Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap. Deel 24
(1903)– [tijdschrift] Bijdragen en Mededeelingen van het Historisch Genootschap– Gedeeltelijk auteursrechtelijk beschermd
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Un mémoire d'Abraham de Wicquefort en 1659.
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Frédéric Guillaume, tandis que le premier ministre de Louis XIV lui en voulait de certains détournements d'argent et de certaines correspondances indiscrètes. Dès 1649, il avait failli être rappelé sur la demande du Roi; en 1657, son rappel ayant été demandé de nouveau, l'Electeur fit répondre qu'il était prêt à ne plus le reconnaître pour son résident, mais qu'il désirait l'avertir lui-même de se retirer, après quoi il l'abandonnerait. L'avertissement paraît n'avoir jamais été donné, et, malgré l'envoi à Paris d'un autre agent, Christophe de Brandt, la situation risquait de se prolonger indéfiniment, lorsqu'au milieu de 1659 Wicquefort reçut l'ordre de quitter le royaume. Comme il faisait des difficultés, il fut enfermé à la Bastille le 3 août 1659. Dans cette prison fort douce, où on le laissa plus de trois semaines avant de le rembarquer pour la Hollande, il rédigea un long mémoire apologétique. Ce mémoire, dont le texte manuscrit est conservé aux Archives des Affaires Etrangères à Paris, dans la correspondance de Brandebourg, I, fol. 415-30, et que Wicquefort destinait à l'impression, est un récit détaillé et très exact dans l'ensemble de ses faits et gestes de 1646 à 1659, c'est à dire pendant qu'il était résident de Brandebourg. Des fragments ont été déjà publiés dans le Recueil des Urkunden und Actenstücke pour l'histoire du Grand Electeur, II, p. 204-13, mais l'importance du document est grande et je crois faire oeuvre utile en le donnant pour la première fois in extenso. Il ne complète pas seulement l'histoire des relations de la France et du Brandebourg au temps de Louis XIV; il permet encore de mieux juger le personnage, si bien doué, si actif, et en même temps si décrié à juste titre, que fut Abraham de Wicquefort. A.W. | |
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Estant allé voir Mr. de LionneGa naar voetnoot1), alors secrétaire des commandements de la ReineGa naar voetnoot2) et de M. le CardinalGa naar voetnoot3), vers la fin du mois d'octobre 1647, il me dit entr'autres choses, que l'on avoit advis, que Monseigneur l'Electeur de Brandebourg, mon maistreGa naar voetnoot4), faisoit négotier à Vienne un traitté particulierGa naar voetnoot5) et que Son Altesse Electorale avoit dessein de faire un tiers party en AllemagneGa naar voetnoot6), afin de faire conclurre une paix désavantageuse aux deux Couronnes de France et de Suède, mais que si S.A. El. vouloit entrer dans les intérests de la France, l'on feroit considérer les siens aux traittés de Munster, et l'on feroit en sorte qu'il y trouveroit son compte; j'avois en ce mesme temps là receu des ordres très exprès de S.A. El., accompagnés d'une lettre de Monsr le Baron de SwerinGa naar voetnoot7), qui est aujourd'huy | |
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chef du Conseil de S.A. El., et qui avoit alors la direction des affaires de France, par laquelle il me mandoit, que si je trouvois à la Cour quelque disposition à favoriser les affaires de S.A. El., je l'engageasse dans un traitté, qui l'attachast entièrement à la France: de sorte que je ne fis point de difficulté de dire à M. de Lionne, que je sçavois que les intentions de Monseigneur l'Electeur mon maistre estoient bonnes, qu'il avoit de l'inclination pour la France, et que si la Cour vouloit considérer ses intérests, il préféreroit ceux de cette Couronne à ceux de la Maison d'Austriche et ne craindroit point de s'engager avec la France, et pour cet effect que j'avois ordre exprès de traitter pour cela. M. de Lionne me demanda s'il pouvoit porter cette parole à M. le Cardinal et s'il luy en pouvoit parler comme d'une chose effective; à quoy je luy respondois que je n'aurois garde de luy en parler comme je venois de faire, si je n'estois asseuré des intentions de S.A. El. et sans ses ordres exprès. Il parut que l'ouverture que je venois de faire fut agréable à M. le Cardinal puisqu'il me fit dire par M. de Lionne deux jours après qu'il seroit bien aise de me voir. Il avoit donné ordre de me faire entrer dès que je me présenterois à la porte et j'eus une audience très favorable; au moins si l'on peut donner ce nom à une conférence, où M. le Cardinal parla presque seul. Il me témoigna qu'il n'y avoit point d'affaire qui lui tint plus au coeur que le dessein que l'on avoit formé en Allemagne, et particulièrement en la Cour | |
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de S.A. El., d'un tiers party, où l'on prétendoit faire entrer les Electeurs de SaxeGa naar voetnoot1) et de Brandebourg et les Princes de la Maison de Brunswic et LunebourgGa naar voetnoot2), parceque ce party, en mettant sur pied vingt cinq mil hommes de pied et dix mille chevaux, seroit tousjours maistre des affaires, et feroit faire la paix, quand il voudroit, sans aucune considération des intérests des deux CouronnesGa naar voetnoot3). Qu'il falloit empescher ce party, et que pour cet effect l'on feroit donner à S.A. El. toute la satisfaction qu'elle pouvoit désirer de l'affection particulière du RoyGa naar voetnoot4), et de l'autorité que Sa Majesté avoit auprès des Suédois en Allemagne. Qu'il seroit bien aise de savoir l'intention de Monseigneur l'Electeur, et qu'en son particulier il le serviroit, et feroit exécuter le traitté, que l'on feroit avec luy. Que j'en pouvois faire un project avec M. de BrienneGa naar voetnoot5), qui le luy communiqueroit, et que l'on demeureroit bientost d'accord de tout ce qui seroit raisonnable. Et de fait M. le C. de Brienne eut ordre d'y travailler, et je le fus voir pour prendre jour et heure avec luy. | |
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Je me rendis chez luy à l'heure de l'assignation, mais il se contenta de me dire que je sçavois l'intention de S.A. El. et l'estat présent des affaires, et partant que je pouvois faire le project du traitté, qu'il feroit voir ensuitte à la Reine et à Son Eminence. J'y travaillay done seul, et luy portay dès le lendemain un mémoireGa naar voetnoot1), comprenant en - articles tout ce que S.A El. pouvoit faire pour les intérests de la France et ce qu'elle demaindoit au Roy. M. le C. de Brienne me fera bien la justice d'advouer, qu'il me dit, que quand nous aurions travaillé ensemble trois jours de suitte, nous n'eussions pas pu mieux rencontrer les sentiments de la Cour; - qu'il n'y trouvoit pas une seule sillabe à changer, qu'il le feroit voir à Sa Majesté et à Son Eminence et qu'il me diroit leurs sentiments dans trois ou quatre jours. Mais estant retourné chez luy dans ce temps là, il me dit, que M. le Cardinal s'estoit saisy de ce project, parce que son Eminence n'y ayant rien trouvé qui ne fust juste et raisonnable, et qu'il ne pust faire exécuter par les Suédois, elle me le vouloit rendre luy mesme, pour me tesmoigner la satisfaction qu'elle avoit de mon procédé, et du zèle que j'avois | |
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pour le zèleGa naar voetnoot1) du Roi. Et de faict en voyant S. Em. deux jours après, il n'y a point de caresses ny de promesses qu'elle ne me fist, et il n'y a point de confidence qu'elle ne me témoignast: mais d'autant que son dessein estoit de m'entretenir plus au long devant mon voyage, auquel elle me pria que je me disposasse le plus tost qu'il me seroit possible, elle me dit que je ferois bien de voir M. de Brienne qui me donneroit des marques de la bonne volonté de Leurs Majestés, et me diroit leur intention. Tout ce qu'ilGa naar voetnoot2) me dit ce fut d'enchérir sur les tesmoignages de satisfaction que M. le Cardinal m'avoit rendus, et de me faire cognoistre que S. Emce luy avoit commandé de m'expédier une ordonnance de mil escus pour les frais de mon voyage, et un brevet pour la pension de deux mille livres: à quoy l'on adjousteroit une gratification extraordinaire. Je le priay de me dispenser d'accepter le brevet, et envoyay quérir mon ordonnance au bout de deux jours. M. d'Emery, qui estoit lors surintendant des financesGa naar voetnoot3), fit difficulté de payer mon ordonnance, et quoyque M. de Lionne luy dist de la part de M. le Cardinal qu'il importoit au service du Roy de me faire partir, et pour cet effet de me faire toucher mon argent, il me fit dire que la moitié suffisoit pour les frais de voyage, et que, l'autre moitié estant gratification, l'on me donneroit un billet de l'espargne, que mon homme fut contraint de prendre de M. Chahu, commis de M. de la BazinièreGa naar voetnoot4). Je croyois que les | |
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assignations de cette nature se payoient dans dix on douze jours, c'est pourquoy je ne laissay pas de prendre mon audience de congé de M. le Cardinal, qui m'avoit ordonné de l'aller trouver en son palais. Je fus avec Son Emince depuis dix heures du matin jusqu'à deux heures après midy, et tout ce temps là fut employé à m'instruire de tout ce que j'avois à faire dans ce voyage, que Son Eminence ne dissimuloit point devoir estre de la dernière importance. La première chose dont M. le Cardinal vouloit que S.A. El.Ga naar voetnoot1) et tous les Princes d'Allemagne fussent bien persuadés, c'estoit son inclination pour la paix générale, et afin que j'en fusse persuadé le premier, il m'allégua plusieurs raisons, que je ne répéteray point icy; il me donna charge aussy de m'informer à quel prix l'on pourroit achetter des chevaux au païs de Brunswick, et me chargea de quatre commissions en blanc, pour la levée d'autant de régiments d'infanterie en Allemagne, avec pouvoir de faire choix des Colonels et des autres officiers, et de les assigner pour l'argent de leurs levées sur M. de la TuillerieGa naar voetnoot2), qui estoit alors ambassadeur extraordinaire à la Haye. Mais ce que M. le Cardinal me recommanda le plus, ce qui estoit le véritable sujet de mon voyage, ce fut ce tiers party, dont les pléni- | |
