Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap. Deel 27
(1906)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Journal de G.K. van Hogendorp pendant les troubles de 1787,
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fonctions de capitaine-général et de commandant de la Haye, le prince d'Orange ne voulait pas revenir à la ville de résidence, ayant tout à craindre des bourgeois patriotes que menaient des matadors turbulents et violents, et la cour stadhoudérienne, désemparée, inquiète, errait de la Frise à la Zélande et de la Zélande à la Gueldre sans oser franchir la frontière de la province dont elle s'était d'abord exilée volontairement, mais où la poussée démocratique avait fait de tels progrès qu'il lui eut été désormais dangereux de s'y présenter. Quelques voisins cependant avaient bien essayé d'accommoder les choses, mais leurs offres n'avaient pas eu le succès qu'ils en attendaient. Les ministres du roi de France avaient eu la prétention de tout concilier, mais, comme ils prodiguaient l'or et les conseils aux démocrates qu'ils n'avaient jamais cessé d'encourager, le prince d'Orange aima mieux attendre les événements que se livrer à ses ennemis. Il avait eu - ou plutôt sa femme avait eu - un instant d'espoir lorsque, quelques mois auparavant, au vieux Frédéric II avait succédé sur le trône de Prusse son neveu Frédéric Guillaume, frère de la princesse d'Orange. Il avait en effet manifesté pour sa soeur une affection qui ne s'était jamais démentie et il s'était toujours intéressé aux affaires de Hollande. Mais la cour stadhoudérienne fut bientôt déçue. Frédéric Guillaume roi ne se souvenait guère des protestations du prince royal de Prusse et il reprit, ou peu s'en faut, la politique du vieux monarque. Un négociateur, le comte de Goertz, vint de Berlin pour rétablir la bonne harmonie, mais le ministère prussien ne voulait rien faire sans la France et la France ne voyait que par les yeux des patriotes. Le diplomate que le cabinet de Versailles envoya à la Haye pour travailler de concert avec Goertz, Rayneval, ne vit | |
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que les chefs de la cabale démocratique et ne tint compte que de leurs désirs. Si telle était la conduite d'un des serviteurs les plus intelligents et les plus discrets du ministère français, que pouvait-on espérer des autres et en particulier de l'ambassadeur de France, Vérac, qui était un esprit brouillon et facilement dominé? Les Orangistes n'espéraient plus rien que du hasard et leur conduite était pusillanime. Et pourtant, quelles n'étaient pas les ressources de leur parti, de tous le plus nombreux, le plus cohérent, le plus susceptible d'une organisation! Ils avaient pour eux la majorité de la noblesse et du clergé, quelques bourgeois, les soldats, les marins, les juifs, les paysans, les ouvriers, tout le menu peuple des villes et des campagnes. En fait ils avaient la majorité aux Etats Généraux, ils étaient les maîtres absolus de la Gueldre, qui était après la Hollande une des provinces les plus riches et les plus peuplées, et dans toutes les autres et même en Hollande ils avaient une majorité assurée ou ils étaient une minorité redoutable. Appuyés sur l'armée et la marine qui leur étaient aveuglément dévouées, que ne pouvaient-ils espérer? Mais pour combattre il leur eut fallu un chef et une organisation. Ils n'avaient ni l'un ni l'autre. Le prince d'Orange à qui cette tâche revenait naturellement était incapable de l'assumer. Consciencieux, appliqué mais faible et brouillon, il avait les qualités d'un subalterne; il n'avait pas celles d'un chef. Elevé par le duc Louis de Brunswick dans un esprit de défiance continuelle, il ne savait où trouver un appui et un conseil depuis qu'une cabale à laquelle la princesse elle même n'avait pas été étrangère, avait éloigné de lui le mentor auquel il avait pris l'habitude de tout soumettre. D'ailleurs jaloux de tous ses conseillers et surtout de sa femme, il se | |
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laissait difficilement imposer la direction qui lui était nécessaire. La princesse Wilhelmine qui était intelligente et hautaine voyait avec une nuance de dédain celui auquel elle avait lié sa destinée, mais elle avait sacrifié à l'avenir de ses enfants son amour du pouvoir et de la domination. Elle voulait à tout prix leur conserver le patrimoine héréditaire et elle sentait que l'union était nécessaire entre elle et son mari pour affronter la cabale démocratique. Elle était d'ailleurs trop fine pour ne pas sentir qu'entre elle, étrangère, et le prince, héritier de la race à qui la République devait son existence, l'affection du peuple n'eût pas hésité. Autour d'eux s'agitaient quelques nobles d'esprit borné qui croyaient devoir à leur nom ou à leurs relations de soutenir le premier des aristocrates, mais leur fidélité était quelquefois douteuse et on avait découvert des germes de patriotisme - entendez démocratie - dans les familles les plus comblées par la faveur stadhoudérienne: les Capellen, les Lynden, les Van der Hoop... Ceux-là même dont on était assuré ne rendaient guère de service à la cause qu'ils avaient embrassée, n'en étant point capablesGa naar voetnoot1). On avait dû confier la direction du parti orangiste de Hollande à un jeune homme de vingt-cinq ans, le comte de Rhoon, orateur fougueux, mais homme d'Etat médiocre, parce qu'on n'en avait pas trouvé d'autre et que le nom de celui-là était populaire parmi les Orangistes, son grand père ayant été le confident de Guillaume IV et le principal artisan de la restauration du stadhoudérat en 1747. | |
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On parlait bien aussi du pensionnaire de Zélande, Van de Spiegel, mais il n'était guère connu en dehors de sa province. Il avait débuté très jeune comme le phénix de sa bourgade natale. Depuis, il avait fait lentement son chemin: c'était un homme simple, sérieux et droit. Le chef le plus remuant, le plus actif et le plus intelligent du parti était certainement le ministre d'Angleterre, sir James Harris. Mais sa situation particulièrement délicate, puisque le pays sortait à peine d'une guerre avec l'Angleterre, le rendait forcément très prudent, et ce n'était pas lui qui pouvait assumer la tâche périlleuse de mener les Orangistes à la bataille. Tandis que la cour stadhoudérienne vivait ainsi dans l'attente mélancolique et inquiète de dénouements nouveaux, elle vit arriver un jeune officier d'une rare distinction d'esprit qui venait lui demander l'autorisation de quitter le service pour se consacrer à la défense de la maison d'Orange à laquelle il était lié par les sentiments de la plus vive reconnaissance. Il ne pouvait encore aspirer aux honneurs, n'ayant que vingt-quatre ans, mais il songeait à fréquenter le barreau pendant les quelques mois qui lui restaient encore à parcourir avant d'atteindre l'âge requis pour figurer dans les conseils de la République. A vingtcinq ans, Dieu et le stadhouder aidant, il espérait devenir pensionnaire en second de Rotterdam et peu à peu s'élever au premier rang du parti dont il avait une fois pour toutes, adopté les idées et auquel un sentiment très pur d'admiration pour la princesse l'attacha chaque jour d'avantage. Malgré sa jeunesse, Gisbert Charles de Hogendorp avait eu le temps de révéler son intelligence et ses talents. Il était né à Rotterdam, mais avait quitté très jeune sa ville natale, son père, qui faisait partie du conseil de la ville, ayant été élu membre du Col- | |
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lège des Conseillers-députés qui siégeait à la Haye. Il fut d'abord élevé dans le plus grand luxe, son père ayant contracté dans ses voyages et en particulier à Paris des habitudes fastueuses qui lui faisaient aimer la vie large et les grandes réceptions. Le salon des Hogendorp était un des plus brillants et un des plus fréquentés de La Haye. Du reste M. et Madame de Hogendorp appartenaient tous deux à des familles extrêmement distinguées de l'aristocratie. Guillaume de Hogendorp était fils d'un bourgmestre de Rotterdam et Mme de Hogendorp, née baronne de Haren, était la fille du célèbre poète des GueuxGa naar voetnoot1). Mais bientôt les revers survinrent; Guillaume de Hogendorp perdit sa fortune et la vie sans luxe lui devint intolérable. Il partit pour l'Insulinde afin de refaire tant pour lui que pour les six enfants qui lui étaient nés de son mariage une situation devenue précaire. La protection du prince d'Orange lui assura une riche sinécure, mais l'existence en Hollande était devenue difficile pour sa femme et pour ses enfants. Heureusement pour Gisbert-Charles que sa mère, qui était une femme de tête et de coeur, était liée d'amitié avec la princesse d'Orange et avec la femme du ministre de Russie, princesse Galitzin. Elle obtint de ses deux protectrices et amies que ses deux fils aînés fussent admis au corps des cadets prussiens et c'est ainsi que Gisbert-Charles, âgé | |
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de douze ans à peine, partit pour Berlin avec son frère aîné ThierryGa naar voetnoot1). Les deux enfants qui avaient de chaudes lettres de recommandation furent très bien accueillis et tout en achevant leur instruction ils apprirent dans un corps d'élite le métier des armes. Dès lors le caractère des deux frères se révéla tout entier. Gisbert-Charles n'avait pas l'intelligence vive et primesautière de son aîné, mais il était plus pondéré, plus appliqué et, en résumé, il réussissait mieux. Les hasards de la vie permirent à Dirk de donner libre cours à son imagination et de devenir successivement résident aux Indes néerlandaises, général et comte de l'empire français, gouverneur de Hambourg et aide de camp de Napoléon Ier. Il dut sans doute la plus grande part de ses succès à sa valeur qui était grande, mais il le dut aussi à son étoile qui fit naître les circonstances favorables. Charles au contraire préparait consciencieusement la route qui devait le mener naturellement aux honneurs et quand après 1813 il devint membre du corps équestre avec le titre de comte, vice président du Conseil d'Etat, président des Etats généraux, ministre et Grand Croix de l'Ordre du Lion néerlandais, personne ne s'étonna; c'était justice. A Berlin déjà, il savait faire apprécier son intelligence réfléchie et sa raison précoce. Quand le grand-duc héritier de Russie visita l'école des cadets de Berlin, ce fut Charles qui fut chargé de lui souhaiter la bienvenue. Quand le prince Henri de Prusse eut besoin d'un porte-étendard, ce fut Charles qu'il appela. Tandis que Dirk commençait la série de ses aventures qui devaient le mener de Koenigs- | |
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berg à La Haye et de là à Batavia à la recherche de situations nouvelles ou de fiancées vite oubliées, Charles suivait le prince Henri à Dresde et fréquentait la cour de Saxe. La guerre ayant éclaté entre l'Angleterre et les Provinces Unies, Charles manifesta le désir de revenir dans son pays où il fut nommé enseigne avec le rang de lieutenant dans la garde hollandaise. La vie militaire ne lui plaisait guère et il saisit avec empressement l'offre que lui fit le ministre de la République aux Etats Unis, Van Berckel, qui était son parent, de l'accompagner en Amérique. Ce voyage eut sur ses destinées une influence décisive car il fut mis à même d'étudier de près les hommes et les choses et il en profita. Il visita Boston, Philadelphie, Annapolis, New York, toutes les villes américaines (alors existantes), Charlestown exceptée. Il étudia avec soin le commerce et l'agriculture et il acquit de nombreuses connaissances sur l'économie politique. Il s'entretint avec les fondateurs de la grandeur américaine: Washington, les Morris, les Livingston et surtout Jefferson avec qui il resta en correspondance. Hogendorp savait voyager et il voulait s'imprégner de ce qu'il voyait pour appliquer chez lui ce qu'il trouvait bien chez les autres. A son retour d'Amérique il se rendit à Londres pour se rendre compte par lui-même du mécanisme parlementaire et approfondir l'étude de la constitution anglaise. Peu après il revint en Hollande d'où il adressa au prince d'Orange un long et intéressant mémoire sur la grande démocratieGa naar voetnoot1) dont il venait de surprendre | |
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l'éclosion; ayant enfin regagné Breda où son régiment tenait garnison, il nota quelques réflexions sur la révolution d'Amérique. L'oisiveté militaire ne convenait pas à ce jeune esprit avide de science et d'activité, et il mit à profit les loisirs du service pour étudier le droit. Il suivit à Leyde le cours du professeur le plus illustre du temps, Pestel, et bientôt le jeune capitaine fut docteur en droit. Mais son ambition n'était pas satisfaite; il rêvait d'une vie plus glorieuse et la politique l'attirait. Déjà il avait eu occasion de faire preuve de sa science et de son talent. Quand Goertz fut chargé par Frédéric-Guillaume de replâtrer tant bien que mal les affaires de Hollande, Hogendorp se chargea de le mettre au courant des mille rouages de la République et des inextricables difficultés dans lesquelles se débattaient le prince et son parti. Sa résolution était prise: il allait consacrer son temps et son intelligence au service de la famille à laquelle il devait tout. Pour un Hogendorp la chose était facile; il y avait toujours un des leurs dans la régence de Rotterdam et le départ de son frére aîné pour les Indes faisait de Charles, d'après le système aristocratique alors en usage, un candidat naturel et presque obligé à la succession de son père et de son grand père. Mais il était de simple courtoisie de solliciter l'approbation du prince d'Orange, premier magistrat de la République, et surtout celle de la princesse qui avait rendu possible la réalisation de ses espérances en pensionnant sa mère et en lui faisant donner l'éducation qui convenait à sa naissance, mais que la fortune de ses parents ne permettait pas de lui accorder. Et c'est ainsi que le jeune capitaine vint à Nimègue dans les tout premiers jours d'avril | |
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1787 pour mettre le prince et la princesse au courant de ses désirs et de ses ambitions. Il trouva à la cour un accueil cordial: on était si peu habitué à de telles aubaines! On lui accorda tout ce qu'il demandait et il fut entendu qu'il serait dans huit mois pensionnaire de Rotterdam. Il revint à la Haye, résolu à plaider quelque peu devant la cour de Hollande afin de s'habituer à parler en public, mais il n'en eut pas le loisir. Il n'était pas encore établi qu'une commotion populaire ou plutôt bourgeoise renversa la régence aristocratique de Rotterdam et installa un conseil démocrate. Les places seraient désormais réservées aux ennemis de la maison d'Orange. Hogendorp fut désespéré et furieux. C'était la ruine de toutes ses espérances. Tous ses parents et amis étaient exclus de leurs charges et il n'y avait plus d'espoir pour lui d'obtenir le poste qu'il souhaitait. Désoeuvré, ne sachant que faire, il fréquentait les sociétés orangistes que venaient de fonder les Bentinck, cherchant tous les moyens de nuire à ceux qui l'avaient ainsi frustré. Il ‘respirait la vengeance’ dit-il lui-même dans son journal. On ne tarda pas à remarquer son intelligence et son savoir. Bientôt on le consulta. On le chargea de quelques commissions. Peu à peu il devint nécessaire. Il fut le trait d'union entre la cour stadhoudérienne réfugiée en Gueldre, et les sociétés orangistes de Hollande. Quand le duc de Brunswick arriva sur les frontières de la République à la tête des régiments prussiens qui venaient châtier une insulte faite à la soeur du roi de Prusse par la province de Hollande, ce fut Hogendorp qu'on chargea de le mettre au courant de la situation. Il sentit bientôt toute son importance. Il prodigua les conseils qu'on lui demandait et même ceux qu'on | |
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ne lui demandait pas. Toujours on l'écoutait, trop heureux qu'un jeune homme actif et instruit se prodiguât sans compter. Il en conçut quelque orgueil et il eut l'idée - heureuse pour nous - de retracer le journal des heures troublées pendant lesquelles il avait joué un rôle si glorieux. Son journal se ressent un peu - un peu trop peut-être - d'un petit mouvement de vanité qu'il paya cher. Avant même que la révolution fut achevée, il était redevenu le jeune homme d'avenir qu'il était au mois d'avril et il devait faire antichambre là où il était habitué à passer devant les autres. Il reconnut lui-même que c'était justice: ‘J'eus part à la révolution, mais ma vanité et mon ambition y trouvèrent trop d'aliments... Il n'y eut point de bornes à mes désirs, à mes espérances, mais je fus sévèrement puni par les circonstances qui suivirent, ma vanité fut cruellement mortifiée, je rentrai en moi même!Ga naar voetnoot1)’ C'est à l'épreuve qu'on connait les âmes fortes. D'un médiocre la désillusion eut fait un aigri. Chez Hogendorp elle fut salutaire et elle lui inspira seulement le désir d'être celui qu'on écouterait toujours quand on l'avait écouté quelquefois. Il était d'ailleurs trop intelligent pour insister avec trop de complaisance sur lui-même. Son journal n'est pas le récit d'un parvenu gonflé de son orgueil. C'est celui d'un très jeune homme, fier d'être devenu du jour au lendemain le confident, l'ami, le conseiller de ceux qu'il considérait la veille comme les grands, comme ceux dont l'accès est inabordable pour qui n'est pas né sur les marches d'un trône. Hogendorp avait vingt-quatre ans quand il devint chef de parti, il en avait vingt-cinq quand il écrivit son | |
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journal. Et cela seul suffit pour expliquer sa légitime fierté. Son récit, composé avec beaucoup de simplicité et de naturel, n'est pas exempt de certaines négligences de style, mais cela même sert à le rendre plus vivant. Certains tableaux sont tracés avec une grande finesse et nous n'avons aucune peine à nous imaginer la cour stadhoudérienne telle qu'elle était en 1787. Il y a un sens critique surprenant chez un jeune homme de son âge et on sent dès à présent qu'il saura juger les hommes et les conduire. Certains fragments du journal avaient paru il y a plusieurs années avec les Mémoires de l'Auteur et avaient excité le plus grand désir de connaître les autres. Mais pour divers motifs dont le plus sérieux est qu'à peine une génération s'était écoulée depuis la révolution, M. le baron F. de Hogendorp ne crut pouvoir publier certains des passages du journal qui étaient les plus curieux pour l'histoire, et ne voulant pas en donner une édition incomplète, il se contenta d'en détacher quelques pages intéressantes, qu'il intercala dans les lettres et mémoires de son père. Les raisons de convenance qui existaient alors ne sont plus et si M. le comte H. de Hogendorp qui a achevé la publication commencée par son oncle n'a pas jugé utile de donner une nouvelle édition des volumes qui avaient déjà paru, il n'en ouvre pas moins fort largement ses archives de famille à ceux que le ‘Patriottentijd’ intéresse et c'est par son libéralisme et sa courtoisie que le Journal de Gisbert Charles de Hogendorp peut être publié tel que cet illustre homme d'Etat l'écrivit. H. de P. | |
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6 Octobre 1787.Hier j'ai commencé un journal que je désirerais d'avoir pu tenir pendant les six mois que j'ai été employé dans les affaires les plus secrètes. Mais je puis dire que ma prodigieuse activité pendant tout ce temps ne m'a pas permis de faire des annotations et que souvent je n'ai que trop fatigué mon esprit, sans y ajouter une récapitulation de ce que j'avais fait et vu d'intéressant. Ma santé en a souffert et je ne voulais pas l'abîmer entièrement. Cependant il existe des pièces qui peuvent servir à rappeler la part que j'ai eue aux affaires et ce qui en est venu à ma connaissance. Il y a des lambeaux d'un journal écrit à Amsterdam au mois de mai. Il y a des lettres à ma mère et des mémoires en sa possessionGa naar voetnoot1). Il y a surtout ma correspondance avec S.A.R. et le Due de Brunswic, quoique malheureusement je n'aie gardé copie d'aucune de mes lettres, faute de temps et d'un secrétaire. C'est pour donner, malgré ma négligence forcée, un récit succinct de beaucoup d'événements curieux, que je vais, à l'aide de ma mémoire qui est assez bonne, reprendre les affaires du moment où j'ai quitté le service et où j'ai pu suivre mon penchant qui n'était surement pas de monter des gardes au Binnenhof. A peine eus-je quitté l'uniformeGa naar voetnoot2) que je me rendis à Nimègue. LL. AA. étaient prévenues de mon | |
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arrivée, parce qu'elles avaient consenti à ma démission, que j'avais demandée afin de m'appliquer au barreau et de me présenter, huit mois après, au Pensionairat en second de Rotterdam. Reçu avec bonté par le Prince, j'appuyai beaucoup sur les services que je pourrais rendre à la bonne cause, puisqu'avec la majorité qu'elle avait alors à l'assemblée des états il ne manquait que du concert et de l'éloquence aux bien intentionnés pour les faire triompher de la faction. S.A.R. m'entretint plus longtemps encore et m'écouta avec la plus grande attention. Je fus invité à diner et je me souviens, qu'accoutumé, à cause de mon rang militaire, à me placer à la table du Maréchal, j'attendis qu'on me priât de passer pour me mettre avec LL AA., où je me trouvai au commencement un peu embarrassé. J'annonçai qu'en attendant que j'eusse 25 ans accomplis, âge qu'il faut aux ministres en Hollande, je plaiderais des causes afin de m'exercer à parler en public. Il est assez singulier que j'éprouvais de la répugnance à m'expliquer sur ce point comme si d'exercer la jurisprudence eût été au-dessous de moi, sentiment obscur que j'attribue à la profession militaire dont apparemment je n'avais pu quitter les préjugés aussi vite que l'habit. J'ai depuis, avec une satisfaction intime, entendu raconter à Mr. Grenville qu'il avait, il y a peu d'années, assisté à des plaidoyers de Mr. PittGa naar voetnoot1). Je ne plaidai pas néanmoins et ce ne fut pas de ma faute, comme je vais dire tout à l'heure. Vers la fin du mois, quand les patriotes, par les résolu- | |
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tions prises en faveur de la régence de Rotterdam, de celle de Hoorn et au préjudice du corps de Salm destiné à renforcer la garnison de La Haye, s'aperçurent que le pouvoir allait leur échapper des mains, ils formèrent l'odieux projet qui faillit de les rendre tout-puissants et qui pendant cinq mois les a rendus si redoutables. Je veux dire le changement des régences d'Amsterdam et de RotterdamGa naar voetnoot1). Sans m'arrêter sur ces événements généralement connus, je remarquerai sur le premier que Mr. ReigersmanGa naar voetnoot2), par ordre du Prince, alla négocier avec les régents et le peuple d'Amsterdam; que des premiers, tant ceux qui étaient véritablement attachés à la maison d'Orange, quoiqu'en très petit nombre, que d'autres, inquiets et jaloux du pouvoir des soi-disants démocrates et assez nombreux, consentirent au rétablissement du Prince, à condition qu'il leur accorderait un petit avantage dans l'élection des échevins et dans la nomination aux emplois de l'amirauté, tandis que le peuple insistait sur ce que S.A. fut rétablie dans toutes ses dignités comme elle en avait été revêtue à sa majorité en 1766. Pour concilier ces avis peu différents de personnes fort opiniâtres, Reigersman assura aux aristocrates qu'ils n'avaient qu'à demander au Prince des lettres renversales portant qu'il ne profiterait de leur signature que jusqu'au point convenu; d'un autre côté, il montra aux chefs du peuple une lettre du Prince qui les conjurait de signer sans nommer l'année 1766. Mais des deux parts on résista | |
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aux plus vives instances du négociateur et l'inaction qui suivit de près son départ donna lieu au coup fatal porté le lendemain par la factionGa naar voetnoot1). Quant à Rotterdam où l'exemple aurait dû faire prendre des précautions, où d'ailleurs une société Orange et une déclaration d'attachement au gouvernement établi fournissaient plus de ressources, je me bornerai à rapporter que la veille de la révolution on apprit qu'il se tramait un complot et qu'à la conférence de la majorité du magistrat il vint un des constitués de la bourgeoisie pour avertir et pour demander des ordres, que HogendorpGa naar voetnoot2) et d'Escury furent d'avis d'en profiter soit pour s'emparer de la maison de ville, soit pour empêcher le parti opposé de s'en rendre maître, et qu'on négligea l'un et l'autre par un effet de la pusillanimité qui a tout perdu. La conduite que les usurpateurs se permirent vis-à-vis de leurs victimes, qui étaient tous mes parents ou mes amis, me révolta; mon espoir d'établissement évanoui me toucha sensiblement; la violence du coup sans une ombre de respect pour les lois, me paraissait une injure faite à la nation, et agité par tous les mouvements d'amour propre et d'amour de la patrie et de la gloire, je résolus, dès ce moment, de punir les audacieux et je m'écriai, en présence de mon frère Guillaume, que j'allais employer toutes les facultés de mon esprit, toutes mes liaisons, toutes les connaissances que l'étude m'avait fait | |
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acquérir, ma fortune et ma vie à précipiter les tyrans du faîte où ils s'étaient élevés. Peu après Hogendorp me dit: ‘Vous ne parlez pas; quelle est votre opinion?’ et je lui répondis d'une manière énergique et qu'il n'a jamais pu oublier: ‘Je respire la vengeance!’ Je commençai par raisonner sur le changement arrivé par cette opération militaire des vrijcorpsenGa naar voetnoot1), sur l'assemblée de Hollande où des régents illégitimes, en se joignant à la cabale, formaient une majorité, qui, née de la violence, ne pouvait avoir une ombre de droit. Cette majorité agissait cependant sous le nom usurpé de Souverain. Je commençai, en conséquence, par récuser celui-ci, je me déclarai par devers moi-même affranchi de toute obligation envers lui, et même, si je mettais quelque prix à la liberté publique, autorisé à une opposition qui aurait pour but le rétablissement de l'autorité légitime. Bien convaincu de cette vérité, je réglai ma conduite en conséquence et je commençai par former un projet hardi que je confiai à quelques personnes qui me dirent: ‘Vous perdez la tête si vous êtes découvert!’ Considération impuissante pour me détourner, mais qui dans la suite m'a été répetée si souvent, qu'elle m'a causé de temps en temps de vives inquiétudes, et quelquefois même des insomnies. Je voulais alors faire donner à la garnison de La Haye un ordre par la minorité des Etats qui se serait arrogé la puissance souveraine et qui aussitôt aurait vu tout le parti se ranger de son côté. Cette opération aurait subitement détruit la cabale, dont je pénétrai dès lors la faiblesse, quoique le | |
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monde ait ignoré ou paru ignorer si longtemps ce secret. Mais comme je sentais bien qu'une opération du même genre devait en même temps se faire à Amsterdam, je m'y rendis et j'y employai plusieurs jours à remuer tout ce que j'y connaissais de gens à crédit et propres à une telle entreprise. On venait de former une société pour la constitution et je tâchai de préparer les esprits échauffés par la nouveauté de cette affaire. J'avais tout lieu de compter sur le bourguemaître DedelGa naar voetnoot1) pour mettre en mouvement le magistrat et sur Hartsinck, de la maison de Hope,Ga naar voetnoot2) pour mener la peuple au jour marqué. Je repartis pour La Haye afin de persuader RoyerGa naar voetnoot3) qui devait faire les écritures et je me proposais d'avertir Rhoon au moment de l'exécution. Qu'on s'imagine des ordres envoyés de toute part au nom de l'assemblée de Hollande, les chefs de la cabale arrêtés ou dispersés par la faction, le Prince en marche avec des troupes. Le fiscal Van der HoopGa naar voetnoot4) m'avait promis de partir | |
