Die Dietsce Catoen
(1845)–Anoniem Duytschen Catoen, Den– Auteursrechtvrij
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Les distiques de caton
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Cathon fut preux chevalier et saige homme:
Maintz bons conseil en la cité de Romme
Donna jadiz pour la chose publique;
Ung livre fît vaillant et actentique,
Par grant amour lui mît son propre nom.
Julles Cesar, ung homs de grant renom,
Sur les Rommains lors governoit l'empire.
En ce monde, qui va de mal en pire,
Meust discort entre Sin et Pompée,
En Thessaille le vaincquit à l'espée.
Adonc Cathon, qui moult ayma franchise,
Pour eschever de Cesar l'entreprise
En Libie ala avec sa route;
Illec morut. De celle ystoire toute
Ne diray plus, pour les alongemens,
Car parler veulx des bons ensengnemens
Que Cathon fît pour son filz chastier:
Par son moyen lez vous veult envoyer.
Si scay - je bien que pieça et ainçois
Que fuisse nez ilz sont mis en françois,
Par maintes fois ay véu les romans
Qui dient: ‘Seignors amis, je vous commans.’
Ce qui y est ne veulx - je point remordre,
Mais les bons vers tous repeter par ordre.
Je suis Fevre, si scay le mistière
Que deux pevent forgier d'une matière;
Exemple metz d'ung vielz fer que l'en forge:
Qui de rechief le met dedans la forge
Il devient neuf à forgier sur l'enclume.
Prenez en gré le dit de ce volume,
Et, sy vous plait, mettez en voz tables;
Vous y pourrez trouver de bons notables.
Quant vous l'aurez ouy tout à loysir
Le plus plaisant des deux pourez choisir.
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Certes mon cuer souspiroit de douleur
Quant j'apparceus l'erreur et la fouleur
De pluiseurs gens, qui griefment mesprenoient
Contre bonnes meurs et mal se gouvernoient.
En bonne foy me cuiday traveillier
Au secourir et à eulx conseillier
Pour amender leur folle opinion,
Et mesmement en bonne entençon,
Affin qu'en bien et en gloire vesquissent
Et en leur temps à honneur acteinsissent.
Mon très - chier filz, se tu crois ma doctrine
Mieux en vauldras: par ceste discipline
T'enseigneray la manière et l'usaige
Pour ordonner les meurs de ton couraige;
Or lis doncques ce mien enseignement,
Au retenir metz ton entendement,
Car cil qui lit ne peut gaires apprendre
Se de bon cuer ne met paine à entendre.
Supplie à Dieu. Ton père et ta mère ayme.
Garde le don que ton amy te donne;
A ton povoir lui rends et reguierdonne.
Aourne - toy aux marchiesz et aux plaids.
Ensuis les bons, eschève les mauvais.
Regarde bien à cui tu dois donner.
A nul conseil ne vas sans appeller.
Soyes sobres et te tiens nectement.
Les gens salue bel et honnestement;
Et par raison se de toy vois gragneur,
Donne - lui lieu et le nomme seigneur.
Ton maistre craingz et garde sa vergoingne.
Ne bois pas trop, c'est mauvaise besoingne.
Pour ton pays te combas fermement,
Et ne croy pas les dis de fole gent.
Foles femmes dois haïr et blasmer,
Et t'espeuse te command à amer
E honnourer et tenir chièrement.
Jure petit, garde ton serment.
Lis les livres souvent se me veulx croire:
Ce que liras recommande à mémoire.
En tes euvres adjouste diligence
Et eschèvez vice de négligence.
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Tes enfans dois enseignier à bien faire.
Soyes courtois, souef et débonnaire.
Ne t'avance de nullui escharnir.
En jugement te dois de sens garnir,
Et jugier dois par raison et mesure.
A telz jeux joue qu'il ny ait mespresure;
Joue au sabot, fuis les jeux dommaigeables,
Et meismement ceux des dez et des tables.