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potentiaires de France et de SuèdeGa naar voetnoot1), avoient tellement pris l'allarme qu'ils ne parloient d'autre chose en leurs depesches, que je mettray avec les autres pièces justificatives à la fin de ce discoursGa naar voetnoot2). Je pris la liberté de dire à M. le Cardinal, que s'il vouloit que je réussisse en mon voyage et en ma négociation, il falloit me donner le pouvoir de faire plusieurs gratifications considérables, payer les pensions que l'on avoit promises et en établir des nouvelles pour deux ou trois personnes que je luy nommay; et sur ce qu'il me demanda ce qu'il falloit donner à feu M. de BurgstorfGa naar voetnoot3), que je suis obligé de nommer icy pour la raison que je diray ailleurs, je luy dis qu'il ne luy pouvoit pas donner moins de vingt mil escus, et à chacun des autres qui estoient au nombre de cinqGa naar voetnoot4), deux mille à chacun. Sur | |
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quoy Son Emince me dit que c'estoit peu de chose pourveu que la chose se fist, c'est à dire pourveu que l'on fist esvanouir le dessein du tiers party, que je pouvois promettre cette somme hardiment, que cela se passeroit entre quatre yeux, ce furent les propres paroles de Son Eminence, que je n'aurois à faire qu'à luy et qu'il y auroit provision pour tout ce qu'il venoit de me promettre en Hollande. Ce fut sur ces paroles que je pris congé de M le Cardinal, la Reine donna en ce temps là la qualité de frère à S.A. El.Ga naar voetnoot1), et je fis le voyage pour lequel je partis de Paris en poste un jeudy 15 Novembre. J'avois envoyé mes laquais devant à Calais, et emmenay avec moy un secrétaire et un valet de chambre à dessein de passer dans le navire de guerre que Mrs les Estats avoient envoyé pour M. le LantgraveGa naar voetnoot2). En entrant dans LusarcheGa naar voetnoot3) j'y vis entrer S.A. que je fus aussytost saluer dans son hostellerie, où je m'engageay de demeurer à sa suite, puisque je ne pouvois point passer sans elle, quoyque je n'eusse autre équipage que des chevaux de poste. En arrivant en Hollande, j'y vis M. de la Tuillerie, qui avoit desja esté adverty de mon voyage, et qui me | |
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confirma tout ce qui m'avoit esté dit par M. le Cardinal. Je ne trouvay point Monseigneur l'Electeur à Clèves; de sorte que je me trouvay obligé à suivre S.A. El. dans la comté de la Marc où elle se faisoit faire le serment de fidélité par ses sujetsGa naar voetnoot1). Je la trouvay en sa ville d'Unna, où S.A. Electorale, qui n'y séjourna qu'une seule nuict, me fit la grâce de m'ouïr au sujet de mon voyage en la présence de trois ou quatre conseillers d'Estat, qui se trouvoient à sa suitte, et d'agréer absolument ce que j'avois fait. Me fit traitter le soir par les mesmes Ministres, et me fit donner mes despesches avec ordre de suivre M. de Burgstorf, qui estoit party pour son ambassade vers les Princes, qui devoient composer le tiers partyGa naar voetnoot2), de luy communiquer ce que j'avois fait avec M. le Cardinal, de résoudre avec luy des moyens de le faire exécuter, et pour divertir le premier dessein du tiers party, qui avoit esté principalement proposé et fomenté par le mesme Sr. de Burgstorf. Dès le lendemain qui estoit un dimanche ..... décembreGa naar voetnoot3), S.A. El. reprit le chemin de Clèves, et je pris celuy de Munster, où j'avois ordre de voir les plénipotentiaires de France. Je diray icy en passant, que le mesme jour il arriva un fascheux acci- | |
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dent à mon vallet de chambre, lequel estant à la portière de mon carrosse fut jetté à terre par un coup qui abattit la portière, de sorte que la roue luy passant sur la jambe, la luy cassa, ce qui m'obligea à le laisser à Ham et m'incommoda extrêmement en tout mon voyage. Je vis à Munster M. le Duc de Longueville et Mrs d'Avaux et ServienGa naar voetnoot1), auxquels je fis rapport de ce que j'avois fait auprès de S.A. El. et de la bonne disposition en laquelle je l'avois laissée: l'ordre que j'avois d'aller trouver le grand ChambellanGa naar voetnoot2), et l'espérance indubitable que j'avois de le ramener aux sentiments du Prince nostre maistre. Mrs les plénipotentiaires avoient reçeu copie du project de mon traitté, qu'ils se promettoient bien de faire exécuter par les Suédois, au moins en faisoient ils mine, et m'exhortoient de ne perdre point de temps, mais de mesnager celuy qui me restoit pour pouvoir atteindre M. de Burgstorf avant qu'il achevast sa négociation avec les Ducs de Brunswic et Lunebourg, et avant qu'il passast en Saxe. En arrivant à Osnabrug, j'y vis M. de la CourGa naar voetnoot3) qui y résidoit de la part du Roy, et qui avoit aussy eu copie de nostre traitté, et en fis part par ordre de Monseigneur l'Electeur mon maistre à M. le Comte de Wittgenstein, qui y estoit premier plénipotentiaire de S.A. ElectoraleGa naar voetnoot4), et allay de | |
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là à Hanovre, où régnoit alors le Duc Christian Louis de Brunswic et Lunebourg qui demeure aujourdhuy à Celle. Il y avoit plusieurs années que j'avois une vénération particulière pour ce Prince, et pour Monseigneur le Duc George Guillaume son frèreGa naar voetnoot1), qui s'y trouvoit alors, et sachant qu'il n'y avoit point de Princes dans l'Empire qui ayent de meilleurs sentiments pour la bonne cause qu'eux, dont ils venoient de donner une preuve fort remarquable, en donnant retraitte dans leur pays à l'armée Suédoise, dont toute la cavallerie estoit presque desmontée, et qui n'eust pu éviter d'estre entièrement desfaite par l'armée Impériale qui la suivoit sur les talons sous le commandement de MelanderGa naar voetnoot2). Je suis obligé de rendre ce tesmoignage au Conseil de ces Princes, que j'y trouvay des dispositions admirables, mais ils me feront bien la justice aussy d'advouer que j'y adjoustay quelque chose de plus, et que si jusqu'alors ils avoient porté les intérests des Suédois, ils commencèrent dès lors à avoir de fort bons sentiments pour la France. Il est vray que ceux que je trouvay à Wolfembuttel estoient bien différents de | |
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ceux que j'avois laissés à Hannover. Le Duc Auguste, qui est l'aisné de la Maison, a toujours esté et est encore dans les intérests de la Maison d'Austriche. Il est grand oeconome, et a une des plus nombreuses bibliothèques de l'Europe, où S.A. et le Sr Swartzkop, son chancelier, ont appris tout ce qu'ils savent de politique. C'est pourquoy ils considèrent l'Empereur comme celui qui a succédé à la dignité et aux mesmes droits d'Auguste, et veulent qu'il ait la mesme autorité dans l'Empire, et que tous les Princes luy rendent non seulement le mesme respect, mais aussy la mesme obéissance. J'eus quelques conférences avec ses ministres parce que je lui avois porté des lettres de créance du Roy, mais comme je n'estois là principalement que pour inspirer à M. de Burgstorf les sentiments que S.A. El. vouloit qu'il eust, je me contentay de leur faire cognoistre que Leurs Majestés et Son Eminence n'avoient point de plus forte passion que de donner la paix à la Chrestienté, et particulièrement à l'Empire, et que le seul moyen d'y parvenir estoit que tous les Princes protestants entrassent dans les sentiments des deux Couronnes afin d'obliger l'EmpereurGa naar voetnoot1) à une paix avantageuse à l'Empire. M. de Burgstorf arriva à Wolfembuttel deux ou trois heures après moyGa naar voetnoot2). Je luy fis dire par son secrétaire que je ne l'incommoderois point ce | |
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soir là: mais qu'il importoit au service de S.A. El. que je le visse devant qu'il eust audience du Duc, et que S.A. El. me l'avoit commandé bien expressément. Il me fit dire qu'il me feroit advertir dès qu'il seroit en estat le lendemain matin. Et de faict dès qu'il fut levé il m'envoya quérir, et après avoir leu la lettre de créance que je luy avois apportée, il me donna une audience si favorable, que je n'en sortis point qu'il ne m'eust advoué que S.A. El. trouvoit bien plus d'advantage en ce que j'avois négotié en France, qu'il n'en trouveroit en tout ce qu'il pourroit faire en son voyageGa naar voetnoot1), et qu'il ne m'eust promis, après que je l'eusse asseuré de l'exécution de la parole que je luy portois de la part de M. le Cardinal d'un présent de vingt mil escus, qu'il n'iroit à la Cour de Dresde, que pour y représenter les difficultés qui se rencontroient au tiers party que l'on prétendoit former, et qu'il ne feroit autre chose aussy auprès du Duc Auguste. M. de Burgstorf n'estoit point intéressé, mais comme il estoit homme de grande despense il aimoit les présents; c'est pourquoy il me recommanda si bien celuy que je luy avois fait espérer de la part de M. le Cardinal, que je recognus bien que c'estoit la première chose qu'il faudroit faire exécuter à mon retour à la Haye, où je croyois trouver de l'argent, ou en France. Je ne partis point de Wolfembuttel, que je ne visse M. de Burgstorf monter en carosse, et repassant à Hannover, parce que le Prince m'avoit donné une escorte de dix chevaux, qu'il falloit faire subsister pendant ce petit voyage, qui fut de neuf jours, j'arrivay à Munster, où je rendis compte à Mrs les plénipotentiaires de ce que j'avois fait avec M. de Burgstorf. Ils me reçurent | |
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parfaitement bien, et me dirent qu'ils ne manqueroient point de faire cognoistre à leurs Majestés et à Son Eminence l'important service que je venois de rendre à la France. Estant à Munster, l'on me donna advis de la part de S.A. El., et Mrs les plénipotentiaires de France l'eurent aussy d'ailleurs, que les Espagnols avoient mis de l'argent sur ma teste, et qu'ils en avoient promis à ceux qui me mettroient entre leurs mains, mort ou vif, parce que estant au service d'un Prince neutre, je m'estois chargé des commissions du Roy, et avois traitté avec des officiers pour les engager au service de la France. Cet advis mit Monseigneur l'Electeur en si grand' peine, qu'il fut conseillé de faire dire à M. de Ribaucourt, gouverneur pour le Roy d'Espagne de la ville de GueldreGa naar voetnoot1), qui se trouvoit alors à Clèves, que s'il m'arrivoit du mal, il en respondroit. Cependant je ne laissay pas de me trouver au péril de ma vie, pour la seureté de laquelle les plénipotentiaires de France et de BrandebourgGa naar voetnoot2) trouvèrent à propos de prier ceux des Provinces Unies de me donner un passeport, et un trompette pour me conduire en seureté jusqu'à CoesfeldGa naar voetnoot3), où il y avoit alors garnison Hessienne. Le Duc Frédéric de WirtembergGa naar voetnoot4), qui y commandoit, et qui me fit l'honneur de me traitter non comme un ancien serviteur de sa maison, mais comme une personne qu'il | |