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pour Amersfoort où son frère commandait, pour tout concerter avec lui. Mais pour se former une juste idée de l'effet de cette entreprise, j'en appelle à la dévotion du peuple et des troupes à la maison d'Orange, qu'on a éprouvée depuis et je dois remarquer encore que dans ce temps-là la faction n'était pas, à beaucoup près, si redoutable qu'elle n'est devenue ensuite par ses armements et par l'activité que la commission de WoerdenGa naar voetnoot1) a donnée à ses mesures. A Rotterdam je ne voulais préparer les choses que lorsque je me croirais fondé à compter sur tout le reste, mais hélas! je n'en pus venir là, et les retardements que j'éprouvai de la part de Royer, de TullinghGa naar voetnoot2) et d'autres à qui je me découvris et qui penchaient tous à différer encore, m'obligèrent à renoncer à mon plan, d'autant plus que le fiscal Van der Hoop me marqua la nécessité où il se trouvait de se rendre à la Haye et de me prévenir d'engager un autre à sa place, pour informer le Prince et son frére. Cependant j'ai toujours conservé de cette entreprise une intime conviction des avantages qui résulteraient d'une liaison publique entre les membres de la minorité des États, soit pour les mettre à la tête du peuple où ils se trouvaient naturellement placés, soit pour engager les provinces bien intentionnées à quelque effort extraordinaire. Peu après je ne pus tout à fait cacher à Van Staveren, de Rotterdam, mon dessein d'y bouleverser le gouvernement arbitraire, d'autant moins que j'avais | |
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instruit van Teylingen de mon grand projetGa naar voetnoot1). Van Staveren alors me déconseilla vivement de me mêler d'une affaire très périlleuse qui regardait une seule ville, tandis que je pouvais être employé en grand dans les correspondances et les entreprises de la cour. Il me fit part d'une conversation qu'il avait eue à mon sujet avec Reigersman, et en effet je fus trouver ce dernier qui parut charmé de l'acquisition de ma personne pour les services dont la cour avait besoin dans ce temps-là. Elle se trouvait dans le cas de ne pouvoir bien juger de la situation des affaires de Hollande, à la suite d'une assez longue absence et sur des rapports peu circonstanciés et des correspondances entretenues par des motifs souvent très intéressés. En conséquence je fus destiné à faire à la première occasion le voyage de Nimègue pour servir d'interprête au bon parti chez le Prince et pour expliquer les intentions de ce dernier à ses amis de Hollande. Je dois remarquer ici que dans ma première entrevue avec Reigersman il me fallut essuyer de sa part un long discours calculé à me donner une bonne opinion de sa personne, ce qui prouve à quel point il sent la vérité d'une maxime assez connue que la première impression qu'on fait sur un homme quand on fait sa connaissance a le plus grand effet dans la suite, quoique Mr. Reigersman ne se servît pas des moyens les plus propres à me donner une idée favorable de sa modestie. J'ai souvent eu lieu de me persuader, dans les fréquentes conversations que j'ai eues avec lui, que la plus grande partie de son attention est tournée sur lui-même, mais qu'il en | |
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conserve néanmoins encore beaucoup pour celui avec lequel il s'entretient. Un peu auparavant j'avais vu Mr. de Rhoon en plus grande confidence que je n'avais fait jusqu'alors et comme je me suis depuis lié avec lui autant que la différence de nos caractères peut l'admettre, je crois devoir ici toucher son caractère. Il a le coeur très bien placé, généreux, plein de chaleur pour ses amis, franc jusqu'à l'imprudence, un peu haut malgré une familiarité sans bornes; avec une éducation plus soignée il aurait pu acquérir des connaissances très étendues; mais trop de liberté dans son enfance, trop d'indulgence pour ses goûts qui l'entrainent généralement aux exercices du corps, l'ont aliéné de cet esprit d'ordre et de méthode qui convient aux travaux de l'esprit; on découvre dans ses conversations des traits de lumière qui ne l'empêchent pas de retomber à plat; il est à croire que son intégrité, l'intérêt qu'il prend à ses amis, celui qu'il inspire aux femmes et le rôle intéressant qu'il a joué dans la révolution lui feront conserver la popularité singulière qu'il s'est acquise et qu'il occupera toujours un poste brillant dans l'état. Il me recherchait dans ce temps-là, comme il tâchait en général de s'attacher des jeunes gens dont il avait conçu une opinion favorableGa naar voetnoot1). Je m'étais fait agréer à la société qu'il venait d'instituer à La Haye à l'exemple de celle de Rotterdam. Il y en avait dans d'autres villes. On agitait la question s'il ne serait pas utile de les réunir par députés et je lui en amenai un de Rotterdam. Nous nous entretinmes du sujet qui nous rassemblait avec | |
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Mr. van der Hoeven, président de la société de Gouda, jeune homme actif, zélé, mais d'une capacité assez bornée, et nous convinmes d'un rendez-vous ultérieur. Comme je n'avais eu dessein que d'introduire Mr. Suurmond, j'oubliai le jour marqué pour la seconde visite, quand rentrant un soir chez moi, j'appris que Mr. de Rhoon s'était donné beaucoup de mouvement pour me trouver. Je me rendis chez lui et j'y trouvai les députés des sociétés de plusieurs villes qui m'offrirent une place parmi eux pour représenter Rotterdam au défaut de Mr. de Groot qu'on attendait. Comme ce dernier s'est efforcé de briller dans nos troubles, qu'il a été à la tête de toutes les requêtes du bon parti à Rotterdam et qu'il est l'auteur de la première société dans la province, je ne puis m'empêcher de remarquer en passant qu'à son nom, illustré par le grand Hugues Grotius et quelque hardiesse dans les entreprises, il ne joint pas une seule des qualités qui forment un chef de parti; qu'à la fameuse journée de la remotionGa naar voetnoot1) il ne prit aucune des précautions nécessaires et qu'il a fini par abandonner la ville et la province, quatre semaines au moins avant la révolution Je touche ici son caractère pour faire voir qu'il était fort heureux qu'il manquât à cette première entrevue où chacun donna un tableau de la situation des affaires dans sa ville et où je fus obligé de dicter celui de Rotterdam, quatre minutes après que je fus entré dans la chambre. On n'en fut pas moins très satisfait et Rhoon, voyant l'admiration de ces messieurs, s'écria: ‘Je vous assure qu'il ferait très bien à la place de grand-pensionnaire!’ L'organisation de notre assemblée fit notre principale | |
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occupation et l'on me chargea de faire un règlement. Dans 8 jours on promit de se revoir. Après les affaires faites nous nous mîmes à boire du punch et nous causâmes beaucoup sur Amsterdam où les signatures pour la cause du prince et l'érection des sociétés faisaient concevoir de très belles espérances. La chose du monde qui me faisait le plus de peine, c'est qu'on ne voulait pas armer les bien-intentionnés et qu'on s'obstinait à cacher même l'endroit où se trouvaient les armes qu'on se vantait de posséder. J'ai tout lieu de croire, par ce que j'ai appris depuis, que ces armes n'étaient ni plus ni moins que l'arsenal des amirautés et que le plan du Cap[itaine] d'artillerie Van Rheenen, que j'avais recommandé au fiscal van der Hoop, était au cas qu'on en vint aux prises de forcer l'arsenal, pour armer son monde. Il est vrai que cela aurait été difficile, en présence d'une bourgeoisie disciplinée et munie d'armes à feu, mais on aurait tort de disputer la réalité d'un projet dans ces temps-là par la raison qu'il était mal combiné. On verra par la suite qu'il en a existé de bien plus fous. Les amis du prince, dans ces circonstances, voyant l'ouvrage des remotions acquérir une espèce de solidité parce qu'on ne s'y opposait pas et que le silence paraissait entrainer un consentement, résolurent d'engager S.A. à une démarche quelconque et, après bien des délibérations, ils s'arrêtèrent à un déclaratoire qui ferait connaître ses véritables dispositions et sa manière d'envisager les violences commises. Pour arrêter cette démarche, M. de ZuiderasGa naar voetnoot1) arriva de Gueldre et reçut la pièce de la | |
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main de Reigersman. Ce dernier en avait donné l'idée. TolliusGa naar voetnoot1) avait écrit la pièce et Reigersman y mit la dernière main. Je me souviens qu'il appuya surtout à différentes reprises à l'idée d'une cabale qui subjuguait la nation sous le beau nom de souverain et qu'il eut grand soin de faire retomber tout l'odieux des usurpations sur elle, de façon même que tous les reproches ne paraissaient faits qu'aux chefs des séditieux. Cette remarque est d'autant plus intéressante que, par le parti qu'on a depuis su tirer de cette idée juste, mais qui sans Reigersman était négligée, il parait à quel point la manière de traiter une affaire peut donner de l'avantage. Il vaut mieux régner par l'opinion que par la force, et la manière d'employer celle-ci peut en doubler ou en tripler les effets. Peu de jours après, je partis pour Nimègue avec des lettres de Reigersman qui insistaient à me témoigner toute la confiance qu'il avait lui même en ma personne. Après les avoir lues, le Prince me dit: ‘R[eigersman] se réfère à vous sur la situation des affaires en Hollande.’ J'avais à peine achevé mon récit que la princesse entra et ce fut alors à recommencer. J'ajoutai que pour donner au parti cette union qui devait faire sa force, je priais le Prince d'écrire une lettre ostensible à Royer, pour engager les principaux membres de la minorité à s'adresser aux confédérés. Je représentai que cette démarche mettrait ces membres d'Etat à la tête des habitants bienintentionnés, qu'ils en deviendraient plus entreprenants, que cela ne pouvait qu'encourager les autres provinces et peut-être engager la majorité aux Etats-Généraux de faire quelque pas qui la compromit avec le parti en Hollande. J'eus la satisfaction de | |
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voir que le même soir on expédiait cette lettre ostensible, quoique le prince, à sa manière, qui n'est rien moins qu'obligeante, ne m'en témoignât rien. Comme depuis ce moment-là j'ai très souvent eu à faire à lui et dans des moments où il s'est fait connaître parce qu'il ne se possédait pas, je vais fournir quelques traits à son caractère qui a paru indéchiffrable à plusieurs personnes très sensées. Il parait que dans son enfance la princesse sa mère, à la manière anglaise, a tout donné au physique et qu'elle en a fait un enfant gâté. Il peut soutenir de terribles fatigues et il s'y plait. Il mange beaucoup et des mets succulents. Le sommeil auquel il donne peu d'heures la nuit le surprend à table et quelquefois à la danse. Il a quelques grands talents, comme une excellente mémoire, une conception facile et il a beaucoup d'esprit, ce qui nourrit son penchant à la raillerieGa naar voetnoot1). Malheureusement on n'a guère profité de ces avantages naturels pour lui faire acquérir des connaissances si nécessaires dans sa situation. Mais surtout manquet-il absolument d'ordre et de méthode dans le travail et même de discernement pour juger quelles affaires sont les plus importantes, de sorte qu'il abandonne très souvent celles-ci pour des bagatelles qui l'amusent, car il n'a jamais donné dans le grand. | |
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Un défaut capital qui vient à l'appui de ces mauvaises habitudes, c'est qu'il est jaloux de son autorité au point de prétendre tout voir, tout ordonner, tout faire par lui-même. Il est vrai qu'il ne découvre guère cette jalousie qu'à ses amis dont il attend de la déférence, tandis qu'il cède toujours, quoique la rage au coeur, à des personnes qu'il craint. Cette remarque mène au trait le plus honteux de son caractère qui est la lâcheté. C'est un homme qui n'a pas une ombre de courage. Il le sait, il en rougit et tâche par tous les moyens de le cacher. De là il a pris la coutume indigne d'employer des ruses pour parvenir à ses fins. C'est par cette raison qu'il promet tout, de sorte qu'il se met dans la nécessité physique de tromper la grande partie de ceux qui s'adressent à lui. Avec ses qualités il doit faire mal les affaires et c'est ce dont il convient par devers ses intimes amis dont il peut tout endurer. Mais il s'ensuit qu'il a pris un dégout pour les devoirs de son Etat qu'il abandonnerait volontiers pour descendre au rang de simple particulier, et sûrement aurait-il fait sa retraite au pays de Nassau, si la princesse ne l'avait retenuGa naar voetnoot1). Il se trouve bien heureux quand il s'est débarrassé de ceux qui lui parlent d'affaires, et qu'à sa table ou à la promenade avec quelques polissons de courtisans il se répand en mauvaises plaisanteries sur ses connaissances ou qu'il donne dans les propos licencieux de la mauvaise compagnie. S'il y a des traits de son caractère qu' on n'a su expliquer, c'est que la plupart de ceux qui l'approchent ont trop bonne opinion de lui et surtout de son courage, puisqu'il n'en a pas du | |
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tout. C'est aussi parce que sur quelques points, à l'âge de 38 ans, il est encore enfant et que les caprices des enfants ont d'autres principes que les actions d'un homme et doivent être jugés différemment, de manière qu'on ne peut que se perdre en de fausses conjectures lorsqu'on cherche dans la masse des motifs qui déterminent un homme, la raison suffisante d'une action puérile. Voyant la facilité avec laquelle on avait adopté la première mesure que j'avais proposée et l'attention qu'on prêtait à mes discours, je couchai par écrit le lendemain de bonne heure mes idées sur les ressources qui restaient encore au Parti et sur les moyens de s'en servir. Je fus lire ma pièce à Mr. Van CittersGa naar voetnoot1) qui m'en fit un compliment très flatteur et qui me promit de me fournir l'occasion de la lire à LL. AA., car je commençai par déclarer que le contenu était trop délicat pour confier la pièce à qui que ce fût, précaution qui me fut inspirée par ma connaissance de la négligence du prince et du désordre qui règne dans son cabinet. Comme ce mémoire existe parmi mes papiers, je ne m'étendrai pas sur le contenu. A la cour Van Citters m'annonça que le soir il y aurait conférence et que je ferais ma lecture, mais hélas! un accident vint troubler la fête: les dépêches de la Haye annoncèrent que l'assemblée des sociétés armées à Leyde avaient demandé par requête aux États la suspension du Prince en sa qualité de Stad- | |
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houderGa naar voetnoot1). D'autres personnes avaient apporté des nouvelles de moindre importance, également mauvaises. Accablé, furieux, prêt à tout abandonner, le Prince se trouva incapable de rien faire tout le jour. A table, il m'épouvanta. Il y déclara, du ton d'un méchant enfant, qu'il ne retournerait jamais à La Haye. La princesse souriait et paraissait au-dessus du malheur. Dans le fond, j'imaginai que les nouvelles étaient infiniment plus mauvaises qu'on ne disait. Ce qui me frappa singulièrement, c'est qu'en racontant quelques anecdotes de la garnison de La Haye au général Dopff, mon voisin d'un côté, le prince, assis de l'autre, se mêla familièrement de la conversation et parut tout oublier. Depuis j'ai eu lieu de penser que cette requête des corps armés n'avait eu tant d'effet sur lui que parce que le plan du manifeste travaillait son esprit et lui inspirait des craintes qu'il n'osait avouer et qui devinrent infiniment plus vives par l'audace du parti contraire. Van Citters cependant m'engagea de lui confier mon papier un instant pour le faire lire à S.A.R., qui le même soir en fit lecture au Prince et me le fit rendre en me priant de rester jusqu'au lendemain. A huit heures je me rendis à la cour. Mr. van Citters m'introduisit dans l'appartement de S.A.R., qui me demanda ce que j'avais encore à ajouter à mon mémoire. Le prince se promenait par la chambre. J'avoue que ce début ne diminua guère l'embarras que je devais naturellement éprouver à une première entrevue de ce genre sur des objets si intéressants et avec des personnes si élevées au-dessus de moi. Je commençai par insister sur les avantages d'une | |
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réunion des sociétes d'Orange et sur la protection que le Prince pouvait leur accorder, entre autres par une contribution au fonds que l'on se proposait d'établir. Après quelques difficultés, nées du caractère timide et ombrageux du prince, il dit: ‘Je me trouve comme Frédéric-HenriGa naar voetnoot1). Ik heb het beslapen. Je me sens plus fort aujourd'hui. Je veux tout faire.’ Aussi fit-il beaucoup dans cette matinée, car avant midi sonné, que je le quittai, il prit des arrangements pour le fond, il écrivit à Reigersman sur les sociétés en général, il relut et signa le manifeste, qui cependant fut baptisé Déclaratoire, il donna des patentes pour faire partir au besoin le régiment de Suljard, menacé à Geertruydenberg d'être désarmé; il nomma le général de Monster commandant dans la province d'Utrecht et il déclara que, sur l'invitation des États, il ne manquerait pas de se rendre à AmersfoortGa naar voetnoot2). On aurait dit que ce n'était plus le même homme. Différents généraux entrèrent l'un après l'autre et ce qui rendait le prince si courageux, c'est qu'il se trouvait entouré d'amis; une seule physionomie sinistre aurait tout gâté. Aussi en signant le Déclaratoire, s'écria-t-il: ‘Eh bien, puisque tous mes amis le veulent, je le ferai. J'en périrai plutôt, mais avec gloire. Si je ne fais rien, ma perte sera peut-être retardée, mais elle n'en est pas moins certaine. A présent j'ai encore de l'espoir.’ J'admirai comme tous ces jours et pendant cette longue scène, la princesse conserva une égalité d'humeur, une com- | |
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plaisance pour son époux, une décence envers tous ceux qui étaient admis, dont il me parut que tous étaient également frappés. Pendant que le prince, au milieu d'affaires si importantes, s'occupait de minuties militaires, elle écrivait dans son cabinet quelques lettres dont elle me chargea. Mr. van Citters me donna son chiffre dont je me suis servi longtemps, et même avec la princesse. Je partis enfin, chargé de deux mille exemplaires du Déclaratoire qui m'obligèrent à prendre une plus grande voiture et plus de chevaux, dépense à laquelle personne à la cour ne fit attention, aussi peu qu'au risque que je courais évidemment d'être arrêté sur la frontière de Hollande. Le prince me quitta sans me dire le bonjour. Les grands ne se mettent jamais à la place des autres et Guillaume V a surtout l'habitude d'attribuer tous les services qu'on lui rend à quelque motif secret d'intérêt ou d'amour-propre, de sorte qu'il ne sait gré de rien à personne. Je débarquai chez Reigersman après avoir couru toute la nuit. Il dinait et Rudolph BentinckGa naar voetnoot1) était chez lui. Au dessert je fis une petite relation et je fus un peu surpris d'entendre dire au dernier: ‘Oui, quand on lui parle sur ce ton, il est quelquefois bon à quelque chose.’ C'était le prince qu'il avait en vue et par ce qu'il m'en a dit et ce que j'en ai vu ensuite, je me suis aperçu qu'il connait à fond son homme, quoiqu'il ait tort de joindre la haine au mépris. Bentinck, avec peu de connaissances et un esprit | |
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qui n'est pas cultivé par l'étude, a cependant vu le monde et l'Amérique; l'Angleterre et l'Allemagne ont fourni à son expérience. Une grande activité est chez lui l'effet d'une ambition peut-être démesurée et la cause d'un échauffement du sang et de l'imagination qui l'emportent souvent trop loin. Il ne s'explique pas avec clarté parce qu'il pense confusément, mais il agit avec plus de méthode parce qu'il en a acquis l'habitude dans son métier. Tel que je le dépeins, il y a des moments, comme la princesse me disait un jour, où Bentinck a le plus grand ascendant sur le prince. Nul homme peut-être ne lui a dit la vérité plus durement, mais je crois qu'il l'a fait avec trop de passion pour le corriger. Je ne m'étendrai point sur tous les détails de la manière dont on présenta ce Déclaratoire aux Etats. Je passerai plutôt au parti que nous résolûmes d'en tirer par le moyen de nos sociétés. Elles touchaient au moment de triompher par le moyen de celles d'Amsterdam, qui étaient au nombre de cinq, réunies par une sixième où il ne se trouvait que des gens comme il faut. Pour entrer dans ces sociétés il fallait signer pour la constitution et la maison d'Orange. Le nombre des signatures augmentait tous les jours et même on prétendait dans le public qu'il montait à trente mille. Nous avons su depuis qu'il s'en fallait de beaucoup et qu'on n'en a jamais vu que trois mille, quoiqu'à mon avis il y en ait eu davantage. Le retour du prince à La Haye, son rétablissement et celui de tous les régents démis formaient le but qu'on se proposait d'atteindre par des représentations qui seraient suivies de moyens plus efficaces. Dejà la difficulté survenue auparavant au sujet de l'année 1766 entre les régents et le peuple était aplanie par un grand nombre des premiers qui cédèrent | |
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à l'orage. Déjà le patriotisme menaçait de ruine par la faiblesse et les inquiétudes de ses adhérents. De notre côté la confiance et le courage renaissaient au suprême degré, quand il se mit un esprit de jalousie entre les chefs de la direction qui faillit tout perdre sur le champ. Pour étouffer cette dispute dans sa naissance, Mr. Tollius fut envoyé par la cour à Amst[erdam] et chargé d'appuyer les propositions extravagantes de Hartsinck qui voulait gouverner despotiquement. Ce n'est pas qu'on ne vit clairement ceci, mais c'est que dans des circonstances aussi critiques on pensait qu'il fallait à un homme aussi emporté tout ou rien, et que ne pouvant le mettre hors de jeu, il fallait bien lui tout soumettre. Ainsi quoique Bourcourd et WendorpGa naar voetnoot1) eussent été à Nimègue pour exposer le danger éminent de la bonne cause, et pour prouver la conduite extravagante de Hartsinck, celui-ci eut tout l'avantage sur ses rivaux. D'un autre côté Rhoon s'y était rendu aussi dans la vue d'apaiser les différends et, le jour de mon arrivée à La Haye, je l'attendis dans son cabinet, sachant qu'il était en route pour revenir. Il fut enchanté de me voir, d'apprendre tout ce que je projetai pour la réunion des sociétés et d'être informé de la part que la cour y prenait. Nous eûmes le lendemain une première assemblée en forme et je lui donnai par écrit les points principaux que je croyais qu'on y devait traiter. Je lus un plan de règlement pour la manière de traiter les affaires dont on m'avait chargé huit jours auparavant. Je me souviens que je commençai par avertir ces messieurs que j'avais consulté les personnes les plus sensées avant de rien mettre par écrit | |
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et qu'ensuite j'avais soumis ma pièce à leur jugement et l'avais corrigé en conséquence. Par là je leur fis concevoir que je croyais mon plan au-dessus de leur critique et je m'aperçus du mauvais effet de mon prélude, quand, lecture faite, on se mit à examiner un article après l'autre. Mais ce qui augmenta l'esprit d'opposition, c'est que j'avais trop laissé percer mon système de concentrer toute l'activité de l'assemblée dans trois ou quatre personnes, au moyen d'une commission pour la correspondance secrète et d'une autre pour manier les fonds à lever. J'avais su merveilleusement faire goûter cette idée à la cour et le Prince avait marqué à Reigersman qu'à son avis il fallait que tout roulât sur peu de personnes et que je pourrais servir de secrétaire. Dans le fond la chose était vraie, mais je m'y prenais mal. Reigersman me donna quinze à seize cents florins pour le fonds. J'annonçai que je les tenais de plusieurs personnes bien intentionnées et cette circonstance me donna plus de poids que tous mes beaux discours. Rhoon connait peu l'ordre et il n'y en eut guère dans l'assemblée à laquelle il présidait. L'avocat van Selderen, consulentGa naar voetnoot1) de la société de La Haye, s'enfuit. Un Mr. van Olde, avocat, désigné secrétaire de l'assemblée, en fit de même. Enfin après de longs débats, on en vint à quelque chose de plus essentiel, c'était le Déclaratoire du Prince, que nous avions résolu de faire appuyer de toutes parts par des requêtes. Comme ce plan ne pouvait jamais s'exécuter plus facilement qu'au moment d'une réunion des sociétés et par elles, je crois ne pouvoir trouver une meilleure occasion de les décrire et comme Rhoon en | |
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doit être regardé comme le chef et le protecteur, je veux en même temps achever de dépeindre, autant que j'ai pu l'approfondir, ce caractère intéressant et peu connu. Il n'y a personne dans les troubles qui se soit rendu aussi populaire que Mr. de Rhoon, et se livrant à tout le monde, on dirait que chacun doit le connaître. Mais comme il a le germe de grandes qualités et qu'il n'y en a guères qu'il ne croit posséder, il lui arrive le plus souvent ou de donner une trop grande idée de son esprit, ou de se faire apprécier fort au-dessous de sa juste valeur. Il a des goûts de communs avec les bourgeois et le peuple, comme de fumer et de boire, sans jamais cependant donner dans des excès. Il en a d'un seigneur, comme la représentation, les chevaux, les exercices et l'habillement militaire. Il en a de nos jeunes gens comme il faut qui fréquentent les cafés et courent les filles et tout cela ensemble en impose à la multitude qui l'aime et le craint et qui lui trouve d'autant plus de mérite à se familiariser avec ses inférieurs qu'elle le juge élevé au-dessus d'eux. Tel que je le dépeins on le croirait peu fait pour les affaires, et je crois que tout le monde a conçu de lui cette opinion, mais cela même sert à sa gloire, car ayant la conception facile, il reconnait souvent le parti qu'il faut prendre, il soutient son opinion avec audace, il donne gaiement l'exemple à de plus âgés et de plus sages que lui et tout le monde est surpris de sa capacité, à laquelle on ne s'attendait pas. Il est jeune homme, il vient d'avoir 25 ans, son éducation a été peu suivie. Il a été d'abord à l'académie de Leide, de là en France pour les exercices du corps et enfin à Göttingue. Il m'a dit dans les moments de la plus grande confidence qu'il reconnaissait les mauvaises suites de cette méthode, qu'il ne savait pas parler | |