Remembre - toy des biens qui te sont fais.
Se tu fais bien à aultrui si t'en tais.
Fais justice. Pourte amour voulentiers,
Si en vivras plus seins et plus entiers.
Soyes certains que Dieux est, et dois croire
Que les dictiers nous en donnent mémoire:
Ton couraige dois fichier et ta cure
A lui amer de ta pensée pure.
Viellier est bon: dormir fait les gens nices.
En long repoux se nouricent les vices:
Luxure y maint, glotonnie et yvresse,
Et accide qu'on appelle paresse.
C'est grant vertu de sa langue reffraindre:
A plus grant bien ne pourront homs attendre,
Car peu parler et par raison soy taire -
Prouchain est à Dieu cil qui scet cela faire.
De ton propoux changier et trop muer
Te pourroit l'en despire et arguer;
Homs qui souvent à soy - mesmes discorde
Avec autruy ne peut avoir concorde.
Regarde - toy quant les meurs et la vie
Des aultres gens veulx blasmer par envie,
Se d'autrui veulx dire mal ou diffâme:
Nul homs ne vit en ce siècle sens blasme.
Ne retien pas à toy choises nuisans,
Combien que soyent chières ou desduisans;
Tu dois laissier riehesses dommaigeables.
Selon le temps prens choses prouffitables.
Soyes constant, débonnaire et fermes
Si com la chose le requiert en ses termes.
Le saige homme par les cours de sa vie
Mue ses meurs sens point de vylonnie.
Quant ta femme de tes serfs se complaint,
Ne la croy pas, ne t'esmeuf pour son plaint;
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On voit souvent que femme à tort se claime
Et qu'elle het ce que son mary ayme.
N'estrive pas contre vaines paroles,
De ces gengles que dient ces gens foles,
Chacun parle de folie ou science,
Mais peu en sont qui aient sapience.
Quant il te plait aucun amonester
D'aler o toy, et il veult contrester,
Se tu l'aimmes ne te désiste mie
Pour son reffus, mais doulcement le prie.
Ayme chascun, mais toy premièrement;
Soyes sy bon, et fais bien tellement,
Avec les bons qui sont de bon couraige,
Que t'en ne puissent ensuir nulx dommaige.
Ne t'entremetz de raconter nouvelles,
Que on ne die que son contreuvé telles;
Car se taire ne peult à nullui nuire,
Mais trop parler pourroit homme destruire.
Ne prometz pas chose à toy promise,
Jusques à tant que devers toy soit mise;
Par pluisors gens est maincte chose dicte
Qui trop parlent, pour ce est la foy petite.
Se aucun te loue faiz - en le jugement
De toy - mesmes, car tu scez proprement
Se ce est à tort ou se la chose est voire,
Dont aux autres plus qu'à toy ne doys croire.
Bienfait d'aultrui ne dois tu pas celer,
Ainçois le dois compter et reveler;
Et se tu fais aux aultres aucun bien,
Par mon conseil, tas - toy et n'en dys rien.
Et se tu es viellaert et de grant éaige
Des fais d'autrui dois jugier comme saige,
Et se tu juges les gens en ta viellesse
Souviegne - toy des fais de ta jeunesse.
S'aucuns gens ensemble parlent bas
Chaloir n'en dois, si ne t'en esmeut pas.
Toudis cuide homme souspectonnable
Que l'on die ce de quoy il est eoulpable.
Quant tu es en eur tu dois tellement faire
Que eschever puissies toute chose contraire,
Car par - ung cours les choses derrieres
Ne sont mie tousjours respondant aux premières.
Com nous ayons fraille et dobteuse vie
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Je te conseil que tu ne meets mie
En mort d'anltrui ton ceur ne ta fyance:
D'en mieulx valoir n'ayes jà espérance.