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considéroit beaucoup, me donna escorte pour me conduire jusques à EmmericGa naar voetnoot1). Estant arrivé à Clèves, et ayant fait mon rapport de ce que j'avois fait en tout mon voyage, S.A. El., me fit donner les despesches nécessaires pour mon retourGa naar voetnoot2), et entr' autres une procuration pour recevoir l'argent qu'il pouvoit prétendre avec justice de la conclusion du traitté dont j'avois apporté le project, et dont les plénipotentiaires de France avoient donné des copies à ceux de S.A. El. à Munster. Je ne pouvois point partir de Clèves sans m'exposer au hasard de tomber entre les mains des Espagnols, qui continuoient de me menacer parce que j'avois arrhé quelques officiers pour le service du Roy; de sorte que S.A. El. voulut que je me misse à la suitte de M. le LantgraveGa naar voetnoot3), qui estoit alors à Clèves, et lequel S.A. El. fit escorter par une bonne troupe de cavalerie jusqu' au fort de Schenk, d'où j'allay avec luy par eau jusqu'à Arnheim. Estant arrivé à la Haye, M. de la Tuillerie me tesmoigna que l'on estoit fort satisfait à la Cour de ce que j'avois fait en mon voyage, mais il me fit cognoistre en mesme temps, qu'il n'y avoit point d'argent pour les levées, et que tout ce que l'on pourroit faire ce seroit de trouver de quoy lever un seul régiment d'infanterie et que ce seroit pour le Colonel ColhaseGa naar voetnoot4), | |
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auquel je m'estois engagé dès mon premier passage. Il y avoit plusieurs autres officiers, qui s'estoient rendus à la Haye, pensant y trouver leurs commissions, mais je fus contraint de les renvoyer, de les consoler de l'espérance de ce que je pourrois faire pour eux, dès que je serois arrivé à la Cour et de payer la despense qu'ils avoient faite à Clèves et à la Haye, qui montoit à près de six cents livres. M. de la Tuillerie jugea qu'il estoit à propos que j'allasse en diligence à la Cour, rendre compte de ce que j'avois négotié en Allemagne, et feu M. le Prince d'OrangeGa naar voetnoot1) me fit donner un vaisseau de guerre par l'admirauté de Zeelande, qui me porta à la rade de Calais, où je débarquay le 2 février. J'arrivay à Paris le 8 février et vis M. de Lionne le lendemain. M. Brisaccier y survint pendant que je l'entretenois, et se peut ressouvenir de ce qu'il me dit, que quand de tout mon voyage je ne rapporterois autre chose, qu'une seule particularité que je luy dis, et laquelle il n'est point nécessaire de répéter icy, je n'aurois point perdu ma peine. Je fus trois semaines entières à me trouver tous les jours dans l'antichambre de Son Eminence avant que d'avoir audience, et la première que M. le Cardinal me donna fut après celle qu'il avoit donnée à l'ambassadeur de PortugalGa naar voetnoot2); après laquelle m'ayant pris par la main il me mena dans la ruelle de son lict, et me disant qu'il avoit à m'entretenir plus d'une heure et estant obligé d'avoir quelque complaisance pour les françois, il se | |
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trouvoit engagé au jeu avec quelques messieurs qui estoient en effect entrés dans sa chambre dès que l'ambassadeur de Portugal en fut party, mais que dès le lendemain il me parleroit à loisir. Je fus encore sept ou huit jours à avoir cette audience, en laquelle je n'eus que des paroles fort générales, tant pour ce qui regardoit les intérests de S.A. El. que pour la parole que j'avois portée à M. de Burgstorf et aux autres personnes, à qui j'avois fait espérer des pensions et des gratifications. Seulement Son Eminence se contenta de me dire que Leurs Majestés estoient fort satisfaites du service que je venois de rendre, et que M. de Lionne avoit charge de me faire un présent de la Reine, auquel Son Eminence adjousteroit un autre qui recognoistroit l'affection que j'avois pour les intérests de cette Couronne. Je vis M. de Lionne quelques jours après, mais il ne me parla de rien et ne m'en a jamais parlé depuis. Aussy ne considérois point mes intérests, mais je continuay de presser auprès de Son Eminence ceux de S.A. El. et l'exécution de la parole que j'avois portée à M. de Burgstorf, lequel estant chef du Conseil de S.A. El. il m'importoit de dégager ma parole auprès de luy. Je me rendois si assidu dans l'antichambre de M. le Cardinal que le 12 Mars il me fit donner par M. l'Abbé de PalluauGa naar voetnoot1) un billet de douze mille livres, au lieu des soixante mille que j'avois fait espérer à M. de BurgstorfGa naar voetnoot2). Je ne pus pas m'empescher de tesmoigner un | |
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peu de mescontentement de ce procédé, et de me plaindre de ce que l'on ne me remboursoit point des frais de mon voyage, qui montoient à près de sept mille livres. Mais j'advoue que je perdis patience, quand M. le Cardinal, voyant que je le pressois d'achever le traitté, dont j'avois porté le project en Allemagne, me dit, que M. de Brienne y avoit fait couler deux articles, sur lesquels il n'avoit point fait réflexion, et qui ne pouvoient pas estre exécutés, parce que les Suédois ne vouloient point permettre que S.A. El. mist une armée sur pied, et ne le vouloient point mettre en possession des eveschés de Halberstadt et de Minden, qu'après la conclusion de la paixGa naar voetnoot1). J'advoue, dis-je, que cela me fit perdre patience, parce que c'estoit M. le Cardinal luy mesme, qui avoit gardé le project sept ou huit jours sur luy et qui me l'avoit remis entre les mains. Je ne pus pas m'empescher d'en escrire à M. Servient et de luy tesmoigner le ressentiment que j'avois de ce procédé, le sujet que j'avois de me plaindre du mauvais traitement que l'on faisoit à mon maistre, et le peu de confiance qu'il prendroit à l'avenir en tout ce que l'on promettroit icy à l'avenir en ses affairesGa naar voetnoot2). Je m'adressay à M. Servient, tant parce que j'avois beaucoup d'estime pour ses grandes qualités, que parce que je l'avois autrefois trouvé assez franc, et que mon frèreGa naar voetnoot3) avoit esté assez heureux pour luy rendre et à la France de très signalés services | |
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depuis quelques années et particulièrement en la négociation qu'il avoit faite à la Haye l'année précédente 1647, où il avoit pensé ruiner et sa fortune et toute sa négotiationGa naar voetnoot1). Mais comme il estoit hautain et violent, il me fit une response du 26 avril si aigre, et escrivit en mesme temps à feu M. Fromhold, l'un des plénipotentiaires de S.A. El. à OsnabrugGa naar voetnoot2) en des termes, qui me firent bien cognoistre que S.A. El. ne pouvoit plus rien espérer de mon traitté, et que moy, en rendant un si grand service à la France, je ne pouvois plus estre agréable, parce que l'on ne pouvoit pas souffrir un homme dont le visage reprochoit incessamment à ceux qui gouvernoient leur ingratitude et leur infidélité. Et d'autant que M. Servient, qui d'ailleurs n'avoit pas trop de pente à la vertu, dans l'entière dépendance où il estoit, ne pouvoit pas remédier à ce mal, il se déclara contre moy, et avec cet avantage pour moy, que je suis peut estre celuy de toute la France qui ay tesmoigné le moins d'animosité contre, et qui ay le moins détesté la conduitte qu'il a tenue pendant qu'il a eu l'administration des financesGa naar voetnoot3), dont j'ay fait un discours particulier, parce que j'en ay voulu prendre une cognoissance toute particulière. | |
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Pendant mon voyage les affaires de ce Royaume avoient commencé à se brouillerGa naar voetnoot1), par l'emportement du Sr d'Emery ParticelliGa naar voetnoot2), qui fut assez imprudent pour porter ses violences jusques dans la ville de Paris, par le toisé des maisons, où tout le monde se trouva intéressé, parce que les propriétaires estant obligés de payer les taxes augmenteroient les loyers aux locataires, et dès le mois d'Aoust de l'année 1648 l'emprisonnement du Président de Blancménil et du Conseiller BrousselGa naar voetnoot3), jettèrent la ville de Paris et toute la France en des désordres, dont la mémoire vivra tant que cette monarchie subsistera. Mais d'autant que l'on en a fait des livres entiers, et entr' autres un très beau et très véritable discours manuscrit, que je publieray un jour Dieu aidantGa naar voetnoot4), et que d'ailleurs je n'ay point eu de part aux intrigues, qui se sont faites en ce temps là, je passeray outre à ce qui me regarde en mon particulier, quand j'auray dit encore un mot des quatre mil escus, que l'on me donna pour le Sr de Burgstorf le 27 Mars de cette année 1648, au lieu des vingt mille que l'on luy avoit promis quatre mois auparavant. Je ne les eus pas sitost touchés, que j'en donnay advis à M. de Burgstorf, qui en reçeut en mesme temps autant par la voye des plénipotentiaires de MunsterGa naar voetnoot5). Mais comme l'on ne cognoit point d'autres | |
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escus en Allemagne que les escus d'or, il demeura persuadé que j'avois touché près de vingt trois mille livres, et qu'il toucheroit bientost le surplus des soixante mille livres, dont l'on continuoit toujours de luy confirmer les espérances. C'est pourquoy il m'ordonna de luy achetter deux miroirs des plus beaux que je pourrois trouver, de lui envoyer les portraits du Roy, de la Reine, du feu Roy, de MonsieurGa naar voetnoot1), de M. le Cardinal, de leur grandeur, et plus de soixante à demi-corps qu'il m'avoit ordonné de faire faire en me séparant de luy à Wolffenbuttel, et de luy achetter des tapisseries et plusieurs bijoux jusqu'à la concurrence de la somme de soixante mille livres. Legendre, marchand miroiestier, qui demeure sur le pont Nostre Dame, sçait que j'achettay de luy deux glaces, l'une de trente six poulces, et l'autre de trente cinq, et que j'en fis le prix à quatorze cens livres, sur quoy je luy donnay cent escus d'arrhes, et fis faire deux bordures de soixante escus, dont l'une est chez Legendre, et l'autre est encore chez moy, et j'ay pour deux mille huit cents livres de quittances du Sr Forest, peintre, que je luy ay payées à deux fois. Mais dès que M. de Burgstorf sçut que je n'avois reçeu que douze mille livres qui ne font que quatre mille richedalers, monnoye d'Allemagne, dont il ne se destrompa néantmoins qu' au bout de | |
