Dietsche Warande. Jaargang 3
(1857)– [tijdschrift] Dietsche Warande– Auteursrechtvrij
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‘Dietsche Warande’.
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A Monsieur Auguste Reichensperger, à Cologne.Amsterdam, la veille de la Fête de S. Thomas, Ap. 1857. Mon cher ami,
G St-ce un hasard, ou serait-ce quelque chose de moins déprécié qui me fait prendre la plume dans ce moment, pour vous dire, à la face de mon petit public, ce que, depuis des mois, j'ai sur le coeur? Il y a deux ans qu'à ce même jour, à cette même veille de S. Thomas, Apôtre, j'ouvris mon humble pavillon français dans le ‘jardin thiois’Ga naar voetnoot2). Et aujourd'hui, - quand tout ecclésiologue orthodoxe se prépare encore à la célébration convenable du jour de naissance de ce grand batisseur de palais du roi des Indes, - je trouve le premier moment libre pour vous rendre compte de ma pérégrination prolongée dans les domaines les moins frequentées de notre science de prédilection, les poches pleines du produit de mes fouilles dans cette mine d'or de la beauté liturgique et du plus parfait des arts. Il faut bien croire que notre bon Saint Thomas y soit pour quelque chose. Aussi, après son incrédulité, son ‘empirisme’ opiniâtre, comme l'ardent Apôtre, qui avait été le premier à vouloir donner sa vie pour son Maître, définit bien le dogme de la Très-Sainte Trinité; il prélude sur la philosophie d'un Saint Thomas d'Aquin; il expose sa doctrine avec la simplicité d'un Saint Bonaventure. S. Thomas et Ste Barbe, avec leur culte éloquent de la Trinité Divine, ont bien mérité de l'architecture - l'art par excellence, dont une trinité humaine expliquée par notre Apôtre, l'intelligence, la mémoire et le génie, est l'ouvrier prin- | |||||||||||||||
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cipal. Probablement que notre ‘Pöbel’ éclairé et littéralissime se gratterait l'oreille, ou bien me ferait une grimace de gargouille, en m'entendant citer les homélies de Saint Thomas, Apôtre. Ils seront incrédules sur ce point, comme notre saint Patron avant sa grande conversion. C'est qu'ils ne lisent pas la Légende d'Or. Ils sont incrédules, parce qu'ils ne la lisent pas, et ils ne la lisent pas, parce qu'ils sont incrédulesGa naar voetnoot1). Comment tirer nos pauvres philistias de ce méchant pas? Laissons-les dans la bourbe, comme cet entrepreneur d'opéra qui se plaignait que sa troupe ne pouvait être que mauvaise, parce que le public ne fréquentait pas le théatre; et comme ce public qui se plaignait de ne pas pouvoir aller au théâtre, parce que la troupe était trop mauvaise. Je me fais un plaisir et un devoir de vous donner un exposé rapide des conséquences où j'ai été amené en étudiant la ‘ligne sacrée’, parce que c'est vous, mon ami, qui avez porté la question sur le programme du congrès de Ratisbonne et qui, comme président de cette honorable réunion, avez fait choix du savant distingué qui va dresser le rapport des délibérations couronnées par une décision si heureuseGa naar voetnoot2). Il n'y pas trois mois qu'un ami, qui est aussi le vôtre, m'écrivit ceci: ‘Vous êtes bien heureux et bien avisé de vous occuper de l'orientation des églises. J'espère que vous nous ferez savoir pourquoi les églises de Rome sont occidentées en général, ou plutôt désorientées. Cette occidentation de S. Pierre est cause que j'ai toujours perdu la Tramontane et la boussole dans la Ville-Eternelle; à l'heure qu'il est je ne puis pas encore dire où est la Sicile, où la Toscane et par conséquent la France relativement à Rome. Je suis tellement habitué à m'orienter sur les églises, que quand cette orientation me fait défaut, je ne sais plus où j'en suis. Pourquoi donc Rome et Rome seule, si je ne me trompe, nous jette-t-elle dans cet embarras? A vous de nous l'apprendre.’ La demande de notre ami est grave, comme vous voyez; et s'il n'y avait pas plus de six mois que toutes les pensées de mon pauvre esprit et tous les battements de mon coeur suivent la direction de cette resplendissante nuée d'axes d'églises qui s'élancent vers l'Orient, la modestie pourrait m'imposer le silence, ou, du moins, me ferait faire difficulté de répondre à l'appel d'un archéologue éminent qui, pour nous préparer tous les deux mois un festin somptueux, veut bien ne pas mépriser le plat (un salmagondis peu réconfortant, peut-être) que je m'apprête à lui servir. Du reste, quand Saint Thomas d'Aquin était un jour à diner avec le roi Saint Louis, il frappa brusquement sur la table, après un moment de méditation profonde, et s'écria: ‘Ceci tiendra bon contre les Manichéens!’ Je ne suis pas dans la position de pouvoir pardonner à mon enthousiasme de semblables mou- | |||||||||||||||
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vements, mais j'espère qu'un exemple aussi illustre me servira de quelque excuse quand, emporté par la beauté de notre cause, j'élèverai la voix un peu plus haut qu'il ne convient, en présence de mes rois et maîtres en archéologie. Dans l'introduction à mon travail, insérée dans le troisième numéro de la ‘Dietsche Waraude’ pour 1857, j'ai essayé de prouver:
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A cette direction de l'axe, qu'on retrouve dans un grand nombre d'églises de l'Italie, comme partout ailleurs, et qu'on remarque dans quatre-vingt dix églises de la ville de RomeGa naar voetnoot2), il avait déjà était fait allusion par Tertullien et S. Clément d'Alexandrie vers l'an 200; Eusèbe en fait une mention expresse vers le commencement du IVe siècle; S. Paulin de Nole la respecte au Ve; Evagre en parle au VIe; et les SS. Basile, Chrysostôme, Isidore et Jean Damascène en rendent témoignage, chacun dans son temps, soit en parlant de la disposition des églises, soit en constatant la direction de la prière vers l'Orient. Les Constitutions Apostoliques, le corps de préceptes pour lesquels, au IVe siècle déjà, S. Epiphane professe la plus grande estime, prescrit positivement, d'un côté que les fidèles, ‘consurgentes et in Orientem contemplantes (egressis catechumenis et poenitentibus), orent Deum qui ascendit super coelum coeli, ad OrientemGa naar voetnoot3), ac recordantes antiquam possessionem Paradisi, ad Orientem siti, unde primus homo, Dei mandato neglecto, persuasus consilio serpentis, ejectus fuit;’ de l'autre, ‘que l'édifice de l'église soit oblong, tourné vers l'Orient, ayant des pastophores des deux côtés, dans la direction de l'Est, et soit semblable à un vaisseau’Ga naar voetnoot4). Cette direction de l'axe des églises reçut, aux jours de S. Dunstan, comme M. Kreuser le fait remarquer, le beau nom de ligne sacrée; | |||||||||||||||
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et c'est sur cette ligne, que furent baties presque toutes les églises chrétiennes, de Constantin à Charles-Quint. Mais cependant le judicieux archéologue, dont j'ai parlé tout à l'heure, nous fit l'observation que les églises de Rome sont occidentées en général, ou plutôt désorientées... Pour ce qui est de l'occidentation, je puis en convenir, et ce ne sera pas à la défaveur du système; mais désorientées? - Non, les églises de Rome, en général, ne le sont pas. De celles qui sont appelées ‘occidentées’, on ne pourrait en nommer que deux on trois qui, peut-être, sont désorientées (celles des SS. Giovanni e Paolo, de S. Pietio in Montorio, et de Sta Pudentiana): le fait est que je n'ai pas eu le moyen de me convaincre de la position de l'autel dans ces trois basiliques. Car - l'orientation doit, avant tout, s'entendre de l'autel: et admettant une fois que l'orientation existe, du moment que le prêtre, sacrificateur au nom de Jésus-Christ, regarde l'Orient en disant la Messe, l'on trouvera qu'au moins quinzeGa naar voetnoot1), des dix-huit basiliques romaines occidentées, participent à l'orientation autant que les dix-huit autres, dont l'apside est tournée vers l'orientGa naar voetnoot2). Ce n'est, cependant, que de la moitié de celles-ci que j'ai pu obtenir la certitude que l'autel est orienté aussi. J'ai étudié la disposition des églises romaines sur les plans et les panoramas à vol d'oiseau de la Sainte Ville, et, principalement, sur le grand ouvrage de Knapp et Gutensohn (pourvu d'un maigre prologue par le docteur Bunsen), en consultant les ouvrages de Nibby et de Canina. C'était un bon acquit de conscience pour moi, quand un examen récent des ‘Sketches of continental Ecclesiology’ du docteur Benj. Web m'apprit que les explorations du célèbre archéologue anglais, sur les lieux-mêmes, ne faisaient que confirmer les résultats que je n'avais pu obtenir que par les livres et par quelques communications orales. Les points de divergence sont si peu nombreux qu'il est inutile d'en faire mention ici. Oui, l'orientation devait, avant tout, s'entendre de l'autel. Il n'est pas prouvé, pas même par M. Kreuser, l'auteur qui, certainement, a traité la question avec le plus de science et avec l'éloquence la plus inspirée, - qu'une église bâtie d'après les principes des Constitutions Apostoliques dût avoir son apside tournée vers l'OrientGa naar voetnoot3). Au contraire, tout semble indiquer que l'apside ou ‘exèdre’ des églises chrétiennes n'avait, dès le commencement, d'autre destination que d'être occupée par le siége de l'évêque et par la rangée semi-circulaire des prêtres et | |||||||||||||||
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clercs qui formaient le choeur principal: dont il suit que l'Orient n'était pas de ce côté; car alors l'évêque lui aurait tourné le dos, soit qu'il se trouvat sur ce siége, qui prêta son nom à l'église et à tout l'évêché et d'où il apostrophait ses ouailles, - soit qu'il fit quelques pas en avant, pour célébrer la messe à l'autel placé entre le siége et l'arc de triomphe qui séparait la nef du sanctuaire. L'évêque, dans les deux cas, avait le visage tourné vers le peuple; il le regardait pardessus l'autel et il avait l'Orient en face. C'est pour cela que dans le ‘Compendium sacrorum rituum et caerimoniarum’ publié par Vinitor, ainsi que dans le ‘Rational’ de l'évêque de Mende, Guillaume Durand, le cas est prévu où le célébrant n'aurait pas à se tourner vers le peuple en disant ‘Dominus vobiscom’, ‘Orate fratres’, etc.: ce cas n'existe que dans les églises où il est monté à l'autel du côté de l'apside, de sorte qu'il se trouve vis à-vis du peuple, et, pour nous exprimer ainsi, derrière l'autel. On doit, naturellement, se rappeler que l'autel dans les basiliques n'a point de rétable, et que, mieux que nos autels décorés par les peintres et tapissiers de Mme de Pompadour, il retrace l'antique table, et la tombe des saints martyrsGa naar voetnoot1). Des plus anciennes basiliques romaines, la Sta-Agnese f.l.m., le San-Paolo f.l.m. la Sauta-Croce, la Sta-Sabina et le S.-Pietro-invincoli ont actuellement l'apside vers l'Orient, mais la Sainte-Agnès a été rebâtie par Honorius I et Innocent X, la Sainte-Croix par Lucius II, la Ste Sabine en 824, 1238, 1541 et 1587, et le S.-Pierre-ès-liens par l'impératrice Eudoxie; de sorte qu'il ne paraît pas bien sûr que l'orientation y ait été maintenue dans sa disposition primitive. Si, à Constantinople, les apsides semblent généralement avoir été disposeés dans la même direction que dans les églises du moyen âgeGa naar voetnoot2), il est prouvé par Bunsen et ZestermannGa naar voetnoot3) que l'église du Saint Sépulcre avait son entrée à l'Orient, et l'historien Eusèbe constate expressément que la célèbre basilique de Paulin de Tyr tournait la façade aux trois portes vers l'OrientGa naar voetnoot4). Or, quand l'historien Socrate se plaint que l'église d'Antioche est mal orientée; il a garde de dire que soit la façade d'entrée, soit l'apside regarde l'Occident: il dit qu'elle est mal tournée et que l'autel regarde l'Occident, tandis qu'il devrait regarder l'OrientGa naar voetnoot5). J'incline à penser que les basiliques romaines du temps de Constantin aient été orientées par la façade, et non par l'apside: c'est-à-dire, que l'empereur, à Rome comme à Jérusalem, ait suivi les règles dont Éusèbe Pamphile fait l'éloge et dont S. Paulin de Nole, le grand poëte et le célèbre architecte, ne voulait pas dévier, à moins que ce fût en faveur d'une église adjacente, disposée de telle manière que ses arcades ouvertes donnèrent dans la grande basilique de S. Felix et regardèrent le tombeau et l'autel de son saint patron FelixGa naar voetnoot6). Ce qui me fortifie dans cette pensée c'est la tradition qui attribue en général aux | |||||||||||||||