Se petit don poure ami te donne,
La bonne volenté de sa pouvre personne
Dois prendre en gré et louer plainement,
Car tel ami t'ayme perfaitement.
Enfant tout nuz t'a procréé nature,
Riens n'appourtas, tout gist à l'aventure:
Soyes preudoms de bonne conscience:
Ta poureté dois prendre en pacience
N'ayes paour ne doubte de la mort
Qui en la fin à tout ravir s'amort;
Qui la craint trop, il en pert vie et joye,
Et eschever ne la peut par nulle voye.
Se fortune t'a en tel estat mis
Par ces mérites que n'ayes nulz amis,
Pour ce ne dois tu pas Dieu accuser
Ne par laiz motz des meffais l'accuser.
Par espargnier et tes choses garder
Te pourras tu de poureté garder:
Tu dois doubter tousjours, comme qu'il aille,
Que garnison en la fin ne te faille.
Se donner veulx ne prometz par deux fois;
Par toat donner ton don emploier dois
Puis que tu veulx largesse maintenir,
Ou pour bourdeur ou te poura tenir.
Amis loyal est qui de bouche faint
Et non de cuer, bien dessert que on l'aint.
S'ainsi le fais de sens seras garny,
Car par ung art sera l'autre escharny.
Ne loue homme pour sa doulce parole:
Par belle parolle te déçoit et affole,
Ainsi com l'oiseleur l'oiselet si deçoit
En frételant quant ès las le reçoit.
Se planté as enffans et peu de rente
Et poureté son estat te présente,
Aucun mestier fais à chascun aprendre
Pour sa vie de souffreté deffendre.
Ce qui est vil ay - je véu chier tenir,
Et le chier temps à vilté revenir:
Prens - y garde sens estre vicieux
Ne convoiteux ne avaricieux.
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Ne fais pas ce que souloies blasmer
Se tes servans pour coulpe ou meffait
Te couroucent ou en dit ou en fait,
Espargne - les par moderacion
En actrempant dure correxion.
Quant aucun peuz vaincre ou surmonter
Souffre de lui; j'ay ouy raconter
Très - grant vertu de meurs et grant science
Est de nourir en son cuer pacience.
Se par labeur as des choses acquises,
Garde - les biens, car se tu t'en advises,
Quant ung homs a de labourer le soing,
En grant dommaige lui croit mortel besoing.
De ton eur dois - tu faire largesse
A tes amis, charité et liesse;
Mais dessus tous de ce soyes certains,
Qu'a toi - meismes dois estre plus prouchains.
Se veulx savoir les labours de la terre
Lis Virgile; mais se tu veulx enquerre
La nature des herbes et des escorces,
Maistre Macre t'enseingnera leurs forces.
Les batailles des Rommains et d'Aufrique
Quiers en Lucain si ton cuer s'i applicque.
Et si te plait aamer par amours
Quiers Ovide qui t'en dira les tours.
Et s'en tout ce ne veulx mectre ta cure,
Aprendre dois les motz de l'escripture:
Saige seras se de cuer ensuir
Peuz les vertus et les vices fuir.
Or viens avant, aprens fort en lisant,
Car ne lairay pour villain mesdisant,
Ne par envie, ne pour détraction.
Que ne te monstre ceste correxion.
Se aux estranges tu peux proufit pourter
Faire le dois, et eulx reconforter;
Ung royaulme ne vault pas tant à certes
Com d'acquérir amis par ses dessertes.
Les secrez Dieu ne dois pas enserchier,
Ne les haulx cieulx en leurs cours reverchier;
Tu es mortelz, tes fortunes sont telles:
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Curer ne dois que des choses mortelles.
C'est folie de la mort trop doubter,
Car en tous temps se vient ès gens bouter.
Qui la craint trop il n'en eschappe mie,
Et si en part les joyes de sa vie.
N'estrive pas de chose non certainne,
Se couroux as à repaisier metz painne;
Ire empesche le sens d'umanité,
Que homs ne peut discerner vérité.