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dix mois, il changea ses ordres et voulut que cette somme fût employée à une bouette de portrait chargée de diamants, et que j'y fisse mettre le portrait du Roy. J'en fis faire un par le Sr Caillard, orfeuvre, demeurant rue de la monnoye. Je n'ay point d'habitude avec luy, qu'il dise ce que le Sr BoneauGa naar voetnoot1), marchand banquier, qui fait mes affaires depuis dix-huit ans, luy en a payé, et j'ay ses comptes pour le justifier, oultre les quatre louis d'or, que j'ay payés à un nommé Garnier, du portrait en miniature, et que l'on juge de là si j'ay employé les quatre mille escus que j'ay receus pour le Sr de Burgstorf qui remercie Son Eminence par sa lettre du 29 Décembre 1649Ga naar voetnoot2), dont j'ay le duplicata signé de sa main et cachetté de son cachet, du riche et magnifique présent qu'il avoit receu de sa part. Je me suis un peu estendu sur cet article, parce qu'il a plu à M. le Cardinal de dire depuis peu à M. BrandtGa naar voetnoot3) qu'il m'avoit donné de l'argent pour M. de Burgstorf, et que j'en avois disposé. Ce qui fait cognoistre que Son Eminence n'agit en mon affaire que par des mouvements qui luy sont inspirés d'ailleurs, puisque d'ailleurs elle a voulu faire croire que j'avois manqué de conduite | |
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envers le défunct Maréchal RanzauGa naar voetnoot1), dont je me justifierois icy, mais d'autant que cela feroit une trop grande digression en cet endroict, je le rejetteray à la fin de ce discours, où j'en parleray tout au long, et mettray la vérité en une si grande évidence, qu'elle paroistra plus que le soleil en plein midy. Le juste sujet que S.A. El. avoit de n'estre point satisfaite du procédé de M. le Cardinal fut cause que je ne vis point Son Eminence pendant tout le reste de l'année 1648Ga naar voetnoot2). Je n'eusse pas laissé néantmoins de suivre la Cour lorsqu'elle sortit de Paris la veille des Rois 1649Ga naar voetnoot3), si l'on eût fait l'honneur à S.A. El. d'advertir son ministre de la retraitte du Roy, ce qu'on ne luy pouvoit point refuser, puisque l'on eut bien cette déférence pour des personnes auxquelles l'on n'en devoit pas tant. J'avois d'ailleurs un équipage qui m'empeschoit de me mettre à la campagne et de laisser ma famille dans Paris, où je demeuray à l'exemple de l'ambassadeur de SuèdeGa naar voetnoot4), et de plusieurs autres personnes publiques, bien qn'a-yant des raisons très fortes qui m'empeschoient de m'en aller, je n'avois que faire d'autoriser mon procédé par des exemples. Tant y a que Monseigneur l'Electeur l'approuva et m'ordonna de l'entretenir soigneusement de l'estat des affaires. Je puis dire | |
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en homme d'honneur que j'en ay usé comme je devois, et que j'ay fait tout ce que j'ay pu pour prévenir les mauvaises impressions que l'on eust pu prendre des meschants libelles que l'on publioit tous les jours. Et néantmoins la paix de ParisGa naar voetnoot1) ne fut pas sitost faite, que l'on manda à la Cour de Monseigneur l'Electeur mon maistre, que l'on ne me pouvoit plus souffrir à la Cour, que j'avois intelligence avec les ennemis de la Couronne, et que le Roy désiroit que S.A. El. me révoquast. Ce fut M. Servient qui me presta cette charitéGa naar voetnoot2). M. le Cardinal et M. de Lionne le sçavent mieux que moy qui en ay des preuves infaillibles. Monseigneur l'Electeur, qui ne se haste point de condamner un serviteur dont il a sujet d'estre satisfait en son particulier, fut d'autant plus surpris de cette plainte, qu'un an auparavant j'avois donné des preuves d'une affection si grande pour les intérests de France, que les plus zélés ministres de S.A. El. l'avoient condamnée, parce que dans la neutralité en laquelle S.A. El. est en quelque façon obligée de vivre avec le Roy d'EspagneGa naar voetnoot3), cette déclaration pour la France pouvoit donner de l'ombrage et que les Ministres de cette Cour, aussy bien que les plénipotentiaires de France, ne se pouvoient lasser de louer mes bons sentiments: de sorte que me voulant donner à moy | |
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le loisir et le moyen de me justifier, ensuitte de l'asseurance qu'il a plu à S.A. El. me donner par ma commission, de ne me point révoquer sans m'entendre et mes justifications, et à la Cour des preuves de sa complaisance, elle m'escrivit par ses lettres du 10 avrilGa naar voetnoot1), qu' estant sur le poinct de partir de Clèves, pour aller à Berlin et peut estre de là à Konigsberg, elle me commanda de l'aller trouver, pour estre instruit par sa bouche de ses intentions et de ce que j'aurois à faire à la Cour, pendant qu'il seroit en Prusse ou en la Marc-Brandebourg. Estant arrivé à ClèvesGa naar voetnoot2), l'on me fit voir une lettre de M. le Comte de Brienne par laquelle il mandoit, non à S.A. El., mais à feu M. de Burgstorf, que S.A. El. obligeroit Sa Majesté en me révoquant, parce que l'on ne pouvoit plus souffrir ma conduitte. Je la justifiay si bien néantmoinsGa naar voetnoot3) que S.A. El. jugea qu'il estoit besoin pour le bien de son service, de me renvoyer et de me commander de continuer mon | |
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employ. Comme je fis, et arrivay à Paris au mois de Novembre 1649. Il n'y a personne qui ne sache quel estoit l'estat des affaires en ce temps là; c'est pourquoy je me dispenseray d'en parler, et me contenteray d'appeller S. Emce à témoin de ma conduite pendant tout le temps des troublesGa naar voetnoot1), et si l'on me peut seulement soupçonner de m'estre meslé d'intrigues, en quelque façon que ce soit, quoyque je fusse obligé de voir toutes les sepmaines des personnes, qui en avoient toute la direction, et d'aller dans une maison où l'on s'assembloit pour prendre les Conseils, dont toute l'Europe a vu les suitesGa naar voetnoot2) et dont M. le Cardinal a senty les effets. Il sçait qu'il n'a pas tenu à moy que je ne l'aye servy et que feu M. de BougyGa naar voetnoot3) a fait passer plusieurs lettres dans mon paquet, que j'adressais au feu Sr de BilderbeckGa naar voetnoot4). Je ne parle point non plus des bons offices que S. Emce a receus de S.A. El. pendant le séjour qu'elle a fait à BrueilGa naar voetnoot5), ny des services que je taschois de luy rendre auprès de nos ministres: mais je diray seulement que Monseigneur l'Electeur ne sçut pas sitost | |
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que M. le Cardinal estoit revenu en France en l'an 1652Ga naar voetnoot1), qu'il me commanda de luy aller tesmoigner la part que S.A. El. prenoit à tout ce qui luy arrivoit, avec offres de contribuer pour le service du Roy et pour celuy de Son Eminence en particulier. M. le Cardinal désira que j'escrivisse à quelques Princes d'Allemagne, qui me font la grâce de me considérer, que je leur représentasse l'estat où se trouvoit la France, et les avantages que la Maison d'Autriche en tireroit, et que je tâchasse de les obliger à secourir le Roy d'une somme d'argent, que l'on rendroit de bonne foy dès que les troubles seroient tant soit peu calmés. Il y en eut qui firent cognoistre qu'ils voyoient bien que l'Espagne profitoit de la conjoncture présente des affaires, mais que je sçavois qu'il leur estoit deue une somme si considérable qu'ils avoient prestée dès l'an 1590 au Roy Henry IVGa naar voetnoot2), dont j'ay les pièces entre les mains, et que l'on avoit eu si peu de soin de les payer depuis soixante ans qu'ils ne se pouvoient pas résoudre à s'engager de nouveau avec la France. Tant y a, il ne tint pas à moy que S. Eminence n'eust des preuves de mon affection pour le service du Roy. Je demeuray à la Cour jusqu'à ce qu'elle partit de SaumurGa naar voetnoot3), et je ne suivis point, parce que je receus en mesme temps ordre d'aller régler les affaires du gouvernement d'OrangeGa naar voetnoot4). Je revins à Paris pour y | |
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faire mon équipage, et me mis en chemin pour le voyage de Provence le 26 avril. J'y demeuray jusqu'à la fin d'Aoust, et ne revins à Paris que vers la fin de Septembre parce que les désordres, et les troupes qui occupoient quasi toutes les avenues de cette villeGa naar voetnoot1) m'obligèrent à demeurer quelque temps à Orléans, où j'estois descendu par eau depuis Roanne. Le Roy revint à Paris au commencement du mois d'octobre, et incontinent après j'eus l'honneur de faire la révérence à leurs Majestés, pour leur faire compliment de la part de S.A. El. sur leur retour en cette ville. J'eus aussy l'honneur de voir M. le CardinalGa naar voetnoot2) qui me receut parfaitement bien, je l'advoue; mais il ne put pas s'empescher de me dire qu'il avoit sceu que j'avois escrit au désavantage des affaires du Roy pendant ces derniers désordres et qu'il me prioit d'estre son amy: ce furent les termes dont S. Emce se voulut servir. Je n'eus pas assez | |
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de force sur moy, pour dissimuler l'émotion que me donna cette calomnie, et l'indignation que j'eus de ce que M. le Cardinal estoit capable de m'accuser d'avoir escrit de Paris, pendant que j'en estois esloigné de près de cent cinquante lieues: mais d'autant que je crus que c'estoit un artifice de mes ennemis, je me contentay de dire à S. Emce que j'espérois que cela contribueroit à ma justification, tant contre les mauvaises impressions qu'on luy avoit données par le passé que contre celles qu'on luy pourroit donner à l'avenir, et qu'elle me feroit bien la justice de me réserver une oreille quand elle auroit presté l'autre à mes ennemis, et me souvient que je luy alléguay ensuitte ces vers de Sénéque: Qui jus dicit parte non audita altera,
Etiamsi aequum dixerit haud aequus fuitGa naar voetnoot1).