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basiliques romaines l'orientation par la façade d'entrée. Cette tradition s'est maintenue, même en présence de la célèbre basilique de S. Paul hors-des-murs orientée par l'apside. Quand l'archéologue Nibby décrit l'église de S. Pierre au Vatican, où l'orientation primitive a été conservée, il parle de l'autel en ces termes: ‘Sopra la confessione e sotto il maestoso baldachino e la gran cupola, è situato, sopra sette gradini, questo magnifico altare, il quale è isolato e rivolto, secondo l'antico stilo, verso l'oriente, dove il sommo Pontefice soltanto celebra la messa’Ga naar voetnoot1). Voici comment Guillaume Durand vient confirmer qu'il semble caractéristique dans les églises romaines d'être orientées par l'entrée: ‘Bien que Dieu soit présent partout, cependant le prêtre, à l'autel et pendant les offices divins, doit, d'après le décret du pape Vigile, se tourner vers l'Orient pour prier. De là vient que, dans les églises qui ont leur entrée à l'occident, le prêtre en célébrant la messe’ se tourne pour saluer le peuple, parce que nous présentons à Dieu ceux que nous saluons face à face,... et ensuite pour prier il se retourne vers l'orient. Mais dans les églises qui ont leur entrée à l'orient, comme à Rome, pour saluer on n'a pas besoin de se retourner, et le prêtre qui célèbre dans ces églises est toujours tourné vers le peuple’Ga naar voetnoot2). En attendant Rome aussi a eu son moyen âge dans l'architecture, tout comme dans l'habillement des prêtresGa naar voetnoot3). Pour qui pourrait en douter, notre ami Didron l'a prouvé jusqu'à l'évidence: ‘l'ogive y a poussé’ comme partout ailleurs. Mais il y a dans l'histoire ecclésiologique des événements plus importants encore que l'introduction de l'ogive; il y a, dans l'organisme des églises, des artères primordiales, sources du noble sang qui anime les membres architectoniques jusque dans leurs extrémités les plus délicates. Aussitôt que ces organes importants subissent un grand changement, la physionomie de l'ensemble changera de caractère. Quand je m'écarte de l'habitude des antiquaires, qui concentrent toute leur attention sur tel ou tel numéro de leur musée, et s'isolent complétement dans le cercle des méditations que cette urne celtique ou cette monnaie romaine leur ouvre, je vois dans les églises matérielles, comme dans les paroisses des fidèles et dans l'ensemble des évêchés, un tout, un corps, un camp d'armée avec ses tentes nombreuses. Vous savez, mon ami, quel ordre, d'une nature religieuse même, présidait à l'organisation d'un camp romain: vous savez que la distribution des chemins et la position des habitations diverses s'y réglaient d'après la grande croix que l'augure avait tracée, en fixant le Decumanus et le Cardo, dans la direction de l'est à l'ouest et du nord au sud. Il me semble que, comme les tentes des chevaliers et des fantassins romains se rapportaient dans un ordre parfait au prétorium, à l'autel, à l'augural et au tribunal du campGa naar voetnoot4) - c'était par un sentiment ana- | |||||||||||||||
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logue, par un besoin d'ordre et de centralisation que les chrétiens faisaient aspirer les axes de leurs églises vers cet Orient, qui fut pendant tant de siècles le centre du monde. Longtemps avait prévalu l'habitude de n'orienter que l'autel des églises; comme aussi pendant un certain temps la consécration de l'église s'était bornée à ce centre du sanctuaireGa naar voetnoot1). Le peuple, il est vrai, s'unissait au prêtre dans le sacrifice, mais le prêtre seul levait les yeux vers cette région du monde où le Christ était mort en croix, mort pour tous, mais bénissant en particulier nous autres, peuples du couchant, de son divin regardGa naar voetnoot2). On aurait pu prédire qu'à mesure que le peuple chrétien grandît il se sentirait au coeur un besoin plus irrésistible de s'associer corporellement à l'action du prêtre, tout comme jusqu'ici il y avait associé les pensées de son âme. Une ardeur pareille à celle qui transportait en Palestine ce que l'Europe avait de plus pieux, de plus noble, de plus magnanime (les ambitions desordonnées de quelques grands capitaines et les débordements de certains éléments dans la foule ne peuvent ôter son caractère généreux et grandiose à ce magnifique mouvement des croisades!) - une ardeur pareille faisait voler tous les soupirs de l'âme chrétienne vers les parages bénits où la grande histoire du genre humain s'était passée; et, dorénavant, l'église fut tournée de sorte que l'apside tendit vers l'Orient; l'évêque déplaça son siége en deça de l'autel, et l'autel luimême fut construit dans le fond du sanctuaire sous la voûte en réseau d'une apside polygonale. C'était un grand développement du système ecclésiologique; et Rome, toute remplie qu'elle fut des traditions latines, de ‘l'antico stilo’ qui occidentait l'église, en souvenir du tem ple de Salomon et du tabernacle de MoïseGa naar voetnoot3), et qui n'orientait que l'autel, - Rome ne tarda pas à confirmer le louable entrainement du génie architectonique des peuples de l'Europe, déjà passé en pieuse habitude. Au reste, si S.-Pierre et S.-Jean-de-Latran étaient les monuments souverains de l'ancienne pratique; St Paul-était, dès le IVe siècle, le vénérable type de la disposition actuelle. Ce ne peut avoir été que du consentement de son bien-aimé Pape Adrien I que Charlemagne orienta l'autel et l'apside de Notre-Dame d'Aix-la-chapelle. Et, quand, après la mort triomphale de l'illustre Grégoire VII et la chûte des princes usurpateurs de droits ecclésiastiques et des prélats sacriléges, l'Église, à l'entrée de ce grand XIIIe siècle, allait revêtir ses habits de fête sous le pontificat du grand Innocent III, le Pape, en s'occupant de l'orientation de l'apside des églises, prononça ces remarquables paroles: ‘Le temple de Salomon avait une entrée de l'Orient à l'Occident; car avant Jésus-Christ les peuples étaient dirigés vers le Couchant: le temple chrétien s'ouvre de l'Ouest à l'Orient, pour figurer notre origine, notre passé, et notre ascension vers l'Orient de la gloire du Seigneur’Ga naar voetnoot4). Il dépasserait les bornes d'une lettre, mon cher ami, si je voulais | |||||||||||||||
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extraire des auteurs chrétiens des différents siècles tout ce qu'ils ont dit en faveur de l'orientation, soit de celui qui prie, soit de la ‘maison de prière’; ce qui, en définitive, ne se rapporte qu'à la même question et ce qui d'ordinaire est traité simultanément dans les catéchismes de nos pieux ancêtres. L'érudition de M. le professeur Kreuser m'a montré le chemin, quand je me suis mis à consulter les écrivains de l'antiquité chrétienneGa naar voetnoot1). C'est lui, ce sont MM. Neale & WebbGa naar voetnoot2) qui nous rappellent les belles paroles de TertullienGa naar voetnoot3): ‘que la maison de notre Colombe’ (l'église, l'autel et la pyxide en forme de colombe) ‘soit situee contre la Lumière: car la figure du Saint-Esprit aime l'Orient, qui symbolise le Christ’. - ‘Amat figura Spiritus Sancti Orientem, Christi figuram’. ‘Conversi ad Orientem respicimus et adoramus faciem Christi crucifixi’, dit S. Jean Damascène. ‘Les ancieus, en bâtissant une église,’ dit S. Isidore, ‘la dirigeaient exactement vers cette partie du ciel, où le soleil se lève aux équinoxes, pour que le fidèle dirigeât ses regards vers le véritable Orient, c'est-à-dire le Christ’. De cette exactitude dans l'orientation, je parlerai tantôt. Pour le moment, mon ami, je transcrirai quatre passages relativement à la question qui nous occupe, pris dans des livres d'instruction du temps de S. Athanase, du temps de S. François d'Assise, du temps de Thomas a Kempis et du temps de Jacques Bénigne Bossuet. L'an 400: ‘Pourquoi nous autres, Chrétiens, prions-nous dans la direction de l'Orient? Rép. ‘Il y a, à cela, plus d'une réponse et démonstration: Ce n'est pas la même chose de satisfaire les Juifs, d'instruire les payens, et d'expliquer une chose aux Chrétiens. Or nous disons aux Juifs, que les fidèles prient vers l'Orient (ϰαἰ ἀνατολἀς) parce que le Saint Esprit nous l'a commandé par la bouche de David, quand il dit: ‘Adoremus in loco ubi steterunt pedes Domini’ (Ps. CXXXI, 7). Or quand les Juifs nous demandent où se trouvent les pieds du Seigneur, le Prophète Zacharie leur enseigne: ‘Stabunt pedes Domini in monte Olivarum ad Orientem, contra Jerusalem’ (Zach. XIV. 4). C'est à cause de cela que les Juifs eux-mêmes, priant à Jérusalem vers l'Orient, prient dans la direction du Mont des oliviers. Que ceci suffise aux Juifs. Nous devons dire aux payens que nous prions vers l'Orient, pas comme si Dieu fût limité par les régions orientales, mais parce qu'll est Dieu, et qu'll est nommé la vraie lumière. C'est ainsi que, quand nous nous tournons vers la lumière créée, nous n'adorons pas cette lumière, mais son Créateur: ex splendidissimo elemento Deum omnium elementorum et soeculorum splendidissimum venerantes. Enfin les fidèles peuvent entendre et apprendre que pour la raison suivante les SS. Apôtres ont recommandé aux Chrétiens de tourner les églises vers l'Orient: à savoir, afin que nous gardassions le souvenir du Paradis, dont nous sommes tombés, notre ancienne patrie et notre région propre, et afin que nous priassions le Seigneur Dieu, qu'il veuille nous reconduire dans ces lieux, dont nous avons été rejetés, comme des exilés (αποϰαταστῆσαι ήμᾶς)Ga naar voetnoot4). | |||||||||||||||
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L'an 1250: ‘Nous prions le visage tourné vers l'Orient: Premièrement, en souvenir de ce que Celui qui est la splendeur de la lumière éternelle a illuminé ceux qui étaient assis dans les ténèbres, parce que “l'Orient descendant de sa gloire nous a visités”, Lui dont on lit: “Voilà que le nom de cet homme sera Orient.” En preuve de quoi il est dit dans le livre de la Sagesse; “Il faut adorer vers l'endroit où le soleil se lève”; non que la majesté divine réside localement dans l'Orient, elle qui remplit tout par sa puissance et par son essence, d'après ces paroles: “Je remplirai le ciel et la terre,” et d'après celles-ci du Prophète: ‘Si je monte au ciel, je t'y trouve; si je descends dans les enfers, tu y es présent;’ mais parce que, pour ceux qui craignent, Dieu se lève, soleil de justice, qui éclaire tout homme venant en ce monde. Secondement, nous prions tournés vers l'Orient, afin que notre esprit soit averti de se tourner et de s'élever vers des biens plus excellents que ceux de cette teire. Troisièmement, parce que ceux qui veulent louer Dieu ne doivent pas lui tourner le dos. Quatrièmement, d'après Saint Jean Damascene, qui a écrit les quatre oraisons suivantes au quatrième livre (Can., c. v), pour montrer que nous recherchons notre patrie. Cinquièmement, afin que nous tournions nos regards vers le Christ crucifié, qui est le véritable Orient, et à qui nous nous adressons dans nos prières. Sixièmement, pour montrer que nous attendons la venue du juge; car Saint Jean Damascène dit au même endroit: ‘Dieu a planté le paradis à l'orient, d'où il a exilé l'homme après son péché et l'a fait habiter à l'occident, en face du paradis.’ Chassés donc de notre antique patrie, nous jetons un regard sur elle, en priant Dieu, tournés à l'Orient. Septièmement, parce que notre Seigneur sur la croix était tourné vers l'Orient (lisez: l'occident), voilà pourquoi nous prions les yeux tournés vers lui; et lui-même, dans son ascension, était emporté aux cieux dans la direction de l'Orient et c'est ainsi que les apôtres l'adorèrent. C'est ainsi qu'il viendra, en suivant la même voie qu'ils lui virent prendre pour monter aux cieux: c'est done dans l'attente du Christ que nous prions vers l'Orient’Ga naar voetnoot1). L'an 1480: ‘Tout bon chrétien adressera sa prière à Dieu le Père céleste, ayant, autant qu'il est possible, le visage tourné vers l'Orient où le soleil se lève: car d'après les ordonnances de la Sainte Église la Messe se dit plutôt vers l'Orient, que vers l'ouest, le midi, ou le nord. Et cela pour quatre raisons: Premièrement, afin que nous n'eussions pas l'air de suivre la coutume des Juifs, des Sarrasins, ou des Tures et d'autres mécréants. Secondement, nous prions vers l'Orient, parce que là est situé le paradis terrestre, notre chère patrie, dont nous avons été expulses par suite du crime de nos premiers parents. Et, afin qu'un jour nous puissions retourner dans notre pays (loin de cette vallée de larmes où nous ne sommes que des proscrits qui ne possèdent pas leur sol natal), nous nous tournons vers cette contrée avec nos désirs et avec nos prières - dans l'espérance du retour. Troisièmement, parce que notre cher Seigneur, le fils de | |||||||||||||||