Quant il affiert pour honneur ou deffense
Hastivement dois faire ta despense
Pour mieulx valoir; je t'asséhure par Dieu,
Donner est bon quant temps en est et lieu.
Du trop avoir ne peut - on bien jouyr,
Mais du petit se doit - on resjouyr:
La nef ne craint que tempeste la fierre
Qui pourtée est en petite rivière.
Le saige dit que fol est qui raconte
Des compaignons chose dont ayent honte;
Car par plusieurs est le blasme scéu
Qui par ung seul estoit àppercéu.
Ne cuidies pas ceulx qui sont entachiés
De mal faire cy gaingnier leur péchiés:
Par aucuns temps les péchiez se tapissent
Puis apparent et sont qui les pugnissent.
D'ung petit corps ne despis la foiblesse;
Car du conseil d'onneur et de noblesse
Vault mieulx souvent petite créature
Combien que n'ait les forces de nature.
Seuffre à la fois et espargnes cellui
Du quel tu scés qui est pluffort que lui:
On voit souvent que le vaincu se vange
De son vancqueur et y acquiert louange.
A ton amis n'estrive ne ne tance
Aucune fois grant riote commance
Par petiz motz, et tant se multiplie
Qu'il en avient grant mal et grant folie.
Point enquerre ne dois ne diviner
Chose dont Dieu doye déterminer,
Car chascun qui qu'en doye douloir
Ordonnera du tout à son voloir.
Du bien d'autruy ne soyes envieux,
Ne des joyaux avoir trop curieulx,
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Car se l'envie n'est de bonne nature
Toutefois est à soustenir trop dure.
Se on te fait tort en aucun jugement
Ayes fort cuer contre faulx jugement;
Nul homs ne peut avoir longue maistrise
De la chose par félon cuer acquise.
Se gens tansent ne le repète mie,
Car la tanson est de paix ennemie;
Il appartient aux mauvais de mesdire,
Et ceulx mentent qui sont méhuz en ire.
De toy louer ne te dois entremectre,
Ne du blasmer: ce te deffent la lectre:
Blasme pour mal et loux pour la victoire
Quirent les folx méhuz de vaine gloire.
Atrempe - toy en faisant ta despense:
Quant elle croit si considère et pense
Qu'en brief temps est la chose despendue
Qui longuement a esté attendue.
En temps présent dissimuler convient
Pour pratiquer estat, bien m'en souvient;
C'est science que le fol contrefaire
Aucune fois pour mieulx aux gens complaire.
Tu dois fuyr le péchié de luxure
Et eschever avarice et usure,
Car par ces vices est la vie blasmée:
Contraires sont à bonne rénommée.
En riens ne croy de jengleurs les nouvelles,
Car à mentir ont les langues isnelles;
Leurs paroles font forment adoubter,
Et n'y doit l'en point de foy adjouster.
Se tu bois trop jusques ad ce que yvresse
Te fait péchier, par toy - meismes est - ce:
Ce ne fait pas le vin que prins as en la coupe;
Sur toy qu'ainsy le bois en doit estre la coulpe.
De ton conseil secret et ton affaire
Dois - tu parler à léal sécrétaire;
Et se ton corps a besoing de curer
A loyal mire en fais bien procurer.
Quant il te vient desplaisir ou outraige
Paciemment pourte - le en ton couraige;
Fortune trait maint dart et mainte fleiche
Aux malheureux afin qu'elle les blesse.
Regarde doneques les cas qui pevent venir
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Que tu les puisses en souffrant soustenir:
Se tu les garde avant qu'il te fière
La blessure t'en sera plus legière.
N'esmues ton cuer pour les choses adverses,
Car elles sont contraires et diverses,
Mais en ton cas retiens bonne espérance
Jusques à la mort, et ayes actrempance.