Estant allé voir l'Ambassadeur de HollandeGa naar voetnoot2) au mois de Juin 1653, il me dit que feu M. Servient luy avoit dit que M. le Cardinal considérant les avantages que la France avoit toujours tirés de l'amitié des Princes protestants d'Allemagne, et que c'estoit attaquer la Maison d'Austriche jusques en ses entrailles, que luy opposer un si puissant corps, avoit résolu d'envoyer en Allemagne une personne en qui l'on pourroit prendre confiance et que n'en cognoissant point qui y eust plus d'habitudes que moy, Son Emce seroit bien aise que je fisse ce voyage. Je | |
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luy respondis que n'estant point payé de celuy que j'avois fait en 1647, et qu'ayant esté si maltraitté au retour, qu'il sembloit que l'on eût eu dessein de se mocquer de moy, je n'avois garde d'y songer, et de m'engager en un autre, où je serois obligé d'employer plus de temps et de faire plus de despense; que je serois tousjours bien aise de servir le Roy, mais que je n'estois pas obligé de quitter ma maison et mes affaires, sans aucune espérance de récompense, et encore moins d'entreprendre de si grands voyages à mes despens. M. l'Ambassadeur peut se ressouvenir qu'il me respondit, que M. Servient avoit bien prévu que je luy dirois tout cela, mais qu'il l'avoit asseuré aussy, que non seulement l'on auroit soin de me fournir le nécessaire, mais aussy que l'on me payeroit tout le passé, et qu'il ne falloit qu'un voyage de cette nature pour faire ma fortune. Je ne demeuray point sans réplique, et ne manquay point de dire ce que l'on peut penser des promesses de la Cour; veu que j'en avois une si belle expérience en ma personne. Frustra Deos accusat qui bis naufragium facit. Je ne m'engageay point en cette visite, et je pris du temps pour délibérer; mais j'advoue que je n'avois plus la liberté d'esprit que j'avois en entrant. Je consultay mes amis et résolus que si la Cour me faisoit donner de plus grandes asseurances, je ferois le voyage. Et de faict, à la trois ou quatriesme visite que je rendis à l'Ambassadeur de Hollande, je promis que je le ferois, pourveu que l'on me donnast de quoy et que l'on me donnast satisfaction touchant le passé, et sur l'asseurance que M. Servient m'en donna en suitte, j'escrivis au commencement d'octobre à Monseigneur l'Electeur et après luy avoir fait cognoistre les bonnes intentions de la Cour, je luy demanday la permission de faire le voyage, pour luy en donner de plus grandes | |
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asseurances de bouche. Le comte de WaldecGa naar voetnoot1), qui tenoit en ce temps là une des premières places dans le conseil de S.A. El., et qui a toutes les inclinations françoises, ne manqua point de me représenter le mauvais succès du voyage de 1647, et M. le Baron de Sverin, comme mon amy particulier, m'exhorta de prendre si bien mes mesures, que S.A. El. n'eût pas sujet de blasmer ma conduitte, et de condamner ma crédulité. Tout ce que je pouvois faire c'estoit de prendre l'Ambassadeur de Hollande pour garant de tout ce qu'il m'avoit promis de la part de la Cour, pour ce qui estoit des intérests de S.A. El., de voir souvent M. Servient, et de pénétrer mesme dans les sentiments de M. le Cardinal; qui me tesmoignoit vouloir entrer dans une alliance si estroitte avec S.A. El., qu'il sembloit que le Roy et Monseigneur l'Electeur ne devoient plus avoir que des intérests communs touchant les affaires de l'Empire: de sorte qu'il me fit encore donner dans le panneau et m'engagea encore une fois au voyage d'Allemagne. Le premier avoit parfaitement bien réussy pour la Cour, et n'avoit pas laissé de m'estre très malheureux, mais l'autre, dont la Cour n'eût pas tiré moins d'avantage que du premier, si ses intentions eussent esté bonnes, a achevé de me perdre. Monseigneur l'Electeur me permit de faire le voyage, et je receus cette permission le premier jour de l'an 1654, mais | |
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limitée de cette condition, que je ne verrois point de Prince en passant, que S.A. El. ne fust informée de tout ce que j'avois à faire. Le dessein de S. Emce estoit d'obliger tous les Princes protestants et mesme les Catholiques de faire une alliance pour l'exécution des traittés de Munster et d'Osnabrug, qui brideroit si bien la trop grande puissance de l'Empereur, que l'on ne pourroit point appréhender qu'il assistast le Roy d'Espagne d'hommes ou d'argent. Dès que j'eus receu la permission de S A. El. j'en donnay advis à l'Ambassadeur de Hollande qui le dit à M. Servient, et moy mesme je le dis à M. de Brienne, dont l'on se cachoit, et à M. le CardinalGa naar voetnoot1), qui voulut que je me disposasse au voyage. La saison m'empeschoit de partir, aussy bien que la froideur que M. l'Ambassadeur avoit remarquée en M. Servient qui s'estoit contenté de dire, que puisque je voyois tous les jours M. le Cardinal, je pouvois prendre mes mesures avec luy. A la fin de février, je commençay à m'occuper de mon équipage, mais je fus bien estonné d'entendre de M. l'Ambassadeur que j'avois prié de voir M. Servient pour l'argent que l'on m'avoit promis, que celuy-cy luy avoit dit que l'on n'estoit point si simple icy, que de donner de l'argent au ministre d'un Prince estranger, parce que si on vouloit faire négotier en Allemagne l'on y employeroit des françois et des personnes entièrement dépendantes de la volonté du Roy. Je m'en plaignis à M. le Cardinal, qui me dit que je ne m'en misse point en peine, et que l'on me donneroit de quoy faire le voyage. Je pris la liberté de dire à Son Emce que ce n'estoit point ce que l'on m'avoit promis, et que je m'attendois d'estre payé de ce qui m'estoit | |
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deu par le passé et de toucher quelque récompense de service. Elle eut la bonté de me dire qu'on le feroit et qu'elle auroit soin de moy. Sur cela je luy remontray qu'il m'estoit deu par feu StellaGa naar voetnoot1) huit cent soixante escus avec les intérests de plusieurs années, qu'il m'estoit deu cinq cents escus du voyage que j'avois fait en 1647, des mille que l'on m'avoit ordonnés alors, quoyque j'en eusse despensé plus de deux mille, et que j'avois entre les mains un billet signé de S. Emce par lequel elle s'obligeoit en son propre et privé nom de faire payer le fret des navires St. Estienne et l'Aigle noir, que l'on avoit arrestés à Toulon pour le service du Roy: que la somme montoit à vingt six mille livres. M. le Cardinal le prit avec le billet de l'épargne de cinq cents escus, et me dit qu'il me feroit donner satisfaction de l'un et que pour l'autre que le lendemain je serois payé des cinq cents escus, et que l'on me donneroit de quoy faire les frais de mon voyage. Je le dis dès lors à une personne qui s'en peut souvenir et que je ne juge point devoir nommer, parce qu'il est de la Cour et dépend entièrement de M. le Cardinal. Ce fut vers la my Mars, et la parole de M. le Cardinal m'obligea à me mettre en un équipage qui pust faire honneur au Roy auprès des Princes, auxquels j'avois à parler de la part de S. Majesté. Et de faict l'on me donna des lettres pour le Duc de Holstein-GottorpGa naar voetnoot2), pour les deux Ducs de MeklenbourgGa naar voetnoot3), pour | |
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les trois Ducs de Brunswic et LunebourgGa naar voetnoot1), pour l'Electeur de Saxe et pour le Prince son filsGa naar voetnoot2) et pour les Ducs de Saxe Altenbourg et WeimarGa naar voetnoot3), mais quand il fut question de partir, on ne me donna ny ordonnance ny argent. J'avois fait des habits et j'avois achetté pour plus de mille escus de gants, peaux de senteurs, essences, eau de fleur d'oranger, rubans et autres galanteries pour faire des présents aux lieux où il falloit donner quelque bonne odeur de la France, de sorte que n'ayant pas d'argent pour faire ce grand voyage, où j'allay assez bien suivy, je fus contraint de vendre une partie de la bibliothèque. Lamy, libraire dans la Salle du Palais, sçait que je luy en vendis pour plus de deux mille escus, et ce fut là le premier effet de la parole que l'Ambassadeur de Hollande m'avoit portée et de toutes les promesses que M. le Cardinal m'avoit faites ensuitte. Je ne laissay pas de partirGa naar voetnoot4) et réussis encore si bien en ce voyage là, que non seulement Monseigneur l'Electeur me chargea d'instructions avantagenses pour la FranceGa naar voetnoot5), dont je mettray les copies à la fin de ce discours, aussy bien que de toutes les | |
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autres pièces, et si agréables à S. Emce, que ce fut sur mon rapport que l'on despescha en l'année 1655 M. de LumbresGa naar voetnoot1) à S.A. El. de la façon que je diray cy après. Je partis de Paris le dernier jour de Mars et y revins au mois d'AoustGa naar voetnoot2), après avoir mis près de cinq mois à mon voyage. J'advoue que manquant d'argent pour voir les Princes pour lesquels l'on m'avoit donné des lettres, je me contentay d'envoyer un gentilhomme à l'Electeur de Saxe, et ayant rencontré à Berlin un des gentilshommes du Prince héritier de l'Electorat, je le chargeay de la lettre du RoyGa naar voetnoot3) et d'un présent assez considérable pour la Princesse sa femmeGa naar voetnoot4), et luy parlay si avantageusement de la bonne volonté du Roy et de M. le Cardinal, que cela fit l'effect que je m'en pouvois promettre; ainsy que je diray incontinent. Estant de retour à Paris je trouvay chez moy une ordonnance de deux mille francs, je dis de deux mille livres, que l'on y avoit apporté en mon absence, pour les frais de mon voyage. L'on m'en avoit donné advis et j'avois défendu que l'on en poursuivist le payement, afin que l'on me laissast ce soin à mon retour. M. le Cardinal estoit à Paris, mais il en partit in- | |