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Dieu, a été suspendu à la croix ayant le visage tourné vers l'occident et le dos vers l'orient: c'est pour cela que, quand nous prions vers l'Orient, nous sommes face à face avec la croix, contemplant le visage de notre Seigneur Jésus-Christ. Pour que, au nom de Dieu, nous nous sauvions par sa passion amère, nous tournons les yeux vers lui, le désirant ardemment. Sans cela nous serions devant lui le dos tourné. Quatrièmement: parce que quand notre Seigneur monta au ciel il se tint en Orient, et c'est là que les apôtres l'adorèrent. C'est là aussi qu'il siégera au dernier jour, pour juger le monde. C'est pour cela encore qu'on nous enterre ayant la tête à l'occident et les pieds vers l'orient. Car quand au dernier jour nous serons éveillés de la mort, nous nous lèverons comme nous étions couchés, et, sans nous retourner, nous courrons devant le jugement de Dieu, siégeant dans l'Orient’Ga naar voetnoot1). L'an 1670: ‘D. De quel côté regardoit nôtre Sauueur crucifié? - R. Vers l'Occident, comme dit S. Jean Damascene & plusieurs autres. - D. Pourquoy vers l'Occident? - R. Pour montrer qu'il venoit comme un Soleil leuant pour illuminer par sa mort l'Occident, lieu de tenebres, c'est a dire le monde qui croupissoit en tenebres: pour cela il s'appelle, Oriens; Visitauit nos Oriens ex alto (Luc. 1,78). Aussi le Prophete adjoûte en suite: Illuminare his qui in tenebris, & in umbra mortis sedent... Pensez-vous que Dauid n'auoit pas la méme pensée, quand il dit, Oculi eius super Gentes respiciunt? - D. Les anciens Chrétiens tenoient-ils cette traditition? - R. Ouy, si exactement, qu'en leurs oraisons ils se tournoient toujours vers l'Orient, comme regardant le Crucifix en face, & se mettans continuellement au deuant de leurs esprits la sacrée humanité de N. Sauueur pendant en Croix, & portant en ses bras étendus la santé & le remede du genre humain. - D. D'où a-t-on cette ceremonie en l'Eglise, de regarder vers l'Orient en disant l'Oraison? - R. De la tradition Apostolique, comme témoignent les SS. Peres Origene, Basile, Augustin, Damascene, Justin, Athanase, Clemens Rom. &c. - D. Faut il encore maintenant se tourner vers l'Orient quand on prie? - R. On se peut tourner vers quel côté que l'on veut, specialement aux oraisons priuées & domestiques, puisqu'il est vray que Dieu que nous prions, est en tout lien: neantmoins aux assemblées & aux oraisons publieques qui se font dans les Eglises, ou se tourne vers l'Orient, puis que les Eglises & les Autels sont dressés en sorte que le Crucifix regarde l'Occident, comme nôtre Sauveur an Caluaire’Ga naar voetnoot2). Vous voyez, mon ami, que vers la fin du XVIIe siècle, la Renaissance, qui cependant commençait déjà à vieillir quelque peu, n'avait pas encore réussi à déraciner le principe de l'orientation; et pourtant la tête lui a tourné si souvent qu'il est incroyable qu'elle ait jamais tenu compte de la ligne sacrée, avec la conscience de sa portée. La grande église réformée d'Amsterdam est, autant qu'on peut voir, orientée; elle date de 1600: mais l'on ne voit pas quelle | |||||||||||||||
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intention symbolique son architecte, Hendrick De Keyser, peut avoir eue en affixant son clocher à la façade de l'occident - vu que l'église n'a point d'autel. Quelque fût, du reste, l'inconcevable ineptie des bâtisseurs d'églises de Louis XIV à Joseph II, il est prouvé que même en 1764 le principe de l'orientation n'était pas tombé en oubli près des théologiens. Je trouve dans George RippelGa naar voetnoot1) le même courant d'idées par rapport à l'Orient qu'auprès des contemporains de S. Athanase, de S. François, de Thomas van Kempen et de Mgr de Meaux. Écoutez seulement: ‘Neubekehrter: Warum werden aber alle Kirchen, oder sollen aufs wenigst, gegen Sonnen-Aufgang gebauet seyn? - Doctor: Weil erstlich diser der fürnehemste Theil Himmels und der Erden ist. 2. Dass wir unserc Augen in allweg gegen Gott wenden sollen, wie der weise Mann sagt: Adorare ad ortum solis. 3. Weil gegen Aufgang Christus unser Heyland gestorben und gen Himmel gefahren, wie David sagt: Adorabimus in loco, ubi steterunt pedes ejus. Letztlich ist solches vom Pabst Clemente also verordent worden’ etc. J'ai été loin de citer ici les théories personnelles des liturgistes et les spéculations des âmes mystiques. Je n'ai reproduit que la voix de l'enseignement public. J'ai voulu prouver que la doctrine avait pris chair et os, et que toute déviation des anciens préceptes et coutumes était condamnée par le catéchisme. C'était réservé pour nos jours d'avoir oublié à tel point l'a. b.c. de l'art religieux, qu'il n'est pas plus rare d'entendre remettre en question l'axe orientée des églises, que les phénomènes intitulées famille, propriéte, et quoi que ce soit. Si je ne me trompe, il y a, dans l'oenvre d'art qu'on appelle une église, trois choses qui doivent aller de pair: la construction, la beauté, la pensée. J'ai vu (et je suis sûr, mon ami, que vous le savez mieux que moi) que dans une église un peu bonne, ces trois choses au lieu de se contredire, de s'exclure (comme nos pseudo-constructeurs semblent vouloir nous le faire accroire), se soutiennent, se provoquent, se fécondent mutuellement. Et maintenant, adressez-vous un peu à nos nouvelles églises. Je ne sais pas où vous en êtes, ‘in 't vette landt van Pruisfen’Ga naar voetnoot2), comme nous disons avec l'hémistiche proverbial de notre Vondel; mais chez moi, bon Dieu! allez donc demander de la construction à nos tels,.... et tels,.... et tels, - jeunes gens sans le moindre savoir technique, et dont on demande de ‘beaux plans’ d'églises; demandez de la beauté à nos tels,... tels... et tels, - respectables pères de famille, raboteurs distingués, mais - inventeurs de lignes, amants de l'éternelle harmonie!.... autant vaudrait demander des pêches à une haie d'épines; demandez de la pensée à nos bâtisseurs pleins de zèle et d'honnêteté, - ils vous répondront que la formule la plus courte pour définir leur conception, c'est le chiffre généreux ou despotique, caporal de cinq zéros, qui limite leur noble et fertile enthousiasme. Plût à Dieu que ce petit caporal ne dépassât jamais le nombre 2 ou 3: pour f 20.000 ou f 30.000 nous aurions partout de bonnes granges! Pour f 80.000 ou f 150.000 nous n'avons à-peu-près que de méchantes colonnaderies, ou, encore, des salles de musée très-bien. | |||||||||||||||
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Je dis, que, pour Dieu, la matière, le coeur, et l'intelligence doivent aller ensemble; je dis, qu'une église est une église, et non pas une chose sans nom; je dis qu'une église, pour ne pas être une maison particulière, ne donne pas le droit à son ‘facteur’ de se croire plus facilement débarrassé du soin de disposer le tout sagement et sans liberté aucune. Nos excellents bâcleurs de temples pensent qu'ils ont de la liberté, jusqu'au point où la commission paroissiale et la somme limitée commencent à leur lier les bras... Vous vous trompez étrangement, mes maîtres! De la liberté, pour vous - qui jamais vous a soufflé ce mot à l'oreille? Vous êtes libres, oui; mais seulement à condition que vous fassiez quelque chose de bon, de beau, et de sensé. Ces badauds voient devant leurs yeux une immense campagne, et ils pensent qu'ils peuvent s'y mettre à gambader, tout à leur aise.... Il est loin de là, mes braves: c'est un tout petit trou que celui de la formule 2 × 2 = 4; c'est une terrible corde au cou que cette corde du bon sens, pour de pauvres malades attaqués de crétinisme..... Hélas, mon ami! je regrette plus profondément que personne au monde, que la violation journalière des premières règles du bon goût et du bon sens, s'exeiçant sur l'oeuvre la plus noble, la plus digne, la plus sacrée que le génie humain puisse concevoir, me foice d'exhaler mon indignation et ma tristesse dans ces plaintes réitérées, mais moins monotones encore que ces éternels et inqualifiables écarts de nos soi-disant architectes! Nous parlions d'orientation. Oh, que dans cette règle sacrée la matière, la beauté, et la pensée s'allient harmonieusement et brillent, chacune à son tour, de la lumière des deux autres. Géométrie, esthétique, philosophie, reflets de la vérité éternelle, que vous allez bien ensemble! J'ai démontré, dans mon travail néerlandais, comment la ligne sacrée est comme l'épine dorsale de cet organisme sublime qu'on appelle une église; mais elle est plus: elle est comme l'âme humaine dans ce corps parfait: c'est en elle que repose le centre radieux de tous ses mouvements; c'est elle qui est le principe d'où émanent tous les éléments de l'église, qui en anime tous les détails, qui en détermine toutes les significations. C'est grâce à l'axe orientée que le chevet de l'église regarde l'Orient: l'Orient, nous savons ce que ce mot signifie pour des oreilles chrétiennes, depuis Tertullien jusqu'à la révolution française. Divisez cette axe en deux par une ligne qui va du nord au sud: vous avez en deça de la ligne l'ordre terrestre, la nef de l'église - une nef qui pourrait sombrer, si elle n'avait pas l'étoile d'Orient pour point d'attrait; au delà vous avez l'ordre surnaturel, la Jérusalem céleste, le sanctuaire de l'église. Ce sanctuaire il est environné de chapelles rayonnantes, c'est la sainte tête du Sauveur; si dans ces chapelles vous voulez venir vénérer les plaies de la couronne d'épines, il y a tout près de vous une Sainte qui ne s'y opposera pas. L'axe orientée assigne à la Ste Vierge la chapelle qui est plus près de l'Orient que le maître-autel même: c'est ainsi que l'Aurore a dévancé le Soleil de justice, et l'Étoile du matin le lever de la ‘lumière de lumière’. Écoutez les archéologues anglais qui nous envient nos apsides polygonales: ‘I may here notice one advantage that an apsidal east end has over our square ends; - on a bright morning the different sides of an apse give a triple effect of light as they catch the sun one | |||||||||||||||
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after the other’Ga naar voetnoot1). Car, n'oublions pas qu'avec le développement magnifique du système de l'orientation, l'apside a été percée de belles fenêtres; facettes resplendissantes de cette intaille colossale, nommée choeur d'église. Je ne parlerai pas du nombre de ces fenêtres; Bonanni, en décrivant le Vatican, nous apprend que les fenêtres sont les symboles de notre conversation avec le ciel; Guillaume Durand les appelle, avec une autre terminologie, les SS. Écritures, qui nous protégent contre le vent et la pluie, mais qui infiltrent dans nos coeurs le vrai Soleil, c'est à dire, Dieu.... Mon ami, je n'ai pas besoin de copier ici le ‘Rational’ de Guillaume Durand, que nous connaissons tous, et à la traduction duquel M. Barthélemy a mis deux mille pages.... Mais nos pauvres architectes qui n'en savent rien! qui jamais n'ont entendu le nom du célèbre évêque de Mende; jamais le nom des évêques qui ont bati Cologne et Utrecht; jamais le nom des abbés et prieurs architectes de Cluny, de Mont-Cassin, de S. Gall, de Liége!.... enfin transeant in pace! Le sanctuaire, dorénavant décidément tourné vers l'Orient, éclairé par d'éloquents vitraux,.... le fond de ce sanctuaire honoré au XIIIe siècle du nom mystérieux de lucidaGa naar voetnoot2).... Oh, que ce moyen âge savait non-seulement faire, mais encore dénominer ses belles choses!.... Qu'est-ce qu'il nous dit, ce sanctuaire? Voilà le Christ en croix; rapproché de nous, pour l'amour de notre amour, de quelques centaines de lieues, mais toujours dans la même ligne qu'il était là-haut au Calvaire! Voilà son sacrifice.... que nous dit-il autre chose que la même science de S. Paul: le Christ, le Christ crucifié! Mais ces fenêtres que frappent les rayons du soleil? Qu'est-ce-qu'elles nous disent? Écoutez le moyen âge; le XIIIe siècle prend la parole: ‘Ut vitrum non laeditur
Sole penetrante,
Sic illaesa creditur
Virgo post et ante.’