Se choise voiz qui te soit convenable
Prens - la pour toy se par toy est prenable:
Tel a son chief orendroit chevelu
Qui deviendra tout chauve et tout pelu.
Voy devant toy, regarde par derrière,
Le temps présent, du futur la manière:
Ensuys Dieu et te metz en sa garde,
Qui d'une part et d'aultre si regarde.
Pour mieulx valoir dois espargnier forment:
A la fois vient maladie ou tourment;
A ton délit ne te fault pas planté
Mais moult convient à recouvrer santé.
Par tout toy - seul ne blasme nullement
De pluseurs gens le commun jugement,
Que contre toy ne se meuvent en ire
Ceulx qui orront que leurs dis veulx desdire.
Une chose moult vault et valut,
C'est que eures prennez de ton salut:
Se de douleur sens ton cuer entamer
Tu ne dois pas pour ce le temps blasmer.
Se tu songes n'y metz mie ta cure:
Ne te fie jà en chose obscure,
Car le désir de la pensée humaine
Prins en veillant, le songe le ramaińe.
Homs qui vouldra congnoistre ce dictié
Que j'ay mis en escript par grande amitié,
Ces commandemens il pourtera notables,
Lesquelx pour vivre sont assés agréables.
Moult de prouffit te pourras raporter
Se tu retiens ce que veulx ennoster:
Se en as despit ne blasme l'escrivain,
Mais toy - mesmes, qui as le cuer si vain.
Aprens tousjours les bons enseignemans
Et les retiens, car je le te commans;
Car la vie menée sens doctrine
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Semble a la mort que on point et ymagine.
Pour vivre à droit ne croy les mesdisans
Ne les mauvais: leurs dis sont trop musans.
Il n'affiert pas à parler par oultraige
A ung chascun selon nostre arbitraige.
S'on te produit en court pour tesmoignier,
A dire faulx dois - tu moult ressongnier;
De ton amis dois céler le diffâme
Tant que tu puis, en toy gardant de blasme.
Remembre - toy d'eschever les paroles
Flateresses qui sont plaisans et moles,
Car en parlant est simplesse fraudeuse,
Et le flatteur a langue vénimeuse.
Soyes espart à eschever paresse
Et oyseuse qui le couraige blesse;
Car quant couraige languit dedens et dehors,
La paresse dégaste tout le corps.
Entremetz - toy de jouer et d'esbatre
Aucune fois pour tes cures abatre,
Pour ce que puisses mieulx porter en couraige
De tes besoignes la labeur et l'ouvraige.
Ne blasme point ne les fais ne les dis
Des autres gens: garde point n'en mesdis,
Car donner leur pourroies exemplaire
Semblablement de blasmer ton afaire.
Note en ton cuer et metz dedens tes tables
Qu'aventures ne sont pas bien estables.
Garde en tes fais qu'en la fin à venir
On ne te puisse pour ung chétif tenir.
Et s'en ta fin, quant viendras en viellesse,
Tu habundes d'avoir et de richesse,
N'espargne pas le tien avarement;
A tes amis donne largement.
Se ton servant ung bon conseil te donne
Croire le dois. Ne desprise personne
Puis qu'il aura parole véritable
Ou que son sens te sera prouffitable.
Et s'il advient qu'en sens et en avoir
Tu n'ayes pas ce que souloyes avoir,
Soyes contens de ce que le temps livre:
S'il te souffist ainsy pourras bien vivre.
N'espouse pas femme pour son douhaire:
Se elle est bonne sa bonté te doit plaire;
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Mais se tu vois que tu face moleste
Lays - la aler, c'est perilleuse beste.
Par exemple de pluiseurs peuz aprendre
Les fais de ceulx que dois laissier ou prendre.
Fuy mal: fais bien; sachies que autre vie
Par exemple nous enseigne et maistrie.
N'essayes pas plus que tu ne puez faire,
Car trop tempter te seroit au contraire.
Folz est homme qui dessoubz son fais ploye,
Et son labeur convient laissier en voye.