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continent pour la FèreGa naar voetnoot1); quand je revins en France, je luy en donnay advis, comme aussy à M. de Brienne qui me fit response et mil escuses de la part de M. le Cardinal de ce que S. Emce ne m'avoit point donné audience à Paris, et de ce qu'il ne me faisoit point venir à la Cour, parce qu'il ne sçavoit point où elle s'arresteroit, tesmoignant estre fort satisfait de mon voyage et de ma négociation, promit de recognoistre mes services, et fit dès lors dessein d'envoyer en Allemagne, et d'y faire achever ce que j'avois si heureusement commencé; m'ordonnant de le voir souvent, afin d'y pouvoir agir de concert avec moy et de prendre les mesures nécessaires pour cela. Son Eminence fut bien plus confirmée en ce sentiment, quant le 4 Décembre de la mesme année 1654 je luy dis que le Prince de Saxe m'avoit fait dire par un jeune gentilhommeGa naar voetnoot2) qu'il avoit pris plaisir à faire eslever auprès de sa personne, et que j'avois eu soin de retirer chez moy, pour tascher de luy donner quelques sentiments raisonnables, qu'il estoit prest d'entrer dans les intérests de la France pourvu que Sa Majesté luy donnast quelques preuves de sa bienveillance. M. le Cardinal me demanda quelles avances il falloit faire pour cela et je luy dis librement, conformément à l'ordre que j'avois, qu'il demandoit une pension de vingt cinq mille escus. Il me dit que la somme estoit grande, mais sur ce que je remonstray à S. Emce que ce Prince ne pouvoit pas estre longtemps à charge à la France veu l'estat de l'Electeur son père qui estoit fort âgé et plus caducGa naar voetnoot3); que le suffrage d'un Elec- | |
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teur dans le collége Electoral valoit bien la peine qu'on l'achetast, et que la France ne pouvoit pas espérer un plus grand avantage que de destacher l'Electeur de Saxe des intérests de la Maison d'Austriche, elle me dit enfin qu'elle le vouloit bien, mais qu'il falloit tascher de le faire contenter de vingt mille escus. Je dis qu'il n'y avoit point d'apparence de marchander avec ce Prince, et surtout je priay S. Emce de ne parler à personne de cette affaire, parce qu'elle seroit cause d'un divorce entre l'Electeur son père et luy, si grand qu'il ne se réconcilieroit jamais avec luy. M. le Cardinal me le promit, mais dès la première fois que je vis M. de Brienne il me fit cognoistre qu'il sçavoit toute l'affaire et se mit à marchander avec moy touchant la somme dont S. Emce vouloit rabattre cinq mille escus: ce qui fut débattu entre S. Emce, M. de Brienne et moy, plus de quatre mois durant. Enfin la somme de vingt cinq mille escus estant accordée, le Prince m'envoya sa procurationGa naar voetnoot1), et M. de Lumbres qui partit de Paris le lendemain de Pasques 1655, eut charge de dire au Prince, si l'occasion se présentoit qu'il le vist, que sa pension seroit ponctuellement payéeGa naar voetnoot2). Mais quand j'en voulus presser M. le Car- | |
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dinal, il me dit qu'il vouloit de plus grandes asseurances de la volonté du Prince que la parole que je lui en avois portée, et me fit cognoistre qu'il désiroit avoir une lettre de sa main. Il m'en envoya une escrite en italien, sur laquelle je pressay M. le Cardinal de dégager ma parole envers ce Prince, comme ce Prince de son côté avoit fait ce que l'on avoit désiré de luy. M. le Cardinal me le promit et me donna jour pour cela, mais il me remit si souvent, que m'ayant dit le 18 Septembre que je l'allasse trouver le lendemain à huit heures du matin et ayant ordonné à M. l'abbé Palluau de l'advertir dès que je serois arrivé, je ne manquay pas de me rendre devant l'heure à l'antichambre. Il me fit dire qu'il me verroit, et je m'opiniastray à attendre la commodité de S. Emce dans l'antichambre jusques sur les onze heures qu'il me fit entrer; mais ce ne fut que pour me dire qu'il me parleroit dès qu'il auroit renvoyé ceux à qui il avoit à parler. Tout le monde sortit, mais je m'opiniastray à attendre l'ordre de M. le Cardinal, qui fut à la messe et disna ensuitte, sans s'informer de ce que je faisois dans l'antichambre, où il n'y avoit pas seulement un siège pour me reposer. Sur les cinq heures du soir RoseGa naar voetnoot1) me vint dire de la part de S. Emce qu'il avoit charge de me donner cinq mille escus, mais qu'elle prétend avoir l'original de la procuration, et que je la pouvois endosser de la somme que l'on me donneroit. Je luy remonstray que cela estoit injuste, et que j'offrois de luy en laisser une copie collationnée, mais on me répondit qu'il n'en seroit autre chose, de sorte qu'il fallut passer par là, et un des valets de chambre de S. Emce me mena chez Languet, trésorier de l'extraor- | |
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dinaire, où l'on me compta cinq mille escus le 19 Septembre 1655, c'est à dire plus de neuf mois après que j'en eus parlé la première fois à M. le Cardinal. Quoyque je ne sois point obligé de rendre compte de cette somme qu'à celuy qui m'a chargé de sa procuration pour la recevoir, je croy néantmoins devoir dire, contre les bruits que l'on en a fait courir, que j'en ay payé près de trois mille sur les ordres du Prince, que le Prince me devoit mil escus pour deux années de pension, et il m'avoit ordonné de prendre mil escus sur l'argent que je toucherois, que j'ay creu devoir prendre sur les premiers deniers puisque l'évènement a fait cognoistre que j'avois raison de ne m'attendre point aux derniers J'ai d'ailleurs fait des frais au voyage que je fis à Fontainebleau en la mesme année, quoyque, pour dire la vérité, quand j'aurois pris toute la somme, je ne me serois point payé de la peine que cette maudite affaire m'a donnée, bien plus que toutes les autres que j'ay eues pour S.A. El. depuis que je suis à son service. Environ sept mois après, sçavoir au mois d'avril suivant, M. le Cardinal me fit encore donner deux mille escus, et au mois de Juin autantGa naar voetnoot1). Je ne pense pas que l'intention de S. Emce fust de faire payer cette somme au Prince de Saxe, tant parce qu'il n'en fit point endosser la procuration, que parce que je ne me pouvois point persuader que S. Emce voulust traitter de la sorte un des premiers Princes de l'Empire, et qui estoit | |
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à la veille de succéder à la dignité Electorale et de se passer de la pension qu'on luy avoit fait espérer deux ans auparavant; comme en effet il y succéda encore en la mesme annéeGa naar voetnoot1). J'avois plustost sujet de croire que l'intention de S. Emce estoit de me faire payer des huit cent soixante escus qui m'estoient deus par feu Stella avec les intérests de plusieurs années, parce que c'estoit elle qui s'estoit fait donner la Bibliothèque, nonobstant la saisie que j'en avois fait faire, et qui s'estoit chargée de payer les créanciers; sans quoy il n'y peut point avoir d'aubaineGa naar voetnoot2); des cinq cents escus qui m'estoient deus dès l'an 1647, dont j'avois mis le billet de l'espargne entre les mains de S. Emce, et d'une partie de la somme de vingt six mille livres qui m'estoit deue pour le fret des navires St. Estienne et l'Aigle noir, dont M. le Cardinal avoit voulu faire sa promesse que je luy ay rendue. J'avois sujet de le croire, dis je, parce que je voyois que Son Eminence, en me refusant une grâce très commune, sçavoir la permission pour mon gendreGa naar voetnoot3) de pouvoir traitter du gouvernement de Chasteau Portien avec feu M. de Bougy, sous prétexte de la religionGa naar voetnoot4), quoyque l'autre en fust, je ne pouvois pas douter qu'elle ne me voulust faire la justice de me payer ce qui m'estoit deu, puisqu'elle ne me vouloit point donner la récom- | |
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pense, qu'elle m'avoit si souvent fait espérer: dont j'avois une preuve très certaine, en ce que S. Emce m'ayant souvent exhorté de luy porter quelque affaire extraordinaire, je luy donnay un mémoire d'une affaire, dont l'on eust pu tirer quatre vingt mille livresGa naar voetnoot1). Mais S. Emce l'ayant examinée eut la bonté de me dire quelques jours après qu'elle estoit de trop longue discussion, et qu'il me falloit quelque chose de plus présent. J'y acquiesçay quoyque je sçeusse que l'affaire estoit fort bonne, comme en effet je sçus incontinent après qu'un autre l'avoit faite et en avoit touché l'argent. Je fus en ce temps là obligé de faire un voyage en HollandeGa naar voetnoot2); mais je ne le voulus pas faire sans le communiquer à M. le Cardinal et à M. de Brienne. Je fus exprès pour cela à Compiègne où S. Emce me fit l'honneur de me faire disner avec luy, et me dit que M. l'Abbé | |
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FouquetGa naar voetnoot1) avoit charge de me faire un présent d'une somme d'argent avant mon départ, et j'eus la faiblesse d'aller chez luy pour cela et d'en faire parler à M. le Procureur généralGa naar voetnoot2). Peu de jours devant mon départ arriva à Paris un homme de la part du Prince de SaxeGa naar voetnoot3), qui me dit que M. de Lumbres avoit mandé à son maistre que j'avois touché sa pensionGa naar voetnoot4). Je luy dis franchement l'éstat de toute l'affaire, et afin que l'on ne crust point que je voulusse la déguiser, je luy donnay par escrit tout ce que je luy avois dit de bouche. Je partis le 5 octobreGa naar voetnoot5) et demeuray à Calais trois sepmaines entières parce que le gouverneur de GravelinesGa naar voetnoot6) ne me voulust point laisser passer sur le passeport de Monseigneur l'Electeur, mon maistre, et de l'ambassadeur de Hollande. J'y mangeois tous les jours avec M. le Comte de CharostGa naar voetnoot7), qui me cognoist il y a plus de vingt cinq ans, et qui sçait que j'ay manié plusieurs millions pour un des plus grands Princes | |