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en public, qu'il aurait pu écrire infiniment mieux, qu'il savait peu l'histoire, même de la République. Il est franc jusqu'à l'indiscrétion; il ne connait pas le secret; il n'a ni application ni réflexion. Mais au moment qu'il faut agir, son regard est d'un aigle, son coeur est d'un lion et même sait-il parler avec une éloquence naturelle qu'on ne peut acquérir par l'étude. Jeune il a toujours été avec ses frères, il les a gouvernés. Son père est mort qu'il le connaissait à peine; sa mère a beaucoup de faible pour lui, ce qui le rend maître dans la maison, et si vous joignez à cette coutume de faire la loi un sentiment de supériorité, qui nait de ses facultés physiques naturellement grandes et jamais asservies à la moindre gène, vous trouverez la source de cet esprit de domination qui lui fait toujours prendre la première place, comme si elle lui appartenait de droit. Les circonstances ont dû nourrir sa vanité, qui lorsqu'il ne la pousse pas trop loin, ne lui sied pas mal. Avec une taille fort moyenne, mais ramassée, de l'embonpoint, des muscles nerveux, un oeil très vif, les manières aisées quoiqu'un peu communes, se présentant avec hardiesse et presque toujours le sourire sur les lèvres, il plait surtout aux femmes. Les hommes qui s'aperçoivent tous qu'il peut être gouverné, en sont épris tant qu'ils le croient entre leurs mains. Et voilà l'homme qui, avec le nom qu'il porte, devenu fameux par l'amitié intime de Guillaume III pour son aieul et au moyen de la part qu'eut son grand-père à la révolution qui rétablit Guillaume IV, mais davantage peut-être par la place qu'il occupe au corps des Nobles de Hollande où ses ancètres étaient tous méprisés ou sans crédit, se trouva placé à la tête de l'opposition depuis le moment qu'il se déclara. Au mois de mars il avait si bien fait que neuf villes s'étaient presque unies au corps des nobles et | |
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qu'une dixième chancelait. Ce fut alors que par le peuple on changea les régences d'Amsterdam et de Rotterdam, ce qui en même temps changea la majorité aux États. Rhoon résolut d'employer, pour rétablir nos affaires, les mêmes moyens dont on s'était servi contre nous. Il assembla partout le peuple: voilà l'origine et le but de ces sociétés qui des principales villes se répandirent dans les campagnes. A Rotterdam il y en avait une de plus ancienne date, mais dans cette ville on avait agi sur les mêmes principes et la société y devait servir de contrepoids à celle des patriotes. Il n'y en avait guère de plus brillante que celle de La Haye où plusieurs personnes de la première distinction s'étaient fait inscrire et venaient passer une partie de la soirée. Les patriotes craignirent un soulèvement d'autant plus que la moitié des officiers de la garnison était de la partie. Mr. ZeebergGa naar voetnoot1) parla de transférer l'assemblée des États; il est sûr que dans ce temps-là si nous avions voulu lever l'étendard de la révolte, comme en conscience nous aurions pu faire, peut-être par une révolution sanglante aurions-nous rétabli la maison d'Orange, mais il n'y avait pas encore d'ensemble et aucun des chefs n'avait assez de capacité pour conduire une telle entreprise. Cet ensemble nous le cherchâmes dans l'assemblée générale à La Haye; par elle devaient se faire les requêtes; les requêtrants formeraient à notre avis un parti nombreux et déclaré. Leurs constitués qui signeraient seuls deviendraient leurs chefs. Quel que serait l'effet de cette démarche auprès des États, le prince devait l'appuyer, il devait même se déclarer, en vertu de ses commissions, protecteur des habitants opprimés, récuser les voix d'Amsterdam et de Rotterdam, adresser des plaintes aux confé- | |
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dérés. La minorité d'Hollande y devait joindre les siennes, elle seule aurait été reconnue légitime, le prince alors aurait publié un manifeste fulminant contre la cabale armée, et pour délivrer ses concitoyens il l'aurait attaquée avec les armes de l'État. Tel était le plan formé plus ou moins entre les personnes bien intentionnées sans qu'il y eut de concert reconnu. Chacun selon sa pénétration et son caractère y voyait plus clair et l'on peut dire que c'était plutôt une pente naturelle des esprits à laquelle ils étaient portés par les circonstances, qu'une combinaison réfléchie de vues et de projets. Je suis sûr qu'en allant pas à pas on aurait mené tout le monde au point de la révolution, mais on verra par la suite que l'affaire ne pouvait jamais réussir par la faute de celui-là justement qui devait jouer le premier rôle. Je donnai quelques soupçons à plusieurs de nos députés à l'assemblée des sociétés sur la grandeur de nos projets et je les enflammai de tout l'enthousiasme qu'il faut dans les mouvements civils pour braver les dangers. C'était mardi. Il fallait à La Haye signer un acte de qualification. Plus de trois mille personnes souscrivirent et samedi, de grand matin, on fut porter la requête au grand pensionnaire. Jean Bentinck était à la tête des constitués à La HayeGa naar voetnoot1). Il présenta à Mr. de BleiswijkGa naar voetnoot2) les constitués de quelques autres villes. Il lui remit encore les requêtes de quelques villages. Le magistrat, frappé, les reçut avec beaucoup de politesse et Bentinck à qui j'avais bien appris son rôle, s'acquit parfaitement de sa commission. Hartsinck était allé avec lui, | |
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porteur d'une requête, signée par lui et HelsdingenGa naar voetnoot1), son co-directeur de la Société, au nom de plusieurs milliers d'habitants d'Amsterdam. Tous deux étaient fugitifs après le pillage des maisons de ceux que les patriotes craignaient davantageGa naar voetnoot2). Aussi la plupart quittèrent-ils la ville. Alors le public commença de s'apercevoir que ce prétendu grand nombre de souscrivants, porté par quelques-uns à quarante mille, n'était qu'un mensonge grossier et les personnes les mieux instruites surent qu'on n'avait jamais vu au-delà de trois à quatre mille noms. Ceux qui soutiennent aujourd'hui qu'il y en avait six mille ne me persuadent pas. Hartsinck garde à ce sujet un profond silence. Dès ce moment les sociétés à Amst[erdam] furent réduites à rien et le parti n'y existait presque plus. La nouvelle arriva à La Haye mercredi, lendemain de notre assemblée des sociétés. Nous avions des officiers à Amsterdam qui de même que les chefs vinrent l'un après l'autre apporter la terreur et la confusion. Rhoon pour donner à un de ses amis, qui y retournait, des pistolets qu'il avait à ZorgvlietGa naar voetnoot3), au milieu de ce bruit se jeta sur son cheval pour les chercher. Rudolph BentinckGa naar voetnoot4) me dit alors: ‘Quelle idée! vous voyez bien qu'il perd la tête!’ En attendant je songeais au moyen de rétablir nos affaires dans cette puissante ville; avec Rhoon et Rudolph dans la bibliothèque, j'instruisis un certain major Van Hamel qui a fait la guerre aux deux Indes, homme intelli- | |
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gent, brave et ruiné. Nous lui donnâmes de l'argent et des adresses; il partit et promit de nous faire un rapport fidèle dans peu de jours. Il revint en effet, mais soit qu'il eut d'autres projets en tête, soit qu'il craignit de s'exposer avec nous qui agissions si indiscrètement, il nous abandonna et je n'ai jamais remarqué que Rhoon s'en soit aperçu. C'est apparemment que ce projet n'était pas né dans son esprit; il n'avait pu y prendre de fortes racines. Dans ce temps-là je poussai avec une activité incroyable les signatures de la requête à l'appui du Déclaratoire du Prince. J'écrivis du Texel à Helvoetsluys à tous les chefs du parti dans les principales villes et même dans les villages. J'y distribuai vingt mille exemplaires du Déclaratoire que Rhoon avait fait imprimer. Je rangeais dans le plus grand ordre tous les papiers que je recevais, je faisais mettre en ordre toutes les requêtes par un notaire et je marquai dans les gazettes le nombre des requêtrants qui se présentaient chaque jour. Je ne pus assez m'étonner et m'affliger tout à la fois de la pusillanimité des personnes en place qui n'osaient rien entreprendre et de la bonne foi des campagnards et du petit peuple des villes qui faisaient aveuglément tout ce que nous leur demandions. En même temps j'entrepris avec Rudolphe Bentinck d'engager Rhoon à plus de méthode et d'ordre dans le travail; je lui proposai une distribution réglée de son temps et de ses appartements, je mis de l'ordre dans tous les papiers qui regardaient nos assemblées, les souscriptions ou en général la correspondance secrète. Mais en vain. Il se montra incorrigible. Je fis alors de sérieuses réflexions sur le péril qu'il y avait à entretenir des liaisons qui à tout moment pouvaient me perdre et où j'avais toujours à craindre des imprudences mille fois plus redoutables que la | |
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perfidie. Tous les jours j'avais à trembler pour Rhoon et par contrecoup pour moi. J'aurais désiré de pouvoir servir la cause que j'avais embrassée d'une autre manière que de concert avec ce jeune hommeGa naar voetnoot1), mais il n'y avait que ce moyen. J'avais commencé une correspondance réglée avec Van Citters qui communiquait mes lettres à LL. AA. et qui me caressait beaucoup, et comme je lisais les notules des États de Rhoon, mes nouvelles étaient fraiches et intéressantes. Les sociétés subsistaient à l'ombre de Rhoon. La garnison de la Haye jetait les yeux sur lui. Son nom encourageait les requêtrants. Au cas d'une révolution que je l'ai toujours jugé incapable de conduire, il n'y avait que lui qu'on pouvait mettre à la tête; sa maison était le rendez-vous de l'opposition, l'asile où l'on pouvait agir en liberté, le sanctuaire où l'on pouvait mettre des papiers. Ces considérations m'engagèrent à tout risquer avec lui. J'acceptai la clef d'une porte de derrière de sa maison, celle d'un bureau dont il avait l'autre. Je me montrais quelquefois avec lui en rue et dans la société, tant pour gagner davantage son amitié que pour montrer que j'avais sa confiance. En ce temps-là, je me déterminai à tenir mon frère Willem éloigné de ces affaires et j'appuyai son dessein d'aller à Maestricht pour quelques mois. En effet un fils aux Indes, l'autre à l'arméeGa naar voetnoot2) dans la province d' Utrecht, moi tous les jours en danger: voilà pour ma mère et mes soeurs assez de motifs pour ménager mon frère qui pouvait demeurer leur | |
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unique soutien. Ainsi je puis dire qu'après de profondes méditations sur le parti que j'avais à prendre, je me dévouai à la cause que j'avais épousée. Il faut pourtant avouer qu'un sentiment différent de tous ceux que j'ai touchés m'attachait encore à Rhoon; c'était un penchant que je me sentais pour sa soeur qui par dessus tous ses frères, sa mère et sa belle soeur qui m'accablaient d'amitiés, avait pour moi des procédés plus marqués et auxquels j'étais plus sensible. CharlesGa naar voetnoot1) revint peu après de Paris et je me liai avec lui dans l'espoir de gagner par lui sur l'indocilité de Rhoon; mais Charles, avec de l'esprit, des connaissances et du savoir-vivre n'a pas de quoi combattre l'énergie de caractère qui rend son frère intraitable dès qu'il s'aperçoit qu'on a dessein de le mener. Cependant à force de le pousser on obtint du Prince qu'il se rendit à Amersfoort pour donner plus d'activité aux opérations dans la province d'Utrecht. Là la ville était devenue un boulevard de la faction par l'arrivée du RhingraveGa naar voetnoot2) qui s'y était rendu à la tête de son corps, dès qu'il eut appris que des troupes s'approchaient et qu'au cordon de Hollande on avait donné les signaux convenus. Plusieurs régiments avaient ordre de marcher au même instant, mais les chefs avaient refusé de passer les limites sans les patentes usitées des États-Généraux. Mr. de Salm, sans avoir même d'ordre de sa province, osa franchir le pas. Sa témérité le servit merveil- | |
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leusement en cette occasion, car il forçait le parti à le punir, ce qu'il ne pouvait plus, ou à s'embarquer avec lui. Il donnait même cette espèce de contrainte à la France. Le Grand Pensionnaire l'appela un monstre; on dit publiquement à La Haye qu'il avait perdu sa tête et cependant il y vint et dit à Rudolph Bentinck: ‘Quelle sottise de croire le bruit répandu que j'aie fait attenter à la vie du Prince, moi qui prie Dieu tous les jours pour sa conservation et qui croirais mon parti ruiné par sa mort!’ Depuis, il avait fortifié Utrecht le mieux qu'il pouvait et tous les jours il lui arrivait des renforts de bourgeois auxiliaires. On craignit son esprit entreprenant, on voulut mettre à couvert la province mais bien plus encore les maisons de campagne des membres d'État assemblés à Amersfoort. Il y eut un camp à Zeyst, malgré l'avis sensé de Mr. Du MoulinGa naar voetnoot1) qui le voulait sur les hauteurs d'Amersfoort. Mon dessein, en pressant le prince de se rendre en cette dernière ville, était de l'approcher de la Hollande pour y entrer plus facilement avec des troupes. Il n'y était pas encore que Mr. de BlitterswykGa naar voetnoot2) arriva de Nimègue, où l'on avait peu goûté ses plans conciliatoires, fruits perfides des conférences tenues chez le grand-trésorier et qui n'avaient d'autre but que d'endormir le bon parti. Mr. van de Spiegel était arrivé de Nimégue peu avant lui, avec le dessein de remettre les troupes sous les ordres des États-Généraux. Après de longues conférences et mainte délibération infructueuse il fit | |
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conclure la fameuse pièce qui permettait aux troupes de se retirer du territoire de Hollande, si les ordres de cette province les embarrassaient dans l'exercice de leurs devoirs, à la suite du serment fait à la Généralité. Une autre résolution cassait Mr. van RijsselGa naar voetnoot1). Dès ce moment nous nous mîmes à travailler sur tout le cordon à la fois, pour l'engager à la retraite. Jamais entreprise n'a été plus périlleuse. Il fallait que les officiers suspendus dans leurs fonctions par les États de Hollande se remissent à la tête de leurs troupes; il fallait surtout qu'ils eussent de quoi suppléer aux gages retenus par la province; il leur fallait des assurances de la part de la Gueldre et des indications pour la route. Tout cela se fit tant par lettre et par messagers que de vive voix. BalneavisGa naar voetnoot2), qui donna le branle, prit ses habits chez Rhoon. J'ai souvent eu des insomnies d'inquiétude sur ce qui pouvait arriver et la nuit, une sonnette d'un courrier qui arrivait, ou d'un homme de confiance de la part de Rhoon m'éveillait quelquefois en sursaut. Je suis fâché que plus d'une fois Harris ait fourni des sommes à Rhoon, qui cependant ne peuvent guère passer six mille florins et qui servaient à suppléer au fonds national des sociétésGa naar voetnoot3). Il m'en a plus d'une fois offert davantage et voyant que je refusais constamment d'entrer dans ces sortes d'affaires | |
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avec lui, il voulut enfin que je fusse l'arbitre s'il fallait céder ou non aux instances de Rhoon, ce que le plus souvent je refusais encore. J'avertis plus d'une fois celui-ci qu'il y avait de l'imprudence à prendre de l'argent d'un ministre étranger, mais il me dit qu'il avait eu les mêmes scrupules, mais qu'il n'en avait plus, et que d'ailleurs il donnait quittance. Depuis le retour de Harris, qui avait eu lieu vers l'époque du Déclaratoire, il s'était répandu un bruit sourd dans le public que l'Angleterre nous fournirait tout l'argent qu'il fallait. Il est incroyable à quel point on abusa de cette supposition. Harris doit avoir appris à mépriser un parti de gueux. Il me prenait de plus en plus en affection, d'autant plus qu'il aperçut l'impossibilité de traiter avec Rhoon. Celuici s'offensa même à la fin des froideurs qu'il remarquait. Il fut jaloux de Charles, mais il l'était si peu de moi que ma liaison avec Harris lui faisait plaisir, dit-il, afin que par ce moyen il put être tenu au fait des nouvelles. Harris en effet me lisait les dépêches du ministère, ses propres lettres et souvent il me priait de passer chez lui pour raisonner sur l'état des affaires, avant qu'il écrivit ses dépêches dont quelques-unes, fort longues, prouvaient les connaissances qu'il avait acquises de notre constitution et doivent avoir fait un grand effet sur le ministère anglais. Van de Spiegel fut une couple de fois de jour chez lui et Harris l'aimait beaucoup, le nommant seul capable de mener les États-Généraux et le plus propre un jour au Grand-Pensionairat. La fermeté de cet homme, jointe à sa douceur et à sa simplicité, ne pouvait jamais paraître dans un plus beau jour que lorsqu'après la fameuse résolution pour le cordon, prise le dimanche, on appréhenda excessivement les délibérations des États de Hollande du mardi | |
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suivant. Il demeura à La Haye, pour les attendre, quoique les diètes prochaines de Zélande, où il avait un grand compte à rendre et beaucoup d'opposition à craindre, l'obligeassent de presser son départ. ‘On m'a demandé’, me dit il, ‘au BesogneGa naar voetnoot1), ce que je ferais si on prenait des mesures violentes. Je prendrais’, répliquai-je, ‘ma canne et mon chapeau et je me rendrais à la Grand-Garde où je sommerais l'officier par son serment aux États-Généraux de défendre un de leurs membres menacé, ou si je n'avais pas le temps, j'arrêterais le premier officier que je rencontrerais en rue et l'obligerais à tirer l'épée pour me délivrer.’ Je voudrais bien qu'il fût arrivé quelque chose de pareil, parce que l'enthousiasme se serait emparé de tous les esprits qui étaient singulièrement échauffés. Cependant ces délibérations tant appréhendées aboutirent à des propositions secrètes, mais à présent connues de tout le monde, d'ordonner à dix ou douze des principaux députés aux États-Généraux de quitter la province, comme ennemis de l'État. Jamais on ne put rien conclure à ce sujet, et l'on perdit les troupes sans se venger. Dans ce temps-là je renouvelai mes efforts pour engager la minorité de Hollande à une démarche et je vis clairement que tout dépendait de Delft et par là d'EmansGa naar voetnoot2). Dans la Sud-Hollande nous n'avions que cette ville, Gorcum et la Brille. Les quatre villes de Nord-Hollande bien intentionnées ne faisaient que suivre. Le corps des Nobles qui aurait pu faire la loi n'était pas assez considéré. Aucun de ses membres n'avait la confiance des régents, par | |
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incapacité pour les affaires. Rhoon n'était aimé que du peuple. Delft, seule entre les grandes villes, qui avec peine avait échappé à la remotion, donnait toute sa confiance à son pensionnaire, le plus faible des hommes, allié à Pieter Paulus et qui tremblait à la seule vue du danger que celui-ci, apparemment, lui peignait des couleurs les plus formidables. Je fus chez lui avec Rhoon et je le trouvai tel que je viens de le dépeindre. C'est un homme qui a la routine de l'assemblée de Hollande, quelque discernement et voilà tout son mérite. Je me liai de plus en plus avec Reigersman par l'aptitude que je lui trouvai pour les affaires, sa grande activité et la confiance de Harris, dont il jouissait. Je voyais bien d'ailleurs qu'il gouvernait De Larrey dont il ambitionne le poste. Je reconnus encore son ambition par une espèce de jalousie qu'il me cachait, mais qui parut par un mot de la Princesse, qui me marquait de ne pas parler de ses lettres à De Larrey ni à Reigersman. Dans la suite elle m'a dit que ces messieurs voulaient bien qu'on profitât des nouvelles que je donnais, mais que la grande différence d'âge.... Je compris par ces mots qu'ils désiraient que je ne me mêlasse pas de donner des avis, que la Princesse croyait pouvoir m'en demander, mais qu'elle pensait devoir ménager les vieillards. Cependant à force de le pousser, Reigersman ne me consultait pas moins en particulier; Larrey un jour que je lui fis un rapport détaillé de ma course à Nimègue, me dit, en me prêtant la plus grande attention: ‘Vous avez une extrême justesse d'esprit’. Un soir, dans la bibliothèque de Rhoon, que j'étais rempli de l'idée d'un grand coup à faire et plus ou moins annoncé par le Déclaratoire, songeant aux | |
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requêtes qu'on ne cessait de présenter en faveur du prince, à la retraite du cordon qui se faisait alors, à la commission de Woerden décernéeGa naar voetnoot1) dans ce temps-la et dépourvue de moyens pour le moment, je composai une seconde pièce au nom du Prince, qui tendait à prouver l'illégalité des États de Hollande tels qu'ils s'assemblaient depuis les remotions, à faire voir que tous nos maux découlaient de cette assemblée d'usurpateurs, et à déclarer que destiné par son état à protéger les droits de ses concitoyens, le Prince devait détruire ce pouvoir qui n'était dû qu'à la violence. Après cela les armes auraient décidé, et réellement n'avait-on à craindre que pour Amsterdam, où cependant le parti était moins uni et la défense encore infiniment plus faible que nous ne les avons trouvés après que les collèges de défense eussent pris de la consistance. Je donnai ma pièce à Reigersman qui voulut en faire une lettre aux États-Généraux pour leur annoncer le dessein de délivrer la Hollande. Il m'avait engagé à coucher par écrit mes idées. Il en fit aussi beaucoup d'usage dans la lettre qu'il composa et dont il me pria de me charger pour le Prince. Dans ce temps-là ma correspondance avec le vieux Van Citters était vive et comme nous penchions tous deux pour un coup décisif, il me pressait beaucoup de tout préparer pour le faire. Le général Van der HoopGa naar voetnoot2) était absolument du même avis. Je me souviens qu'à la conférence dont j'ai parlé qui fut suivie de la signature du Déclaratoire, le général Dopff me dit à l'oreille: ‘Il faut marcher à la tête de quinze mille hommes’, à quoi Stockum applaudit. Je leur répondis: ‘Messieurs, au | |
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nom du ciel, ne perdez pas de vue ce moyen-là’. Dès lors tous mes projets visaient à rendre cette démarche inévitable et légitime. Enfin Van Citters m'écrivit péremptoirement: ‘Venez’. Je partis en conséquence avec mes papiers, accompagné de Mr. Dankaerts, officier rempli d'ambition, intelligent et beaucoup employé par R. Bentinck. Van de Spiegel m'ayant averti qu'il se trouvait à Nimègue beaucoup de fusils, retirés d'une seigneurerie du Prince, où les patriotes auraient pu s'en emparer, je formai le projet de les distribuer à nos amis en Hollande. Je voulais établir un magasin à Bommel, de là armer les habitants de l'Alblasserwaerd et pousser les armements aussi loin qu'il pouvait aller, fût-ce jusqu'aux portes d'Amsterdam, pendant que le Prince entrerait d'un autre côté dans la province. Je communiquai mes idées à Dankaerts qui se chargea de toute l'entreprise moyennant l'agrément de Bentinck et du Prince, dont je pouvais l'assurer. Nous tournâmes Gorcum parce que les régiments de Waldeck et de Salm venaient de se retirer de cette ville. C'était un spectacle intéressant que tous ces soldats rangés des deux côtés de la digue, ornés d'orange et chantant victoire comme si d'avoir échappé à la tyrannie de la cabale et aux ordres de Mr. Van Rijssel eut été un triomphe pour eux. Les officiers et surtout Mr. Van Koeverden, major des mariniers de Salm, qui avait eu la plus grande part à la retraite, avaient l'esprit exalté et il paraissait bien qu'ils avaient été incités longtemps par leur honneur et leur devoir avant d'en venir à une extrémité qui devait les ruiner, mais qui seule pouvait les préserver d'une honte certaine. J'ai vu, depuis, le général Grenier à Nimégue. Il se trouvait dans le même état. Un capitaine | |
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d'artillerie appelé Lombach, Suisse et fort ardent, faillit perdre l'esprit à la même occasion. Je sais bien qu'en général la délicatesse sur le point d'honneur est peu connue et nullement estimée par nos régents, mais les patriotes ont surtout négligé cette qualité des militaires et je crois qu'ils se sont repentis souvent de leur faute, puisqu'elle a révolté contre eux les simples soldats, au point qu'un bataillon de Hardenbroek, pour se retirer, a chassé ses officiers et a marché sous la conduite d'un simple soldat. Il faut bien que ce point d'honneur soit un instrument merveilleux entre des mains habiles, puisque le roi de Prusse n'aurait jamais sans lui formé une armée qui l'a placé au rang des premières puissances. Arrivé à Amersfoort, je fus d'abord à la maison d'un négociant juif que le prince occupait. Il était au lit. Je laissai au portier le nom du logement où j'avais dessein de me rendre, avec un billet au prince pour annoncer mon arrivée. Le matin on ne m'appela pas. Dankaerts me dit: ‘C'est ce que le prince ne fait jamais.’ Je fus chez Van Citters. Peu après le Prince entra. Il ent de l'ombrage, comme il a presque toujours en me voyant, mais que je dissipai cette fois en le complimentant sur la retraite des troupes. A mon entrée Van Citters m'avait dit: ‘Hé bien, pouvons-nous arriver en Hollande? N'y a t-il rien à présent qui nous retienne?’ C'est au milieu d'une conversation, commencée sur ce ton, que le Prince nous interrompit. Je ne sais s'il feignit pour mieux me pénétrer ou s'il eut un instant de courage, mais il se montra déterminé à se rendre en Hollande, il se fit lire par moi la lettre de Reigersman. Il l'approuva, mais comme elle tendait à lui faire obtenir une autorisation des États-Généraux et que cela pouvait trainer en longueur, il me pria de concerter un plan qui accélérât le moment de sa | |
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marche. Alors il se mit à raisonner sur les événements de ces dernières années. Il désirait, dit-il, que le Stadhoudérat eût été aboli l'an 1782, persuadé que la nation l'aurait rappelé, lui ou son successeur, parce que tous les quarante ans le peuple demandait du changement. Il blâma feu le Bourggrave de Lynden qui n'avait pas voulu croire que les patriotes iraient si loin. Rentré dans ses droits, il voulait, disait-il, comme Sylla, abdiquer son pouvoir. Tout le jour il n'y eut plus moyen de lui parler sur cette affaire et j'eus de la peine à obtenir des ordres pour le magasin de Bommel qui ne furent pas exécutésGa naar voetnoot1). Mal logé à l'auberge, je demandai à Mr. Van Citters, pour écrire à mon aise, une chambre à la cour, voisine de la sienne. Il me la promit pour y loger et je l'occupai ensuite toutes les fois que je fus à Amersfoort. J'y dressais un plan que le Prince voulut voir le lendemain matin. Il s'assit, il nous fit asseoir, Van Citters et moi, et lut lui-même la pièce avec beaucoup d'attention et presque en tremblant. ‘Ce plan est beau’, dit-il, ‘pourvu qu'il | |
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soit exécutable.’ ‘Pourquoi non?’ répliqua le vieux conseiller. On agita la matière et la conclusion fut de m'envoyer à la Princesse. Van Citters désirait beaucoup qu'elle vint chez le Prince, mais celui-ci trouvait mille raisons pour l'empêcher, sans pouvoir cependant cacher la véritable, qui était sa jalousie. J'avais reçu de Mr. Van Citters plusieurs papiers qui avaient rapport au plan que je proposais, et qui paraissait si naturel qu'il fut naturellement conçu par différentes personnes à la fois et que les patriotes même s'y attendaient. Le général Van der Hoop avait couché ses idées par écrit, déclarant qu'il ne pouvait examiner l'affaire constitutionnellement, mais en soldat. Son plan était tout militaire: il voulait prendre la Hollande d'assaut. La Princesse y avait ajouté des considérations politiques. Elle voulait revêtir la force de la forme et cela était fort sage. Mais quoi qu'on pût dire au Prince, il ne voulait jamais consentir à entamer la province sans l'attache qu'il était absurde de demander. Ne me doutant pas encore de l'incapacité morale du Prince de prêter la main à un plan aussi énergique, et ajoutant foi aux prétextes dont il se servait, je lui proposai de se faire une escorte d'officiers de ses amis, tous suivis de plusieurs cavaliers en livrée, au moyen desquels je m'assurais, par la connaissance que j'avais des lieux et des habitants, qu'il passerait en toute sûreté le faible cordon de bourgeois qui occupait les frontières, soit qu'il prît son chemin par Nieuwersluys, facile à surprendre et que Mr. Du Moulin s'offrait de livrer, ou soit qu'il préférât la route que Mme la Princesse a prise depuis. Tout en lisant ma pièce, il se troublait et je vis que Van Citters en augurait mal. A la fin il trembla, me rendit le papier et me renvoya comme j'ai dit | |
