraux: c'est donc en partie pour m'acquitter d'un devoir de l'amitié, en partie par amour de ma ville natale, que j'ai entrepris ce travail. Il est de longue haleine, car j'ai dû commencer par remuer de fond en comble la première période de l'histoire de notre ville, obscurcie et altérée dans ses détails. Le numéro de ma revue qui vient aujourd'hui en circulation contient, outre quelques mélanges de philosophie sociale, les raisonnements de Pauwels Foreestier sur Klaasje Zevenster, dont j'ai parlé plus haut; un petit mémoire du frère mineur Henrik van Biesten, sur les troubles du XVIe siècle, et une critique d'un poëme de M. Hofdijk, par M. l'abbé Wessels. Bien modestement je continue ma petite propagande dans la sphère de l'esthétique et de l'histoire. Si je ne fais pas de convertis - je montre au moins notre pavillon et l'on me sait prêt a le défendre, s'il y a lieu. | |
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Pardonnez-moi cette voie inusitée pour me rappeler à votre indulgent souvenir. Tout le monde n'a pas le talent de notre ami Ittenbach, qui Vous crayonne, en guise de carte de visite, l'un ou l'autre chef-d'oeuvre. Les photographies sont encore toujours à la mode. Veuillez reconnaître la mienne sur ces pages, que Vous me permettrez de terminer par l'hommage de mon amitié vive et respectueuse.
Jos. A. Alb. Th. |