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de l'Europe, sans reproche, de sorte que l'on ne pouvoit point ignorer ce que j'estois devenu; principalement puisque j'avois dit bien expressément à M. le Cardinal et à M. de Brienne que j'allois en Hollande, et que j'avois pris passeport pour cela du dernier. Et néantmoins je sçeus depuis, que l'on avoit fait courir le bruit, que j'avois destourné de l'argent du Prince de Saxe, que j'avois fait banqueroute, et que l'on ne sçavoit ce que j'estois devenu. Dedecus ipse domus sciet ultimus. Il n'y a point de plaisir à dire à un homme les bruits qui courent au désavantage de son honneur, mais j'avois trop de véritables amis à la Haye, pour n'en estre point adverty, et, dès que je le sçeus, je quittay toutes les affaires que j'avois en ce lieu là, et m'en revins en France. J'entray dans Paris avec mon carosse en plein jour, et vins tout droict loger chez moy au commencement du mois de Mars 1657. J'escrivis aussitost à M. le Cardinal et luy rendis compte de mon voyage et de l'affaire du Prince qui estoit alors Electeur de Saxe, et, ne recevant point de response sur ma première lettre, je luy en envoyay une autre au mois de May après que la Cour fust arrivée à Compiègne. Ce fut sur cette lettre que M. ColbertGa naar voetnoot1) me vint trouver le 10 Juin suivant, et me dit que M. le Cardinal ne pouvant pas estre satisfait des raisons que je luy avois alléguées dans mes lettresGa naar voetnoot2), desiroit sçavoir si je | |
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n'en avois point d'autres, parce qu'il croyoit que mon procédé estoit cause de la froideur que l'on remarquoit en l'Electeur de Saxe, oultre que S. Emce avoit sujet de se plaindre du procédé du chevalier de Londy, mon gendre. L'Empereur estoit décédé environ deux mois auparavantGa naar voetnoot1), et en ce temps là l'on ne pouvoit pas encore avoir descouvert les sentiments de l'Electeur de Saxe: c'est pourquoy je dis à M. Colbert que l'Electeur de Saxe auroit le plus grand tort du monde, si, ayant d'ailleurs sujet d'estre satisfait de la France, il changeoit de sentiment à cause de mon procédé: parce que, quand M. le Cardinal m'auroit fait payer toute la pension, et que je l'aurois dissipée, il seroit bien injuste d'enGa naar voetnoot2) prendre à S. Emce; au contraire il luy seroit obligé de ce qu'il auroit fait payer toute la somme de bonne grâce, à celuy qui estoit porteur de sa procuration, et auroit action contre moy: comme M. le Cardinal ne me pourroit point vouloir du mal, puisque S. Emce ayant satisfait à ce qu'elle avoit promis, c'estoit à l'Electeur de Saxe à demander justice contre moy à S.A. El., mon maistre. M. le Cardinal ne me doit point vouloir du mal; si ce n'est qu'il sçache, ou qu'il puisse soupçonner seulement que j'aye agy contre les intérests du Roy. Mais tant s'en faut que l'on m'en puisse accuser, que de ce costé là j'ay un tesmoignage irréprochable en ma conscience, que je n'ay eu aucune intelligence avec les ennemis de l'estat, ny mesme avec les ennemis particuliers de S. Emce, de bouche ou par escrit, directement ou indirectement, en quelque façon que ce puisse estre. Car pour ce qui est du procédé du feu chevalier de Londy, il est certain que j'estois en | |
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Hollande, quand il prit party avec M. le PrinceGa naar voetnoot1), et qu'il ne m'en a jamais rien communiqué que par une lettre qu'il m'escrivit lorsqu'il estoit sur son départ et que je ne receus que lorsque je le croyois party en effect. Je puis dire en homme d'honneur et devant Dieu, que je n'ay point eu de commerce avec luy pendant qu'il estoit à la Bastille, et que mesme je ne l'ay point veu dans l'extrémité de sa maladieGa naar voetnoot2). Et néantmoins M. le Cardinal qui m'a fait l'honneur de me considérer comme son amy et son serviteur particulier, qui l'a tousjours servy sans intérest et luy a parlé sans flatterie, a conceu une si forte aversion contre moy, qu'il a fait entendre à S.A. El. qu'il ne vouloit plus traitter avec moyGa naar voetnoot3). Lorsque M. de Lumbres partit de cette villeGa naar voetnoot4), S. Emce voulut que je l'instruisisse de l'estat des affaires d'Allemagne, où il estoit bien neuf, et où il eût trouvé des difficultés insurmontables, si je ne luy en eusse applany le chemin en mon dernier voyage, et quand le Roy de Suède entra en PrusseGa naar voetnoot5) elle voulut que je luy disse mon sentiment touchant | |
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l'estat des affaires du Nord. Je le luy dis avec toute la franchise que je devois à la confiance que S. Emce me faisoit l'honneur de me tesmoigner, et à l'affection que j'ay tousjours eue pour les intérests de cette Couronne, et S. Emce le trouva si bon, qu'elle voulut que je misse par escrit ce que je luy avois dit de boucheGa naar voetnoot1), et que je le luy envoyasse à la Fère où il alla le lendemain. Je le fis en des termes que vous verrez dans le discours mesme que je mettray avec les autres pièces justificatives à la fin de celuy-cy. Après cela, M. le Cardinal ne pouvoit plus douter, que je n'entrerois jamais dans les intérests du Roy de Suède, parce que je les jugeois incompatibles avec ceux de S.A. El. Je ne sçay si c'est là la raison qui a obligé S. Emce à presser ma révocation depuis un an, plustost par le ministère de celuy qui fait tout ce qu'il peut pour succéder à ma placeGa naar voetnoot2) que par aucune autre instance qu'il ait fait faire pour cela, car jusques icy M. le Cardinal n'en a pas escrit un seul mot à S.A. El., laquelle eust esté bien aise de sçavoir la raison qui obligeoit S. Emce à demander ma révocation avec tant d'empressement; veu que sur cela elle eust pris ses mesures, n'estant point juste qu'un si grand Prince que luy obéisse aveuglément et fasse ce que l'on désire de luy s'il n'y trouve de la raison et de la justice. Néantmoins S.A. El. a bien voulu avoir cette complaisance pour M. le Cardinal que de luy faire dire par M. Brant qui négotie icy depuis deux | |
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ans, quoyque sans autre qualité que celle de conseiller d'Estat de S.A. El., qu'elle n'entendoit point entretenir icy un ministre qui fust désagréable à la cour; elle vouloit bien me révoquer, pourveu qu'on luy donnast le loisir de m'envoyer ce qui m'est deu, qui monte à une somme fort considérable, et à moy celuy de me pouvoir retirer d'icy avec quelque réputation pour les affaires de S.A. El. et pour les miennesGa naar voetnoot1). M. Brant m'a rapporté que S. Emce luy dit en la dernière audience qu'il eut d'elle devant son départGa naar voetnoot2), qu'elle me le donneroit et qu'elle me feroit parler par quelqu'un. Elle m'a fait parler en effet puisque, le 12 Juillet dernier, le Chevalier du GuetGa naar voetnoot3) me vint dire de bouche, que le Roy me commandoit de sortir incessamment et sans délay du Royaume et des terres de son obéissance avec ma famille, et de n'y point rentrer sans permission, à peine de désobéissance. Six jours après, sçavoir le 18 du mesme mois, le mesme officier du guet m'envoya par un de ses exempts un passeport du Roy pour un moisGa naar voetnoot4), c'est à dire jusqu'au 16 Aoust prochain, et nonobstant cela dès le 2 Aoust le chevalier du guet investit ma maison, et le lendemain 3 il me vint arrester dans ma maison, et me | |
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conduisit à la BastilleGa naar voetnoot1). J'advoue que jusques icy je n'ay pas encore pu pénétrer dans le mystère de ce procédé, tant pour ce qui est du sujet que pour ce qui est de la forme. Une personne de très grande qualité, qui me fait la grâce d'avoir quelque estime pour moy, estant allé voir M. de Brienne pour sçavoir de luy ce qui pouvoit obliger la cour à en user de la sorte, il luy dit en gros que M. le Cardinal estoit fort mal satisfait de moy, que la conduite de mon gendre avoit esté très mauvaise, et que je n'avois plus la qualité de résident, parce que je luy avois dit que j'estois à la Reine de PologneGa naar voetnoot2). Mais d'autant que ces sortes d'affaires ne passent point par les mains de M. de Brienne, il ne faut pas s'estonner de ce qu'il en parle en ces termes. Pour ce qui est de la conduite du feu Chevalier de Londy, j'en ay dit un mot en passant cy-dessus. Ce pauvre garçon avoit trop de coeur, et s'il eût pris conseil de ceux qui ont plus d'expérience qu'il n'en pouvoit avoir, je luy eusse sans doute fait la mesme response que fit M. d'Aiguebére, mon bon amy, à un gentilhomme qui voulut avoir son advis après avoir résolu d'aller trouver M. le Prince. Mais je me trouve obligé de dire un mot sur ce que M. de Brienne a voulu soustenir que je ne suis plus résident de Brandebourg. J'ay tousjours fait estat de l'amitié de M. de Brienne, parce que je le trouvois bon homme, et parce qu'il me parloit assez franchement des affaires, | |