Y a-t-il peut-être encore quelqu'un qui voudrait tourner l'apside vers le nord, pour que l' ‘Illustrator solis’ ne put jamais s'épandre symboliquement sur eet autel, où il daigne descendre en réalité? D'après les rubriques, la Sainte Messe ne peut se faire que le matin (sauf la 1re messe de Noël) et, ce qui constitue le matin, le soleil levant, sera banni du sanctuaire, ou n'v jettera qu'une lumière oblique! Si l'on n'en croit pas le moyen âge - qu'on en croie les Prophètes, qu'on en croie les Pères qui nous les font comprendre. Ne sait-on pas qu' Ezechiel a dit que la majesté du seigneur viendrait dans le temple par le chemin de cette porte fermée qui est a l'orientGa naar voetnoot3), et a-t-on oublié de qui il a été dit: ‘In sole posuit tabernaculum suum, et ipse tamquam sponsus procedens de thalamo suo’Ga naar voetnoot4)? Et ce soleil qui pénètre par cette porte de l'Orient, par cette porte fermée qui vous rappelle celle qui ne s'ouvrirait que pour le Prince, par ces vitraux que le ‘soleil pénétrant’ ne brise pas, - ne dit-il rien à votre coeur? et si vous pouviez avoir une apside orientée dans votre | |||||||||||||||
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église, auriez-vous encore rien à désirer - ayant le symbole si près de la réalité divine? Pour moi, que la lucida de l'apside orientée me fasse toujours prier tout bas: ‘Salve porta, Ex qua mundo lux est orta!’Ga naar voetnoot1) Innocent III nous a parlé de l'entrée de nos églises au couchant, et de notre heureuse ascension vers l'Orient, figure de Dieu et de ce paradis, qui est représenté par le sanctuaire. Pour quiconque distingue un Couchant et un Levant, il doit y avoir un septentrion et un midi. C'est juste, et ils ne se font pas attendre. Si S. Grégoire de Nazianze chante la grande séparation de la nef et du sanctuaire (je ne puis entrer ici dans les riches et plus que logiquement ‘gegliederte’ détails, appelons-la jubéGa naar voetnoot2) - séparation des deux mondes, du ciel et de la terre, du clergé et du peuple laïqueGa naar voetnoot3), du monde périssable et du monde divin - si St Grégoire trace la ligne de droite à gauche - St Jean Chrysoslôme constate la ligne qui va, de la porte, au centre du jubé, et qui divise l'église en deux partsGa naar voetnoot4): la part des hommes à droite; celle des femmes à gauche. Amalaire va vous dire ce que c'est que la gauche et la droite: ‘Masculi stant in australi parte et foeminae in boreali’; Guillaume Durand, quatre siècles plus tard, est du même avis: L. I, ch. I, no. 46. Peut-il être question d'un côté nord et d'un côté sud - sans orientation? Et voyez poartant, s'il faut en croire S Jérôme, où cette distinction nous amène. Le prophète Ezéchiel a dit (XLVI, 9): ‘Cum intrabit populus terrae in conspectu Domini in solemnitalibus, qui ingreditur per portam Aquilonis, ut adoret, egrediatur per viam portae Meridianae: porro qui ingreditur per viam portae Meridianae, egrediatur per viam portae Aquilonis.’ Les gentils, dit S. Jérome, ont abandonné la porte du Nord, d'où tous les maux sont répandus sur la terreGa naar voetnoot5), et ils se sont approchés de la porte du Midi, qui est une porte de lumière et une porte de chaleur, - lorsqu'ils se sont convertis à la foi de Jésus-Christ. Les Juifs, au contraire, ont abandonné la porte de la lumière et de l'ardeur du divin amour et s'en sont alles à la porte du Nord, lorsqu'ils s'éloignèrent de la vérité, et ont mérité par leur malice la haine et la malédiction de Dieu.’ Voilà le formule de la grande distinction liturgique du Septentrion et du Midi. La Sainte Eglise la met en pralique lors des solemnités de la consécration des églises, et une fois à chaque Messe. A la consécration, l'évêque fait des signes de croix dans la direction des quatre points cardinaux, vers l'occident, vers le septentrion, vers l'orient et vers le midi. Sur le pavé de l'église on trace avec de la cendre une croix de St André dont les deux barres vont du coin du sud-est au coin | |||||||||||||||
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du nord-ouest, et du coin du nord-est au coin opposé. Sur une de ces deux barres l'évêque écrit, de son bâton pastoral, l'alphabet grec, en commençant ‘a sinistro angulo orientali’, c'est-à-dire au coin du sud-estGa naar voetnoot1), et procédant jusqu'au coin du nord-ouest: c'est, selon l'évêque de Mende qui a rassemblé les opinions des plus illustres écrivains ecclésiastiques, la figure de la venue du Christ, venant de l'orient et laissant les Juifs à sa gauche (au midi), pour aller trouver les Gentils dans le nord-ouest. Puis étant passé, le long du nord, au coin du nord-est, l'évêque commence à écrire l'alphabet latin sur l'autre barre, croisant celle de l'alphabet grec: c'est, encore d'après Guillaume Durand, la figure de l'action du Sauveur qui a placé les Gentils à sa droite (à l'orient: au nord-est) et qui, passant après aux Juifs dans le coin gauche à l'ouest (au sud-ouest), les trouva dans une plus triste situation que celle dont il venait de retirer les Gentils. ‘Rational’ L. I, ch. VI, no 21. Dans la Messe, le missel est porté de droite à gauche, ou, objectivement parlant (et en effet plus proprement), de gauche à droite: dans nos livres d'édification néerlandais, jusqu'à la 1re moitié du XVIIe siècle, on dit toujours: le missel est porté du Midi au Septentrion, pour figurer que l'évangile a été retiré de ceux ‘qui n'ont pas reçu le Verbe’, et qu'il a été donné aux Gentils. Tout le monde 'connait cette explication; mais peu de gens s'apperçoivent que ce n'est que par la réalité de l'orientation que ce symbole devient une vérité et qu'il répond aux exigences qu'on est en droit de lui poser, comme phénomèné plastique soumis aux lois générales de l'esthétique. Je n'ignore pas que, en considération des églises non-orientées, l'usage a introduit dans le langage liturgique, la coutume d'adopter, dans les temples et oratoires, un Orient imaginaire: mais parce que la Sainte Eglise n'exige pas, comme condition essentielle du service, que l'Orient imaginaire corresponde au véritable Orient, serait-ce une raison, pour ceux qui ‘chérissent la beauté de la Maison de Dieu’, de se permettre une violation si palpable des premières règles de l'esthétique religieuse? Si, dans l'esthétique, ce principe d'imagination par rapport aux effets des formes sur les spectateurs pouvait être admis, il ne serait plus nécessaire d'observer des distinctions dans les lignes et dans les couleurs du tout. La différence entre les formes belles et sensées et les formes inadmissibles, la différence entre les styles disparaîtrait: puisque, en voyant par exemple une architrave ou un arc plein cintre, le spectateur n'aurait qu'à s'imaginer que c'était un arc ogival; en voyant, dans une grande église, six colonnes colossales de l'ordre composite, s'élevant du pavage à la voûte - le fidèle n'aurait qu'à s'imaginer qu'il ne voyait que quatre piliers, placés aux coins de la croisée d'église, soutenant la tour centrale qui, selon Durand, symbolise la foi parfaite; quatre piliers figurant, depuis des temps immémoriaux, les quatre évangelistes: c'est-à-dire l'Ange et l'Aigle du côté du sanctuaire, et le Lion avec le Boeuf du côté de la nef ou de l'ordre terrestre. On pourrait bien s'imaginer que les deux colonnes composites, qui nous restent, se brisassent en douze morceaux cylindriques, pour figurer les douze apôtres, soit dans le choeur, soit dans la nef! Il est, comme l'on voit, de toute nécessité | |||||||||||||||
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de maintenir les bornes des catégories dans le raisonnement; et surtout un architecte ne devra jamais croire que, pour ne pas avoir enfreint les règles de la morale et pour ne pas avoir agi en opposition directe avec les institutions liturgiques, il puisse être tranquille dans la supposition d'avoir fait son devoir. Nous savons parfaitement qu'une Sainte Messe dite dans une grange, orientée on non, n'a pas moins de valeur intrinsèque et peut porter autant de fruits que celle qu'on célèbre à Saint-Paul à Rome, en présence des effigies de tous les successeurs de S. Pierre; mais quand une fois la religion veut bien accepter les offrandes des arts et des sciences, quand une fois il est bon et louable de sacrifier au service divin ce que le génie de l'homme peut produire de plus beau et de plus imposant, si nos ancêtres n'ont pas tort avec leurs cathédrales magnifiques, l'Eglise de Rome avec la pompe de ses cérémonies, et le million d'oratoires de tous les siècles avec leurs axes orientées, il faudra que l'art, qui est un don magnifique de celui’ qui surpasse en Beauté les enfants des hommesGa naar voetnoot1)’, s'abstienne de ce qui est incompatible avec sa nature. Si l'art doit être vrai partout - il devra l'être avant tout à l'église, dans le sanctuaire resplendissant de vérité divine et dans la présence du Dieu de vérité, habitant corporellement avec nous. S. Jérome nous a rappelé, tout à l'heure, que du nord tous les maux étaient répandus sur la terre. C'est le séjour du froid, des neiges, des ouragans; et Lucifer, selon la Ste ÉcritureGa naar voetnoot2), a dit qu'il ferait sa demeure au septentrion; c'était au nord qu'on adorait l'idole BaalGa naar voetnoot3); au nord qu'on pleurait l'idole AdonisGa naar voetnoot4). Le nord c'est le symbole du paganisme, du péché, des maux, de la faiblesse. Le Père Lebrun a prouvé, par des extraits de divers cérémoniaux du moyen âge, que si le diacre se tourne vers le nord, quand il chante l'Evangile, c'est parce qu'il conjure les esprits des ténèbres, et qu'il symbolise encore l'annoneiation de l'Evangile aux payens. Il faut donc, premièrement, se représenter le septentrion comme la figure du pouvoir satanique; c'est très bien: mais si maintenant l'Evangile est chantée dans la direction du sud-est, et qu'on devra se figurer, en second lieu, que ce sudest est le septentrion, quoique le soleil du matin, passant par les grandes verrières du transsept au coin de l'Evangile, nous prouve que c'est là le domaine de la lumière et de la chaleur, le symbole va disparaître, car l'illusion ne pourra rien contre le soleil véritable...... Ajoutez à cela que ce soleil éclaire des vitraux où sont peints les saints évêques et abbés qui ont plaidé la cause de l'Orient et qui n'ont bâti que des églises orientées; que peut-être sur ces verrières sont représentés des calendriers qui récusent l'orientation feinte du service; que peut-être sur le pavage de l'église un méridien est tracé qui rend témoignage du véritable état des choses..... Dans mon travail proprement dit, j'ai encore rappelé que l'arrangement de la chapelle latérale de la Ste Vierge qu'on trouve quelquefois (comme à Bois-le-duc), la place des fonts, la chapelle des morts, les deux clochers, les portails des transsepts, que tout cela se rapporte à l'orientation - question fondamentale: mais je n'ose pas me répéter entièrement. Il n'y a qu'une observation essentielle encore à faire, et alors je laisserai slotter mon plaidoyer au gré des vents ecclésiologiques. | |||||||||||||||
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‘Les femmes sont à gauche; les femmes sont au Nord’ - c'est un grand mystère qui se révèle dans cette disposition. Pour moi, je ne vois dans l'orientation qu'une représentation incessante de la révolution que le monde a subi, grâce à la passion et à la mort du Sauveur. ‘Le Seigneur, notre Dieu, nous a changé la malédiction en bénédiction; parce que le Seigneur notre Dieu nous aimait.’Ga naar voetnoot1) Voyez, à l'entrée de l'église, Adam et Ève, et l'arbre entre eux deux. Adam est à la droite de la mère des hommes. Mais au Calvaire, la Sainte Mère des hommes est à la droite de l'arbre de la croix, et S. Jean n'est qu'à sa gauche. Cette croix, que vous voyez là au fond du sanctuaire, ou placé sur le jubé sous l'arc de triomphe, ce crucifixe, qui est en face du peuple, vient réhabiliter la femme; la femme est à sa droite, du côté du larron pénitent; la droite du Sauveur c'est le Nord; le Nord de l'église c'est la part des Gentils, et la part des filles d'Eve réhabilitées par le Christianisme, et, en quelque sorte, élevées au-dessus des hommes dans la Sainte Vierge immaculée. Sur tel et tel tableau des beaux jours de l'iconographie, vous voyez le soleil qui est placé à la droite du Sauveur - le soleil au Nord, et la lune, le symbole du changement, à gauche. Ce soleil inaltérable, il y est à sa place, au Nord; car Jésus-Christ est venu apporter la lumière an monde et il a éclairé spécialement ceux qui étaient assis dans les ténèbres du paganisme: mais pour exprimer cela, il faut nécessairement que le Nord soit représenté par le coté Nord! L'apôtre des Gentils, à Rome et ailleurs, est placé à droite de Jésus-Christ; S. Pierre est à gauche. S. Pierre ne laisse pourtant pas d'être le chef suprême de l'Eglise: mais nous connaissons les grâces que Dieu a faites aux Gentils. Du reste S. Paul le dit lui-même, que Jacques, Pierre et Jean lui ont donné, à lui et à Baruabas, la droite, pour qu'il allat prêcher chez les Gentils (Galat.- II, 9), en signe de la grâce qn'il avait reçue. Dieu, dans sa miséricorde, a renouvelé la face du monde: et ce qui était à gauche a été placé à droite; ce qui était sous l'enpire des ténèbres au Nord, ou jamais soleil ne luit, a été conduit à la ‘porte de la lumière et de la chaleur’. Le Nord de l'église est placé sous le patronage spécial de la Ste Vierge; le nord de l'église c'est le matronaeum, la place des femmes et des filles. A l'ouest de l'Eglise, à l'entrée, au côté nord se trouvent les fonts: car ce sont les femmes par qui l'enfant vient au monde, ce sont les femmes, les enfants de Marie qui lui ouvrent la porte du salut en le tenant sur les fonts. Au côté nord, vers l'orient est la sacristie; autre figure du saint corps de Marie, s'il est permis de répéter ce que les auteurs symbolistes de tous les ages ont dit avant moi. La piscine au contraire (et à Strasbourg le puits de l'eau baptismale) est au midi, comme pour réaliser ce que dit Ezechiël, XLVII, 1r. Mon ami, je ne puis pas aller plus loin. La matière est d'une richesse inépuisable. Encore, dans cette lettre, je n'ai guère considéré l'église que dans sa forme primordiale, dans le parallélogramme de son plan; si j'avais voulu parler de l'église, comme une arche (arche de salut et arche d'alliance), comme la tour de Sion, comme le vaisscau de S. Pierre - l'orientation n'en aurait emprunté que plus de signification: mais je suis obligé de renvoyer pour cela à mon | |||||||||||||||