Se chose vois qui ne soit faicte à droit
Ne t'en tais pas; aucun dire vouldroit,
Qu'en toy taisant tu vouldroies ensuir
Les malfaicteurs; et tu les dois fuyr.
Soubz loy inique dois aler à refuge
Pour requérir l'aide d'aucun bon juge;
Les loys vuillent ainsi estre menées
Selon raison et par droit démémées.
Se à bon droit il te convient souffrir,
Paciemment dois ton cuer offrir
A pourter fort ce dont tu es coulpable,
Et toy jugier quant ton fait est dampnable.
Je te commande à lire moult de choses
Et repéter lex textes et les gloses:
Les pouètes rapourtent en mémoire
Pluiseurs choses qui ne sont à croire.
Atrempe - toy quant tu seras à table:
Ne parle trop ne de vray ne de fable
Puisque courtois tu veulx estre nommez,
Ou pour jengleur tu seroie renommez.
Se ta femme ploure, murmure ou grouce
Ne la crain pas: s'en plourant se courouce,
Considère de femme la nature,
Car en plourant tout son aguet procure.
Tes garnisons dois faire de saison
Et tes choses despendre par raison
Sens abuser; ceulx sont folz qui se hastent:
Deffault en ont après quant ils les gastent.
Remembrez - toy des motz que tu escoutes:
Je t'ay jà dit que la mort point ne doubtes.
Se riens ne vault, touteffois je t'afferme
Que tous les maulx met à fin et à terme.
Souffre à la fois la langue de ta femme
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Quant son conseil si est bon et sens blasme:
C'est trop malheur d'estre homs de tel afaire
Que riens ne veult souffrir ne soy povoir taire.
Je te commande à amer père et mère.
A nul des deux ne dis parole amère:
Vers ta mère ne dois - tu pas groucier
Se tu ne veulx ton père couroucier.
Se tu aime de mener séhure vie
Et toy garder de péchié et d'envie,
Bonnes meurs dois suir et pourchasser
Et les vices hors de ton cuer chasser.
Mes commandemens souvent repéteras,
Car en lisant cy dedens trouveras
Moult de choses qui sont à eschever;
Or entends dont ces motz sens estriver.
Grandes richesses desprisse en ton couraige;
C'est trop grant malheur d'en avoir à outraige:
Celles nuysent quoy que les gens en dient;
Quant aux avers, plus en ont plus mendient.
Jamais nul jour tant que le temps te dure
Ne te fauldront les drois de nature
Se la chose dont dois estre contens
Tu prens en gré sens noise ne contemps.
Se tu es folz et que mal te gouvernes
Et suies bourdeaulx, jeux de déez et tavernes,
Si te meschiet ne dis pas comme beucle
Que fortune, qui bien voit, soit aveugle.
Je veulx moult bien que t'aymes le denier
Et uses à droit des biens de ton grenier;
Heiz la forme dont le denier exploite,
Car noulz sains homs avoir ne la convoite.
Se tu es riches tu dois ton corps curer
Et de tenir nectement proourer:
Le riche homme, quant il devient malade,
A des deniers, mais il est fam et fade.
Quant tu seuffre que ton maistre te bate,
Pour aprendre, de verges ou de late,
Se ton père vers toy se met en ire,
Mieulx dois souffrir ses motz et son empire.
Fais les choses qui te sont prouffitables,
Et eschève les choses dommaigeables;
Car la labeur est grief et en balance
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Quant du loyer n'est certaine espérance.
Quant veulx donner pour riens ne t'en fains mio:
Donne ton don à cellui qui te prie;
C'est grant prouffit de donner pour actraire
Les cuers de ceulx qui sont de bon afaire.
Et se tu sens chouse suspectionneuse,
Discuter dois que ne soit ennuyeuse;
Car la chose que parfoies l'on despire
Nuit bien souvent, et la besoingne empire.