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à S.A.R. Je m'y rendis en diligenceGa naar voetnoot1), porteur d'une lettre qui expliquait la besogne. J'entretins fort longtemps la Princesse et depuis ce moment j'ai de jour en jour été plus avant dans sa confiance. Comme dès mon enfance, par un simple mouvement de générosité, elle a toujours pris beaucoup de part à moi, en m'envoyant, après le malheur de mon père, dans le corps des cadets à Berlin et en pensionnant ma mère pendant plusieurs années, je me suis aussi senti pour elle une reconnaissance vive qui a augmenté avec ses infortunes et l'expérience que le public a faite, et que j'ai plus encore faite en mon particulier, des grandes qualités et des sublimes vertus qui forment son caractère. Elle tient sans doute du sang prussien, portant la fermeté et le courage jusqu'à l'audace, qui néanmoins ne détruit en elle aucune des qualités qui appartiennent à son sexe dont elle conserve toute la décence, au point qu'elle n'a jamais voulu s'arroger sur son époux une prééminence qui peut-être aurait prévenu sa chute; mais au contraire tout ce qu'elle a fait c'est sous le nom du Prince, qu'elle défend toujours contre ceux qui se plaignent de lui. Il est sûr qu'il lui fallait beaucoup de génie pour se mettre au fait des affaires, auxquelles elle n'a certainement pas été élevée, et de notre gouvernement si compliqué auquel le grand nombre des membres d'État n'entend rien ou tout au plus ce qui est de sa sphère. Son activité est si grande qu'à Nimègue, peu avant la révolution, elle se levait au milieu de la nuit pour ouvrir des dépêches, les déchiffrer et expédier une réponse. Je le sais puisqu'elle m'envoyait les papiers au moment même et me mettait à l'ouvrage en même temps qu'elle s'occupait. Mais son activité est encore dirigée | |
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par un esprit d'ordre et par une méthode qui la double dans ses effets. Jamais elle ne remet ce qu'elle a le temps d'achever. Jamais elle ne fait attendre longtemps. La mauvaise réussite d'une entreprise ne la rebute pas. Il n'y a pas de difficulté pour elle et sa résolution, elle l'inspire à tous ceux qui peuvent lui rendre service. Elle possède même un art merveilleux de s'attacher les personnes qu'elle estime, par un air gracieux et par mille distinctions flatteuses. Elle cache de même des sentiments peu favorables, pourvu qu'ils ne passent pas un certain point, car alors son mépris éclate sans nulle réserve. Telle que je dépeins S.A.R., après m'avoir écouté jusqu'au bout avec toute l'attention possible Elle m'appointa le lendemain matin et me dit alors qu' Elle avait commandé des chevaux pour se rendre à Amersfoort. La veille je me souviens qu'Elle balançait sur ce qu'il fallait faire de Hartsinck, qui était venu avec sa femme lui faire la cour et qui voulait se rendre par Bruxelles à Londres, quoiqu'il offrît de rester pour renouer des négociations à La Haye, tendantes à peu près au même but que je me proposais et qui était universellement adopté. J'avisai que s'il pouvait rendre quelque service à Amsterdam, il fallait profiter de son zèle et qu'à La Haye il ne ferait qu'embrouiller, ayant d'ailleurs perdu tout crédit chez Rhoon et chez tous ceux qui avaient quelque pouvoir. On suivit mon conseil et Hartsinck partit le lendemain. En attendant R. Bentinck, sur le bruit de mon arrivée à Nimègue, était venu d'Arnhem pour apprendre ce qu'on allait faire. A peine fut-il informé du dessein de S.A.R. qu'il s'y opposa vivement tant envers moi qu'envers Elle. Il lui représenta que si, dans cette extrémité, avec la mauvaise con- | |
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duite du Prince, il arrivait, comme il était facile à prévoir, que les affaires fussent ruinées, ses enfants pourraient encore se relever, au lieu que si Elle unissait irrévocablement son sort à celui de son époux, une même disgrâce pouvait les envelopper et perdre toute la maison à la fois. Il appuyait sur ce que jamais le Prince ne se prêterait à la démarche qu'il faisait semblant d'approuver, tandis que par une ruse grossière et honteuse, il abusait tous ses amis et la Princesse la première. Il me conta plusieurs traits du Prince pour me prouver sa lâcheté, entr'autres qu'il avait dit l'été passé à Loo qu'il n'était bon à rien si on ne le forçait, et que pour tirer parti de ses talents il eut fallu pouvoir le traiter à la prussienne et lui donner tous les matins une bonne volée de coups de canne. Mais quoi que Bentinck fit pour l'empêcher, la Princesse ne voulut pas dans cette occasion, aussi peu qu'auparavant et (du) depuis, séparer ses intérêts de ceux de son époux, et soit qu'elle pût un instant se flatter de voir le Prince adopter des sentiments dignes de lui, soit qu'elle voulût pousser au dernier excès sa résolution de défendre le Prince, vis à vis même d'un homme qui le connait si bien, elle allégua ce que je lui avais rapporté de l'impatience du Prince, qui trouvait nos mesures trop lentes. Quand Bentinck la vit déterminée à partir, il prit le parti de la suivre. Arrivant à l'hôtel du Prince, j'appris que les fourriers avaient déjà divulgué la nouvelle du voyage de S.A.R., et comme c'était huit heures du matin, on me laissa dans l'antichambre, en attendant que le Prince faisait ses prières. Je crois qu'elles n'ont jamais été plus longues et que s'il a prié Dieu de lui accorder du courage, il n'a pas été exaucé, car en sortant tout égaré, il me demanda le paquet de S.A.R. qu'il ouvrit en trem- | |
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blant avec la paleur sur le visage, les joues enflées, la bouche béante et, comme j'attendais qu'il m'adressât la parole, au lieu de me parler, il mit de côté les lettres et lut ou fit semblant de lire, dix fois peutêtre, une gazette qui ne pouvait rien contenir de fort intéressant. Tout le jour, jusqu'après diner, que la Princesse arriva, je demeurai dans l'incertitude, et mes plus belles espérances de ramener le Prince à La Haye s'évanouirent et firent succéder un abattement d'autant plus grand que les fatigues avaient accablé ma constitution physique, sans que je m'en fusse aperçu tant qu' avait duré cette exaltation de l'esprit. L'arrivée de la Princesse ne me tranquillisa guère et je voyais bien que pour ne rien dire de plus, elle n'avait pas persuadé son époux. Le lendemain matin, Mr. Van Citters fut appelé aux conférences dont je me voyais avec peine exclu. Il monta et me dit, avec un sourire de pitié et de désespoir, que rien ne pouvait engager le Prince à un parti énergique, et qu'il avait nommé Guillaume I ingrat envers son maître et rebelle et Guillaume III dénaturé, tyran heureux, et que sais-je encore, quand ou lui cita l'exemple de ces princes qui ont illustré sa maison. Mr. de Zuideras fut appelé; enfin je le fus aussi. Mais le Prince, sous prétexte de l'heure de la parade et d'affaires militaires, sortit au moment qu'il me vit entrer. A cette occasion, c'était me faire un compliment sans doute, mais à présent je remarque trop que, pour l'avoir vu à découvert, je lui inspire de l'aversion et qu'il se déferait de moi le plus volontiers du monde. Voilà les grands, et voilà malheureusement la nature humaine! A diner la tristesse était peinte sur mon visage; plusieurs fois S.A.R. jeta les yeux sur moi, mais le Prince évitait jusques à mes regards. Après diner | |
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Mr. Van Citters appela Mr. R. Bentinck et moi pour nous lire un papier de S.A.R. contenant la proposition de se rendre à La Haye, pour inspirer de l'énergie et du concert au parti qui avec cela sans doute pouvait triompher encore. Un moment après on appela Mr. de Zuideras pour être des nôtres. Ces Messieurs étaient dans l'extase et ne considérèrent plus la Princesse que sous l'aspect d'une héroïne pour laquelle il fallait se sacrifier. J'hésitai de donner mon consentement, trouvant qu'il fallait préparer les choses. Toute l'après-dinée, le prince était agité des plus violentes passions, il se promenait la tête découverte au jardin, en spectacle à tous les courtisans. Il y eut de longs entretiens entre lui et S.A.R. Enfin Mr. Van Citters appela de nouveau, pour entrer chez LL. AA., Mr. de Zuideras, Bentinck et moi. Il était facile de voir qu'il y avait eu des altercations sur le voyage et que le Prince s'y opposait. Il le déclara bientôt, mais S.A.R. avec une mâle fermeté, lui répliqua: ‘Savez-vous un plan plus raisonnable? Dites le! Mais il en faut un. Je suis prête à souscrire au vôtre et à travailler pour le faire réussir. Mais si vous n'en avez pas d'autre, il faut adopter le mien.’ ‘Qu'il était petit en ce moment!’ s'éria Bentinck quand nous fûmes sortis. Mr. Van Citters, qui ne m'épargnait pas, proposa de m'envoyer à La Haye pour savoir l'avis des experts. En effet la Princesse me donna ce papier qu'elle nous avait fait lire par Van Citters. Elle y joignit une lettre à Mr. de Larrey à laquelle le Prince ajouta quelques lignes ineptes qui faisaient preuve de son dépit et par lesquelles il déconseillait le voyage. Il ne me fut permis de consulter que Larrey, Reigersman et Royer. Je dois à la vérité le témoignage que dans ces moments le Prince était calme, qu'il souriait en se promenant par la chambre, | |
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qu'il avait même l'air railleur qui prouve chez lui une satisfaction intérieure. Était-ce qu'il se sentait débarrassé du poids de l'énorme entreprise qu'on lui avait conseillée, ou se réjouissait-il, après tant de faux pas qui lui avaient été reprochés, de voir S.A.R. résolue à une démarche qui lui paraissait également blâmable? Tout fatigué que j'étais, Mr. Van Citters me pria de partir sur l'heure. ‘Qu'est ce à dire’, s'écria-t-il, ‘si pour une bonne cause vous passiez encore une couple de nuits sans dormir?’ Je pris ma route par Wesep, où devant le pont du Vecht ma chaise fut arrêtée par une vingtaine de bourgeois qui avaient cru découvrir des cavaliers. Au moyen d'une fort bonne contenance, je passai par la ville, et prenant toujours des gens affidés, j'arrivai à La Haye à dix heures du matin. J'avertis aussitôt Reigersman et je fus chez Larrey qui, sur la lettre de S.A.R. et ce que j'y ajoutai pour le mettre au fait, conclut facilement qu'Elle était déterminée et que le Prince n'osait s'y opposer vivement. En bon courtisan, il prit son parti tout de suite, déclarant les appréhensions du Prince puériles et l'arriveé de S.A.R. à La Haye nécessaire au bien des affaires. Reigersman appuya l'avis de De Larrey et s'étendit sur plusieurs détails, entre autres sur un plein pouvoir qu'à son avis le Prince devait donner à la Princesse avec une instruction qui abandonnait la plupart des choses à sa discrétion et qu'il dressa même avant mon départ. Quand je la présentai au Prince, il se fâcha et dit que la Princesse n'était pas son ambassadeur; que ce n'était pas comme s'il commettait Mr. Reigersman; qu'elle pouvait traiter des choses sans ce papier. Il parut pourtant dans la suite que le parti patriotique se servit du prétexte que la Princesse n'avait aucun droit de se mêler des affaires, qu'elle ne pouvait représenter la personne de son | |
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époux etc. C'est que l'esprit du barreau répand ces subtilités dans notre politique et que Reigersman, comme avocat, n'en est pas éloigné. Il voulait que la Princesse fut préparée à tout évènement. Mais tous ces vains discours ne faisaient rien à la chose. Si S.A.R. arrivait à La Haye, ce n'était pas pour disputer sur les termes; la question tôt ou tard eut été décidée par le fait. Il y eut un second conseil chez moi où Reigersman fit de son mieux pour obtenir le consentement de Royer, et c'est alors qu'il lui échappa de dire: ‘On ne peut rien faire avec le Prince, il faut que la Princesse rétablisse les affaires’. Royer céda avec peine à nos arguments qui ne le persuadèrent certainement pas. Avec un attachement à la personne du Prince, devenu en lui une habitude, et avec un peu d'ambition, ne devaitil pas voir avec douleur l'abaissement de son protecteur et concevoir plus d'inquiétude sur une entreprise aussi hardie que l'était celle de S.A.R. qu'il avait moins su encore apprécier que nous? Il était d'ailleurs tous les jours témoin de la noire malice de ceux qu'elle trouverait en tête dans la province, qu'ils gouvernaient despotiquement. A diner chez AylvaGa naar voetnoot1), je ne dis mot, je parlai même fort peu de mon voyage, je repartis de là à six heures du soir. J'avais passé auparavant chez Harris que je n'avais pas trouvé le matin. Je le fis descendre de son diner et l'étonnai par ce que je lui annonçai. ‘Le Prince’, me dit-il, ‘y a-t-il consenti?’. Je fus obligé de répondre affirmativement puisqu'il l'avait remis à la décision des trois Messieurs qui venaient de donner leur consentementGa naar voetnoot2). | |
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Aussitôt il dépêcha un pinkje en Angleterre pour prévenir, dit-il, le ministère, au cas qu'on eut besoin de quelque secours si l'affaire tournait mal. Je repassai par la même route, en quoi je fis imprudemment. Mais toute cette course a été si dangereuse et tout dépendait en telle manière de la diligence que je passai aisément sur des considérations de ce genre. J'arrivai à Amersfoort au matin, le surlendemain du soir que j'étais parti. LL. AA. sortaient de l'église et la Princesse, en me voyant, demanda avec vivacité: ‘Oui ou non?’ Je répondis: ‘Unanimement oui, Madame.’ Sa joie éclatait dans ses yeux. Le Prince était confus. Il y eut des audiences. Je pensais tomber de mon haut, de sommeil et de lassitude. Après cela j'entrai chez LL. AA. et pendant qu' Elles étaient debout, ainsi que Mr. van Citters et d'autres qui survinrent, le Prince m'obligea de m'asseoir et de parler toujours assis. On conclut de mander à Reigersman de préparer la route et les relais. Je m'offris de partir tout de suite pour La Haye, mais S.A.R. n'y voulut jamais consentir, disant qu' Elle ne voulait pas que je me tuasse. On me prépara un lit et pendant qu'après tant de fatiques je goutais les douceurs d'un long sommeil, Elle partit pour Nimègue avec tant de diligence et même de négligence pour quelques affaires, que j'ai dû croire avec raison qu' Elle craignit de nouveaux obstacles de la part du Prince. Le lendemain, Elle me fit presser par Van Citters de la suivre. Le Prince me recommanda d'insister auprès de S.A.R. pour lui ménager encore l'occasion de la voir encore à Amerongen où il se proposait de se rendre du camp qu'il allait visiter, pour n'avoir pas l'air d'abandonner toutes choses. Que ne lui dis-je alors pour animer ce faible courage et que ne découvris-je en lui de faiblesse, de pusillanimité! ‘Il | |
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n'avait plus que peu de temps à vivre,’ s'écriait-il, ‘à l'exemple de ses ancêtres tous morts avant l'âge de quarante ans. Il allait, quand l'événement serait fort heureux, trouver un état dont les finances étaient délabrées, qui conservait peu de son ancienne splendeur.’ Tollius m'a dit souvent que le Prince croyait pouvoir vivre plus heureux dans ses États, où il se libérerait de ses dettes, où il serait riche parmi ses égaux, que dans la République où l'emploi de Stadhouder était si pénible et si coûteux. R. Bentinck m'a plusieurs fois assuré que l'ambition du Prince était de se retirer; qu'il lui avait avoué que, voyant les choses aussi bien que la plupart de ceux qui l'entouraient, il ne pouvait se cacher l'humeur bouillante et variable qui l'empêcherait toujours de se bien conduire, qu'il ferait sans cesse le malheur des siens et le sien propre, qu'il était un malheureux mais qu'il était incorrigible. Et ce dernier sentiment lui donnait une joie maligne. Dans le temps dont je parle, il doit, en présence de S.A.R., s'être présenté en souriant devant un miroir, et sur ce qu'Elle lui marquait sa curiosité sur ce qu'il pensait, il répliqua: ‘Voilà un joli b... pour un chef de parti’, ce que la Princesse rendit à Bentinck: ‘Voilà une jolie physionomie etc ...’ Il y a peu de tempsGa naar voetnoot1) que Tollius me dit que le Prince avait déclaré qu'il s'amusait mieux à Amersfoort qu'il ne fait à cette heure à La Haye, se plaisant à voir les événements à quelque distance et à écouter de temps en temps les rapports qu'on lui venait faire. A Nimègue nous attendîmes, si je ne me trompe, deux jours au moins la réponse de Reigersman qui enfin arriva avec la route à prendre; les relais étaient commandés pour une baronne de * * *, tante de | |
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Me DanckelmannGa naar voetnoot1). Van CittersGa naar voetnoot2) que le Prince voulait retenir auprès de sa personne, quelques instances qu'il fit pour suivre S.A.R., il n'y avait que Mr. de Zuideras, Bentinck et moi qui étions instruits du projet, quand je me vis dans la nécessité d'engager la Princesse à s'ouvrir à Mr. BeelaartsGa naar voetnoot3), qui sans cela aurait pu tout gâter et qui n'en fit pas moins de son mieux, comme je vais dire. Cet homme ignorant et zélé se donnait beaucoup de mouvement pour les intérêts du Prince; il était toujours par voie et par chemin, il courait souvent avec Rhoon qui s'attache à tous ceux qui lui paraissent de bons compagnons, et il se croyait de bonne foi un des chefs du parti. Fréquentant notre société, il ne pouvait manquer d'avoir quelqu'idée de la facilité de frapper un grand coup, mais en causant à ce sujet avec quelques jeunes gens et entr'autres Mr. d'Ungeren, des gardes, l'homme le plus écervelé qu'on ait jamais vu, il avait donné dans la folle supposition qu'un drapeau orange, planté au milieu de La Haye, aurait fait la révolution pourvu qu'au premier signal le Prince se fût mis en marche pour le soutenir. Il se croyait assuré de quelques bas-officiers, déterminés à tout faire, et c'est pour annoncer cette belle disposition qu'il se rendit à Amersfoort le jour après que la Princesse était retournée à Nimègue. Après une première conférence qu'il eut avec le Prince, celui-ci vint en sautant me dire qu'il y avait d'excellentes nouvelles de La Haye et qu'il me fallait attendre qu'il m'entretint plus au long. J'attendis et je tâchai de savoir ce que c'était, mais je m'aperçus bien que | |
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Beelaarts avait résolu de m'en faire mystère, puisque malgré les plus vives instances de Van Citters, il ne voulut jamais s'ouvrir à moi, se doutant bien, je pense, que je ne l'approuverais pas. La crédulité de Van Citters, qui semblait persuadé par la conviction intime que témoignait Beelaarts, m'a depuis fait concevoir de justes soupçons sur la solidité de son jugementGa naar voetnoot1). Cependant Beelaarts eut le même sort que moi de voir ralentir la première effervescence du Prince et d'être renvoyé à la Princesse. Nous partîmes ensemble. A peine eut-il donné les premières ouvertures à S.A.R. qu' Elle fit entrer Bentinck, ne pouvant, disait-elle, l'entendre seule sur une affaire de cette importance. Quand Elle eut écouté jusqu'au bout, Elle déclara que ce projet était fondé sur une base si peu solide qu'Elle ne pouvait l'embrasser. Cette réponse, donnée avec politesse et avec ces égards que la cour observait scrupuleusement en ce temps-là et que surtout S.A.R. ne perdait point de vue, laissa quelqu'espoir à Mr. Beelaarts et il y avait tout à craindre qu'il ne causât un tumulte à l'approche de la Princesse sans le savoir, mais aussi sans pouvoir jamais ôter en public la forte prévention qu'il avait tout concerté avec Elle. Je ne vis de moyen pour l'empêcher que de faire confidence du voyage à Mr. Beelaarts sous le sceau du secret. Il partit 1e lendemain, 24 heures avant S.A.R., et Reigersman m'a souvent assuré qu'il a prévenu ses amis à Haestrecht où la Princesse devait passer et que par son imprudence on a conçu les premiers soupçons parmi les patriotes et dans le cordon. Il faut avouer cependant que Reigersman, en commandant dix-sept chevaux pour trois voitures, ne pouvait manquer de | |
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répandre l'alarme, et il est de fait que cette circonstance a fait croire par toute la province que le Prince allait se rendre à La Haye. S.A.R. a vivement senti cette faute, mais comme Elle songe peu au passé, qui est immuable, Elle pardonna généreusement à Reigersman et me dit qu'Elle se tenait trop persuadée de ses bonnes intentions pour lui vouloir du mal. Pendant que nous attendions la réponse de la Haye, je travaillais à une note que je remis à S.A.R. pour lui servir à se rappeler tout ce qu'il y aurait de plus intéressant à faire. Elle était déterminée à voir tout le monde, excepté les trois pensionnairesGa naar voetnoot1). Tollius devait la suivre après quelques jours; une forte députation de la Gueldre, gens à tout entreprendre, se disposait au préside dans les Etats-Généraux pour la semaine prochaineGa naar voetnoot2). Je me souviens qu'emporté par mon zèle et par l'enthousiasme assez général en ces temps, mes expressions tenaient plus d'une instruction que d'une note présentée à une grande Princesse. S.A.R. néanmoins la reçut avec bonté et m'écoutait attentivement sur tout ce que je croyais devoir lui dire. C'est que toutes les formes, à la Cour comme dans les affaires, disparaissaient devant l'importance des sujets qu'on traitait. On agita quelque temps la question s'il fallait aller par eau et secrètement ou par terre et sans se déguiser. S.A.R. avait d'abord eu la première idée et paraissait dans la suite pencher pour la dernière. Bentinck l'appuya, soutenant qu'il n'y avait pas de vrijcorps qui osât toucher à une Princesse d'Orange, soeur du Roi de Prusse, et la crainte de faire paraître la moindre appréhension à ce sujet a peut-être, plus | |
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que tout autre, contribué à faire prendre à S.A.R. la résolution de tenir la grande route. Elle écrivit au Prince et s'excusa du rendez-vous qu'il lui proposait. Les chevaux furent commandés pour elle à Amersfoort, chemin qu'effectivement il fallait prendre les premières lieues. Le soir la Princesse prit congé de Madame de Danckelmann, qui me serra la main avec émotion. Les jeunes princes me parurent assez tranquilles, ce qui leur avait été fortement recommandé. La princesse Louise ne put cacher sa peine que les courtisans ne pouvaient expliquer. A souper S.A.R. était gaie. Mademoiselle de StarrenburgGa naar voetnoot1), qui devait partir avec elle, me chargea d'un paquet pour La Haye, de sorte qu'à minuit et un quart elle ignorait encore sa destination. Mr. de Zuideras prit tout plein d'arrangements pour rendre générale en Gueldre une révolution qu'il venait d'effectuer à Zutphen où tout le monde, après lui, avait arboré la cocarde orange. Un cavalier tué d'un coup de mousquet par un bourgeois dont il cassait les vitres avait inspiré à toute la garnison une fureur qu'on ne put calmer que par un signe extérieur de sa façon de penser politique. Dans peu de jours toutes les garnisons jouèrent le même rôle, excepté à Nimègue où le retour de S.A.R. fut le signe propice de la révolutionGa naar voetnoot2). En effet le peuple | |
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des grandes villes en Gueldre était dans les principes du patriotisme, et c'est le danger des familles qui les réunit au Prince et qui les fit recevoir le secours de l'Angleterre. Je m'embarquai avec Mr. de Zuideras sur un boeijer que je quittai à Bommel pour prendre des chevaux. Je vis sur la digue, vis-à-vis de la ville, mes officiers sous la direction de Dankaerts, qui m'apprit la lâcheté des paysans de l'Alblasserwaard qui n'osaient rien entreprendre. Tout près de la Haye je rencontrai Mr. van Teylingen, qui m'apprit que depuis deux jours on parlait publiquement de l'arrivée prochaine du Prince ou de la Princesse. Nous avions calculé qu'elle pouvait venir à onze heures au soir. Je fus l'annoncer aux présidents de semaine, et elle aurait eu des députations des collèges et de la garnison ou plutôt tous les officiers y seraient accourus. Mr. Harris me supplia de lui faire avoir la première audience de toutes; il voulut avoir le pas sur Mr. de Thulemeyer. Mr. Reynst me dit qu'il s'embarrasserait fort peu de ce que ferait le généralGa naar voetnoot1); qu'il irait à la Maison du Bois et mènerait avec lui tous ceux qui voudraient le suivre. GrovestinsGa naar voetnoot2), adjudant des gardes, le plus brave garçon que je connaisse m'a dit depuis qu' Ungeren, informé sans doute par Beelaerts, avait été préparé à arborer la cocarde orange. Il s'est passé à la maison de Rhoon des choses qui m'ont fait croire qu'on tramait la même chose parmi les sociétés. La joie même de Rhoon, qui ne pouvait se contenir à mon arrivée, prouvait quelque chose de plus qu'une satisfaction de voir S.A.R. | |
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NagellGa naar voetnoot1) me demanda en sa présence ce que la Princesse avait dit du projet de Beelaerts. Je ne fis pas mystère de sa réponse et Nagell dit en souriant à Rhoon: ‘Je vous l'avais bien prédit.’ Toutes mes visites préparatoires achevées, je retournai chez Rhoon, son valet de chambre, me rencontrant au VivierGa naar voetnoot2), m'ayant dit: ‘Venez promptement, Monsieur, on vous attend!’ L'air dont il prononça ces paroles me donna de l'inquiétude; arrivé chez Rhoon, je trouvai la nouvelle de la détention. Un homme de confiance, Gueldrois de naissance, fort remuant et que nous avions appris à connaître par R. Bentinck et par Beelaerts, vint nous rapporter qu'il avait vu S.A.R. tomber entre les mains du vrijcorps. Mon affliction ne se décrit pas. Nous nous jetâmes à cheval pour apporter cette triste nouvelle à la Maison du Bois où RengersGa naar voetnoot3), Reigersman, Voigt, KinckelGa naar voetnoot4) attendaient la Princesse. Rhoon se fit suivre d'Ungeren à l'indignation de toute la compagnie. On y parla beaucoup sans rien conclure. Tout le monde était consterné. Épuisé de fatigues, je ne pus résister au sommeil qui était plutôt chez moi un abattement qu'un repos. Nous retournâmes chez Rhoon qui me fit coucher dans son lit et se mit sur un matelas à terre, après avoir recommandé la tranquillité à tous ceux qui penchai- | |
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ent pour des moyens violents, devenus dangereux depuis que la Princesse était prisonnière. Le lendemain je fus chez Mr. de Zuideras où je trouvai Harris dans un silence morne et qui me regardait avec douleur. Revenu de mon premier trouble, je sentis bien qu'il n'y avait d'autre moyen pour sauver S.A.R. et pour tirer parti des circonstances que de la faire réclamer par LL. HH. PP.Ga naar voetnoot1). Le lendemainGa naar voetnoot2) je fus chez Mr. de Welderen, président. Il était mol au dernier point. Il prétextait de n'avoir nulle connaissance légale de la détention. Aussi n'aurait-il apparemment rien fait sans la lettre de S.A.R. J'écrivis un billet ostensible à Mr. d'Aylva, que je lui envoyai dans l'assemblée de LL. HH. PP. et qui se trouvait tout à fait d'accord avec la lettre de la Princesse qui arrivait au même moment. En attendant on faisait marcher des patrouilles par toute la Haye. La foule se portait encore vers la Maison du Bois. Tout le monde avait l'air surpris; on se questionnait sans pouvoir se répondre. Harris n'osait rien faire, soit qu'il eût appris de De Zuideras qu'en effet le Prince avait déconseillé le voyage, soit qu'il ne voulût pas que cette démarche parut concertée avec lui. Car, si je ne me trompe fort, ce fut à cette occasion que sur mes pressantes instances de dépêcher un courrier extraordinaire, il répliqua que le ministère ne lui saurait pas gré de ces alarmes continuelles. Quoi qu'il en soit, Mr. de Thulemeyer ne voulut pas bouger; aussi ne me suis-je pas rendu chez lui, ce qui avec un ministre fidèle aurait été la première mesure à prendre. L'apathie de Larrey n'a jamais paru davantage que dans cette rencontre; il était | |