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travail en néerlandais, où j'ai traité du symbolisme de l'église dans ses principaux éléments. Toutefois je dois encore dire un mot de l'église accomplie, de l'église édifiée in modum crucis. S. Jérome, en expliquant l'évangile de S. Marc, parle de la croix ayant la tête àl'orient, le bras droit au nord, le bras gauche au midi, les pieds à l'occident. Cette croix est réalisée d'une manière frappante dans nos églises à transsepts. J'appelle l'église en croisillon l'église accomplie, parce que l'édifice, étant, suivant S. Augustin, le symbole de la communauté des fidèles, me donne bâti in modum crucis une représentation non équivoque de cette Sainte Église qui embrasse le monde entier et qui assigne sa place et sa valeur à chaque chose, à l'ordre matériel comme à l'ordre métaphysique. Quel est le plus simple conducteur dans l'ordre matériel, et qui révèle, en même temps, une des propriétés les plus étonnantes et les plus essentielles de la matière: c'est le compas; c'est l'aiguille aimantée aspirant au nord. Dans l'ordre spirituel nous avons notre boussole aussi: c'est l'axe des églises orientées. C'est ainsi, que ces deux compas embrassent, pour ainsi dire, tout l'univers créé, en exprimant l'étendue du monde dans ses deux principales dimensions: longueur et largeur, ou, si l'on veut, mesure perpendiculaire et mesure horizontale. Or l'église bâtie en furme de croix représente l'ordre matériel par l'axe du transsept et l'ordre spirituel par l'axe de la grande nef et du sanctuaire. C'est ainsi que la vie spirituelle traverse la vie maté rielle, formant ensemble une croix, pour aboutir à cet Orient où tout sera esprit et vie, harmonie et clarté éternelles. Permettez-moi de rappeler, mon ami, aux lecteurs de cette lettre que notre orientation semble avoir été confirmée et glorifiée par deux miracles. J'ai parlé des deux systèmes, tendant à faire ressortir la même vérité: le système de l'orientation par la façade d'entrée, et le système de l'orientation par l'apside. Le plus illustre monument du premier c'est la basilique de Ste Marie Majeure, dont le plan se trouva dessiné par de la neige fraîchement tombée le 5 Août de l'an 352. Le plus célèbre monument du secoud, c'est la Sainte Maison de Nazareth, orientée par les mains des anges en l'année 1295. L'autel de la Santa Casa, qui a été transporté miraculeusement avec la sainte habitation, se trouve contre le mur de l'est, et sous la ‘fenêtre de l'Ange’ au mur occidental est adossé un autre autel, également orienté. ‘Nous voudrions orienter,’ s'écrient nos architectes, ‘mais nous ne le pouvons pas toujours.’ - Cent fois, quand vous l'avez pu, vous l'avez omis. Et quand ne le pouvez-vous?.... Je ne demande pas que vous soyez des S. Grégoire Thaumaturge.... Savez-vous ce qui lui est arrivé? Il était évêque de Néocaesarée. Il y avait un endroit très propre à bâtir une église, dont le peuple avait grandement besoin. Malheureusement, dit Ruffin, du côté de l'Orient il y avait un promontoire et à l'occident une ‘rivière courante’. Il y avait assez d'espace, si l'on mesurait les pieds carrés: mais une église n'est pas une baraque qu'on plante là comme le hasard le veut. La longueur d'une église va de l'occident à l'orient, et cétait justement de l'occident à l'orient que le terrain était trop petit. Le peuple était profondément attristé de ce contretemps; mais le saint évêque se retire durant la nuit dans un lieu isolé. ‘Seigneur Jésus,’ dit-il, ‘vous avez dit que si nous aurions la foi, nous dirions à une montagne lève-toi et jette toi à la mer et que cela se ferait ainsi, je vous prie, Seigneur, souvenez vous de | |||||||||||||||
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moi.’ Et quand le lendemain le peuple vint, le promontoire s'était retiré suffisamment en arrière, et l'église put être étendue de l'orient à l'occident. Certes je ne demande pas que nos architectes soient des thaumaturges: leurs antécédents ne semblent pas les engager à soutenir pareil titre - mais pour un architecte consciencieux, convaincu, les cas seront rares, où il ne pourra pas orienter son autel, sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours aux autels dits isolés. Je n'entre pas dans une disquisition sur les déviations de la ligne sacrée. Pour dévier vers le nord, il y a la raison prévue et prescrite dans le livre de la SagesseGa naar voetnoot1): ‘On doit prévenir le soleil pour Vous bénir et pour Vous adorer à la naissance du jour!’ pour dévier vers le sud, il y a l'attraction inrésistible des Saints-Lieux. Quelquefois les axes des églises semblent des rayons d'un cercle dont le centre est en orient: telles sont San Giovanni in Laterano, San Clemente et Santa Maria Maggiore. Du reste, pour un intéressant examen de la question sous d'autres points de vue je renvoie le lecteur à la revue de MM. Otte et Von Quast, I, 32. Pour la notice savante de M. Otte, vous avez fourni des matériaux, mon ami, par votre publication des théories remarquables de l'architecte Larenz LacherGa naar voetnoot2). Si l'on pouvait se décider à reprendre autant qu'il serait nécessaire l'arrangement des autels isolés, on ne ferait que se replier sur l'exemple de la célèbre église abbatiale de St Gall, où les deux autels principaux, dans les deux choeurs opposés, et tous les autels en général, sont orientésGa naar voetnoot3). Sulpice Boisserée aussi n'a pu recomposer le temple du St Graal à moins d'orienter les 72 autels, placés dans un nombre égal de choeurs, qui entourent comme les rayons d'un cercle le centre de l'égliseGa naar voetnoot3). Des 36 autels qui ressortissent à l'hemisphère occidental, 18 sont isolés; les 18 autres sont adossés aux murailles latérales des choeurs; des 36 autres, 18 sont placés au fond des choeurs et dévient plus ou moins vers le nord et vers le sud; 18 enfin sont placés contre le côté latéral du polygone apsidial le plus proche de l'Orient. Je passe sous silence la question de l'orientation des cimetières; je ne puis y revenir sans l'approfondir quelque peu, et je n'aimerais pas d'y entrer deux fois, quoiqu'un intérêt aussi puissant que délicat fasse qu'elle m'aille autant à coeur que les autres biens précieux que nous avons recueillis de l'héritage de nos pères. Mon ami, je dépose cette plume impatiente. Si elle demande trop, et trop impérieusement, ce n'est pas vous qui lui en voudrez. Hélas, j'aime tant notre chère sainte Barbe, et le légendaire de ma patrie m'apprend non-seulement qu'elle fixa le principe de l'orientation an moyen de la sainte croix qu'elle imprima à la colonne ‘jeghen dat Osten’, ‘comme si c'eût été de la cire’ - mais que le père de la jeune vierge n'avait fait faire ses deux fenêtres qu'an midi et au septentrion. Le père, dit la légende (le père, payen endurci qui destinait la tour, selon quelques-uns, au culte de ses idoles) ne voulait pas que la clarté du soleil levant génât la vierge dans son sommeil. Mais Barbe dit anx ouvriers: ‘faites ce que je vous commande, et mettez encore | |||||||||||||||
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une fenêtre et du côté de l'Orient!’ Faut-il reconnaître ici une allusion au développement de notre système, développement qui a perforé la majestueuse apside latine, des glorieuses verrières des âges subséquents, et qui nous a doté de cette lucida, innovation magnifique dont même la vénérable cathédrale du Saint-Père, St Jean de Latran, n'a pas dédaigné l'adoption? Pourquoi aussi Ste Barbe ne serait-elle pas la patronne spéciale de l'apside rayonnante, de tout notre art gothique, depuis que cet art a le bonheur de faire son plus beau titre d'un nom réputé odieux, le titre de gotica, synonyme de barbara! Adieu, mon ami! ne jugez pas mon application à l'étude de la ‘ligne sacrée’ d'après ce rapide exposé des principaux arguments; et que surtout personne ne mesure l'importance de la matière d'après la rédaction défectueuse d'une lettre écrite au courant de la plume. La cause de l'art chrétien gagne tous les jours en importance et en force, car il me paraît qu'on est en voie d'aller toujours mieux la connaître. Tout à vous, de coeur. JOS. ALB. ALBERDINGK THIJM. | |||||||||||||||
Une image de La Ste Vierge.NOtre ami et correspondant M.P. Génard, l'un des directeurs de la revue ‘De Vlaemsche School’, amateur zélé de l'art chrétien, nous a communiqué le dessin ci joint d'un scean remarquable du XIIIe siècle. Nous avons accueilli avec empressement la xylographie et la notice qui y était jointe: car les monuments de l'art plastique néerlandais du XIIIe siêcle sont assez rares et l'exemplaire en question nous semblait offrir un intérêt archéologique et artistique indisputable. C'est le sceau du chapitre de l'ancienne église collégiale de N. Dame d'Anvers. Il s'explique par lui-même: nos amis à l'étranger n'ont aucunément besoin de nos renseignements. Nous nous contentons de poser la question: si le globe, que l'enfant tient avec une nonchalance expressive, ne serait pas plutôt la pumme du paradis dont le nouvel Adam s'est emparé pour nous délivrer de son fiel, que bien le globe du monde? La pomme aux mains de l'Enfant, ou aux mains de la Mère, est un objet iconographique assez connu. Nos légendaires en sont pleins, et M. Holtrop vient de publier un monument néerlandais du commencement du XVe siècle, une xylographie splendide, où Marie est représentée en Reine, entourée de son auréole en amande, nimbée et couronnée, se tenant sur le croissant, avec une figure où se peint douceur et majesté (toujours d'après les idées de l'an 1420) et tenant entre le pouce et l'annulaire de la main gauche une pomme avec sa queue, qu' elle présente à l'Enfant assis sur son bras droit. L'Enfant caresse la Mère de la main ganche, et de la droite il tien t la ‘rose mystique’. Marie n'est pas pieds nus, ni ne porte les détestables sandales, ou brodequins de théatre, que, par suite d'un mésentendu, quelques artistes se croient en droit de lui attribuer. Avis au lecteur. | |||||||||||||||
La légende de Ste Lutgarde.DAns la ‘Warande’ aujourd'hui en cours de publication M. le prof. Bormans a inséré et annoté les chap. V-XXVI du second livre du poëme intéressant, dont, plus d'une fois, nous avons entretenu | |||||||||||||||
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nos lectenrs. Dans la ‘Warande’ pour 1858, qui se publiera, autant que possible, régulièrement de deux mois en deux mois, nous comptons mener à fin l'impression de oe monument littéraire, dans l'espérance que M. Bormans ne nous discontinuera pas ses précieuses communications. | |||||||||||||||
L'abbaye de Rolduc.NOus n'avons, dans le royaume des Pays-Bas, qu'un nombre très limité de monuments romans. Les édifices gothiques n'abondent pas - pas même le gothique ‘style-dragée’ de 1840 - 57 mais les oeuvres romanes, si l'on excepte quelques clochers en général peu caractéristiques, sont plus rares encore. Ils ont donc été bien avisés les hommes d'état qui lors de la délimitation de nos frontières ont tendu le filet rouge sur leur cartes ethnographiques à l'est de la célèbre abbaye de Rolduc. Non seulement que l'église néerlandaise y gagne un séminaire et l'état une école normale - non seulement que nos excellents paysagistes, nos Lieste, nos Van der Maaten, et toute la colonie artistique d'Oosterbeek y profitent une série de vues ‘romantiques’ et cependant nationales: mais pour nos Bosboom, nos Springer, nos Karsten il s'y rencontre de beaux morceaux d'architecture, qu'ils pourront aller étudier, quand ils feront leur tournée de la province de Limbourg - duché si riche en beaux souvenirs de l'état religieux et politique de nos ancêtres entre la Meuse et la Roer. En attendant que M. Van der Kellen prépare ses crayons pour enregistrer par le dessin les ‘antiquités’ germano chrétiennes de cette partie du royaume, nous avons trouvé l'occasion de faire connaître à nos lecteurs certaines parties de l'intéressante abbaye mentionnée tout à l'heure. Cependant nous ne sommes pas les premiers d'entre nos compatriotes qui ayons entrepris de fixer l'attention des lecteurs néerlandais sur Rolduc, considéré principalement au point de vue de l'art et de l'archéologie. Depuis 1846 Messieurs Alexandre et Arnaud Schaepkens de Maestricht, peintres et archéologues, ont fait différentes publications qui avaient pour but de faire connaître davantage les richesses monumentales et pittoresques du Limbourg. Malheureusement - la librairie et le commerce d'estampes paraît avoir établi si peu de relations entre le Limbourg et la Hollande, que ces travaux de nos compatriotes sont restés presque totalement inconnus dans nos provinces en deça du Rhin. M. Alexandre Schaepkens a débuté en 1846 par la publication d'une série composée de 23 vues d'anciens châteaux du Limbourg aux bords de la Meuse, accompagnées d'une description historique et archéologique. La seule édition de cet ouvrage est épuisée - et il n'y a peut-être pas quatre personnes en Hollande qui l'ont vue. Après, en 1852, a paru ‘Rolduc et ses environs’, par le même. Cette publication imprimée en couleurs, format grand in folo. offre, avec l'histoire et une description archéologique du monastère, des dessins remarquables de l'église, de la crypte, des chateaux et des sites des environs. En 1855, M. Alexandre Schaepkens a publié ses ‘Anciens monuments du XI-XIIIe siècle’, suivis en 1856 de dix planches, représentant des | |||||||||||||||