Se tu mès es du péchié de luxure,
Dont le délit est dammaigeable usure,
Ne donne pas à ta gule viande
Pour ton ventre servir qui le demande.
Se par raison tu doubtes toutes bestes,
Que ne te fàcent injures ou molestes,
Je te commande que tu craigne plus homme:
Plus creulx est que beste que l'on nomme.
Et se tu es fors et puissant de corps
Avise - toy de ce soyes racors,
Qu'estre puissez virtueux; car vertus
Vault mieulx que force: si pourras provertus.
De tes amis tu dois aide requerre,
Se mestier est, pour besoing ou pour guerre;
Car nul ne puet si bon mire trouver
Que bon ami quant il est esprouvez.
Se péchiés as ne soyes pas sy niche
Que tu faces de bestes sacrifice:
C'est grant fouleur d'espérer que une beste
Donnoit salut quant on l'occist pour feste.
Et se tu veulx trouver aucun amy
Ou compaignon loyal, entenps à my:
Tu ne dois pas demander la fortune
Du preudomme, mais sa vie commune.
De tes richesses dois saigement user,
Et d'estre avers dois le nom reffuser:
Que te vauldroit, se tu estoiz riche
Et en ton cuer pouvre, avers et chiche?
Se tu veulx bien garder ta renommée
Honnestement, sans estre diffamée,
Je te conseille de tenir telle voye
En ton vivant qu'à la fin aye joye.
Se tu n'es folx, ne desprise viellesse,
Car le vielz homs tant a en soy noblesse,
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Qu'il a sens de viellesse et d'enfance:
Et est méhuz qui lui donne actrempance.
Aprens tousjours: il avient que pécune
Soudainement se gaste par fortune;
Ta science et ton aert te demeure
Pour ta vie, ne te fault à nul heure.
Taire te dois quant chascun parlera,
Et la parole des gens t'enseignera
A congnoistre leurs meurs et leurs couraige:
Leurs volentez seras par leurs langaige.
Se tu es clere bien saichant réthorique,
Estudier convient en la pratique:
Avec engin convient - il avoir cure,
Mais long usaige te rend la main séhure.
Ne doubte point ne soir ne matinée
Fortune, mort, ne sort ne destinée;
De ce monde ne craint l'adversité
Qui scet desprisier la prospérité.
Suy les saiges et aprens leur doctrine:
A non saichant monstre ta discipline;
Bonne chose est de proingnier science,
Car le bon fruit vient de bonne semence.
Ne boy pas trop que tu ne soyes yvre:
Par sobreté pourras sainement vivre.
Qui trop entent aux délis, quoy qu'on die,
C'est la cause de toute maladie.
Et se tu veulx louer publicquemenl
Ou diffamer aucun legièrement,
Avise - toyGa naar voetnoot(1) qu'après ton tesmoignaige
Tu n'ayes blasme de ton légier langaige.
Ne fais chose qui soit à paix contraire:
De ryoter se doit chascun retraire;
Et s'il avient qu'avercité te tiengne
Espérer dois que mieulx te viengne.
Ne cesse point d'aprendre la science:
Par grant cure s'acroit la sapience.
Diligence convient à homme saige:
Prudence vient, mais c'est par long usaige.
Loue petit: grant loux si est tout vent;
Car de cellui qui tu loue souvent
Ung jour vendra qu'il te fera savoir
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Quel est l'amy que dois avoir.
Ne tiens à honte ne à vilonnie
Se on t'enseigne ce que tu ne scez mie;
C'est grant honneur de savoir et d'aprendre,
Et ceulx sont folz qui ne voellent entendre.
Luxure et vin esmeuvent la tençon:
A leurs délicts affiert moult grant rençon.
Prens ton plaisir en tous choses vives
Tant comme tu puis; mais la tançon eschives.