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insensible à tout. Il se répandit alors un bruit que le Rhingrave s'était avancé à la tête de 400 chevaux près de Schoonhoven, offrant ses services au magistrat qui n'en voulut point, et dans le dessein de proposer à S.A.R. l'alternative ou de l'amener prisonnière à Utrecht ou de la rétablir avec sa maison dans tous ses droits, moyennant des dignités et des pensions. On a dit aussi que sur la nouvelle de la détention, il s'écria: ‘Tout est perdu!’ comme s'il prévoyait le secours prussien qui arriva ensuite. Ceux qui accompagnaient S.A.R. étaient dans l'extase de sa fermeté qu'elle inspirait encore à tout le monde. Stamford m'a dit depuis qu'elle pensait fort peu à l'effet que cette rencontre devait faire à Berlin, mais qu'il lui avait exposé la nécessité d'informer le roi au plus vite. Aussi dépêcha-t-on un courrier qui causa effectivement la première effervescence, dont notre parti se promit tant. S.A.R. m'avoua depuis qu'elle avait de grandes inquiétudes pour ses papiers qui étaient au fond de la voiture, exposés à ses ennemis, d'autant plus qu'il y avait la main de plusieurs personnes qui auraient été compromises et qu'elle n'osait montrer la moindre appréhension de peur de se découvrir. Il y avait entr'autres des papiers que j'avais donnés à la Princesse à Amersfoort qui regardaient l'entreprise du Prince et que j'avais déchirés en partie, par dépit. Van Citters, qui m'avait vu faire, peut l'avoir rapporté à S.A.R. qui me demanda tous mes fragments, pour s'en servir, dit-elle, dans une autre occasion. Mr. de RandwijckGa naar voetnoot1), en véritable courtisan, était fort choqué de ce que les députés et les chefs des vrijcorps - tandis que par respect il se tenait | |
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debout devant S.A.R., tout fatigué qu'il était - s'étaient assis à côté d'elle, les jambes croisées. Lorsqu'il s'agit de la punition des coupables, que dans son premier ressentiment le roi avait demandée, S.A.R. me dit qu'il n'y avait point de coupables subalternes, puisqu'Elle ne pouvait honnêtement se plaindre des manières de gens qui ne savaient pas vivre. Il parait donc que la Princesse n'a certainement pas été maltraitée, comme on l'a répandu dans le temps, à moins que sa fierté l'eut empêchée d'en convenir. Elle m'a dit encore que Mr. de Lange, commandant des bourgeois et conseiller de Gouda - qualité dans laquelle il a été compris dans la satisfactionGa naar voetnoot1) - lui avait plusieurs fois remontré qu'on ne pouvait la mener à Gouda, puisqu'il y aurait certainement une sédition. S.A.R. exigeait cela, comme elle m'a dit depuis, parce qu'elle s'assurait qu'à peine sa détention serait connue à La Haye qu'on donnerait des ordres pour la relâcher. Mlle de Starrenburg m'a raconté qu'arrivée vers les cinq heures à Schoonhoven, la Princesse s'était plaint d'avoir mal calculé, puisqu'elle viendrait à la Maison du Bois de si bonne heure qu'elle serait embarrassée de son temps. Elle était partie à cinq heures du matin. Milord AthloneGa naar voetnoot2) m'a dit que le Prince, en apprenant la nouvelle par Tollius qui avait rebroussé chemin, fut comme transporté de colère, qu'il déclarait qu'il allait se mettre à la tête des troupes pour | |
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marcher au secours de la Princesse, mais que cette vivacité comme à l'ordinaire se calma bien vite et que surtout après que S.A.R. fut en liberté, il ne parla plus de moyens violents. Le retour de la Princesse à Nimègue fut un spectacle touchant. Par tout le chemin on jetait des cris de joie; quand elle passa la rivière près de la ville, dix mille cocardes orange parurent subitement sur les chapeaux. Cette circonstance de la couleur orange arborée en Gueldre lors du voyage de la Princesse a fait croire que les mesures étaient concertées, mais quoique Mr. de Zuideras puisse avoir été ravi de choisir cette époque pour accomplir un dessein qu'il avait nourri depuis quelque temps, on a travaillé sur le peuple dès auparavant au même effet et quand il fit à Adolphe de RechterenGa naar voetnoot1) la première proposition de prendre la cocarde, il m'a juré qu'un quart d'heure auparavant il n'en avait pas l'idée. De sorte que tout le concert qu'il peut y avoir eu et qui n'a rien de surprenant, comme je l'ai déjà fait remarquer, c'est que tous les esprits étaient à peu près agités des mêmes mouvements et qu'il naissait de l'état même des affaires et des événements un système qui fut insensiblement adopté par tout le parti et qui produisit des mesures qui avaient l'air d'un plan combiné entre les auteurs. Ce qui malheureusement n'était pas. Dans toutes les révolutions il faut bien prendre garde à ces mouvements dans les esprits, il faut même les exciter et les diriger vers le but qu'on se propose. C'est le grand art d'un chef de parti de connaître et de conduire ces mouvements; il faut du tact pour l'un et du génie pour l'autre. C'est le | |
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génie qui manquait au Prince, mais plus encore le désir de gouverner et de s'élever par des travaux et par des vertus à une gloire qui fait l'objet de ses vils sarcasmes. Il y eut en ce temps-là une stagnation dans les affaires qui venait de l'attente générale de la manière dont le roi de Prusse prendrait l'insulte faite à sa soeur. Il faut croire qu'à moins du parti qu'elle prit de retourner à Nimègue, dès qu'elle apprit l'approbation des États, elle aurait pu très bien ne plus trouver les chemins ouverts. Cette apparition subite avait en effet déconcerté la cabale qui, quoi qu'on en puisse dire, n'a jamais eu assez de concert pour opérer promptement. Cela parait à présent encore par des papiers devenus publics depuis la révolution. Il est sûr aussi que si S.A.R. avait voulu partir plus tôt, Elle aurait encore rencontré de grands obstacles. Mr. Harris m'avoua qu'on ne pouvait rien faire avant de savoir la résolution du roi de Prusse. On ne voulut pas même me laisser partir, quoique je brûlasse du désir de voir S.A.R. après le danger auquel Elle venait d'échapper, disant que je devais attendre une décision. Je fus obligé d'envoyer un billet en déguisant ma main pour avertir la Princesse que les amis de La Haye pensaient qu'on ne pouvait trop lui conseiller de s'éloigner le plus tôt possible. Il y avait des têles chaudes qui, au moment où S.A.R. serait libre, voulaient donner le signal de la révolte, mais je prévoyais de mauvais succès et, connaissant le système du ministère britannique, j'opinais fortement à nous réserver pour des circonstances plus favorables qui approchaient. Nous avions arrangé une assemblée générale des sociétés où je proposai infructueusement de présenter requête pour obtenir un libre passage pour S.A.R. Dans les classes inférieures on ne connait que le | |
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Prince, et il est adoré. Alors on craignait même que la Princesse n'eût voulu se saisir du gouvernement. Les sociétés formaient un corps difficile à conduire. Celle de La Haye était certainement la plus hardie de toutes et les chefs y jouaient, comme partout ailleurs, le rôle de contenir les plus entreprenants (Hou je maar stil). Je déclarai que je ne dirais jamais rien pour apaiser les mécontents, que fort au contraire j'étais du nombre, qu'on n'avait qu'à me communiquer tout ce qui parassait utile, quelque hardiesse qu'il fallût pour l'exécuter, et que si j'y voyais jour, j'y travaillerais. En effet il y aurait eu beaucoup à faire, mais il y avait toujours le même vice dans notre administration. Le chef n'avait ni conduite ni secret. Il n'est bon, disaient tous ceux que le connaissaient, que pour exécuter et il ne faut l'avertir qu'au moment de l'action. Dès longtemps Mr. Luyken (le fiscal) faisait des perquisitions pour trouver des chefs d'accusation contre lui, et si on l'attaquait en justice tout était perdu. D'ailleurs nous en imposions encore et l'on ignorait le secret de notre faiblesse, comme nous nous trompions sur les ressources des patriotes. Tout dépendait de l'opinion. Il y avait cela de certain que sans le secours du Prince et des troupes, quelque faible qu'eût été son escorte, nous ne pouvions rompre la force magique qui nous tenait assujettis. Il fallait donc attendre qu'une puissance se déclarât et cette nécessité, dont j'étais convaincu, m'inspirait de la patience. Je voulus pourtant voir le Prince et la Princesse pour connaître leurs desseins et, quoi qu'on pût me dire, je partis pour Amersfoort. Je voulais faire part au Prince des grandes divisions qui commençaient entre le Besogne Personnel, composé de M.M. de Starrenburg, van Berckel, de Gijse- | |
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laar, Zeeberg et de KempenaarGa naar voetnoot1), la commission de Woerden, nommée comme les autres pour la défense de la Hollande, mais avec l'addition de la ville d'Utrecht, les conseillers-committésGa naar voetnoot2), qui avaient toujours eu soin de cet object et enfin les États même. Les finances étaient dissipées et le crédit perdu. Il fallut, si je ne me trompe, négocier cinq millions et l'on donna, je crois, vingt et deux pour cent dans la loterie à laquelle il fallut avoir recours. Vers ce temps-là la commission de Woerden, nommée ainsi parce qu'elle siégeait dans cette ville, mais faisant fonctions de députés en campagne, inventa les fameuses quittances qui ont fait tant de mal à la mauvaise cause. Les officiers recevaient une année de gages; ils signaient un reçu, mais celui-ci se terminait par la phrase suivante: ‘Et je m'engage à servir les Etats de Hollande sur tout territoire quelconque.’ C'était renverser le serment fait à l'Union, serment primitif auquel toute obéissance à des membres de l'Union devait demeurer subordonnée. Aussi le grand nombre des officiers refusa-t-il de signer, préférant la suspension qui suivait aussitôt. Mais la Gueldre payait toutes les troupes suspendues en Hollande. La garnison de La Haye [était] composée non-seulement des régiments des gardes hollandaises à pied et à cheval et du premier bataillon des gardes-suisses, mais encore de 2 bataillons et | |
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de 3 détachements de cavalerie, forts chacun de cent chevaux, qu'on appelait communément la nouvelle garnison. L'on se gardait bien de rien proposer à l'ancienne garnison qui pût l'engager à faire preuve de sa fidélité, quelque faiblesse et quelque soumission qu'on eût rencontrées dans le commandant, Mr. Kretschmar, général-major et lieutenant-colonel des gardes à pied, mais il arrivait parfois que les ordres du cordon étaient envoyés à la nouvelle garnison par les corps dont ces troupes étaient détachées. Il arriva un jour que la résolution de ne plus obéir aux États-Généraux et au Conseil d'État fut communiquée aux gardes même. Alors vous eussiez vu tout le monde en mouvement. Mr. Zeeberg exprima au général sa douleur de ce que, par une simple mégarde, cette résolution avait été étendue au-delà du cordon. Les officiers en attendant présentèrent requête pour demander une explication si sous les mots ‘point d'ordre’ il fallait entendre généralement tous les ordres quelconques ou seulement ceux qui seraient contraires aux droits territoriaux de la Hollande. Les États saisirent ce subterfuge et prirent pour la garnison une résolution flatteuse qui couvrit de honte ceux qui n'avaient pas osé signer la requête. Cependant les États firent de nouvelles levées pour rétablir ou pour compléter les régiments qui avaient fait la retraite. Ils en nommaient de nouveaux. La commission de Woerden, de concert avec le Rhingrave, formait dès lors un plan de défense pour la province, au moyen de vingt et deux mille hommes de troupes réglées et des auxiliaires qui étaient les vrijcorps détachés dans le cordon ou dans Utrecht. Ces forces pouvaient être sur pied vers la fin d'octobre, mais ni disciplinées ni aguerries. J'eus des listes que, par le Chevalier Harris, je fis passer en Angleterre pour prouver la nécessité de nous secourir avant l'hiver. | |
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La commission offrit publiquement un prix de cinq ducats à tout soldat qui des provinces de Gueldre et d'Utrecht viendrait se ranger sous ses drapeaux. Il en vint et ils furent payés. Je me souviens à cette occasion que, peu après le séjour de Mr. Van de Spiegel à La Haye, on lut, par ordre du Conseil d'État, aux compagnies assemblées des résolutions de LL. HH. PP. qui recommandèrent l'obéissance qui leur était due. Un esprit d'examen s'empara de tous les soldats et ils raisonnèrent si bien sur les ordres qu'ils recevaient qu'à la fin il n'y eut plus moyen de se faire obéir et que le défaut de subordination parvint au point de causer les excès commis à Bois-le-Duc et dans d'autres villes, même après la révolution. Au temps dont je parle, cette insubordination dans les troupes de la cabale avait de quoi donner de belles espérances. On avait aussi, par ordre des conseillers-committés, depuis peu arrêté Mr. Timmermans qui commandait à La Haye le détachement de Hesse-Philipsthalcavalerie. Son crime, d'abord inconnu, fut su depuis et consistait à avoir fortement parlé à sa troupe sur les quittances et sur l'obligation de demeurer fidèles à leur serment. Timmermans fut arrêté le jour que le corps-franc de La Haye revenait de Gorcum et que toute la garnison de La Haye était sous les armes pour empêcher la populace d'assommer ces beaux défenseurs de la patrie. Je l'appris en rentrant de la campagneGa naar voetnoot1) où j'avais diné. Dans la maison de Rhoon on avait pris l'alarme et comme les papiers de Timmermans avaient été incontinemment arrêtés, les nôtres furent mis en lieu de sureté, en grande partie chez | |
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Harris. Je ne puis pas dire que nos amis dans la garnison aient eu de fortes appréhensions sur leur propre compte, et quoiqu'ils s'intéressassent pour lui, ils se croyaient sûrs que jamais on n'oserait lui faire du mal, ce qui les tranquillisait. Il y avait d'autres sujets d'inquiétude parmi les officiers sur les bas-officiers et les soldats qu'on leur débauchait et qui à tout évènement se seraient rangés sous l'étendard patriotique. Le péril était d'autant plus grand que l'assemblée des États-Généraux menaçait de ruine, depuis que peu après les résolutions sur les troupes et, si je ne me trompe, encore pendant le séjour de Mr. Van de Spiegel à La Haye, des députés d'une Diète illégitime tenue dans la ville d'Utrecht s'y étaient introduitsGa naar voetnoot1) et que les députés de la Frise chancelaient parfois, étant patriotes en partie, de sorte que ceux de la Gueldre et de la Zélande seuls paraissaient soutenir le parti, malgré la faiblesse de MM. de Welderen et de BlitterswijkGa naar voetnoot2), anciens de leurs provinces. C'était cependant cette majorité aux États-Généraux qui devait nous sauver par rapport aux puissances étrangères, et Harris l'appelait son cheval de bataille. J'ai toujours imaginé que la France prenait une part moins vive à nos différends, puisqu'elle n'a pas songé à s'assurer les États-Généraux, et qu'elle a été plutôt engagée d'un moment à l'autre à soutenir un parti | |
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qu'elle ne voulait pas perdre plutôt qu'elle n'a incité ce parti à la révolte. Il y a peu de joursGa naar voetnoot1) que le prince de Galitzin m'assura que Mr. de Vergennes en envoyant Mr. de Rayneval à La Haye écri[vi]t à un de ses amis: ‘Je ne puis pas encore me faire une idée bien nette des affaires de Hollande et j'ai envoyé un homme de confiance pour m'instruire et pour me mettre au fait.’ Mr. Harris en attendant nous assurait toujours que l'Angleterre travaillait à Versailles. Il me fit voir des pièces. Il avait toujours désiré cette méthode: ‘Nous ferons la guerre’, disait-il, ‘si la France est opiniâtre.’ Il me confia le projet d'un traité entre l'Angleterre et la Hesse, conclu depuis. Il aurait voulu aller à Nimègue et ne rentrer en Hollande qu'à la tête de trente mille Allemands. Il y avait quelque temps qu'Amsterdam avait proposé, pour terminer les différends survenus dans la République, d'invoquer la médiation de la France. Quand j'annonçai à Harris le voyage de la Princesse, il me dit: ‘La médiation de la France a passé en Hollande, mais assurez LL. AA. que je prends cela sur mon compte et qu'Elles ne craignent rien.’ En effet on ne cessa depuis de travailler à faire proposer par les bonnes provinces la médiation de l'Angleterre et de la Prusse ou même de l'Empereur, afin de ne consentir qu'à une médiation composée en partie de puissances amies de l'Angleterre et du stadhouder. Mr. Harris appuyait fortement sur la nécessité de laisser une porte ouverte à l'Empereur, tant il penchait pour l'ancien système de Guillaume III et tant il se promettait peu de la Prusse. J'ai dit que je me proposais de rendre compte de toutes ces choses au Prince, mais un mot que j'appris, en montant l'escalier, de la bouche du général | |
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Dopff qui vint à moi me fit comprendre que mes nouvelles et mes raisonnements étaient hors de saison: ‘Le roi de Prusse’, me dit-il, ‘fait marcher quarante mille hommes pour demander satisfaction de l'injure faite à sa soeur.’ Le Prince était en extase, mais moins que ses généraux. Mylord Athlone avait une joie puérile, mais il fut le premier à s'apercevoir que celle du Prince diminuait à mesure qu'il y faisait réflexion. Le même jour le Prince me dit que le nombre était trop grand et que le quart lui serait plus agréable. C'est la dernière fois que je l'ai vu avant la révolution et je crois qu'il m'en a su mauvais gré par jalousie. Van Citters pourrait bien aussi en avoir été fâché, car je ne lui ai plus écrit depuis cette époque, qui est celle où toute la conduite des grandes affaires a été remise entre les mains de la Princesse par les cabinets de Londres et de Berlin, par les meilleures têtes dans la République et par l'indolence et l'incapacité de son mari. Il était singulièrement à Amersfoort. Les Etats ne l'avaient pas appelé d'un commun consentement mais absolument à la pluralité. Encore n'était-ce que dans sa qualité de stadhouder et point de capitainegénéral, ce qu'on interpréta au désavantage de son courage personnel. On délibérait éternellement. C'était de longues conférences avant l'assemblée des États tant avec les différents ordres qu'avec des commissions. Après l'assemblée, des individus venaient conférer encore. Mr. Van Citters était rarement de la partie. Il se plaignait à moi que le Prince ne savait pas, avant d'aller aux États, quel serait le sujet des délibérations, ce qui lui paraissait néanmoins de la dernière importance. On mangeait tard. Après diner, le Prince se promenait et causait; il soupait en petite compagnie parce qu'on l'abandonnait. Il recevait les papiers | |
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publics de Nimègue, et les lisait, quelque vieux qu'ils fussent. Les courtisans se plaignaient qu'il faisait mystère des moindres nouvelles, ne parlant jamais politique. J'eus un soir une longue conversation avec Guillaume van der Duyn qui, avec Rechteren, s'était le premier opposé aux ordres illégitimes des Etats de Hollande. Il était fort mécontent et tout ce qu'il me dit du Prince me confirma dans l'opinion que j'ai conçue de lui. Van der Duyn n'a pas l'esprit solide, mais il est fort avant dans la familiarité du Prince et il sait beaucoup d'anecdotes. Les États, quelque temps après, voyant que de gouverner les troupes comme il faisait, c'êtait les miner et les empêcher de rien faire, donnèrent pleins pouvoirs au Prince d'agir comme il jugerait convenable et il fut sur le point d'aller s'établir au camp. R. Bentinck en rit beaucoup, ce dont Van Citters s'offensa, croyant avoir gagné beaucoup en faisant prendre cette résolution. L'argent manquait ou paraissait manquer et toujours me chargeait-on d'en demander à Harris. Reigersman faisait les remises. On avait raison de dire que M.M. d'Utrecht, au lieu de demander à l'Angleterre de remplir leur négociation, auraient dû, au moins en partie, y mettre de leur propre patrimoine, mais il est sûr aussi que Mr. Harris ne satisfit pas à tous ses engagements avec la promptitude de la libéralité qu'il avait fait espérer. Le Prince, vis-à-vis de moi, fit semblant d'ignorer les détails des arrangements pécuniaires. Quand je lui dis un jour qu'il n'avait qu'à nommer ce dont il avait besoin de munitions de guerre ou de bouche, que Mr. Harris s'engageait à lui faire tout avoir, il ne répliqua rien. Lors de la formation du magasin de Bommel qui m'a tant coûté de peine et qui sans S.A.R. n'aurait jamais réussi, je le pressai un jour vivement et il lui échappa ces mots: ‘Messieurs de Gueldre voudraient bien | |
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m'embarquer dans cette affaire’. Je crois qu'il pensait de même sur les subsides d'Angleterre, que Messieurs de Gueldre l'ont forcé à tout, soutenus de Mme la Princesse, et qu'il avait toujours en vue de ne pas assez s'engager pour n'avoir pas la retraite libre. Celle-ci se désignait toujours par le Hartsteeg Poort, qui est la porte de Nimègue qui mène à ses États, et souvent je l'ai entendu nommer dans les conversations les plus intimes. Les courtisans se désespéraient. Athlone, qui à table faisait le grand-maréchal, me dit un jour avec son indiscrétion ordinaire: ‘Le plus grand bonheur qui put nous arriver serait qu'il eut un coup mortel d'apoplexie’. Il y avait moins d'atrocité dans ce discours parce que le Prince même, en substance, a plus d'une fois dit la même chose. Mon dessein était de passer par le camp pour y jeter un coup d'oeil et pour encourager quelques officiers commandants de ma connaissance. R. Bentinck, qui avait le même dessein, me pria de lui laisser ce soin et de presser mon arrivée à Nimègue où j'étais attendu avec impatience. Quand je vis S.A.R., je fus profondément ému. Je ne pus Lui parler. Elle était triomphante; il fut d'abord résolu de faire servir la révolution au rétablissement du Prince; Stamford était, si je ne me trompe, déjà parti pour BerlinGa naar voetnoot1) avec une commission que j'aurais désirée et qu'à La Haye Royer et d'autres amis me destinaient. Soit que j'en aie parlé à S.A.R. ou que ce fut après, je m'en ouvris à Elle et je La vis rougir, apparemment de ce que je paraissais blâmer son choix et Elle me dit avec bonté: ‘Stamford a des relations avec le roi depuis longtemps qui le mettent à même de l'entretenir avec plus de familiarité.’ | |
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Je partis pour La Haye avec des instructions que j'avais couchées sur le papier et auxquelles la Princesse avait ajouté des réflexions en marge. Je me souviens que j'insistais beaucoup en ce temps-là sur la nécessité de donner au peuple, pour le gagner, de l'influence dans les nominations de ses régents, ce qui ne pourrait jamais nuire au pouvoir d'un stadhouder vigilant et actif. S.A.R. me recommanda de ne traiter ce point qu'avec la plus grande délicatesse, et à la dernière extrémité. Après la révolution, Elle m'a dit, quand je Lui parlai du peuple: ‘Pourvu que ce ne soit pas la démocratie.’ Le Duc peut l'avoir confirmée dans ces sentiments, s'il lui a dit comme à moi: ‘S'il faut choisir entre ce qu'on appelle être l'idole du peuple ou être un peu craint, je ne fais nulle difficulté de me déclarer pour le dernier.’ Ce papier, selon mes instructions, au cas de péril éminent au passage, a été en mille morceaux jeté dans l'Yssel, de peur qu'il ne tombât entre les mains des vrijcorps de Rotterdam, portés à Crimpen, et qui en effet eurent dessein de me fouiller. J'avoue qu'à cette occasion je fus indigné contre ces misérables. Ils m'arrêtèrent assez longtemps pour m'inquiéter beaucoup. A La Haye je rencontrai mille doutes sur la sincérité du roi de Prusse. Dans le fond je n'ai pu découvrir d'autre source de la nouvelle de la marche des troupes que des lettres particulières de Mme Danckelmann, car dans la lettre du roi au prince je pense qu'il n'y avait que l'assurance qu'il demanderait une satisfaction éclatante et la punition des coupables. Le mémoire n'en disait rien non plus. Aussi Harris commença-t-il par me demander s'il n'y avait pas encore de contre-ordre. En attendant sa cour sembla se déterminer à saisir cette occasion d'agir par la force, en menaçant la France d'une rupture certaine, si elle faisait mar- | |
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cher un seul homme du côté de la République, afin de laisser par ce moyen un champ libre au roi de Prusse. Cette idée était juste et fut heureusement exécutée, mais il en coûta à l'Angleterre de déterminer le roi qui mollissait et qui allait peut-être plier sous la France, sans un courrier anglais qui arriva assez à temps pour lui inspirer de la fermeté. Cette anecdote est de Harris. Je tiens du même que Mr. de Thulemeyer a eu l'impudence d'assurer le Grand Pensionnaire, en lui remettant le premier mémoire, que ce n'était qu'un emportement du roi auquel il était fort sujet, mais qui passait très viteGa naar voetnoot1). Reigersman m'a dit que pendant que Thulemeyer était publiquement dévoué à la France, le roi écrivait, pour lui marquer sa satisfaction, qu'il augmentait ses gagesGa naar voetnoot2), et que ce ministre, après le rappel du marquis de Vérac, pour se disculper, osa dire que son maître jusqu'alors avait pensé différemment, et quant à luimême, qu'il avait fait son devoir. Reigersman ajoutait que cela était vrai et qu'on faisait agir le roi contre son inclination. Harris me confia la visite qu'en ce temps-là Thulemeyer lui fit pour l'assurer que dorénavant il s'empresserait d'agir de concert avec lui. ‘J'ai eu’, me dit-il, ‘le triomphe le plus complet et je l'ai vu comme à mes pieds’. Il voulait toujours que Goltz, de Paris, et Lusi, de Londres, et Thulemeyer, de La Haye fussent rappelés, puisqu'ils étaient vendus à la France. Je rassemble tous ces traits par anticipation, comme | |
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j'ai fait plus souvent, pour répandre sur une matiére toute la lumière dont elle est susceptible par les choses qui sont venues à ma connaissance. Les patriotes, rassurés par les Français, se moquaient publiquement des menaces prussiennes et la réponse au roi fut assez leste. Nous nous en réjouîmes. En attendant on travaillait de plus en plus à la défense de la province, par terre et par eau, au moyen de postes redoublés, de pontons condamnés, de barques armées, mais quelque démonstration qu'on fit, nous nous apercevions très bien que la cabale n'avait ni la conduite ni l'autorité nécessaire pour tirer de l'état des affaires tous les avantages sans lesquels elles ne pouvaient se soutenir. Cependant nous paraissions croire le contraire, afin d'animer notre parti faible et divisé. Harris s'était toujours extrêmement plaint des députés aux États-Généraux qui ne voulaient jamais venir chez lui au nombre seulement de deux à la fois; encore chacun voulait-il gouverner. Ce que j'ai toujours considéré comme un grand malheur, c'est que le greffier, qui doit être l'âme de cette assemblée, était un vieillard faible et timide, qui ne dut sa conservation lors de la chute de M.M. van Hees et GillisGa naar voetnoot1) qu'à son incapacité. Je respecte d'ailleurs la bonté, la simplicité de ce vénérable vieillardGa naar voetnoot2). Il parait que le ministère britannique pensait qu'il y aurait moyen de trouver des gens capables (a set of men) pour s'en servir à former une opposition active. Voilà du moins à quoi Harris, vis-à-vis de moi, attribua la mission de Mr. Grenville, envoyé par | |