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Vues de Maestricht (publiées chez Rosenkrantz de cette ville). M. Arnaud Schaeplens a publié, scus le titre de ‘Trésor de l'Art ancien’, trente dessins in folo, la plupart gravés sur cuivre, reptésentant des ‘Sculptures, peintures, ciselures, émaux et mosaïques du moyen âge, recueillis dans les églises, musées, bibliothèques et collections particulières de la Belgique et des provinces limitrophes.’ Nous en avons vu des spécimens, entre autres une belle châsse du XIIIe siècle, qui nous ont paru mériter toute l'attention et l'appréciation de nos connaisseurs. Jusqu'ici la Hollande, emprisonnée dans son provincialisme suranné, n'attache pas assez d'importance à ce qui touche les Pays-Bas en général, et elle se laisse destituer tranquillement de la part qui lui vitnt dans l'honneur d'avoir produit les architectes, les peintres et les orfèvres, qui du XIIe au XVe siècle ont travaillé dans le Brabant, dans les Flandres et dans le Limbourg. Si Maerlant et Anna Bijns ne criaient pas si fort et n'usaient, pour leurs philippiques, un excellent néeilandais qu'on ne saurait méconnaître et devant lequel on ne peut pas boucher les oreilles - nous ignorerions peut-être toute notre littérature nationale du moyen âge. En attendant, et c'est là où nous en voulions venir, MM. Schaepkens continuent, avec un zèle infatigable et avec une érudition qui n'accompagne que rarement des talents artistiques aussi distingués, l'exploration et la publication des trésors archéologiques neérlandais. Si la Hollande ne leur sourit pas encore, le Limbourg leur applaudit et la Belgique les encourage. Pour nous, nous ne suivons que la ligne de conduite tracée par une logique des plus simples et par un patriotisme ardent, mais néeilandais avant tout, - en parlant avec une sympathie juste et franche du pays thiois, dit ‘Limbourg’, et de ses dignes apologistes. Aujourd'hui, nous venons d'emprunter au ‘Messager des sciences historiques’, dirigé par notre ami et cohéritier du nom néerlandais, M. le baron de St Génois, un nouvel article sur Roldnc, dû à la plume de M. Arnaud Schaepkens. Le principal objet qui occupe notre archéologue est le tombeau du duc valeureux Waleram III dans l'église de l'abbaye. A l'article de M. Schaepkens (que nous publions en néerlandais et pour lequel, en langue française, nous renvoyons à notre honorable confrère de Gand, le ‘Messager’ surnommé) nous comptons joindre dans le 1er numéro de la ‘Warande’ pour 1858 quelques notes de M. le professeur Everts, attaché au séminaire établi dans l'abbaye, avec des dessins qui s'y rapportent. Nous n'avons pu taire, à cette occasion, le souhait de notre coeur, que le Roi Guillaume III, dans sa qualité de duc et grand-duc de Limbourg et de Luxembourg, fasse quelque largesse royale en faveur de la restauration de l'église et de la crypte de Roldue. Cette crypte dont, par la bienveillance de M. l'architecte Cuypers, nous avons publié le plan, ainsi qu'une vue de l'intérieur dans la ‘Warande’, a eu l'avantage de fixer aussi l'attention de notre honorable allié, M. le baron de Roisin à Trèves, et nous nous félicitons que cet archéulogue estimable, dans son travail sur les transsepts semi-criculaires, ait bien voulu se servir de notre dessin, queique, préoccupé sans doute de ses études, il n'ait pas songé à indiquer la source où il avait puisé cette délinéation remarquable. | |||||||||||||||
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Statuettes de l'hotel de ville D'amsterdam.M.L'archiviste Pierre Scheltema a fait reproduire, en partie par la lithographie, en partie par le burin, certaines statuettes en bronze et en bois, qui, provenant de l'ancien hôtel de ville de notre capitale, font, dans ce moment, partie du musée, qui, principalement par les soins de notre savant concitoyen, a été attaché au local des archives de la ville. M. Scheltema a inséré une notice sur ces statuettes, ainsi que les dessins que nous venons de désigner, dans deux nouveaux volumes dont il a enrichi la collection de ses nombreux écrits sur nos antiquités nationales. M. van der Kellen Jne, peintre et graveur distingué, a été frappé, à son tour, de la beauté caractéristiqus des statuettes, et de son côté il en a fait des gravures à l'eau forte, dont il a commencé la publication chez MM. Fr. Buffa et fils, dans un ouvrage qu'il destine à la réproduction de différents objets d'art des jours anciensGa naar voetnoot1). Nous avons le plaisir d'offrir avec ces pages un tiré-à-part des lithographies publiées par M. le docteur Scheltema. Un jeune artiste de nos amis, qui doit réussir dans la carriére des arts si une excellente disposition, une éducation soignée et une volonté sérieuse sont des gages de succès, les a dessinées sur pierre. Malheureusement la dimension de la page, sur laquelle il s'est réglé, est trop petite, ce qui a fait que les draperies sont un peu confuses; au reste nous pouvons répondre de la parfaite justesse du dessin quant au contour et au caractère des personnages. Les raffineurs et les sceptiques en fait d'archéologie ont, dans les derniers temps, soulevé des doutes touchant les modèles de ces belles images de bronze. Il est avéré qu'elles ont décoré le tribunal, à notre ancien hôtel de ville, devenu, en 1652, la proie d'un incendie. Jusqu'ici on a toujours dénominé ces statuettes de la manière suivante:
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Voilà la spécification traditionnelle des statuettes dites des comtes et comtesses de la Hollande. On a hasardé la conjecture que la tradition se trompat et que nous eussions ici à faire à différents personnages formant une même cour. M. Scheltema, tout en n'adoptant aucunément cette supposition, est inépuisable en ‘bonnes choses’ pour M. le docteur Bakhuizen van den Brink, qui l'avait mise en avant. Pourquoi? - Nous l'ignorons.... à peu près. M. Bakhuizen est un savant d'une trempe toute particulière; nous professons une grande estime et pour sa science abreuvée aux sources les plus pures, et pour son style, qui est énergique et spirituel: mais, malgré cela, nous ne pouvons passer à monsieur Bakhuizen la fantaisie de voir dans notre galerie de souverains, soit une réunion de membres d'une cour d'amour de la comtesse de Champagne, soit un salon de Mme la marquise de Pompadour. Nous comprendrions parfaitement que, soit au XIIe soit au XVIIe siècle, un prince eût conçu l'idée d'orner son lit de justice des images nobles et gracieuses des membres de sa cour: mais ce serait pour nous un crime de lèse-philosophie historique de supposer pareille chose au siècle du roi guerrier et pélérin, le généreux Maximilien d'Autriche. Si ces statuettes ne représentent pas des personnages de l'Ancien ou du Nouveau Testament - ce dont nous sommes loin d'admettre la probabilité - la tradition doit avoir raison et les statuettes qui ont été faites au XVe siècle, représentent des souverainsGa naar voetnoot1) du pays ou leurs partner dans le droit d'en porter la couronne de comte ou de comtesse. | |||||||||||||||
Vandalisme.U Vec les vandalismes c'est à n'en pas finir- ici comme ailleurs. Notre ancien corps de garde, halle et poids de la ville d'Amsterdam a été adjugé en vente publique pour f 4400, - à un démolisseur. Déjà, aujourd'hui, jour de St Sylvestre 1857, il n'en existe plus rien qu'un tas de briques et de bois et une bonne photographie. Les oiseaux de proie ne se jettent pas avec plus de furie sur un homme assassiné que nos Vandales de l'administration n'ont tiré à eux les florins comptés, et que nos Vandales de la force brute n'ont ramassé le plomb des gouttières du monument détruit. Le plomb des gouttièbes - voilà l'appât, voilà l'excuse de cette démolition d'un monument historique de l'architecture civile de 1620! C'est par convoitise de vendre 7 a 8.000 kilos de plomb, que l'administration municipale a voté cet acte de vandalisme! Le papier, le parchemin même, commence à inspirer certains égards aux gens des bureaux; mais la brique et le plomb, quelle que soit | |||||||||||||||
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la forme que le génie architectonique leur ait donnée et quelle que soit la sollicitude des anciens magistrats, pour les employer à la conservation des biens de la commune, - n'ont que la valeur de leur matière, et des florins ou des ‘bankjes’Ga naar voetnoot1) valent toujours mieux. Nous avons eu à regretter la démolition d'autres spécimens encore de notre architecture néerlandaise du XVIe et XVIIe siècles - l'hôtel de la Synode de Dordrecht et la maison dite du Roi Guillaume à Alkmaar - mais ce n'est rien en comparaison de la douleur que doit éprouver toute âme néerlandaise qui ne s'est pas raidie contre l'impression de nos intérêts nationaux d'avant 1566, en apprenant la nouvelle de l'écroulement de l'église abbatiale de S. Willibrord à Echternach. La possibilité de cet évènement a été prévue. Une commission de sept illustres (des ingénieurs probablement - car le gouvernement n'admet pour juger des poëmes que des maîtres d'orthographe) a été nommée pour rendre compte de l'état de l'édifice. Cette commission a dressé un rapport. Le Prince-Stathouder est venu, et s'étant informé sur la situation, il a promis aux doyens de Luxembourg qu'on y pourvoirait. Cependant on n'a rien fait; et le 1er Décembre le monument de l'apôtre de la Hollande a croulé: église et clocher. A huit heures on sonnait la messe; quand le peuple arrivait, il a trouvé une ruïne. | |||||||||||||||
Mélanges. Chansons religieuses (II).
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pour son zèle et ses lumières. Le MS. dont M. de Conssemaker s'est servi (MS. de la Bibliothèque royale de Bruxelles coté 5e division No 7484 ou No 8849-8859. 12o désigné dans le Catalogue des manuscrits de la bibliothèque de Bourgogne, T. III, part. 2, p. 234) est le même qui m'a servi pour compléter la seconde édition de mon Histoire de Gerard Groot et des établissements religieux et scientifiques fondés par les frères de la vie commune (publiée en hollandais, Arnhem 1856); mais j'ose différer de M. de C. dans l'explication qu'il donne de la phrase latine (p. 110 du MS) ‘Et erant in Doesborch aliqui alii devoti viri, praecipue Dominus Theodoricus de Gruter senior, discipulus Magistri Gherardi et plures alii, qui consilium Domini Theodorici libenter sequebantur. Composuit eciam dominus Theodoricus carmen teutonicale per laïcis et sororibus quod sic incipit; Och heer der hemelen stichter, Ende alder were t verlichter etc. - Et habet multos versus, ubi loquitur devote cum Jhesu petendo veniam per admonicionem beneficiorum ejus, et terminatur sic: Al is't nu wael ghesongen, Ten is nyet dan begonnen’ etc. Le dominus Theodoricus qui a composé le carmen teutonicale, n'est pas le même que Theodoricus de Gruter senior. Les archives de la ville de Doesburg en Gueldre offrent encore de nos jours la preuve écrite que de Gruter, curé de la paroisse, céda en 1405 sa maison à l'usage de quelques religieux, sous la condition expresse de se conduire d'après la règle suivie par les frères de la vie commune à Deventer. Lors du schisme survenu dans l'évêché d'Utrecht (1423-1432) les frères de la vie commune se voyant obligés de se réfugier de l'autre côté de l'Yssel, la congrégation de Zwol se retira à Doesburg sous la conduite de son chef Theodoricus de Herxen. Les plures alii, dont parle le MS. qui se placèrent velontiers sous la direction de ce Theodoricus, sont les habitants de la maison fondée par Theodoricus de Gruter. Aussi dans le même MS. Theodoricus de Herxen est désigné p. 122. vo. comme le fondateur de la congiégation de Doesburg. Le curé de Gruter ne paraît avoir fourni que des secours purement matériels. Le chroniqueur ajoute que Herxen fut egregius et planus translator et expositor de Latino in Teutonicum, nam multas materias de viciis et virtutibus scripsit et transtulit. Le MS. No 346 in 4o de la Bibliothèque royale à la Haye (Narratio de inchoatione patris nostri et deinde de fratribus hujus domus nostroe (Zwollensis) autore dno Jacobo Trajecti, alias Voecht seniore nostro LXXX nario) confirme mon interprétation. Ce MS. présente la répétition de l'éloge décerné à Herxen par le MS. de Bruxelles; ce sont à peu près les mêmes termes, mais disposés avec plus d'ordre et de clarté. On y lit p. 22, vo. ‘In Doesborch eciam fuerunt alii aliquando devoti viri, praecipue dnus Theodericus de Gruter senior, discipulus mgri Gerardi et alii quidam, qui consilium patris nostri libenter sequebantur. Composuit eciam pater noster carmen theutonicale pro laycis et soronibus, quod sic incipit: Och heer der hemelen stichter en alle der werlt verlichter, wanneer ick my binnen scouwe, so en vinde ick nyet dan rouwe. Et habet multos versus ubi devotus quisque loquitur cum Jhesu petendo veniam per āmōicionem beneficiorum ejus et terminatur sic: Al is dit nu al wel gesonghen, ten is nyet dan beghonnen. Die Jhesum wil ghevinden, hi soeke hem al van binnen, quod devota nota solent cantare, et habebatur hic in domo sed jam distractum est. | |||||||||||||||
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Malheureusement le paragraphe que je viens d'extraire a pour titre: De magistro Livino rectore scolarium viro devoto. Ce titre m'a induit moi-même en erreur dans le resumé du contenu de ce MS. que j'ai publié dans le T. VI des Archives d'hist. ecclés. (Archief voor Kerk. Gesch.) publiées par MM. Kist et Royaards.) et j'ai attribué la version hollandaise de l'hymne à ce Livinus, tandis qu'il n'en était que le distributeur officieux. Enfin je trouve dans le même MS. de la Haye, à la page 13 vo, une indication, qui réhabilite décidément Herxen dans son droit de paternité en ce qui concerne l'hymne, et nous met sur la voie par rapport à la mélodie. ‘Contigit ergo ibidem,’ dit notre chroniqueur, ‘quodam tempore, ut ancilla quedam in convicinio domus nostrae (Zwollensis) frequenter more secularium cantaret carmen vanum theutonicale, quod aliqualem inhonestatem resonabat. Unde venerabilis pater (de Herxen) indignatus exinde occasionem sumpsit, quod carmen composuit valde devotum de laude virginitatis et castitatis in tono et notis carminis illius secularis. Quod ut confecit provigebat magistro Livino rectori tune scolarium, ut id pro solito carmine daret. Quod et factum est. Nam ex illo tam eleganter et devote composito et ex affectu compositoris moti multi provocabantur et inflamabantur ad amorem castitatis. Et divulgabatur illud et exscribebatur et cum devotione decantabatur a scolaribus et devotis. Ad instantiam pariter sororum et virginum ipse pater noster idem carmen suum in vulgari transposuit satis eleganter et cum notâ eâdem.’ Je demande pardon pour ma longue citation latine, mais j'avais sur le coeur de rendre au vénérable Theodoric de Herxen l'honneur qui lui revient. A Windesheim, village près de Zwol, on voit une pierre tumulaire servant de perron à l'humble demeure d'un fermier, et portant en caractères à peine lisibles Iacent venerabiles et devoti viri Theodorus de Herken et dominusGa naar voetnoot1).... C'est après quatre siècles la seule trace matérielle qui nous reste de la vie de Theodore de Herxen. Il sera difficile d'empêcher que ce dernier vestige ne disparaisse bientôt entièrement: mais qu'au moins la postérité se garde de plonger dans l'oubli le souvenir de l'activité littéraire de notre digne prieur. Si pour son beau traité Speculum juvenum (impr. vers la fin du XVe siècle chez Pafraet à Deventer, 4o) la science pédagogique assigne à Herxen une place honorable parmi les judicieux réformateurs des études du XV siècle, il convient que les amis de la littérature néerlandaise le maintiennent pareillement dans son rang parmi les bons hymnographes de l'époque. Recevez, monsieur le Directeur, l'assurance de ma considération distinguée. G.H.M. DELPRAT. | |||||||||||||||