Quant hommes voyz de couraiges pesans,
Eschève - les, s'ilz sont nuez et taisans;
En rivière plaisant qui est quoye et herbeuse
Est souvent l'onde parfonde et perilleuse.
Se de tes biens te desplait la fortune
Considère la faulte une et une,
Pour quoy tu es et par quelle ochoison
Pire d'autruy, qui des biens a foison.
Temptez sans plus ce que tu poras faire,
Et se tu sens ta nef à vent contraire,
Plus séhur yras par lez aulz sens voilles
Que tendre en hault tes cordes ne tes toilles.
N'estrive pas à tort contre preudomme:
De ton meffait emporteras la somme;
Dieux est juste et pugnist justement
Les outraiges qu'on fait iniquement.
Pour les richesses, s'on les te toult ou emble,
Ne ploure pas: c'est fouleur, ce me semble,
De mener dueil, sy ne loux que tu pleure;
Mais fais joye de ce qu'ainsy demeure.
D'une chose est et moult griefve en courraige,
Que de perdre le sien en son dommaige:
Aucune chose fault paciemment pourter
De son amy, sans soy desconforter.
Ne promes jà que vives longuement,
Car il n'est pas à ton ordonnement:
Pour tous les lieux où tu vas ens et hors
La mort te suyt et l'ombre de son corps.
Apaise Dieu par encens odourez:
Laisse les veaux croistre pour labourer;
Ne croy que soit jà bonne oppinion
D'apaisier Dieu pour faire occision.
Se blessiez es par fortune muable
Laissies courre sa roue variable:
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Donne - lui lieu, contre ne puis plaidier;
Tel anuyt qu'en cour pourra ardier.
Quant tu pesches toy - mesme te chastie.
De tes playes la douleur en nectoye:
Se cure en prens par herbe ou par racine
L'une douleur de l'autre est médecine.
Je te conseille que tu ne courres seure
A ton amy pour sa longue demeure;
Il a mué ses meurs par actrempance:
Remembrer dois la première aliance.
Soyes gracieux en servant sans fierté:
Par ce seras tenus en grant chierté.
Garde que tu n'ayes le nom de vice
Qu'on appelle de perdre son office.
Se suspeccion as sur toy, je te prye
Que ne soyes chétif toute ta vie,
Car aux paoureux est la vie dampnable
Et aux saspectz est la mort convenable.
Quant tu auras aucun serf achatés
Pour toy servir, lyés et endebtez,
Se tes serfs ou varletz les nommez,
Remembre - toy au moins que ilz sont hommes.
Quant ton prouffit vois en quelque manière
Tu dois prendre l'aventure première,
Que la chose ne te face amuser
Que par avant souloyes reffuser.
Se les mauvais meurent soudainement
Joye n'en dois avoir aucunement,
Car les heureux dont la vie est sans blasme
Trespassent bien: les fais ensuyvent l'ame.
Comme tu ayes ta femme espousée
Loyal du corps, dont il est renommée,
Pour ce ton ami ne dois - tu eschever
Ne pour paroles avec ly estriver.
Juxta illud: Quant des autres femmes parler orras.
De la tienne rapaisier te pourras.
Se par estudes a cogneuz maintes choses
Tousjours dois lire les textes et les gloses,
Qu'en aprenant dois - tu ton temps user:
De riens savoir dois le nom refuser.
Vel sic: Se valoir veulx il te convient savoir:
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Fais par ton sens que tu ayes avoir;
Car qui en a en loux et honneur monte,
Et qui n'a riens on ne tient de lui compte.
Juxta illud: Se tout le sens de ce monde savoyes;
Au temps présent, et point d'argent n'avoyes,
Et feussez saigez autant comme saint Pol,
Se tu n'as riens on te tiendra pour fol.
Cathon finist, qui fut saiges et preux:
Ces nobles vers acomplist deux et deux;
Mais moy Fevre, qui ne scay le fer batre,
En cest dictié ay fait de deux quatre.
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