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je luy disois aussy les miennes, non comme à un secrétaire et ministre d'Estat, mais comme à mon amy particulier. Il a bien voulu que je luy aye moyenné un présent de douze cents louis d'or dans un temps où il en avoit besoin, c'est pourquoy je croyois luy pouvoir confier, que la Reine de PologneGa naar voetnoot1) me faisoit rechercher et que j'avoisGa naar voetnoot2) congé à Monseigneur l'Electeur mon maistre, tant pour plusieurs autres considérations dont je luy voulus faire confidence, que parce que je voyois S.A. El. trop avant dans les intérests de Suède, pour lesquels il me seroit impossible de parler. M. le C. de Brienne me permettra donc de luy dire, qu'il ne m'est jamais venu dans la pensée de luy dire que je n'estois plus Résident de Brandebourg. Si j'eusse quitté le service de S.A. El., je l'eusse fait dans les formes, comme en effect j'avois demandé mon congé, et je l'eusse pris en cette qualité de Leurs Majestés: mais tant s'en faut que je l'aye obtenu, que S.A. El. n'a point désiré que je quittasse son service et au contraire m'a convié par de très grands avantages à y continuer, et de faict elle n'a jamais escrit ou fait escrire à M. de Brienne ny à aucun autre qu'elle m'eust révoqué et n'a jamais donné la qualité de résident à M. BrandtGa naar voetnoot3). M. le Cardinal mesme, en faisant faire instance pour me faire révoquer, m'a recognu pour résident, et j'en ay pris la qualité, | |
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sans qu'on me l'ait disputée, à la teste du traitté que j'ay publié de l'élection de l'EmpereurGa naar voetnoot1), en publiant l'apologie de S.A. El. contre le Roy de SuèdeGa naar voetnoot2) et en mettant en lumière la relation du voyage d'Oléarius, que j'ay fait imprimer immédiatement devant ces désordresGa naar voetnoot3). Je suis heureux de ce que ma qualité ne dépend point de M. de Brienne, lequel, à ce que je vois, ne feroit point de difficulté de faire littière de ses amis, pour faire sa cour, mais de S.A. El., lequel me faisant l'honneur de me recognoistre pour son ministre et pour son résident en FranceGa naar voetnoot4), je supplie M. de Brienne de trouver bon que j'en prenne la qualité et que j'implore la protection, dont S.A. El. a eu la bonté de me donner des preuves très particulières par ses lettres du 18 Juin dernier. Présupposé donc que je suis Résident de Brandebourg, et personne publique, comme je le suis en effect, voyons s'il vous plaist, si l'on n'a point manqué en la forme de toute cette procédureGa naar voetnoot5). L'on m'envoye le Chevalier du Guet me porter un commandement de sortir du Royaume. Il me semble | |
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que, quand l'on auroit eu un peu plus de respect pour S.A. El. et que quand l'on m'auroit fait dire par M. de Berlize ou par M. GiraultGa naar voetnoot1) que le Roy vouloit que je me retire, l'on ne se seroit point fait de tort. Je sçay bien que sous le dernier règne, à la journée des duppesGa naar voetnoot2), l'on fit commandement à l'ambassadeur d'EspagneGa naar voetnoot3) de sortir de la ville de Paris incontinent et du Royaume dans un certain temps, et ce avec tant de précipitation qu'on luy voulust mesme donner des officiers de la maison du Roy, pour faire sa despense jusqu'en Espagne, parce qu'il disoit qu'il n'avoit point d'argent; mais oultre que cet ambassadeur fut une des duppes de ce temps, je sçais aussy que ceux-là mesme qui ont fait cette dernière violence en ma personne ne voudroient point soustenir celle là. Au plus fort de la guerre, les Princes se font civilité, et en m'en faisant en cette rencontre M. le Cardinal eût recognu celle qu'il a autrefois reçue de S.A. El. On me fait un commandement, mais un commandement verbal, que l'on eust pu désavouer, et dont on eust pris occasion de me railler, pour m'estre retiré sans ordre que je pusse faire voir à S.A. El. et qui pust justifier ma retraitte sans attendre son commandement exprès. Le Roy est le maistre chez luy, et n'est pas obligé de souffrir en son royaume | |
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des personnes qui luy sont désagréables, mais comme Sa Majesté ne punit point de mort, ne bannit et ne confisque pas mesme pour crimes, que par les formes ordinaires de la justice, mesme à l'esgard de ses sujets, je crois qu'à plus forte raison l'on doit garder certaines mesures avec les personnes publiques et ministres des Princes estrangers: au moins on ne les peut pas traitter plus mal que les sujets du Roy, si ce n'est qu'ils ayent intelligence avec les ennemis de l'Etat, à moins que l'on veuille violer le droit des gens. Donc l'on peut juger de l'ignorance du commis qui a dressé l'ordre que l'on a envoyé au Chevalier du Guet, où l'on m'ordonne de sortir du Royaume, à peine de désobéissance. Je scay que je dois au Roy, comme au premier et plus grand Monarque de la Chrestienté, un très profond respect; mais je sçais bien aussy que Sa Majesté me dispensera bien de luy rendre de l'obéissance qui ne luy est deue que par ses sujets et que je ne dois en effect qu'à Monseigneur l'Electeur, mon maistre. J'honore le Roy, mais j'obéis à mon maistre, à l'exclusion de tous les autres princes souverains, à qui je n'ay point d'autre obligation que celle qui m'est commune avec tous les autres estrangers. Si donc je ne dois point d'obéissance, comment me peut-on menacer de punir ma désobéissance? D'ailleurs comment vouloit-on que je partisse en un mois avec toute ma famille, qui est composée de plus de vingt personnesGa naar voetnoot1), parmy lesquelles il y en a de si infirmes, qu'il est impossible de leur faire faire voyage. J'ay un fils qui n'a | |
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pas eu un jour de santé depuis quatorze ans qu'il est au monde, et qui ne peut souffrir le cheval ny le carosseGa naar voetnoot1). Avec cela, Monseigneur l'Electeur mon maistre avoit fait cognoistre à S. Eminence qu'il me falloit du temps pour faire mes affaires, pour payer mes dettes passives et pour recouvrer les actives, et M. Le TellierGa naar voetnoot2) a luy mesme si bien recognu cette nécessité que de son mouvement il m'envoya le 18 Juillet un passeport du Roy qui me donne le terme d'un mois, pour sortir du Royaume. C'est sous la foy publique de ce passeport que j'ay cru pouvoir demeurer à Paris, et donner ordre à mes affaires, et les disposer en sorte que me rendant à Cambray dans le 16 de ce mois d'Aoust, j'exécutois la volonté du Roy. Mais c'est ce que l'on ne m'a pas donné le loisir de faire, puisque dès le 3 l'on m'a arresté pour me conduire à la Bastille où je me trouve maintenant. Je ne scay ce que les estrangers pourront dire de ce procédé, veu que l'on n'a jamais rien veu d'approchant à l'égard d'une personne publique. Je ne sçay si M. le Cardinal approuvera ce qui s'est fait en son absence; mais je sçay bien que M. Le Tellier est allé un peu viste en cette affaire. Ces exécutions militaires sont bonnes dans son département des gens de guerre, mais que l'on ne peut point souffrir dans la réserve dans laquelle on doit demeurer avec les Princes souverains. Il ne se peut que cela ne fasse un très mauvais effect dans l'esprit de ceux qui croyent, et avec justice, que l'on ne | |
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sçauroit violer la foy publique d'un passeport sans violer le droict des gens et sans ruiner ce qui doit servir de fondement à la société humaine. J'en diray davantage, quand je repasseray sur ce brouillon, pour le faire imprimer, après y avoir joint les pièces qui doivent servir de justification à ce que je viens de dire. Seulement adjousteray icy, parce que M. le Cardinal en a voulu parler à M. Brandt, que le défunct Maral RanzauGa naar voetnoot1) doit à mon frère et moy vingt deux mil livres, et oultre cela il me doit par obligation passée devant Maurice, nottaire à Vlissinguen, la somme de cinq mille six cents florins pour avoir fait subsister une partie de son régiment d'infanterie, et pour avoir payé le fret des navires qui l'ont passé à Calais. J'ay de quoy faire voir qu'il me doit plus de trente six mille livres, et l'on ne prouvera jamais que j'en aye touché vingt mille pour son compte, desquelles néantmoins j'ay rendu bon compte entre les mains de feu M. l'Alleman, Conseiller aux requestes du palais, au procès que j'ay intenté contre luy dès l'an 1636, et dont je n'ay jamais pu avoir raison, non plus que des despens, dommages et in- | |
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térests que j'ay à prétendre, à cause de la violence qu'il m'a faite en plusieurs rencontres, dont j'ay fait informer. On m'est venu dire, depuis que je suis icy, et pendant que je fagotte cecy pour vous servir de mémoireGa naar voetnoot1), avec ce que vous avez, que la ReineGa naar voetnoot2) est faschée contre moy parce que j'ay presté main forte à un certain cordelier qui changea de religion il y a deux mois: mais je ne sçay ce que c'est, et je n'ay jamais veu ce cordelier. L'on m'accuse aussy d'avoir fait couler dans le premier volume du voyage d'OléariusGa naar voetnoot3) l'histoire d'un ministre et de plusieurs désordres qui arrivèrent à Moscou en 1648, au temps du commencement de nostre dernière guerre civile. Mais comme je n'ay fait que traduire, il faut voir si cette histoire est de ma façon ou si elle se trouve dans l'allemand qui est imprimé. Je m'en vay publier une partie de mon histoire d'Allemagne, où l'on verra que je suis incapable d'escrire des faussetés et de déguiser la véritéGa naar voetnoot4). | |
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Je voudrois vous pouvoir envoyer ce papier, qui vous servira d'instruction quand on parlera de mes affaires, en attendant que je fasse imprimer mon apologie, mais ayant donné ma parole de n'envoyer point de lettre, je fais difficulté de faire partir cecy, quoyque ce ne soit pas une lettre. Quand vous l'aurez leu icy, vous en disposerez, pourveu que l'on ne me puisse point reprocher d'avoir manqué à ma parole. |
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