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Mr. Pitt dont il est l'ami intime. Il fut logé à l'hôtel d'Angleterre. J'eus avec lui de longues conversations, à la prière de Mr. Harris. Après quelques jours il partit pour Nimègue et fut de là à Wezel, chez le Duc. Je l'ai instruit des principes de notre gouvernement, du pouvoir stadhoudérien, du plan des patriotes; il m'a dit à Nimègue qu'il ne pouvait repasser par La Haye, à cause de papiers qu'il n'osait confier à d'autres et qu'il serait obligé de brûler s'il rentrait en Hollande. Mais, disait-il, cela lui coûterait infiniment. Royer et Reigersman furent un soir chez Harris pour causer avec Grenville. Il nous assurait que l'Angleterre ferait la guerre plutôt que de nous abandonner, que le dernier traité avec la France était une trève plutôt qu'une paix. C'était d'ailleurs un homme fort gauche, sans usage du monde, sérieux, désagréable, mais solide. Il n'avait pas trente ans. Harris lui donna Charles Bentinck pour le conduire à Nimègue par Bréda, tant il y avait peu de sureté dès ce temps-là. Tous deux, assez mauvais voyageurs, ils arrivèrent le troisième jour à Nimègue. Le Duc leur fit les plus fortes assurances; il parla longtemps; il était préparé, il enchanta Charles qui crut avoir beaucoup appris et qui ne put rien me rendre d'un discours qui, en plus grande partie, avait consisté en phrases. Je reviens à moi-même. S.A.R. m'avait écrit que le Duc était attendu à Wesel, que tout dépendait de lui, que l'Angleterre devait l'engager dans ses intérêts, que Harris ne devait rien négliger pour cela et qu'elle me priait d'y veiller. Peu aprèsGa naar voetnoot1) je reçus une lettre que le Duc avait été à Nimègue; qu'il avait promis de frapper un coup; que j'eusse à venir | |
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le plus promptement possible. S.A.R. fut frappée de me voir arriver avec tant de célérité. ‘Il y a peu d'heures’, me dit-elle, ‘que j'ai reçu la lettre qui m'annonçait votre départ.’ J'avais dû cependant prendre par Breda et Bois-le-Duc. Elle me fit voir le mémoire dont elle avait chargé Stamford; elle me dit que le roi la pressait de s'ouvrir sur la satisfaction qu'elle exigeait. Comme il s'agissait d'obtenir par cette satisfaction le rétablissement des affaires et que je lui avais toujours, mieux qu'un autre, su rendre compte de l'état des affaires en Hollande, elle voulait savoir mes idées sur la réponse à faire au roi, me charger de la porter au Duc et de l'instruire des ressources de notre parti. J'examinai avec Tollius la note de S.A.R., qu'Elle corrigea d'après nos réflexions. Je vis le général FawcettGa naar voetnoot1) qui arrivait de Londres par Ostende, qui était chargé de négocier un traité de subsides avec la Hesse, devenu public depuis et qui devait concerter les moyens d'entretenir au service de la bonne cause 4 à 5.000 hommes. Il avait entretenu S.A.R. et de faiblesse, après les fatigues du voyage, le pain mal cuit qu'il avait dû prendre et, à ce qu'il me dit, par l'embarras qu'on éprouve en se présentant chez une grande princesse, il tombe évanoui devant elle. Il me confia que sa mission en Allemagne était fort pressée et que s'il pouvait honnêtement se passer d'aller à Amersfoort, selon ses instructions, il lui suffirait de tout arranger avec S.A.R. Malheureusement Elle convint avec lui de mettre ces 5000 hommes au service de la Généralité, ce qui voulait dire les quatre bonnes provinces, plan difficile à exécuter, au lieu que la Gueldre seule aurait dû | |
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se charger de la levée dont la Hollande donnait l'exemple; mais je n'avais pas prévu cette tournure et ensuite il était trop tard pour y apporter du changement, tant il est vrai qu'il y a un moment favorable dans toutes les affaires qu'il importe de saisir et qui une fois passé ne revient guère. Je vis aussi Charles Bentinck et Grenville qui revenaient du Duc et dont l'arrivée était le signal de mon départ. C'est alors que j'eus encore une longue conversation avec ce négociateur et que je lui remis des notes sur les desseins de la cabale, sur ses forces et sur ses levées. Je le vis inquiet de ne pouvoir nous secourir assez vite. C'était l'humeur dans laquelle je voulais qu'il partit. Peu après son retour à Londres, Mr. Harris eut ordre de nous offrir en Hollande même trente mille livres de poudre, des canonniers et de l'argent. J'arrivai tard à Wezel et ne vis le DucGa naar voetnoot1) que le lendemain matin. Il me reçut dan son cabinet et débuta par ces propres paroles: ‘Je suis charmé, Monsieur, de vous revoir dans une situation plus agréable que vous n'étiez quand je vous ai connu à Berlin et d'avoir pu apprendre pendant mon séjour à Nimègue que vous répondez aux hautes espérances que dès lors on avait conçues de vous.’ Cela était étudié. Il me fit asseoir et tint un long discours qui tendait à me faire voir mille difficultés dans sa commission, à me prouver qu'il se formait de justes idées sur la condition déplorable où le Prince était réduit et à me faire convenir de la nécessité d'un accommodement. S.A.R. dans sa note ne demandait rien moins | |
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que la suppression de la commission de Woerden, l'offre d'une libre entrée en Hollande, une commission des États pour traiter des affaires de son époux, des excuses de la part des États et d'autres points de ce genre. Le Duc fit semblant de tomber de son haut à la lecture de chaque article. Il me demandait souvent si j'avais lu la pièce. Le connaissant, je ne me déconcertai pas. Dans ma quinzième année je lui avais été présenté, désirant de servir dans son régiment dans la guerre de 1778: ‘Vous êtes trop jeune et trop délicat,’ me dit-il, ‘vous ne pouvez pas servir encore en campagne.’ - ‘Les plus grands capitaines,’ lui répliquai-je, ont ‘commencé à mon âge; Turenne fut traîné assis sur un canon parce que les forces lui manquaient et V.A.S. était peu plus âgée que moi lors qu'Elle gagnait des batailles.’ Cette réponse l'enchanta; il me donna la main pour m'assurer que dans huit jours, revenant de Brunswic, il me donnerait de bonnes nouvelles. Il revint et dit au comte de Heiden, envoyé de Hollande à Berlin, que ne pouvant me faire officier, par le refus du roi, il ne voulait pas non plus m'engager comme porte-enseigne, ce qui ne me convenait pas. Quand il m'a vu depuis à la cour du prince Henri il m'a toujours fait mille caresses. Cette fois j'écoutai patiemment tout ce qu'il jugea à propos de me dire, faisant voir de temps en temps que je différais d'opinion sur les datesGa naar voetnoot1) qu'il avait par rapport à nos affaires et que les patriotes lui avaient fait tenir. Peu à peu je m'engageai avec lui, ne découvrant nos ressources et nos liaisons qu' à mesure qu'il témoignait du penchant à nous secourir. | |
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Je puis me donner le témoignage d'avoir été surtout fort discret à l'égard de nos mesures avec l'Angleterre, parce que S.A.R. m'avait recommandé ‘de ne pas donner lieu au Duc de croire que la maison d'Orange, comme on le supposait à Berlin, dépendait du ministère britannique.’ Mais Fawcet, porteur d'une lettre du roi au Duc, lui en avait beaucoup dit et entr'autres il avait fait des efforts inutiles pour l'engager à nous donner des troupes en subsides, aux frais de l'Angleterre. La fin de notre longue conversation me fut très agréable, puisque le Duc s'avança aussi loin qu'il avait fait vis à vis de S.A.R. à Nimègue, désirant que l'affaire de la satisfaction fut trainée en longueur et traitée doucement, afin de ne pas pousser à bout ni la cabale patriotique, ni la France, avant qu'il n'eût rassemblé ses troupes dont les dernières arriveraient le 7 septembre. Alors il me fit un détail des corps qui composaient son armée, il me dit comment il s'en servirait, il me confia le plan de l'invasion et me demanda mon sentiment. Dans mes discours je faisais toujours sentir que je ne lui avais pas tout révélé encore, conduite que j'ai soutenue jusqu'au dernier moment, afin de ne pas me livrer à discrétion et d'entretenir l'ardeur que je lui voyais. Je lui dis: ‘Si V.A. est notre libérateur, Elle doit savoir tous nos secrets, mais je ne puis sans trahison lui donner les derniers renseignements avant de la voir sur nos frontières.’ S.A.R. me témoigna sa satisfaction à cet égard. Je fis bientôt entrevoir au Duc que libre, sans emploi, sans donner d'ombrage, je servais de liaison au parti, chez le peuple par nos sociétés, chez les membres du gouvernement par mes parents et mes amis, chez la Cour par les bienfaits que j'en avais reçus, chez les étrangers par la confiance qu'ils avaient prise dans ma discrétion et chez tous en- | |
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semble par mon étroite amitié avec Mr. de Rhoon qui n'avait pas de secret pour moi. J'ai souvent remarqué depuis qu'il me regardait avec surprise mais avec plaisir, et il aimait à apprendre comment j'étais entré dans les affaires, comment j'avais étudié différentes branches. Mon temps fut partagé à Wezel entre le Duc, qui me consulta bientôt sur toutes les nouvelles de Hollande, et entre mon cabinet, d'où j'écrivais de longues lettres à S.A.R. A peine eus-je le temps de voir les généraux et jamais n'ai-je pu aller à la parade. Il n'y avait rien qui me rassurât davantage que l'ardeur du Duc à se signaler par un coup éclatant, qu'il voulait bien cacher, mais qui était trop vive pour ne pas s'échapper dans des discours familiers. Tout ce que je dis à S.A.R., après mon retour à Nimègue, lui causa le plus sensible plaisir. J'avais été absent cinq ou six jours. Le Duc lui proposait un rendezvous à Clèves dont elle voulut que j'attendisse l'issue. Là tout fut confirmé des deux parts et S.A.R. écrivit, sous les yeux du Duc, une dépêche au roi, son frère. Elle m'avait dit ces mots: ‘Je vous suis très obligée,’ pour la première fois depuis que je m'employais pour Elle. C'est du même jour qu'est datée une lettre qu' Elle écrivit à ma mère pour la prier d'accepter pour moi mille florins par an, en attendant que je fusse placé plus avantageusement. Ma mère pendant mon absence et sans me consulter, m'excusa de les recevoir et lui recommanda ses quatre fils, l'ainé pour des emplois aux Indes, moi pour l'assemblée de Hollande, Guillaume pour des emplois dépendant de la Généralité et Frits pour les gardes. C'était dans le fond refuser une grâce pour en demander une plus grande. Je ne crois pas que S.A.R. ait été charmée de la réponse qu'elle reçut, quoiqu'elle n'en | |
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témoignât rien, sinon que dans la suite, Elle dit à ma mère quand elle vint à Nimègue: ‘Vous m'avez cruellement refusée.’ Il est difficile de décider si ma mère fit bien ou mal dans cette rencontre, car si d'un côté les grands s'offensent aisément, surtout de cette fierté qui fait décliner leurs bienfaits, s'ils sont plus attachés à ceux qui jouissent de leurs grâces qu'à ceux qui les méritent, et surtout à ceux qui méritent au delà de ce qu'ils peuvent donner, - d'un autre côté dans une république il est avantageux pour l'Etat que les membres d'État soient indépendants, et dans ce pays-ci ceux qui ne peuvent que suivre les volontés de la maison d'Orange sont moins considérés par elle-même que des personnes qui jouissent de plus de liberté, qui ne se soumettent pas aveuglément et même qui s'opposent à des mesures de la cour ou légères ou mal avisées. Quant à mes sentiments, cette circonstance n'y peut rien changer et j'ai des principes surs qui serviront toujours de règle à ma conduite. J'ai été touché de la bonté et de la délicatesse de S.A.R., mais je ne lui ai jamais parlé d'une affaire qu'elle paraissait désirer qu'il ne parût pas que je susse. Larrey en a parlé à ma mère pour l'engager à ne pas se refuser à une seconde instance, mais jamais ne s'est-il adressé à moi. Avant de partir je réglai une correspondance entre Bommel et Wezel, par le canal de R. Bentinck; mais celui-ci en chargea dans la suite Neuwirth, fils d'un ancien fourrier de la cour, ci-devant capitaine de haut-bord, qui a fait une fortune aux Indes, qui vivait bien en Gueldre, qui s'insinua dans les bonnes grâces du Duc et qui est aujourd'hui lieutenant-colonel à son service. La veille de mon départ Van de Spiegel et un Mr. van Citters arrivèrent de Zélande. Les États d'Utrecht avaient demandé des députés de toutes les | |
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provinces. Ou ne savait trop ce qu'il y avait à faire. Je n'ai jamais su la source de cette mesure. On en prenait tant qui n'avaient pas de suite! Van de Spiegel s'adressa à moi pour apprendre à connaître la carte du pays. Il avait manqué le Duc à Clèves. D'autres personnes accréditées se rendaient à Nimègue en ce temps-là et la considération que me témoignait S.A.R. m'attirait beaucoup de politesses. Il y avait entr'autres un Mr. Sjuck Rengers, aristocrate de Frise, qui, dit-on, avec HarenGa naar voetnoot1) et peu d'autres, gouverne sa province. Il négocia dans ces moments critiques un traité par lequel le Prince s'engageait à ne point changer le règlement en vertu d'une clause équivoque, expliquée différemment, à laisser nommer aux commissions à tour de rôle etc., moyennant quoi la Frise soutiendrait sa cause. La Princesse employa beaucoup dans ces affaires le conseiller Brantsen, que Haren nomme ‘aristocrate par excellence’ et qui est frère de l'ambassadeurGa naar voetnoot2). Depuis Grovestins m'a beaucoup entretenu de cette affaire, qu'il aurait voulu rompre; surtout quand, malgré la révolution, il ne plut pas aux États de Frise de porter à Leeuwarden la cocarde orange, quoique dans sa gritenie Rengers m'assura qu'il l'arborerait. Dans la fameuse conférence à Amersfoort, d'où je sortis pour me rendre à La Haye, aux prières de Mr. d'Aylva j'agitai la question de la Frise. S.A.R. dit qu'il ne tenait qu'à trois points, dont j'ai mentionné deux sans pouvoir me souvenir du troisième, et que la province serait assurée. ‘Ah!’ s'écria le | |
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Prince, ‘à présent qu'ils ont tout gagné sur moi, ils exigent encore mon consentement. Ce sont tous des faquins!’ sur quoi il sortit furieux et se mêla parmi ses courtisans à qui S.A.R. aussitôt, comme elle fait toujours en pareille occasion, se montra en souriant. Je me souviens que Van de Spiegel me dit un jour que le vieux Duc avait nourri le Prince dans l'idée que tous les régents étaient des coquins, et qu'il fallait travailler à détruire cette erreur. Quand je vois l'esprit de jalousie qui règne parmi ces gens, et comment ils élèvent toujours leur crédit et leur réputation sur la ruine de celle des autres, je comprends l'esprit de défiance du Prince. Le jour que la Princesse avait été à Clèves je l'avais passé à Rozendaal, où je trouvai Jean Bentinck, second fils de Mme de Varel et marié a Mlle d'AthloneGa naar voetnoot1). Jeune, dépourvu de connaissances et d'une bonne éducation, mais avec assez de bon sens et un très bon coeur, aimant la chasse et les exercices du corps, se donnant beaucoup de mouvements pour notre parti sans y rien comprendre, il s'arrêtait en Gueldre parce que ses amis voyaient du danger dans son retour à La Haye où sa requête avait été mise entre les mains des conseillers-committés qui le requirent de fournir l'original des signatures de l'Acte de consti[tu]tion en vertu duquel lui et ses collègues avaient présenté requête. Sa mère m'avait prié de l'amener ce que je fis. Nous partîmes ensemble et prîmes le même chemin par où j'étais venu. Il me fit confidence de toutes les affaires de sa famille. En passant par Delft nous vîmes des sentinelles bourgeoises au chemin de La Haye et en approchant | |
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de celles-ci nous aperçûmes des piquets qui campaient à l'entrêe de ce lieu. Bientôt nous fûmes informés qu'un détachement de huit cents hommes d'auxiliaires avait enfin, muni de patentes de la commission de Woerden, marché vers La Haye et que Mr. de Starrembourg, brouillé depuis peu avec la cabale, avait fait prendre aux conseillers-committés des résolutions pour défendre leur résidence. Depuis quelque temps nous avions cette démarche des vrijcorps à craindre, et comme ce moment fut décisif pour la cabale, il est à propos de présenter ici dans son vrai jour les desseins qu'elle avait formés. Mr. le Duc de la VauguionGa naar voetnoot1) a commencé, il y a sept ou huit ans, à remettre en mouvement tous les ennemis du Stadhouder et tous ceux de l'Angleterre. D'abord il voulut priver celle-ci de nos secours, ensuite il tâcha de nous engager contre elle. Le Prince avait beaucoup d'anciens ennemis qui ne pardonneront jamais à sa maison; il s'en était fait encore par la conduite du duc Louis, qui pour régner seul ne plaçait dans le gouvernement que des personnes incapables qui voyaient uniquement par ses yeux. Ces gens d'esprit, négligés ou rebutés par lui, rendirent dans la suite l'opposition encore plus formidable. Après que nous fûmes entrainés dans la guerre avec l'Angleterre, les batteries furent dressées contre le duc, et les succès militaires, qui ne pouvaient qu' être malheureux, lui furent attribués. Le Prince, incertain s'il fallait le soutenir ou l'abandonner, et ne trouvant pas peut-être dans son épouse une amie du Duc, qui l'opprimait, il ne le défendit pas jusqu'au bout. Quoique le Prince ait pu dire, dans l'assemblée de Hollande, d'un air piqué, qu'il | |
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savait voir par ses propres yeux, il n'est que trop sûr que le Duc l'a gâté dans son enfance, en l'élevant comme un sous-adjudant de bataillon, et que par son ascendant il l'obligeait à entrer dans toutes ses vues. Le Prince m'a dit lui-même que feu Mr. van Hees ne voyait que par les yeux du Duc. Dernièrement ma mère me rapporta une anecdote qui est bien dans le caractère du Prince. Il doit avoir autrefois dit, au sujet de ses courses à Loo, qu'il allait de Madrid à l'Escurial et de l'Escurial à Madrid. Mais il ne fut pas le maître après le départ du Duc, ni moins persécuté. La confusion se mit alors dans la conduite de la cour et la cabale française en profita. D'abord elle voulut se rendre maître de la Compagnie des Indes, s' allier à la France, donner des limites étroites au stadhoudérat, mais les prétentions de l'Empereur qui profitait des désastres de la République pouvaient, en causant une guerre, rompre toutes ses mesures. Elle résolut de s'en débarraser à tout prix. Cependant la France interposait sa médiation, tant pour conserver son crédit dans la République à laquelle elle avait déclaré que l'alliance ne pouvait se faire tant que durait ce différend, que pour éloigner une guerre qui pouvait devenir générale. Mr. Rendorp m'a dit qu'il tient du Rhingrave, négociateur en ce temps-là pour les patriotes à Paris, que la veille du jour que le traité avec l'Empereur fut signé à Versailles, il arriva un courrier à Paris où il ne trouva plus nos ambassadeurs. Que sachant la raison de leur absence et craignant de nouveaux obstacles il avait arrêté le courrier jusqu'au retour des ambassadeurs et qu'alors on lut dans ses dépêches que, pour obtenir la paix, il n'y avait qu'à souscrire et à payer les dix millions. Ce n'était pas cependant l'état qui l'écrivait. En ce temps-là Mr. William Sharp, de Virginie, | |
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homme d'esprit qui passait par Breda me dit: ‘Par tout ce que j'ai vu en Hollande, je dois croire que si vous avez la guerre, le Prince se relèvera.’ Notez que cet homme avait beaucoup vu les patriotes. J'imagine que la mollesse du Prince l'a empêché alors de profiter des circonstances. Je l'ai vu arriver à la parade à Breda annonçant, d'un air fort gai, que la paix était faite, ce qui nous désespérait. Il y avait quelque temps que S.A.R. était partie de Breda pour la Frise avec ses enfants. Ce fut la première fois qu'Elle se sépara de son époux et qu'Elle travailla seule. Mr. van der Hoop, le fiscal, appelle ce moment la révolution de la Frise, à laquelle il travailla beaucoup. Quand le Prince suivit S.A.R., il ne passa pas par La Haye, quelques instances que lui fît Reigersman, qui se rendit au jacht à Leyden dans ce seul dessein. Dès auparavant, quand au sujet d'une prétendue émotion populaire on lui avait disputé le droit de donner seul les ordres à La Haye, il avait voulu remettre la commission de cap[itaine]-général à l'assemblée et se retirer dans ses États. Il y eut à ce sujet une scène où Reigersman déplore que Mr. Rouse, de Zwolle, ait été présent. Depuis, le Prince a mené une vie errante en Frise, en Gueldre, en Zélande, en Utrecht. La fermeté des États de Gueldre qui réduisirent les villes de Hattem et d'ElburgGa naar voetnoot1) par des troupes auxquelles le cap[itaine]-général, présent dans la province, ne pouvait s'empêcher de donner l'ordre; cette mesure ferme, dis-je, donna un nouveau prétexte à la cabale, devenue plus | |
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forte encore par l'alliance conclue vers ce temps-là. On répandit des bruits absurdes; on osa montrer à l'assemblée de Hollande une lettre sans signature qui annonçait la marche du Prince à la tête des troupes vers la Hollande. En attendant on tremblait à Loo sur le succès de l'expédition contre Hattem. Le Prince fut suspendu en qualité de Capitaine-général de Hollande. A Rotterdam le peuple assemblé y força le magistrat. Quand je dis le peuple, j'entends toujours qu'il y en a deux et que chaque parti avait une voix du peuple à lui. Un négociant d'Amsterdam patriotique, deux mois après la révolution me dit: ‘Monsieur, le peuple veut ce qui se fait à présent’, (et en effet un étranger devait croire que le public n'était point partagé) ‘mais auparavant il voulait aussi ce qui se faisait alors. C'était un autre peuple.’ Il avait raison. La partie du peuple dont les chefs ont l'autorité en main, joue cependant le plus beau jeu, si ses chefs ne sont pas malhabiles. Ce coup porté au Prince pour une querelle des États de Gueldre avec des sujets excités à la révolte par la cabale patriotique, les piqua vivement contre elle. Dès lors les provinces se partagèrent. La cabale fit des efforts pour gouverner dans toutes, mais, à peine maîtresse en Hollande, elle ne put gagner que l'Overyssel, où l'on employa les mêmes moyens de violence qu'en Hollande, et la Groningue, où elle trouva beaucoup de peine à s'établir. En Frise les affaires paraissaient assez stables, en Zélande de même. Les États de Gueldre étaient affermis. En Utrecht la ville seule se remua, entraînant depuis Wyck et Montfort. C'était au fond, dans six provinces, l'aristocratie, mais tempérée, qui se défendait contre un système anarchique, sous le dehors feint de la démocratie. En Hollande le parti du Prince, qui ne voyait que de lâches régents, fut obligé de se | |
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rendre populaire. J'ai remarqué que le peuple, ignorant et passionné, se laisse émouvoir par les apparences, mais la classe intermédiaire entre lui et ses magistrats, capable comme eux d'ambition et plus riche depuis quelque temps, aspirait à obtenir une part quelconque à l'administration. Elle adopta les idées de la liberté civile et politique, défendue par Price et PriestleyGa naar voetnoot1), couronnée de succès en Amérique. Elle paya les milices bourgeoises qui paraissaient libres. Elle acheta une grande partie de la populace. Tous les sectaires entrèrent naturellement dans cette ligue. On écrivit pour prouver que la France devait protéger ce parti soi-disant démocratique. La cabale française ne pouvait s'y refuser: la haine contre la maison d'Orange les réunissait et, trop faibles pour rien entreprendre seuls, ils se joignirent pour travailler ensemble. On ne voyait pas moins les Pensionnaires, chefs de la cabale française, agir avec circonspection et ne donner dans la démocratie qu'autant qu'il le fallait absolument pour gagner ce parti qui se répandait souvent en plaintes contre eux. Les démagogues gagnèrent peu de régents, mais en se formant en sociétés politiques et armées, à force de dépenses, ils vinrent à bout de forcer le gouvernement. La commission de Woerden était de leur création et plus ou moins ils disposaient d'elle. Ils donnèrent des déclarations aux États et au public de leurs volontés, ordonnant des altérations dans la Constitution et menaçant leurs ennemis. Par eux s'étaient faits les changements de régences à Rotterdam et à Amsterdam. En ce temps-là Delft s'opposa heureusement à leurs | |
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efforts, mais au moment dont je parle, cette ville, Gorcum et Hoorn subirent successivement le même sort. La cabale française ne pouvait que soutenir ces mesures. Elle se perdait en les traversant. Quand, peu après le départ de LL. AA. de la Frise, le roi de Prusse mourut et que son successeur envoya le comte de Goertz pour soutenir les intérêts de la maison d'Orange dans la République, la cabale, pour échapper au péril, dut se jeter plus qu'auparavant entre les bras du peuple. C'était bien pis après les changements de régences par la voie des armes. Depuis ce temps un patriote n'osa plus donner le moindre soupçon d'aristocratie. La France fut comme entraînée par cette union intime. Le Rhingrave, d'abord ministre secret des Pensionnaires à Paris, ensuite chef d'une troupe au service de la Hollande seule et commandant de sept à huit mille bourgeois tant d'Utrecht que Hollandais auxiliaires, et qui par là servait de liaison entre la France, la cabale et les démagogues, le Rhingrave poussait les affaires à outrance, forçant les Pensionnaires à approuver ses témérités, excitant les milices bourgeoises à tout oser et donnant au ministère de Versailles les plus fausses notions. Le Prince de Galitzin m'a assuré que Mr. de Vergennes a envoyé Mr. de Rayneval en Hollande pour s'instruire de ces affaires dont il n'avait pas, disait il, une idée bien claire. Son envoyé reçut publiquement un présent de quatorze mille florins. Il n'écouta ici que des patriotes. Il fut cependant une espèce de médiateur entre le Prince et les patriotes. Peu après son départ, Mr. de Vergennes mourut. Ce ministre, selon Mr. de Grovestins, s'est plaint à celui-ci même d'avoir été trompé par le Rhingrave. Mr. de Rayneval était venu à La Haye avec de fortes préventions contre lui. Cependant il en fut captivé. Le Prince de Galitzin | |
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m'a assuré encore que Mr. de Vérac avait souvent eu des avertissements de songer qu'il était ambassadeur et pas chef de parti. Il avait cependant dans son hôtel des émissaires comme un CoëtlouriGa naar voetnoot1) dont Mr. de Goertz m'a assuré qu'il avait une commission. Il n'est pas moins sûr que Mr. de la Côte, beau fils de Mr. de Vérac, n'ait fait marcher ce bonhomme comme il voulait. Je crois aussi que la cabale française, entraînée, comme j'ai fait voir, par les démagogues, a engagé la France plus loin qu'elle ne désirait et que la mission, par des raisons particulières, s'y est prêtée. L'ambassadeur se fit saluer par le camp de bourgeois dont je vais parler. Enhardis par leurs succès, par la faiblesse des régents patriotiques, par celle du Prince, les démagogues résolurent de mettre l'assemblée de Hollande dans leur dépendance en changeant toutes les régences des villes qui leur étaient contraires et en chassant alors, d'une voix unanime, le corps des nobles qui s'était réuni en faveur de la bonne cause. Pour cet effet la commission de Woerden ordonna au régiment de Sturler de quitter la Brille et pourvut de patentes en blanc signées, plus [de] six cent milices bourgeoises qui allaient, disait-elle, purger la Sud-Hollande, tandis que dans la Nord-Hollande une autre troupe devait se former pour le même effet. En même temps il y eut à Amsterdam une assemblée générale de toutes les sociétés patriotiques pour délibérer sur la forme du gouvernement qu'on voulait introduire. Dès longtemps ces sociétés avaient demandé la suspension du Prince en sa qualité de stadhouder. Plusieurs villes avaient pris des résolutions en conséquence et se conduisaient comme si les Etats avaient | |