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Lassus, architecteGa naar voetnoot1).Un nombreux cortége d'amis, pressés dans la nef de Notre-Dame de Paris, le lundi 20 juillet, rendait les derniers devoirs à J.-B.-A. Lassus, dont ils avaient appris la mort en même temps que la maladie. Cette maladie si courte, connue de quelques intimes seuls qu'elle n'inquiétait guère, cette mort si prompte, qui avait arrêté l'architecte éminent au milieu de ses travaux; cette cérémonie funèbre célébrée, d'après le désir de Monseigneur l'archevêque de Paris, dans la cathédrale en partie restaurée par ses soins, sous les voûtes, entre les arcades encore éclatantes des décorations qui, essayées pour une fête, étaient comme une manifestation vivante de sa pensée, rendaient plus sensible la perte que chacun déplorait. En présence de son oeuvre, le vide laissé par l'artiste semblait plus grand encore, et augmentait les regrets laissés par l'homme chez tous ceux qui avaient été en relations avec lui comme camarades, subordonnés, ouvriers ou collègues. Un des chefs de l'école dite gothique, Lassus possédait cette facilité d'abord, cette bienveillance naturelle, cette aménité dans le commandement, qui attirent et retiennent. Chez lui, le prosélytisme était instinetif; le coeur et l'intelligence avaient été d'accord à comprendre que, pour former des aides intéressés au succès des entreprises toutes nouvelles où ils concouraient, que pour créer des ouvriers capables de retrouver des procédés tombés en désuétude, il fallait n'épargner ni soins, ni conseils, ni encouragements, et laisser à chacun sa part d'initiative, tout en marchant vers un même but, la restauration des arts et de la technologie du moyen âge. Avec lui, comme avec les architectes ou artistes, ses collaborateurs, les agences établies auprès de chaque monument à restaurer ou à bâtir étaient moins une administration qu'une famille où chacun apportait sa science, sa bonne volonté ou son expérience. Non pas que nous voulions attribuer ce caractère de bienveillance générale à la seule influence du style ogival: notre fanatisme ne va pas jusque-là; mais nous croyons qu'il est le trait commun à toute oeuvre qui commence. Il naît de la pensée qui anime solidairement tous ceux qui s'y associent; cette pensée, c'est le triomphe de la doctrine. Cette doctrine, pour Lassus, était la prééminence du style ogival sur le style antique, et sa parfaite appropriation, en attendant mieux, aux édifices religieux. Lassus, né à Paris le 19 mars 1807, était entré en 1828 à l'École des beaux-arts, lorsque toute la jeunesse était en proie à la fièvre romantique qui agitait la littérature et les arts. Les querelles, que suscitaient autour d'eux les drames de Victor Hugo, les tableaux d'Eu- | |||||||||||||||
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gène Delacroix, les sculptures de David d'Angers, passionnaient aussi les élèves architectes. Déjà émus par les pages splendides de la ‘Notre-Dame de Paris’ de Victor Hugo, ces élèves trouvèrent un aliment à leurs querelles contre les classiques dans les envois d'un élève de Rome, M.H. Labrouste. Celui-ci avait commis la faute grave, aux yeux de l'Académie, de dédaigner l'architecture romaine, de s'adresser à l'enseignement direct des Grecs, les instituteurs des Romains, et d'envoyer une étude du temple dorique grec de Neptune à Paestum, et surtout d'y avoir fait quelques timides essais de décoration polychrôme. Nous tous qui avons pu voir, lors de l'Exposition universelle, cette étude sévère, nue presque, dans le voisinage de toutes les restaurations de temples grecs, violemment enluminés, que font aujourd'hui les élèves de Rome, nous avons peine à concevoir aujourd'hui les espoirs que ces dessins suscitèrent alors. L'Académie ne pardonna point son audace à M.H. Labrouste, et ne la lui a pas même encore pardonnée depuis bientôt trente ans; mais la jeunesse, impatiente d'un enseignement plus libéral, y vit la lueur d'un nouvel avenir. Trois d'entre eux, Gréterin, Toudouze et Lassus, tous trois réunis aujourd'hui dans la mort, comme ils l'étaient alors et l'ont été durant leur vie dans une commune pensée, offrirent à M.H. Labrouste, arrivant de Rome et confus de tant d'honneur, d'ouvrir un atelier pour remplacer celui de nous ne savons plus quelle nullité académique et professorale. Libre avec son nouveau professeur de donner à ses travaux la direction qui lui plairait, Lassus s'appliqua dès lors à l'étude des monuments français. Il commença, en 1833, par exposer celle du palais des Tuileries, tel qu'il avait dû sortir des mains de Philibert Delorme. La liste civile en fit l'acquisition pour ne point s'en servir, et l'on accorda une médaille de 3e classe à l'auteur. Depuis ce moment, celui-ci se tourna vers les édifices de la période ogivale pour ne plus les abandonner. Un projet de restauration de la Sainte Chapelle lui valut, en 1835, une médaille de 2e classe. Le réfectoire du prieuré de Saint-Martin-des-Champs, aujourd'hui bibliothèque du Conservatoire des arts et métiers, l'occupa ensuite jusqu'à l'année 1837, où, avec M. Gréterin, son condisciple, il fut nommé architecte de l'église Saint-Séverin. Il ajouta à la façade occidentale de cette église la porte de Saint-Pierre-aux-Boeufs, que l'on venait de démolir dans la Cité. En 1838, d'abord comme inspecteur de M. Godde, le triste mulilateur de presque toutes les églises de Paris, puis enfin seul, il présida aux restaurations de Saint-Germain-l'Auxerrois rendu au culte. C'est là que, pour la première fois, l'on vit rétablir des autels, des grilles et des stalles réellement inspirés par les modèles que le moyen âge avait laissés; c'est là aussi que l'on recommença à peindre sur le mur des chapelles, soit les sujets légendaires de la vie des saints sous le vocable desquels elles étaient placées, soit de simples décorations, seule pratique rationnelle heureusement suivie partout aujourd'hui. C'est pour Saint-Germain-l'Auxerrois enfin que lut exécuté le premier vitrail légendaire, qui, rentrant dans les conditions de la peinture sur verre, telle que le XIIIe siècle l'avait comprise et pratiquée, contrastait singulièrement avec ces tableaux affreux que la manufacture royale de Sévres fabriquait alors au grand contentement de la Liste civile. Ce ‘vitrail de la Passion’, trop important dans l'histoire du rétablissement de la peinture sur verre pour que nous ne nommions pas tous | |||||||||||||||
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ceux qui y ont concouru, fut composé par Lassus et M. Didron d'après ceux de la Sainte-Chapelle. M. Steinheil, sur leurs indications, en dessina le carton, M. Rebouleau le peignit et le fit cuire dans un four bàti exprès; enfin, le curé de Saint-Germain-l'Auxerrois, M. l'abbé Demerson, se chargea des frais de cet heureux essai. De telle sorte que l'on peut dire que la restauration de Saint-Germain-l'Auxerrois, tout incomplète qu'elle soit, fut la première école où se formérent les sculpteurs, les peintres verriers, les forgerons, les peintres décorateurs, les menuisiers et les architectes qui se livrent aujourd'hui à la pratique de l'architecture ogivale. Parmi tant de travaux, Lassus n'avait point assez oublié ses premières études classiques pour ne point obtenir en 1841 une médaille d'or dans le trop célèbre concours pour le tombeau de l'Empereur. Enfin, en 1843, Lassus atteignant le but auquel doit aspirer tout artiste, put réaliser sa propre pensée dans une oeuvre nouvelle, au lieu de s'asservir à suivre celle des autres dans des restaurations. L'église Saint-Nicolas de Nantes, dont la construction avait déjà été projectée par Piel, architecte mort à Rome en 1841 sous l'habit dominicain, fut la première oeuvre de Lassus, celle qui marqua la voie qu'il allait suivre sans faiblesse. Il y avait déjà été précédé, depuis deux années environ, par M. Barthélémy, qui batissait l'église de Bon-Secours, près Rouen, en style du XIIIe siècle. En Angleterre, depuis longtemps, on élevait des constructions civiles et religieuses en style ogival; mais le type adopté était celui du XVe siècle, maigre, maniéré, souvent irrationnel et toujours coûteux. En France, au contraire, les architectes et les archéologues, qui se mirent en tête du mouvement de retour sérieux vers l'architecture du moyen âge, eurent le bon esprit de s'attacher aux monuments de l'époque qui s'étend depuis Philippe-Auguste jusqu'après saint Louis. Les édifices romans antérieurs, quelle que soit leur importance, ne leur ont semblé que des essais dont le développement complet ne s'est lait voir qu'à l'époque que nous venons d'indiquer. Les édifices des XIVe et XVe siècles, quelle que soient leur richesse et la science des constructeurs qui les ont élevés, ne leur ont semblé que des oeuvres de décadence où le métier remplace l'inspiration où l'ornement cache l'oeuvre et l'écrase. Confiné dans cette période qui a vu élever Notre-Dame de Paris, les cathédrales de Chartres, de Reims et d'Amiens, la Sainte-Chapelle du Palais, Lassus inclina surtout vers les types plus sévères créés sous Philippe-Auguste. Notre-Dame de Paris, dont il fut nommé architecte en collaboration avec M. Viollet-Leduc en 1845, à la suite d'un concours, et Notre Dame de Chartres, où il réédifia le ‘clocher-neuf’ et qui lui fut confiée avec la cathédrale du Mans, en 1848, furent ses modèles. Aussi ayant été chargé, en 1848, de construire la nef de la cathédrale de Moulins, dont le choeur seul existait, il n'hésita pas à adopter pour cette nef le style ogival primaire, bien que le choeur appartînt au style tertiaire. En 1849, la retraite de M. Duban le laissa seul à la tête de la restauration de la Sainte-Chapelle du Palais, dont il était l'inspecteur avec M. Viollet-Leduc. C'est à lui que l'on doit cette restauration, qui est un chef-d'oeuvre, depuis l'éclatant revêtement des murs jusqu' à la flèche élégante qui couronne si henreusement cette châsse gigantesque élevée par saint Louis pour renfermer les reliques rapportées de la terre sainte. | |||||||||||||||
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Au point où était parvenu Lassus, les travaux amènent les travaux; et quoiqu'il élaborât longtemps son idée avant de la mettre complétement au jour, son activité, activité dont on ne voyait que les résultats, savait satisfaire aux oeuvres multiples qui vinrent l'assaillir. En 1849, il fut chargé de bâtir, en collaboration avec M. Esmonnot, l'église Saint-Nicolas de Moulins, édifice plus important encore que Saint-Nicolas de Nantes, avec ses trois nefs et les deux tours de sa façade. En 1853, il construisit l'église Saint-Pierre de Dijon, d'une architecture très-simple et de dimensions peu importantes. Enfin, en 1854, outre la restauration de Notre-Dame de Dijon et celle de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, dont il a rétabli l'une des flèches en plomb, outre celle de l'église de Saint-Aignan (Loir-et-Cher), il éleva l'église de Belleville, noble monument ogival, vigoureux et solide, dont la nef est de proportions excellentes, et la façade un vrai chef-d'oeuvre par l'ajustement des clochers sur les tours qui l'accompagnent. Six monastères l'avaient choisi pour leur architecte. Pour celui de la Visitation, rue d'Enfer, il avait élevé un dôme roman à la rencontre de trois nefs qui rayonnent autour de ce point culminant et eentral qui abrite l'autel. Pour le couvent des Oiseaux, rue de Sèvres, il avait fait faire une galerie, des stalles et une chaire. Puis il construisait, réparait ou projetait ceux de la Visitation à Montereau, près Montreuil; de Saint-Maur à Paris, à Montluçon et à Aurillac, lorsque la mort est venue l'arrêter au milieu de tant de travaux divers. Parmi les oeuvres d'orfèvrerie ou de bronze dont il donna les modèles, nous citerons surtout la châsse de Sainte Radegonde, ornée d'émaux champlevés, de bas-reliefs et de ciselures, et un chandelier roman, modelé par M. Geoffry-Dechaume, qui est l'imitation la plus parfaite que nous connaissions des fontes de bronze du XIIe siècle. Livré exclusivement à l'architecture religieuse, Lassus ne put guère s'occuper de constructions civiles, et nous ne connaissons de lui qu'un hôtel élevé pour le prince Soltyhoff, vers 1848, dans l'avenue Montaigne. Cet hôtel, destiné surtout à contenir la magnifique collection du prince, construit en brique et pierre, appartient au style du XVe siècle. Très-remarquable, surtout du côté du jardin, il renferme une salle voûtée magnifique, formée de deux nefs qui reposent sur des colonnes centrales. Les distinctions et les honneurs n'avaient point fait défaut à Lassus; mais ce qu'il y recherchait surtout, c'était le moyen de propager et de faire triompher ses doctrines. Entreprenant sans être agressif, mais surtout persévérant, il menait à bien les choses qu'il avait entreprises, et l'un de ses plus beaux triomphes fut d'avoir fait à peu pres isoler la Sainte-Chapelle, que l'aile sud de la cour du Palais de Justice engrobait dans des constructions. Dès l'année 1837, le comité des arts et monuments l'avait chargé de diriger la partie graphique de la ‘Monographie de la cathédrale de Chartres’, publiée par le ministère de l'instruction publique, et ce fut seulement en 1849 qu'il fit partie du comité désorganisé ou réorganisé en 1848, non pour la dernière fois. Nommé, en 1855, membre de la commission chargée de surveiller la publication de ‘l'Imitation de Jésus-Christ’, que l'imprimerie impériale devait envoyer à l'Exposition universelle, Lassus ne prit point sa place comme une sinécure. Il surveilla ce qu'il était chargé de surveiller, mécontenta mêmo un peu l'adminis- | |||||||||||||||