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conclu l'affaire. Voilà l'état où je trouvais la Hollande en venant apporter à mes amis la nouvelle que les Prussiens nous sauveraient. Ils eurent de la peine à m'en croire. Le jour de la remotion à Delft enflamma la colère du peuple à La Haye. Il murmurait hautement contre Mr. de Rhoon dans toutes les sociétés; quelques uns le soupçonnaient de trahison. Il avait cependant offert au magistrat de Delft trois cents hommes qu'on n'avait eu garde d'accepter. Ces mécontentements firent un très mauvais effet dans le public; on disait Rhoon perdu dans l'esprit du peuple. Je sentis la conséquence de cette erreur qui détruirait le respect qu'il avait toujours encore inspiré aux patriotes. Je résolus de me produire avec lui dans les sociétés et de prendre la parole. Nous convimnes du temps et de ce qu'il fallait faire. Rhoon, reçu avec impatience et avec une vivacité mal réprimée, commença par exposer tout ce qu'il avait fait pour eux, par leur montrer qu'il n'avait pu mieux faire, par donner de nouvelles protestations de son dévouement à la bonne cause et enfin il leur recommanda de ne pas prêter l'oreille à des calomniateurs, gagés apparemment par le parti contraire, pour semer la division parmi nous. Quand il eut dit, plusieurs voix s'élévèrent; peu se firent entendre; c'étaient des plaintes et quelquefois des reproches. Il y en eut un qui s'écria: ‘Mettez vous à notre tête et nous vous suivrons tous!’ - ‘Qui suivra?’ - On cria: ‘Nous, nous!’ Mais j'avais remarqué que le plus grand nombre avait gardé le silence. Aussi je me levai un peu au-dessus de mon port ordinaire et regardant autour de moi avec un air de sévérité, je dis: ‘La plupart d'entre vous n'ont pas répondu. Et où donc iriezvous? Supposons que demain l'on vous donne | |
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rendez-vous ici, que vous y veniez tous, ce que je ne croirai jamais: que faut-il faire? Nous ne pouvons plus sauver Delft qui a refusé le secours. Faut-il se perdre pour ceux qui ne se défendent pas, que dis-je! qui empêchent leurs amis de se défendre! Mais vous craignez pour la Haye? Rassurez-vous: nous avons pris des précautions, nous sommes informés de toutes les démarches de nos ennemis. Si vous voulez, tenez-vous prêts au premier signal à vous assembler pour la défense de vos femmes et de vos enfants. Si vous voulez davantage, nommez vos gens de confiance et nous parlerons avec eux. Il n'y a rien de si hardi, s'il y a du succès à en espérer, à quoi nous ne nous prêtions pour l'amour de vous.’ Alors un homme sage et modéré monta sur une table pour commenter mon discours. On résolut de ne nommer que les directeurs de la société pour prendre les arrangements convenables. Il y eut des sentinelles de tous côtés et sans doute si le campGa naar voetnoot1) avait voulu entrer à La Haye, toute cette canaille était massacrée et la révolution commençait au moment même à se faire. Le gouvernement avait pris les mêmes alarmes que le peuple. Les conseillers-committés, comme j'ai dit, avaient mis la garnison sous les armes partout où le camp pouvait se porter. Il s'était accru jusques à près de douze-cents hommes, peu formidables par leur valeur et leur discipline, puisque c'était en grande partie du rebut qui ne se connaissait pas auparavant, ni par le nombre, puisque la garnison de La Haye était forte de cinq bataillons et de quatre ou cinq cents chevaux. Mais les États d'Hollande les protégeaient ou plutôt leur obéissaient, et que ne peut | |
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l'autorité sur des gens d'honneur, comme le grand nombre de ces militaires! Ils craignaient à chaque instant de recevoir un ordre de garder leurs quartiers pendant que les milices entreraient et se joindraient au vrijcorps de La Haye. Que faire alors? Nous y songions de notre côté. Nous rassemblâmes chez Rhoon, Charles Bentinck, Plettenberg, Otto Styrum, capitaine aux gardes, Graevestein, adjudant, Mysson, des gardes à cheval. Peu après Bigot, député de Frise aux États GénérauxGa naar voetnoot1), et qui conférait avec ses collègues, se joignit à nous. Les avis étaient toujours fort partagés et la conclusion, qu'on ne pouvait rien faire; mais je réussis à les faire convenir d'une commune voix, que si par l'entrée des milices à La Haye, les collèges de la Généralité avaient tout à craindre, elle à qui le serment primitif des militaires les attachait si saintement, il fallait, plutôt que d'obéir à des ordres d'une assemblée de Hollande illégitime, pourvoir à sa propre sûreté en se rangeant sous les ordres seuls de LL. HH. PP. et du conseil d'État. Bigot, lorsqu'il parut, parla fortement sur le même ton et donna des assurances auxquelles on répondit comme il pouvait le désirer. Dès qu'il y aurait du danger, les collèges devaient s'assembler, toute la garnison se mettre sous les armes et la Haye être mise en état de défense contre une surprise; la bourgeoisie de La Haye, dont neuf cents hommes étaient prêts à tout faire, était entrée dans cette conspiration par le moyen du colonel et de quelques officiers, de manière qu'à la moindre tentative des patriotes, tout se soulevait contre eux. Il est incompréhensible que ces mesures aient été si longtemps couvertes du voile du mystère. Était-ce | |
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que l'animosité réciproque n'admettait plus de trahison ni même d'imprudence par le peu de communication entre les partis? Cette affaire était en bon train quand je partis pour Wezel la seconde fois, comme je dirai ensuite. En même temps Mr. Paravicini, colonel de l'artillerie, devait essayer au delà de cent pièces de canon, et comme il n'y avait pas d'artilleurs à la Haye, il demanda au Conseil-committé des soldats des gardes que Royer lui fit accorder et qu'il dressait non pas pour les essais, mais pour servir, en cas de besoin, contre le camp volant. J'ai dit que Mr. Harris fut chargé de nous offrir de l'argent, des munitions et des hommes. Je ménageai une entrevue entre lui et Roest, de la Brille, et je fis remettre à ce dernier trente mille florins. Harris lui promit du secours en force s'il s'agissait jamais d'un siège. Il lui offrit toute la poudre qu'il fallait, pourvu que ce fut en secret qu'on l'introduisit en ville. Il lui promit des artilleurs dès qu'il en demanderait. Après cela nous pouvions nous tenir sûrs de cette ville où nous nous serions retirés, en cas de malheur, pour commencer de là la guerre civile, résolus de plutôt tout sacrifier que d'abandonner la patrie à des traîtres, qui la gouvernaient. J'eus un chagrin; c'était de ne pouvoir confier à Rhoon des affaires de cette nature. Il voulait d'ailleurs former un vrijcorps; il faisait venir des armes, il perdait un temps précieux à faire l'exercice. On avait moins de confiance en lui. Je le lui avais prédit dès longtemps, mais en vain. J'avais même engagé S.A.R. à lui donner de bons conseils, lui remontrant qu'elle était trop intéressée à la conduite d'un jeune homme qui aspirait à tout ce qu'il y avait de plus grand pour l'abandonner à mille faux pas qu'il faisait. La Princesse me dit: ‘Vous voulez que je lui donne une meilleure | |
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éducation?’ Je n'hésitai pas de répondre qu'oui, mais je doute qu'elle ait exécuté tout ce qu'elle me promit. Depuis, à la Haye, je sais qu'elle a eu avec lui une conversation où tous deux ont parlé avec beaucoup de confiance, mais S.A.R. crut avoir parlé avec beaucoup de franchise et Rhoon pensait qu'il avait fait de même, l'un et l'autre pour opérer une conversion et se flattant également d'avoir réussi. Je le sus de la bouche de S.A.R. et de Mr. de Rhoon le même jour. Revenons à la matière. Mr. Royer qui avait d'excellents plans de nos frontières, me donna tous ses mémoires pour en faire extrait pour le Duc. Je rassemblai d'ailleurs toutes les informations qui pouvaient lui être utiles. Mais un travail plus essentiel, c'était le plan de la révolution à l'approche de ses troupes. Dès le 10 aout, avant de partir la première fois pour le voir, sur ce que j'appris de Reigersman qu'on méditait au coup décisif, j'avais couché sur le papier mes idées. Je les fis voir à Royer et à Reigersman qui y applaudirent. Je voulais par des propositions, des requêtes, des ordres aux troupes, réunir pour cette fois toutes nos ressources. Tout devait n'avoir d'autre but que le rétablissement du Prince, ce qui coupait la racine du mal. J'ai encore les papiers et je ne m'étendrai pas davantage à ce sujet. Il fallut mettre tout cela en ordre et Reigersman devait, au moment propice, tout découvrir à Rhoon pendant que j'agirais aux frontières. Alors par nos relations avec les sociétés, je voulais tout d'un coup faire présenter requête par tous les bienintentionnés, faire rétablir tumultuairement les régents démis par les patriotes et proposer aux États de casser toutes les résolutions contre le Prince, pendant que le peuple arborerait la cocarde orange en signe du voeu unanime pour la révolution. | |
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Je sentais bien qu'il pourrait se faire que les choses se fissent plus vite, mais cela n'était pas si sûr qu'il n'était essentiel de prendre toutes sortes de mesures. Peu avant l'invasion prussienne, quand S.A.R. fut voir deux escadrons de hussards qui passaient par Clèves et que beaucoup de monde s'y rendit de Nimègue et d'autres villes de la Gueldre, je remarquai sur le visage des amis de la maison d'Orange une impression si vive de joie, d'espérance et d'audace, que jugeant par là de l'effet que l'apparition des troupes ferait en Hollande, je dis à la Princesse que la révolution pour laquelle nous préparions tant de matériaux, se ferait apparemment comme par un coup électrique, avec une promptitude qui rendrait superflues toutes nos mesures. Cela arriva en effet. Je m'en réjouis et quand ceux qui avaient été prévenus sur les requétes projetées vinrent ensuite me les demander, je répondis que tout cela ne devait servir qu'a opérer le rétablissement du Prince, auquel il ne manquait plus rien. Je ne pouvais m'empêcher néanmoins de ressentir de la peine de ce que par la mésintelligence entre Rhoon et Reigersman, le premier ne fit aucun usage de la proposition à faire aux États par l'ordre équestre, que j'avais conçue, mais que Reigersman lui remit sous son propre nom. Si dès lors cette proposition avait passé, comme tout passait en ce moment, on n'aurait pas eu depuis toutes les peines qu'on a eues. Je ferai voir cela plus en détail quand je serai parvenu à cette époque. Toutes choses arrangées comme il le fallait, je partis pour Nimègue, prenant encore la route de Breda et de Bois-le-Duc. J'avais engagé ma mère et mes soeurs à quitter la Hollande pour quelque temps, et elles se rendirent à Nimègue par Amsterdam et Wesep, disant en route qu'elles allaient à Zwolle chez des parents. | |
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A peine arrivé, j'appris que S.A.R. avait avec le Duc une conférence à Clèves; je me mis aussitôt en voiture pour m'y rendre et les trouvant à table chez la baronne de Spaen, je me fis annoncer à S.A.R. qui me fit demander si j'avais diné. On me pria d'entrer et de m'asseoir. Il y a des circonstances où l'on est extrêmement caressé de tout le monde; c'est lorsque les grands, qui ont besoin de nous, ne négligent rien pour flatter notre vanité, et que ceux qui s'empressent autour d'eux et qui achètent chèrement les moindres faveurs de leur part, sont frappés d'admiration en voyant ces bonnes grâces prodiguées à un mérite que dans le premier moment ils ne devinent pas. Je me trouvais dans une circonstance pareille. Mr. de SpaenGa naar voetnoot1) fils se leva pour me donner sa place et me força de la prendre à côté du prince Guillaume. Adolphe de Rechteren, assis à l'autre bout de la table, me regardant avec surprise, me dit: ‘Voulez-vous que je vous fasse place ici?’ On ne me permit pas de l'accepter et, après diner, quand je m'entretins si longtemps avec les principaux personnages, soit ensemble, soit avec chacun en particulier, Rechteren, comme les autres, revint de son étonnement. Je me dois ici le témoignage que tout flatté que je dusse être en ces temps-là de l'accueil qu'on me faisait toujours, et quoique ma vanité parût quelquefois, cependant ma conduite a toujours été si sage à la cour même, que depuis, quand on me laissa languir dans une antichambre, et qu'on parut avoir renoncé à me faire politesse, soit à cause du changement des circonstances ou soit que l'humeur du Prince ne s'accommode pas de ces préférences, personne ne me | |
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traita avec moins d'égards ni ne parut charmé de cette espèce de disgrâce. J'ai traité dans une pièce: ‘Sur la part des trois puissances aux affaires de la République’Ga naar voetnoot1) de tout ce que je fis alors tant chez S.A.R. que chez le Duc pour favoriser l'invasion. A Wezel je recevais tous les jours une dépêche de S.A.R. qui contenait les nouvelles, mes lettres de Hollande qu'elle ouvrait et quelques lignes de sa part. Le Duc me faisait voir tout ce qui lui arrivait de Prusse ou de Hollande. Il n'y avait que des nouvelles secrètes de la cour qu'il me faisait sentir plutôt qu'il ne me les communiquait. De retour à Nimègue j'assurais S.A.R. que le coup serait porté, mais elle doutait encore. Le reste du monde l'assurait du contraire. De là la certitude parmi les patriotes en Hollande qu'ils n'avaient rien à craindre, et leurs plaintes de trahison qu'ils firent dans les premiers moments. De là les avis qu'on voulut que des personnes dans la confidence de S.A.R. lui donnassent sur les véritables dispositions du Duc, qui à ce qu'on prétendait la berçait de fausses espérances. Enfin ce Prince arriva à la tête d'une colonne. La Princesse avec sa cour se trouvait devant le Bourg où les troupes passaient. J'étais dans un froc si simple que ma mère en eut honte. Quand le Duc eut passé S.A.R., qu'apparemment il n'attendait pas là, il sauta à bas du cheval et lui fit des excuses, du geste plutôt que de la voix. Elle y répondit de même. On parla peu. Le Duc était réellement embarrassé. Je remarquai sur son visage de vives agitations. Il m'aperçut, passa devant le prince de Hohenlohe, pour me prendre par la main et me mener à l'écart, se promenant longtemps avec moi pour s'instruire de | |
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l'état des affaires depuis que je l'avais quitté. ‘Songez’, me disait-il de temps en temps, ‘songez bien à ce que vous faites’. Ensuite à l'auberge où il se renferma avec moi, jetant les yeux sur une petite estampe qui représentait Charles I sur l'échafaud, il me rappela tout ce qu'il m'avait dit sur le danger auquel on exposait le Prince, qui certainement perdait tout et peut-être la vie à moins que l'entreprise ne fût couronnée du plus heureux succès. En effet il m'avait cité cette malheureuse famille de Stuart ‘qui certainement avait plus de droit au trône que la famille régnante et qui après tant de malheurs croupissait dans la misère’. Ordinairement j'avais tous les jours des arguments pareils à réfuter, mais je ne désespérai jamais, parce que je démêlais toujours l'ardeur du Duc pour une entreprise aussi glorieuse que celle de rétablir un édifice que la France minait depuis six ans et parce qu'il eut enfin une si juste idée de la situation des affaires qu'il me dit: ‘Il vous faudrait un homme qui, à la tête de cinq mille soldats bien disciplinés, vous servit deux mois, et tout serait dit’. Avant que le Duc partit de Nimègue je dis à S.A.R. que s'il avait besoin de moi pour le suivre, j'étais à ses ordres, mais que je craignais que si je m'offrais à lui, il ne crut que je le désirais et qu'il ne me l'accordât par politesse. Je priai la Princesse de songer que, n'étant plus au service, je ne me sentais nulle vocation de prendre des villes, mais que j'étais prêt à tout ce qui pouvait hâter la révolution, dussai-je m'exposer à plus de dangers encore que je n'avais fait jusqu'alors. Je fis en même temps observer à S.A.R. que dès ce moment si l'entreprise manquait mon sort était décidé et que ma patrie et toutes mes espérances de fortune et d'établissement étaient perdues pour moi. | |
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Je lui dis que, pour cette raison, j'avais engagé ma mère à se retirer en Gueldre afin que dans les premiers moments elle ne fut pas enveloppée dans mon malheur. ‘Vous sentez bien’, me répliqua-t-elle avec vivacité, ‘qu'on ne vous abandonnera pas’. Le Duc, ayant passé la rivière quand je le quittai, me pria de venir le joindre quand je le jugerais convenable pour le bien des affaires. Il fit plusieurs grâces à ma réquisition; il s'entretint avec plusieurs personnes que je lui présentai et qui pouvaient lui être utiles dans la suite. Peu après son entrée il eut avec S.A.R. et Mr. Rengers, de Frise, frère du chambellan, une longue entrevue sur les affaires de cette province. Les mécontents, depuis la révolution dont j'ai parlé plus haut, avaient conservé d'intimes relations avec les patriotes en Hollande et même avec la France. Ils nourrissaient l'espoir de faire une seconde révolution qui changeât la face de cette province et qui, en joignant sa voix aux États-Généraux à celles de la Hollande, de la Groningue et de l'Overyssel, y formât une majorité patriotique. Le chevalier de TernantGa naar voetnoot1), que j'ai connu dans les treize États et qui avait commandé, depuis, une brigade de la légion de Maillebois, liant, ambitieux et propre à prendre tous les caractères, avait été en Frise après un tour en Overyssel où les États l'avaient nommé généralissime de la province. Il forma le plan de la révolution dont nous eûmes copie par un hasard des plus singuliers. | |
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Ce papier arriva à La Haye sous l'adresse de Mr. d'Aylva, patriote et fut remis à Mr. Hobbes Aylva d'EbersteinGa naar voetnoot1), officier aux gardes. Se doutant de faire quelque découverte, celui-ci ouvrit le paquet et me donna le papier pour l'envoyer aussitôt à S.A.R. Depuis Grovestins père l'a donné à Larrey avec beaucoup de mystère et celui-ci voulut le mettre en chiffre avant de le dépêcher. En attendant j'avais, depuis plusieurs jours, fait la besogne, quoique sans éclat. Mr. de Ternant, quand je le rencontrais à La Haye, cachait devant moi ses véritables sentiments. Un jour je le vis en rue qui venait de Paris. Je lui en témoignai de la surprise, m'attendant plutôt, disais-je, à le voir arriver d'Overyssel. Il fut un peu confus et comme honteux de la dignité qu'il y tenait. Dans la conversation il me dit: ‘Qu'il avait assuré les États qu'il se rendrait chez eux dès qu'il s'agirait de commander, mais qu'il n'y avait rien à faire encore; que de tenir les milices bourgeoises rassemblées coûterait trop; que la province avait des fonds plus qu'on ne pensait, mais qu'il fallait se garder de dissiper ces trésors mal à propos; qu'au reste ces milices, quoique composées de Goths et de Visi-Goths, valaient celles de nos villes.’ Notez qu'en ce temps-là les Prussiens s'assemblaient déjà et que depuis ce même homme, pour rassurer son parti, osa dire qu'on connaissait le prix d'un général prussien, que le duc de Brunswick pouvait être plus cher qu'un autre, mais qu'on l'aurait. Paroles que R. Bentinck me pria de rendre au Duc. Il fallait à Mr. de Ternant pour la révolution deux | |
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millions de livres et Mr. RendorpGa naar voetnoot1), si je ne me trompe, m'a confirmé que deux fois on a payé trente mille florins à un comptoir d'Amsterdam pour les insurgens de Frise, mais, qu'après l'invasion prussienne, les lettres de change ne furent plus acceptées, ce qui sans doute a donné lieu à Mr. Beyma de dire à ses amis assemblés à FranekerGa naar voetnoot2) que, puisque la Hollande avait succombé, il ne voyait plus de moyen de se soutenir. Le prince de WaldeckGa naar voetnoot3), qui commandait à Franeker, était fort bien avec les aristocrates, mais plus entreprenant qu'eux. Il craignait moins aussi, en écrasant les patriotes, de trop relever le parti purement d'Orange, c'est à dire, qui aimerait voir cette maison revêtue d'un pouvoir presque absolu. Je lui ai entendu dire au Duc à Overtoom qu'il y avait à Leeuwarden des bourgeois armés qu'il s'est offert d'obliger à poser les armes, mais infructueusement. Vers le temps dont je parle, quelques membres d'État s'étaient séparés de l'assemblée et s'occupaient à en former une à Franeker qui s'arrogeait la puissance souveraine. Quand nous reçumes la nouvelle chez Harris à un grand diner, il nous dit: ‘Voyez Rengers inquiet et déconcerté tout Sjuck qu'il est’Ga naar voetnoot4). C'est que sous ce nom il est célèbre pour sa politique et son crédit. En même temps plus de mille miliciens se jetaient dans la ville, et peu après un détachement de la légion de Salm, commandé par le major Döring, vint les joindre. On ne douta plus de leurs intentions hostiles mais on eut de fortes appré- | |
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hensions quand il y arriva de l'artillerie pendant que les États avaient à peine quinze cents hommes de troupes réglées et deux pièces de canon. Leeuwarden d'ailleurs n'est pas tenable. Dans cette extrémité le prince Louis demanda du secours au Duc qui n'osa lui en accorder, se défendant par les termes de sa commission qui regardait la Hollande seule et croyant avec raison que s'il terrassait le parti, il ne pourrait se soutenir dans les autres provinces. Voilà ce qui apparemment l'empêcha de prêter l'oreille à nos fréquentes prières pour l'engager à envoyer du monde sur les frontières de la Groningue, qui chancelait et où cette manoeuvre pouvait causer une révolution. Le Duc, qui ne pouvait se cacher néanmoins le danger de la Frise, et vivement sollicité par S.A.R., promit de favoriser le passage de deux de nos régiments par l'Overyssel, qui suffisaient pour délivrer la Frise. La province les demandait avec instance, mais celle d'Overyssel refusait le passage; le Duc le demanda pour ses troupes et donna ordre aux hussards de Goltz de marcher lentement par la province. Ces hussards y demeurèrent depuis pendant plusieurs mois et, au moyen d'une déclaration signée par le Duc, qu'on fit répandre dans la province, il n'y eut pas la moindre résistance. R. Bentinck et Zuideras avaient depuis longtemps des desseins sur Deventer. En y rétablissant la régence, démise par les démagogues, cette ville réunie à la majorité du corps des nobles, détruisait tout l'ouvrage des patriotes. Bentinck m'en parla. Je dressai une note pour le Duc, je couchai par écrit la déclaration, j'y joignis une lettre et quand Bentinck eut tout lu, il s'écria: ‘Le Prince et la Pirncesse devraient chasser tous leurs courtisans et prendre à leur service deux hommes comme vous. Ce serait sauver la maison et l'État.’ Le Duc ap- | |
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prouva le plan, il signa la déclaration et en même temps il me pressa de le joindre. Il y a une circonstance intéressante que je dois bien me garder d'omettre, c'est que Mr. van Berckel, ayant demandé pour un ItalienGa naar voetnoot1), établi à Amsterdam et dont j'ai oublié le nom, un passeport des États de Hollande ‘ad omnes populos’, ce négociateur était parti pour Berlin afin de prévenir la marche des troupes qu'il rencontra en Gueldre. Il s'adressa au Duc et à S.A.R. pour les conjurer de ne pas aller plus loin. Le Duc fut ému par ces discours, tant il était porté à croire que par le coup qu'il allait frapper, loin de rétablir les affaires du Prince, il les minerait. Il écrivit à la Princesse qu'elle avait tout encore entre ses mains, qu'il pouvait suspendre les opérations. Elle me le raconta avec ce sourire qui marque la supériorité et l'éloignement de vaines appréhensions qui caractèrisent la conduite qu'elle tint dans tout le cours de cette affaire. Sa réponse montrait assez qu'elle attendait du Duc l'exécution des ordres qu'il avait reçus: ‘Ce n'est pas moi’, disait-elle, ‘qui suis cause des maux auxquels la République est exposée, c'est une cabale qui aime mieux perdre la patrie que son pouvoir usurpé. Que cet envoyé sans aveu aille tenir de pareils discours aux particuliers qui l'envoient. Je ne recevrai plus des gens comme lui.’ Elle avait d'autant plus de raison de s'indigner que ce fou de GrothausenGa naar voetnoot2), revenant de Hollande avec le dernier courrier du Duc, s'était introduit la nuit dans l'antichambre de S.A.R. qui s'était levée pour | |
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voir le courrier, capitaine et aide-de-camp du Duc. Grothausen débita une morale commune et impertinente. Cet homme était arrivé de Berlin à Wezel et s'était vanté d'une commission du roi pour prévenir les voies de fait. Il fut à Utrecht, à la Haye, à Amsterdam et le Duc m'a fait voir de ses lettres, qui marquaient que les chefs de la cabale, sur ses remontrances, étaient prêts à tout accorder au roi. Je l'ai revu à Overtoom et dans les rues d'Amsterdam; on disait qu'il se mêlait de toutes sortes d'affaires sans nulle vocation. Tollius me dit qu'il l'avait eu une après-dinée chez lui, que cet homme voulait introduire chez nous la constitution anglaise; que pour cet effet il prétendait qu'il fallait de nouveau embrouiller les cartes, écrire contre le Prince et remuer les esprits. Le Duc le nommait un fou et se servait de lui en certaines rencontres comme d'un espion. Depuis l'accueil que S.A.R. avait fait au sermon de Grothausen, le Duc ne songea plus qu'à pousser ses opérations. En Hollande on ne pouvait croire que les Prussiens fussent en marche. Les premiers jours on délibérait à l'assemblée avec beaucoup de sécurité. On résolut cependant de faire marcher à Gorcum le bataillon de Sturler qui était à la Brille. On en avait donné l'ordre quand le camp volant se tourna de ce côté, mais en vain. Le magistrat au contraire avait fait trainer du canon sur les remparts. L'autre bataillon du même régiment, en garnison à Helvoetsluys, s'entendait parfaitement avec le premier. Tous deux avaient quitté le cordon de Hollande sur une lettre du canton de Berne qui défendait à ses troupes de se mêler des affaires entre les provinces et leur enjoignait de nouveau, en vertu de leurs capitulations, de n'obéir qu'à la Généralité. J'ignore si Mr. Harris s'est ouvert à Mr. Sturler, quoique j'en aie eu quelque | |
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soupçon, mais je sais bien qu'on forma un collège de défense à la Brille où l'on admit un capitaine du régiment. Le Chevalier appuyait toujours vis à vis de Royer et moi sur la nécessité de conserver le port d'Helvoet, et nous le priions quelquefois d'y faire paraître quelques frégates pour encourager les habitants. Peu avant mon dernier départ de La Haye, j'écrivis à S.A.R. pour obtenir des artilleurs déguisés, qui, par la Zélande, se rendissent à la Brille, et Elle chargea Bentinck de ce soin. Les Suisses à Helvoetsluys s'exerçaient à manier le canon. Tous nos artilleurs avaient fait leur retraite sur les résolutions de LL. HH. PP. Voilà ce qui donna lieu aux convois français qui firent tant de bruit quand les États-Généraux s'en plaignirent à Versailles en termes fort mesurés, et plus encore quand aux moyens des papiers d'un l[ieutenan]t de la Barrière, on eut des pièces authentiques à produire, sans que les ministres osassent les désavouerGa naar voetnoot1). Ces Français ont fait la défense d'Amstelveen qui pensa arrêter toute l'armée prussienne comme elle aurait dû faire. L'ordre des États donné par trois fois aux Suisses de quitter la Brille ne fut suivi ni par les troupes ni par le magistrat. Ce dernier envoya même une nomination au Prince en sa qualité de Stadhouder, en dépit d'une résolution toute récente des États. On m'a assuré que dès l'époque du camp-volant, quand Delft eut subi le joug, la majorité du conseil de la Brille voulut se soumettre, mais que le conseil de guerre bourgeois s'y opposa, faisant insinuer par une députation qu'il ne le souffrirait jamais. Roest | |
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ne contribua pas peu à la contenance qui fut tenue ensuite et Van Helsdingen allait encore la tête levée à l'assemblée des États. Quand je donnai ces détails au Duc au bourg de Nimègue, il dit tout haut: ‘Voyez ce que peut faire une seule petite ville, quand elle a de la fermeté.’ Dans le cours de cette semaine les États mirent encore en délibération d'envoyer des gardes à Gorcum et dans les environs. Le corps des nobles protesta que sur une affaire de cette importance il ne fallait pas se hâter de résoudre, et il obtint que la proposition fut remise à la semaine prochaine. J'ai dit plus haut ce qui aurait eu lieu si l'ordre de la marche avait été donné. Du reste la réponse catégorique demandée par le Roi qui donnait quatre jours de délai fit à l'assemblée des États et parmi les chefs de la cabale l'effet que j'avais attendu et que j'avais prédit au Duc. Frappés comme d'un coup de foudre, les pensionnaires ne savaient s'il fallait se défendre ou souscrire à toutes les conditions. Amsterdam était portée aux plus grandes extrémités par sa situation locale qui la rend presque inabordable. Mais notez que Mr. van Berckel seul était présent à l'assemblée et qu'il disait dans le public que pendant son dernier séjour dans Amsterdam, il avait reconnu qu'il coulait du sang patriotique dans les veines de ses concitoyens. Apparemment il avait assisté à quelque délibération du collège de défense ou à quelque conclave de démagogues. A mesure que les villes s'éloignaient par leur position locale de celle d'Amsterdam, les avis mollissaient. Gouda s'opposa même à la proposition de transférer l'assemblée à Amsterdam, soutenant que le souverain serait peu respectable au milieu d'inondations. Mr. van Wyn, pensionnaire de cette ville, avait depuis longtemps chancelé, respectant surtout les droits du Stad- | |
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houder qu'on attaquait directement. Cette fois il parut se moquer de ses collègues. Le corps des nobles en attendant jetait les hauts cris, avec d'autant plus de liberté que ces messieurs riaient sous cape. Mr. de Twickel, il y avait longtemps, s'était rendu à Nimègue pour recevoir de la bouche de S.A.R. des assurances de l'arrivée des Prussiens. Mr. de Starrembourg, qui avait été voir le camp-volant à Delft, était revenu rossé par cette canaille et comme depuis ce moment il n'avait osé lever les yeux, rien ne pouvait lui paraître plus désirable qu'une révolution qui ordinairement jette un voile épais sur le passé. Mr. de Rhoon risquait tout si les affaires ne changeaient bientôt de face. Il voulait ériger un corps-franc à La Haye. Il faisait venir des armes de toutes parts. Charles, à mon dernier départ, me dit: ‘Revenez avec les Prussiens, mais ne revenez qu'avec eux, dussions-nous tous être sacrifiés à leur approche.’ Je m'ouvris à lui plus ou moins et depuis il a dit: ‘Sans Hogendorp les Prussiens n'y seraient pas encore’. Mr. de 's Gravenmoer se rangeait toujours du côté de Mr. de Rhoon. Les conseillers-committés, qui depuis la réprimande au sujet des précautions prises contre le camp volant n'étaient plus que d'aveugles instruments entre les mains de la cabale, et qui se laissaient indignement gouverner par les membres patriotiques du collége, craignant une explosion parmi la bourgeoisie armeé de la Haye, résolurent de la désarmer. Il n'y avait pas longtemps qu'ils avaient donné des déclarations à la garnison et à la bourgeoisie qu'on fit imprimer et répandre par leur ordre pour ôter à toutes deux l'appréhension d'avoir déplu à LL. NN. PP.Ga naar voetnoot1) et de recevoir un ordre ou de rendre les armes ou de quitter La Haye. Cette démarche montrait beaucoup | |
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de faiblesse dans les patriotes qui à l'assemblée de Hollande consentirent sous main à la déclaration que Royer y fit voir. Elle prouvait aussi les ménagements que ce collège voulait conserver pour les bien intentionnés. En effet depuis que Mr. de Starrembourg y présidait et qu'il avait changé de conduite, Mr. Royer commençait à diriger les affaires si bien que la commission de Woerden trouva beaucoup de résistance et que le bon parti espérait tout de ce collège en cas de rupture ouverte. Ceci prouve bien ce que le fiscal Van der Hoop m'a dit souvent que le président et le secrétaire d'une assemblée sont en état de la diriger. Mais depuis la catastrophe de Mr. de Starrembourg, tout avait changé. Peu à peu on mettait la bourgeoisie hors d'état de se défendre. Tantôt on lui interdisait de doubler ses gardes, tantôt de battre l'alarme; enfin on voulut lui faire rendre ses cartouches à balle. En même temps on protégeait le faible corps-franc. On lui accordait la consigne, les honneurs militaires, une place d'assemblée. Ce corps plaça enfin une garde au Wagestraat avec du canon qui lui fut accordé tandis qu'on le refusait au régiment des gardes. Tel était l'état des choses en Hollande quand la nouvelle de l'invasion prussienne fit retirer les patriotes à Amsterdam. Le Duc avait marché sur Gorcum avec sept mille hommes, le long de la digue du Waal: deux colonnes avaient longé le Leck des deux côtés jusqu'à Vianen, après avoir en partie passé la rivière au pont d'Arnhem. Il y avait là peu de cavalerie qui s'était tournée vers le Gooiland; mais un pont avançait sur la Linge, en même temps et à égale distance avec les corps auxquels il servait de liaison. Il faut attribuer à cette manoeuvre qui semblait calculée pour investir Utrecht, l'abandon subit de cette ville par le Rhingrave, à moins de croire que | |
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ce chef avait été corrompu par l'entremise du comte de Kahlenberg, qui eut avec lui plusieurs entrevues aux portes de la ville. Tout ce que je sais c'est qu'avant l'invasion ou dans le moment même, S.A.R. me confia que le Rhingrave, moyennant huit cent mille florins et un grade à l'armée prussienne, s'offrait d'abandonner son parti, mais qu'il proposait encore, à condition que le Prince abandonnât les aristocrates, de lui mener tous les démagogues qui le rétabliraient dans tous ses droits. S.A.R. ajouta que le Duc pressait cette négociation, qu'il en faisait grand mystère et qu'à moins qu'il ne s'en ouvrit à moi, elle me priait de paraître l'ignorer. ‘Mais’, dit-elle, ‘je ne vois pas que le Rhingrave vaille un si grand sacrifice, uniquement pour le faire partir, et puis il irait faire le fendant à Berlin où il cabalerait encore contre nous.’ Le Duc avait gagné un homme qui était lié avec le secrétaire du Rhingrave, ou plutôt il profitait du commerce établi entre cet homme et Mr. Danckaerts. Nous apprîmes par çe canal que, deux jours avant l'évacuation d'Utrecht, le Rhingrave avait reçu des lettres de France qui marquaient que jamais aucun Prussien ne passerait nos frontières. Cette évacuation se fit en désordre et si subitement que plusieurs habitants ne s'en étaient pas aperçus et ne l'apprirent que lorsqu'il faisait plein jour. Un officier anglais vint apporter la nouvelle à Nimègue et nous dit qu'une patrouille du camp avait vu venir à elle une troupe de bourgeois criant: ‘Vive Orange!’ et que peu après des troupes étaient entrées dans la ville. La surprise à la cour était extrême et l'on ne pouvait s'accoutumer à penser que ce boulevard de la rébellion était changé tout à coup en une ville amie. Le Rhingrave marcha sur Amsterdam, n'entra pas dans la ville, signa un ordre à un de ses officiers | |
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d'aller conduire les Français qui se trouvaient à Eindhoven, billet que Mr. Morees, avocat à Amsterdam, a vu. Il s'arrêta au faubourg de l'Overtoom, célèbre par le séjour que le Duc y fit depuis; il était plongé dans une profonde rêverie et le lendemain il disparut sans que je sache encore authentiquement comment il fit son évasion. Les hussards prussiens firent des recherches exactes pour découvrir son asile, pensant qu'il ne pouvait leur échapper. On m'a dit que le Duc témoignait désirer qu'on le saisit. Était-ce pour mieux cacher son jeu? Je l'ignore. Mais tout bien pesé, je crois que le Rhingrave n'a fui que par lâcheté, au désespoir d'avoir manqué le moment favorable de changer de parti. Je partis de Nimègue le lendemain de la grande nouvelle et j'appris en route que Gorcum s'était rendu. Ma joie à cette occasion fut inexprimable, parce que le Duc m'avait dit et que tout me confirmait que de la prise rapide de Gorcum dépendait le succès des opérations. Il n'y avait rien dans cette ville qui put faire défense. Le corps de Sternbach, composé de nouvelles levées, pouvait à peine paraître sous les armes. Il y avait quatre-vingts bourgeois qui voulaient servir d'auxiliaires; il n'y avait pas grand nombre et qui pouvait compter sur eux? Mr. de Capellen, auparavant chambellan du Prince et commandant des gardes du corps avait obtenu le régiment du prince de Hesse-Philippsthal que les États de Hollande avaient déclaré vacant et venait d'arriver à Gorcum pour commander dans une forteresse dont il ne connaissait ni les ouvrages ni la garnisonGa naar voetnoot1). L'eau pour les inondations manquait, ce qui fit dire au grand-pensi- | |
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onnaire qui avait mandé Mr. Royer chez lui: ‘Le ciel est contre nous, voilà l'ennemi sur les frontières, et l'eau baisse à chaque instant’, paroles qu'il accompagna d'un coup de poing sur la table. Le soir, à l'approche des troupes prussiennes, il fut résolu, dans un grand conseil de guerre, de se rendre. Cependant à la sommation qui allait se faire le lendemain matin, une sentinelle tira sur l'officier. Ce premier coup fut suivi d'un autre. Alors on lâcha une quarantaine de bombes qui mirent en feu une maison et un moulin, sur quoi on battit la chamade et le Duc entra pendant que les auxiliaires et les soldats de Sternbach prenaient la fuite par la grande digue. Le Duc fit venir le commandant et lui dit avec une hauteur qui, dit-on, ne lui est pas étrangère, mais que je ne lui ai jamais vue: ‘C'est à vous, Monsieur, qu'on doit tous les malheurs qui arrivent dans cette ville. Connaissez-vous les lois de la guerre?’ Il le fit mener prisonnier au quartiergénéral et l'envoya ensuite à Wezel où cette victime de la cabale française contracta une maladie épidémique qui le mena au bord du tombeau et qui après sa délivraison ne lui laissa de forces que pour se trainer à Utrecht où il expira de langueur, comme si la Providence avait voulu signaler sa justice en lui faisant voir dans ses derniers moments le centre de la rébellion réduit à l'obéissance. Cet homme au reste n'avait qu'un esprit médiocre; il était extrêmement borné ou excessivement faux, ce que je n'ai jamais bien su approfondir. Son ingratitude envers son bienfaiteur est hors de doute. Pendant qu'on tirait sur Gorcum, Vianen et d'autres villes se rendaient. Le Duc se rendit le même jour à Asperen et de là à Tienhoven. J'arrivai le soir à Gorcum. Mr. van Lom, célèbre avocat qui avait été député aux assemblées des sociétés et que peu de | |
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jours auparavant j'avais présenté au Duc à Nimègue, d'où nous le fîmes partir en grande hâte, me reçut dans sa maison. Il avait reçu au gras de jambe une légère blessure d'un patriote qui fuyait. Je trouvai dans sa maison quelques-uns de ses amis patriotes qui cherchaient un asile en maudissant et les Français et leurs propres chefs. Dans cette maison je vis le bourguemaître Verbrugge, de Delft, avec quelques messieurs qui avaient évité la prison par une prompte fuite, mais que j'avais engagé à me suivre de Nimègue où ils étaient venus me trouver. J'y vis De Groot, de Rotterdam, qui allait au quartier-général et de là retournait dans sa ville qu'il avait dû abandonner. Mr. le bourgemaître Repelaar et ses fils y arrivèrent de leur campagne. Par le moyen de ces derniers et les arrangements que je pris avec le colonel de Romberg, commandant prussien de Gorcum, Dort reçut garnison prussienne par capitulation. Ces messieurs en général par ce qu'ils me dirent et ce que je fus à même de leur recommander, me firent concevoir l'espérance de voir bientôt le Prince rappelé à La Haye, et Amsterdam seule en état de faire résistance. En effet j'appris le surlendemainGa naar voetnoot1) de fort bonne heure qu'on avait pris la résolution aux États. Un messager de LL. HH. PP. était chargé pour moi d'un paquet de Reigersman qui marquait que l'ordre équestre, avec six villes, dont la Brille seule, si je ne me trompe, consentit sans réserve, avait rétabli le Prince dans tous ses droits. Mais voyant le but que je me proposais dès longtemps à peu près rempli, savoir d'opérer le rétablissement du Prince à l'occasion de l'invasion prussienne, j'allai plus loin et je résolus de profiter d'une si heureuse époque pour affermir la maison d'Orange et la constitution. Je | |
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sentis bien que pour l'obtenir il fallait s'assurer à l'avenir de l'assemblée de Hollande et à cet effet rendre le bon parti dominant dans toutes les villes votantes. C'est ce que je ne croyais pouvoir effectuer sur un pied plus solide que par une réforme des bourgeoisies armées (schutterijen) dont je prétendais exclure tous les mal-intentionnés, par un choix de personnes de confiance dans les conseils de guerre bourgeois (krijgsraad), par la démission de tous les ministres des villes mal-intentionnés et enfin par un changement dans les régences comme Guillaume III l'avait fait en 1672 et Guillaume IV en 1747. Quoique persuadé que le peuple ne doit pas se mêler des affaires du gouvernement qu'il n'entend pas, je pensais que dans ce moment il pouvait demander d'autres régents, tant par l'inconduite et les crimes de la cabale que pour faire exécuter les lois par des magistrats fidèles. Je rassemblai la bourgeoisie [de Gorcum] qui s'assembla au marché devant la [maison de] ville et députa quelques bourgeois des plus qualifiés au conseil pour demander une résolution qui autorisât le Prince au changement des régences, la démission du pensionnaire, le rappel du député au conseil-committé, la cassation du règlement pour la bourgeoisie armée, et en conséquence de promptes délibérations pour instituer une bourgeoisie nouvelle et un autre conseil de guerre. Je me flattais que cet exemple suivi dans toutes les villes d'Hollande terrasserait le parti contraire et que par cet acte le peuple, satisfait des changements dans le gouvernement, qui seraient son ouvrage, ne s'arrogerait aucun droit sur des magistrats créés, il est vrai, à ses instances, mais nullement à son choix et nommés de son propre aveu pour maintenir la constitution et non pour introduire la démocratie. De cette façon j'espérais de rendre la révolution complète et solide, | |
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d'affermir la maison d'Orange, de renforcer le bon parti, de changer la face du gouvernement par le peuple, sans lui donner le pouvoir de se rendre redoutable. Tout réussit à Gorcum où je parlais tantôt aux régents bien intentionnés, tantôt aux gros bourgeois, et tantôt aux artisans. J'en écrivis à S.A.R. et au Prince. Mon dessein était de me rendre de Gorcum par Dort, Rotterdam et Delft à La Haye, de passer ensuite à Gouda, Leide, Haarlem et enfin à Amsterdam. Le Duc à qui j'envoyai copie de la résolution pour autoriser le Prince, la fit voir à Schoonhoven et le magistrat aussitôt, sur une requête de cent trente bourgeois, l'adopta. J'écrivis à Dort, Leide, Rotterdam et La Haye, pour préparer les esprits. Cela me paraissait d'autant plus nécessaire que le Duc me pressait vivement de le joindre et m'envoyait des lettres et des officiers pour hâter mon départ. Gorcum m'arrêtait pendant trois jours afin d'y achever l'ouvrage, qui exigeait ma présence et que je regardais comme le fondement de la révolution dans le reste de la province. Quand tout fut arrangé, je partis, quoique sans voir la cérémonie qui ne pouvait plus manquer. S.A.R. m'avait mandé d'appuyer une prière qu'Elle avait faite au Duc, sans me dire en quoi elle consistait. Je l'ai demandé à ce dernier et il m'a paru que c'étaient des instances de ne pas quitter la patrie à moins de réduire Amsterdam. Le Duc me reçut à Schoonhoven avec moins de satisfaction et plus d'inquiétudes que je ne devais m'y attendre. Il méditait une dépêche au roi, à ce que je remarquai ensuite, et il roulait dans sa tête les moyens de soumettre Amsterdam. Je lui déclarai nettement que sans cela il n'[y] avait rien de fait. Je ne pus m'empêcher de voir clairement par la connaisance que j'avais acquise de son caractère qu'il était rempli | |
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d'ardeur pour cette entrepriseGa naar voetnoot1) mais qu'il doutait si sa commission l'y autorisait et qu'il voyait de grands obstacles. Je démêlai parfaitement qu'il voulait m'engager à lui faire obtenir des États même et une invite d'avancer et des secours dans ses opérations. Le Prince venait de passer pour se rendre à La Haye. Je lui avais écrit de Gorcum pour l'y engager, mais il ne m'a jamais dit s'il a reçu ma lettre. On croyait que la Princesse allait passer à tout moment et le Duc l'avait suppliée de se transporter à Utrecht. Cependant je suivis le Prince à La Haye. Ce moment fait époque pour moi. Jusque là confident de toutes les mesures de S.A.R. qui seule dirigeait les opérations politiques, confident du Duc qui méditait la révolution, confident à la Haye de Mr. Harris et de Mr. de Rhoon, je m'étais accoutumé à me regarder comme le centre de toutes les entreprises, je ne travaillais que dans le grand et j'embrassais toujours l'ensemble des mesures. Le dessein que j'avais formé et dont j'avais vu réussir les commencements à Gorcum, n'enflait que trop les espérances que j'avais conçues. J'avais dit au Duc: ‘Il faut me rendre à la Haye qui désormais sera le centre des opérations.’ Je croyais en un mot que si j'avais eu beaucoup de crédit jusqu'alors, que si l'on avait abandonné beaucoup à ma direction et souvent déféré à mes avis, je serais bien plus accrédité, plus puissant encore après tant de succès. La prévention m'empêcha les premiers jours de m'apercevoir que je me trompais excessivement, mais le Prince m'ouvrit le premier les yeux d'une manière assez rude, en me faisant | |
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attendre dans son antichambre de neuf heures du matin, qu'il m'avait appointé, jusqu'à neuf heures du soir, qu'il me fit rappeler, sur ce que j'avais fait ma retraite en laissant un billet assez énergique. En ce temps-là Messieurs Royer, van Citters, van Rhoon et Reigersman me témoignaient encore infiniment d'amitié. Aux antichambres beaucoup de personnes me faisaient grand accueil. Les régents de Gorcum, où j'avais tout fait, où l'on avait vu arriver tant de courriers pour moi, où le commandant prussien avait ordre du Duc de me consulter dans toutes les affaires politiques; les régents de Dort qui savaient la part que j'avais eue à la prise de la ville, qui m'avaient entendu nommer par les officiers et par Mr. Dankaerts, ceux de Schoonhoven qui m'avaient vu chez le Duc, ceux de Delft qui m'avaient rencontré à Nimègue, des officiers que j'avais trouvés aux cours dans mes différentes visites, tout ce monde me distinguait, mais le seul dont je devais l'attendre au plus juste titre, Monseigneur, ne se souciait guère de moi. Ce fut comme par hasard que je dinai avec lui le jour de son arrivée et de la mienne. J'ai dit qu'il me fit attendre tout le lendemain, envoyant le général Dopff au Duc pour répondre à la commission dont j'avais été chargé. Le soir à neuf heures et demie il me fit entrer, me fit asseoir auprès de lui, me dit que pour me parler si tard il pourrait m'en dire davantage, me montra une lettre de la Princesse qu'il venait de recevoir. J'eus avec lui une longue conversation où je m'expliquai sur tous les points avec lui et qui servit peut-être à lui inspirer plus d'ombrage en lui donnant une grande idée de mon ambition qui me faisait embrasser tous les objets d'administration. Il me dit d'Amsterdam: ‘qu'on ne me demande seulement pas de m'y rendre en personne. Mon père | |
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s'en est trop mal trouvé.’ Calculant avec moi quand j'aurais 25 ans accomplis pour le pensionairat, il me dit: ‘Dans trois semaines vous pourrez prendre séance’, ajoutant qu'on ne pouvait aux États me dispenser qu'à l'unanimité des voix, comme s'il était bien aise de différer le moment où je prendrais une part directe aux affaires. Le lendemain, en parlant du Duc et des Prussiens, il me dit: ‘Nur kein Schutzherr, n'est ce pas?’. - Je me trompe fort ou il m'a cru trop attaché à ce prince. Pour engager le Duc à poursuivre son entreprise contre Amsterdam, il l'animait par les offenses de son oncle et me dit: ‘Cette famille est vindicative’. Quand la Princesse fut à Utrecht où il pensait qu' elle s'arrêterait jusqu'après la satisfaction, il me dit: ‘Pourvu qu'elle n'arrive pas comme une bombe!’ et peu d'heures après elle arriva ainsi. J'avais reçu de S.A.R. une lettre par laquelle Elle me recommandait de veiller avec les vrais amis du Prince à ce qu'on ne perdit pas des moments précieux. Mais tout se perdait sans elle. Mr. van Citters me pria de joindre mes instances aux siennes. Mr. Royer me déclara que, dès son arrivée, il s'adresserait à Elle, que jusqu'à ce moment, pour éviter des jalousies dont il n'avait pu deviner la cause, il ne s'était jamais attaché qu'au Prince, mais qu'il estimait la Princesse seule en état de conserver les avantages qu'on venait d'obtenir. Je lui écrivis une assez longue dépéche, ne cachant pas les fautes qu'on avait commises et lui démontrant qu'il n'y avait encore ni concert, ni système dans les conseils Cette lettre lui fut rendue par mon courrier aux portes de Nimègue, d'où elle se rendait à Utrecht et peut-être mes raisons l'ont-elles déterminée à poursuivre incessamment sa route pour la Haye. Je fus à sa rencontre jusqu'à Moer-Capel où je lui remis une | |
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lettre que j'avais eu dessein de lui envoyer. Je ne lui dis que peu de mots, je lui nommai Mr. Royer et elle me promit de le voir au plus tôt. Alors une seconde fois je me flattai d'un accueil gracieux et de grandes distinctions. Ayant pris les devants au Leidschendam, où le Prince venait recevoir S.A.R., j'avais eu le temps de m'habiller et de me rendre dans l'antichambre, où tout le monde se trouvait pour recevoir la cour pendant que le Binnenhof et le Buitenhof suffisaient à peine à la foule qui s'y tenait. Enfin la voiture ouverte de S.A.R. trainée par des hommes et des femmes, avança lentement aux acclamations générales. La princesse Louise était ravie et telle m'avait-elle déja paru en route. S.A.R. était attendrie mais les jeunes princes étaient plutôt surpris que touchés. Quand la Princesse passa devant moi, je lui dis: ‘Voilà, Madame, la voix du peuple’ et elle répeta ‘voilà la voix du peuple’ avec ce ton qui prouve que le coeur est trop ému pour que l'esprit puisse agir et qui bannit toute réflexion. Aussi doutai-je qu'elle m'eût vu. Le lendemain matin il y eut un conseil chez S.A.R. où assistèrent le Prince, Messieurs van Citters, Reigersman et Royer. A l'audience on m'appela chez S.A.R. qui me dit, avec sa bonté ordinaire, que sans y donner le nom de conseil, on avait conféré sur les affaires et qu'elle pensait que les choses iraient bien. Mr. van Citters entra: ‘Je suis charmée,’ me dit-elle, ‘que Monsieur entre, afin de pouvoir vous dire en sa présence que nous avons trouvé un emploi pour vous. C'est le pensionairat de Rotterdam’. Je répondis que je n'y voyais qu'une difficulté, c'était que le nom de pensionnaire était devenu infiniment odieux. Mr. van Citters répliqua que je saurais bien lui rendre du lustre, et la Princesse me fit sentir qu'elle n'aimerait pas que je m'opposasse d'avantage. Alors Mr. van Citters | |
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parla beaucoup contre le grand-pensionnaire, insistant sur ce qu'on le mit incessamment hors de fonction, mais Royer avait dit que pour le moment il était fort utile, que sans lui la confusion se mettrait à l'assemblée de Hollande et en effet on le conservaGa naar voetnoot1). Le Prince m'avait dit en parlant de lui: ‘Quand on démit Mr. Gillis, feu Mr. de Rhoon prétendit qu'il n'y avait pas de perruque qui ne valut mieux que la sienne, et puis on se trouva fort embarrassé et obligé enfin à prendre Mr. Stein’Ga naar voetnoot2). Quelque temps après ces conversations, S.A.R. me confia que le Prince, quand Mr. de Bleiswyck demanderait sa démission, le sommerait de rendre compte de sa conduite. Mais le ton dont elle accompagnait ses paroles me fit douter qu'elle ajoutât foi à cette assurance du PrinceGa naar voetnoot3). Maintenant il vit en paix, il jouit d'une pension de f. 4000 et il a conservé l'honorable emploi de curateur de l'Université. Voyant la lenteur et la faiblesse de toutes les mesures, je couchai par écrit mes idées sur celles qu'il fallait prendre, en mettant pour base la révolution de Gorcum, où j'avais fait un essai qui avait réussi. Je donnai le mémoireGa naar voetnoot4) à S.A.R., mais, à ce qu'il parut, sans effet. J'ai dit plus haut que pendant les troubles j'avais souvent pensé qu'on pourrait accorder au peuple la nomination aux régences sans diminuer l'in fluence stadhoudérienne, et que cette mesure affaiblirait également le patriotisme en lui ôtant le prétexte spécieux d'animer le peuple contre le Prince et l'aristo- | |
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cratie en mettant les grandes familles dans la dépendance de leurs concitoyens. Mais quoique S.A.R. était résolue à quelque sacrifice pour rétablir les affaires de sa maison, Elle craignait la démocratie lors même qu'elle en pourrait tirer avantage. Aussi me recommanda-t-elle beaucoup la prudence sur ce point, et je ne doute plus en ce moment que ni le Prince ni la Princesse n'ont approuvé mon plan, quoiqu'ils ne me l'aient jamais témoigné. Un jour que je pressai sur la nécessité de rétablir les sociétés Orange à Amsterdam, S.A.R. me dit: ‘Pourvu que ce ne soit pas la démocratie.’ Dans une lettre de sa part, que j'ai reçue il y a peu de jours, Elle me dit encore: ‘Il y a des gens qui vous reprochent vos liaisons avec les démocrates-orange, mais les faits parleront pour vous.’ Il parait par là qu'elle me trouverait coupable, si le reproche était fondé. Tant cette cour est éloignée des principes que beaucoup de personnes instruites lui supposent et qu'un plus grand nombre encore lui dépeint tous les jours comme salutaires et seuls capables de la soutenir. Je n'oserais décider encore une question si délicate. Depuis que dans la prospérité j'ai vu les démagogues de notre parti, tout en prétextant l'élévation du Prince, demander pour le peuple, c'est à dire pour eux, de l'influence dans le gouvernement, traiter d'aristocrates tous ceux qui sont leurs supérieurs de naissance et qui méritent des distinctions, menacer tant à Amsterdam qu' à Rotterdam de se liguer avec les patriotes, j'avoue que j'ai conçu du parti populaire une opinion moins favorable que lorsque je l'ai vu dans l'adversité, plus ferme cent fois que de lâches régents, opposer un courage indomptable à la tyrannie et à la persécution. |
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