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tration dont il contrecarrait les idées, et finit par faire triompher les siennes. La croix de la Légion d'honneur, qu'il avait certes bien méritée, était venue, en 1850, le récompenser de ses travaux, et depuis quelques années il faisait partie du conseil des bâtiments civils, où, s'il faut comprendre les ambages du langage administratif, il ménageait peu les prédilections de ses collègues pour un style qui ne lui causait que de la répulsiou, tandis qu'il défendait vigoureusement ses préférences. Le triomphe de ses idées lui a souvent fait prendre la plume, et c'est dans le recueil des ‘Annales Archéologiques’, fondées en 1844 par M. Didron, qu'il faut aller chercher les articles de doctrine qu'il publia sur l'architecture ogivale. Dès les commencements de cette revue, à la quelle il n'a cessé de concourir comme rédacteur ou dessinateur, Lassus combattit avec une haute raison cette prétention que possède l'école classique, d'imiter les temples antiques avec d'autres matériaux, sous un autre climat, pour une autre civilisation et une autre religion que celles dont ces temples sont les muets témoins. Il prouva, par exemple, que l'église de la Madeleine, construction antique en apparence, n'était dans son essence et son ossature nécessaire et cachée qu'une église ogivale, et il se moqua avec raison du prétendu rationalisme de ses adversaires. Aux ordres antiques qu'on lui jetait à la tête, il opposa cette loi des édifices de la période ogivale, loi qu'il avait trouvée, d'après laquelle l'homme aurait servi de modèle ou plutôt d'échelle à toute la construction. Dans l'architecture antique, que la construction soit grande ou petite, l'unité varie avec les dimensions, de sorte que tout édifice est toujours à peu près le même édifice. Dans l'architecture ogivale, au contraire, les dimensions des parties restent sensiblement les mêmes, leur nombre seul varie. De telle sorte que le chapiteau placé sous les yeux et le chapiteau placé à la naissance des voûtes étant de même hauteur, cette hauteur étant une fraction à peu près constante de celle de l'homme, celui-ci peut immédiatement établir un terme de comparaison entre lui et les membres de l'édifice les plus éloignés. De là cette impression de grandeur qui saisit celui qui entre dans une cathédrale gothique, et qui ne lui laisse deviner les dimensions de Saint-Pierre de Rome qu'au moyen de termes de comparaison accidentels. En dehors de ces articles de polémique, Lassus préparait la publication du portefeuille de Vilars de Honnecourt, architecte du XIIIe siècle; ce travail est assez avancé pour qu'il ne reste plus que des soins matériels à donner à l'oeuvre du maître pour la mettre au jour. C'est à ce moment précis de sa vie, où il n'avait plus qu'à jouir et à recueiller, que cet homme, jusque-là heureux de vivre et de lutter, sentit comme le dégoût du succès. Lui, qui sans cesse relevait et reconfortait les autres, eut besoin à son tour d'être soutenu et encouragé. Une maladie de foie s'était emparée de lui, qui avait altéré la sérénité joyeuse de son caractère. Lorsqu'il voulut aller demander à Vichy la salutaire influence de ses eaux, il était trop tard. Il y mourut le 15 Juillet, le jour même de son arrivée, croyant renaître à la santé, an moment où un épanchement interné l'enlevait à l'art, à ses amis et à sa famille, que ne consolera point la grande place qu'il occupera dans l'histoire de l'art contemporain. | |||||||||||||||
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tant que le style dérive de principes de convention, et se manifeste dans le type d'une unité absolue, Jan Steen n'avait pas de style. Toutefois, il sut s'en créer un, et c'est celui qui procède de l'harmonie intime de l'essence et de la forme, de la vie et de la reproduction de ses épisodes sur la toile. Et en cela tel est de son école, qui ne se préoccupe guère de ce que nous appelons le style, et qui, en conséquence de son principe de l'imitation fidèle de la nature, n'a jamais répondu que sous certaines conditions aux idées que comporte le mot. Ainsi donc il s'agit plutôt de manière que de style. Sans porter atteinte aux mérites de ses contemporains les plus célèbres, je crois que l'on peut affirmer que Jan Steen les surpassa tous sous le rapport de la conception. Sa tendance est toute en lui et ne s'assimile pas avec celle des autres peintres de l'époque. Quant à l'exécution il rentre dans leurs rangs. Il emprunte aux meilleurs d'entre eux ses plus belles facultés techniques, en lesquelles personne cependant ne saurait contester le talent individuel non plus que l'excellence de son coloris, la clarté de sa lumière, l'intensité de ses ombres, la délicatesse des nuances dans le clair-obscur. Il est bien entendu qu'en rangeant Jan Steen parmi les plus illustres artistes de son temps, nous ne parlons que des oeuvres achevées, où nous reconnaissons, directe ou indirecte, l'influence de la manière de ses contemporains. On a attribué à plusieurs de ses tableaux le style et les mérites de Metzu. C'est l'opinion bien déterminée de M. Xavier Burtin. Je reconnais aussitôt que l'éclat prodigieux du coloris, l'ampleur et la facilité de l'exécution, la délicatesse des chairs, qualités distinctives de Metzu, se retrouvent parfois chez Jan Steen. J'y vois, cependant, plutôt le fruit d'un procédé analogue, ou tout au plus de l'étude sérieuse des oeuvres de Metzu, que le résultat d'une relation intime entre les deux artistes, grâce à laquelle Jan Steen aurait été initié par instinct ou par conseil direct à la manière de Metzu, qui était âgé de onze ans de plus que lui et demeurait à Amsterdam lorsque notre artiste commença l'étude de la peintureGa naar voetnoot1). Les deux artistes fréquentaient en outre des cercles bien différents, et les sujets choisis par Jan Steen ne lui conseillaient point l'emploi des moyens qui ont imprimé un cachet propre à l'exécution de Metzu; c'est-à-dire qu'en reconnaissant l'analogie, je ne l'admets que comme effet naturel de causes identiquesGa naar voetnoot2). Quant à Frans van Mieris le vieux, il était contemporain et concitoyen de Jan Steen, et selon Campo Weyerman, aussi son ami. L'influence qu'il a exercée sur la manière de notre peintre n'a pas échappé à plusieurs écrivains et ne saurait être niée. C'est surtout dans le coloris que le fait est évident. On s'explique facilement la sympathie de Jan Steen pour le coloris chaud et moelleux de van Mieris. Plusieurs de ces tableaux et de nombreux détails prouvent, sans contredit, qu'il en a trouvé le secret en lui-même. Quoi qu'il en soit, l'emploi que fit Jan Steen de ce brillant procédé n'a en aucume ma- | |||||||||||||||
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nière le caractère de l'imitation servile, inepte. Van Mieris ne tombe pas dans la puérilité. Simple, il se distingue par cette naïveté que nous retrouvons chez Jan Steen, qui ne l'a point recherchée par l'imitation du procédé de son modèle, mais dans une nouvelle étude de la nature, selon l'exemple qu'il admiraitGa naar voetnoot1). En ceci, et dans la traduction intelligente des caractères, il ne fit qu'obéir aux lois de l'école hollandaise, qui bien qu'elle tombât de temps en temps dans la puérilité, ne sut jamais l'esclave du procédé dans l'art. Voilà pourquoi la manière de van Mieris a pu exercer son influence sur le dessin et jusques sur le type des têtes et des mains de Jan Steen sans être dangereuse pour son instinct de naïveté dans ses études, et n'eût pu contrarier l'expansion de ses facultés artistiques. Le faire de Jan Steen n'est pas aussi patient, aussi achevé, mais il est plus large encore; sa couleur n'est pas aussi fine, mais elle est plus vigoureuse que chez van Mieris. Quant au modelé, celui-ci l'emporte, sur son rival en gloire, pour le fini, pour la grâce de l'exécution et pour l'illusion des étoffes, mais il est loin de la vivacité, de la vérité d'expression et de la liberté magistrale qui règne dans les compositions de Jan Steen. Au reste, ces grandes qualités sont des manifestations du genre le plus élevé; c'est la poésie de l'art, et là s'arrête l'influence de l'amitié, qui n'a pas la puissance de créer des poètes. Ainsi, quoique nous ne rencontrions dans l'oeuvre de Jan Steen qu'assez rarement une indépendance absolue de toute influence sur le procédé technique, quoiqu'ici la clarté et la délicatesse de Metzu, là, le fini precieux de van Mieris ajoutent la puissance de l'exemple aux moyens qui lui sont propres, ni l'un ni l'autre ne présentent dans la partie technique la richesse de ses procédés divers. On peut constater dans certains tableaux de Jan Steen quelque réminiscenses de la tendance de Dou; en d'autres toiles l'effet de la lumière rappelle RembrandtGa naar voetnoot2), en d'autres encore la touche semble procéder de P. de Hooghe par la profondeur et l'effet caractéristique de ses intérieurs. Mais en même temps que Jan Steen s'inspire de guides expérimentés, il nous donne la preuve qu'il n'en suit pas moins avec la plus complete indépendance la voie qu'il a librement choisieGa naar voetnoot3). Il n'y aurait, au reste, que van Mieris, qui, tant par suite de leurs rapports personnels que par la contemplation fréquente et mutuelle de leurs oeuvres, eût pu exercer une influence directe sur la manière de Jan Steen. Il est difficile de déterminer jusqu'à quel point ses maîtres l'ont dirigé dans le choix de la manière qu'il a adoptée. Les historiens ne sont pas d'accord sur la personne de son maître par excellence; mais j'aurai bientôt l'occasion de dire quel est celui des artistes qu'ils ont | |||||||||||||||
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nommés comme tels qui entre le plus facilement dans le cadre des dates et des faits que j'ai recueillis. Ici, déjà, je dirai n'avoir rien remarqué dans les tableaux de Jan Steen qui rappelle les leçons de Knuffer, artiste d'ailleurs peu connu. Il me semble aussi qu'il y a bien peu d'analogie entre l'esprit et la manière de Jan Steen et les facultés d'Adrien Brouwer. Il y a naturellement quelques points de ressemblance entre les artistes là où le commandaient la conception d'un même sujet, mais il y a différence réelle dans les qualités comme dans les défauts de leurs oeuvres. Pour que M. von Mannlich affirmât que Jan Steen fût inférieur à Brouwer quant au fini de l'exécution et à la vérité de l'expression, il faut qu'il n'ait eu sous les yeux que des oeuvres pui se prêtassent bien peu à la comparaison. Certes, la beauté sauvage, l'esprit bourru, l'exécution hardie de Brouwer annoncent plus d'énergie que tel tableau nonchalamment peint de Jan Steen; mais là s'arrête toute comparaison, car les deux artistes suivent une route presque toujours tout opposée. C'est avec plus de vraisemblance que l'on a nommé aussi Adrien van Ostade comme maître de Jan Steen. Là où tous les deux traitent des sujets analogues, l'analogie dans le coloris, ou, si l'on veut, l'influence de l'exemple et de la leçon ne saurait étre méconnue. Ce sont principalement les extérieurs, les fêtes de village qui rappellent chez Jan Steen par la couleur, par la composition et l'éxecution de ses fonds, le coloris prodigieux de van Ostade. Il ne se présente que quelques cas, par exemple un paysage étendu de perspective, où Jan Steen fasse penser à son dernier maitre, Jan van Goyen, qui pourrait bien réellement y avoir mis la main Revenant à Ostade, il me paraît assez probable que c'est lui qui a développé chez Jan Steen cette tendance au pittoresque que nous rencontrons dans ses tableaux, subordonnée, toutefois, à la puissance de la pensée qui s'attachait à reproduire avant tout le sens réel de son sujet Ostade et Teniers, qui aussi a été nommé par M. Kugler, n'obéissent guère, en exploitant le genre choisi par Jan Steen, qu'à leur penchant pour la tendance que je viens d'indiquer, et je répète avec l'écrivain allemand que Jan Steen leur reste inférieur quant au caractère pittoresque de leurs oeuvres. Un tableau d'Ostade - n'en déplaise aux spiritualistes dans l'art - est presque toujours, même sans la vie et l'expression des figures, rien que par la délicieuse harmonie des tons, par la force et l'intensité du coloris, par la magie des effets, par la facilité et l'admirable simplicité du faire, un tableau d'Ostade est toujours un chef-d'oeuvreGa naar voetnoot1). Une toile de ce maître ne saurait être décrite; il faut la voir; il faut en jouir sous tous les aspects. Je crois, d'un autre côté, avoir indiqué les rapports sous lesquels Jan Steen est supérieur à Ostade et à TeniersGa naar voetnoot2), et je ferai observer qu'on s'est laissé entraîner, au préjudice du peintre dont je m'occupe en ces pages, par l'admiration du mérite technique de ces grands coloristes et de leurs confrères. Il n'est peut-être pas superflu de me résumer sur ce point. J'aime à | |||||||||||||||
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répéter que de tout ce qu'il emprunte aux antres, Jan Steen à su se faire un élément créateur d'une manière qui lui est propre, et avec l'indépendance la plus complète. Pour maître la nature, pour sujet d'étude la beauté pittoresque, pour but la vie et l'expression, voilà ce qui constitue son individualité toute particulière. Le ton local de ses tableaux est plein de clarté, la touche y est ferme et énergique, l'exécution large et facile. Quant au dessin, dans ses tableaux achevés il est sûr et irréprochable, à moins qu'on ne reconnaisse ces qualités que dans le dessin académique. Quant à moi, si l'on prétend condamner ici le dessin en vertu de certaines lois de style et de type, j'appelle de cette injustice qui tend à placer Jan Steen en dehors des principes suivis par l'école hollandaise, et je la combats par ces mots de TopfferGa naar voetnoot1): ‘Longtemps, gêné par les principes de l'école, je n'osais seulement penser qu'il pût y avoir du dessin dans Teniers, dans Ostade, dans Rembrandt (L'écrivain aurait pu dire aussi: et dans Jan Steen). Ces préjugés me faisaient mentir à mon sens propre, lequel me portait avec amour du côté de ces maîtres. Ragot, ignoble, pensais-je; ce bras trop long, ce raccourci manqué! Aujourd'hui, persuadé que ce sont là des fautes secondaires tandis que le sentiment du dessin est une qualité premiére, je me moque de l'école, et je trouve, oui, je trouve les Flamands dessinateurs. Professeurs, bouchez-vous un instant les oreilles; je trouve, quand j'y songe, ces figures ragotes de Teniers admirablement dessinées, non au compas que j'y applique, mais à l'intelligence que j'y remarque; je trouve ces têtes de Rembrandt, étonnantes par la finesse, par la naïveté du dessin, je trouve tels pâtres de Karl Dujardin sublimes et dans mon ivresse j'élève ce grand homme aussi haut, oui, aussi haut que Raphaël.’ Il y a, du reste, une noblesse plus ou moius distincte dans plusieurs figures de Jan Steen, et quant au sentiment à l'expression de la vie qui les anime, il est sans rival. Malheureusement, cette distinction disparaît presque totalement dans ces ébauches d'exécution précipitée: là, bien que l'énergie soit réelle et que la vérité de l'expression soit toujours irréprochable, ce ‘ragot’, cet ‘ignoble’ est souvent exagéré. Je me demande toujours, en étudiant ces figures ignobles, comment il a pu se faire que l'homme qui sut par fois dominer les formes et leur communiquer la vie, se soit laissé entraîner par les extravagances de la fantaisie jusqu'au point de peindre ces types repoussants, hideux, qui, quelle que pût en être la réalité, ne semblent pas moins témoigner de l'absence totale de bon goût chez l'artiste de génie. J'aime mieux croire ici à quelques moments d'indolence, d'abattement complet chez le peintre, qu'au penchant réel vers le laid dans le réalisme. |
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