Berigten van het Historisch Gezelschap te Utrecht. Deel 6
(1857)–Anoniem [tijdschrift] Berigten van het Historisch Gezelschap te Utrecht– Auteursrechtvrij
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[Eerste stuk]Mémoires sur la guerre faite aux Provinces-Unies en l'année 1672.
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réformée en France, qu'il apliqua ses premières penséez aux moiens d'abattre la puissance de la maison d'Autriche, qui étoit en ce tems-là fort redoutable, et plus encor aux yeux des ministres de France qu'elle ne l'étoit en effet. C'est lui qui avoit fait agir Gustave Adolphe, roi de Suède, en Allemagne, qui s'étoit oposé avec vigeur aux progrèz des armes d'Espagne en Italie, qui avoit engagé les Provinces-Unies à rejetter la paix avantageuse que les Espagnols leur ofroient, et qui avoit porté Louis xiii, roi de France, à une rupture déclarée avec les Espagnols. Son décèz et celui du roi, son maître, qui le suivit de prèz, aiant fait passer les affaires entre les mains de Jules, cardinal de Mazarin, sous la régence d'Anne d'Autriche, mere de Louis xiv, ce ministre prévenu d'une passion extrème de joindre les provinces de Flandre à la couronne de France, s'imagina qu'en abandonnant en aparence les intérêts du Portugal, et en restituant à la couronne d'Espagne ce que l'on avoit conquis en Catalogne qui s'étoit soulevée contr'elle, la cour de Madrid pourroit se résoudre à les lui céder, et qu'un traité de paix pourroit donner à la France ce que ses armes n'avoient pas pû conquerir pendant une guerre de plusieurs annéez. Il n'y a point d'artifice dont il ne se servît pour y réussir pendant la négociation de Munster, qui roula fort longtems sur ce principe. Mais il en perdit l'espérance dèz que les Etats des Provinces-Unies eurent fait leur traité au commencement de l'année 1648. Il ne consideroit pas qu'en unissant les provinces de Flandre à la couronne de France, il la faisoit devenir l'objet de la jalousie de toutes les autres puissances de la chrêtienté, puis qu'elle succédoit sinon au dessein que l'on disoit que l'Espagne avoit pour la monarchie universelle, du moins à l'espérance et aux moiens d'y pouvoir parvenir un jour quand elle voudroit l'entreprendre. Aussi fut ce un des plus puissans motifs qui portèrent les Etats à traiter avec l'Espagne à l'exclusion de la France: comme de l'autre coté le cardinal Mazarin ne dissimula pas dèz ce tems-là le mécontentement que la France en | |
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avoit pris; comme elle n'a pas manqué de s'en ressentir depuis toutes les fois que l'occasion s'en est présentée. L'on peut dire que c'est cet étranger qui en renversant les anciennes maximes du conseil de France qui lui avoient aquis tant de gloire et d'avantages sous les 2 derniers rois, Henry le Grand et Louis le Juste, a rompu avec ses meilleurs amis pour en faire de nouveaux, et que ses successeurs nourris dans l'école de Machiavel, leur commun maître, ont contraints leurs plus anciens et fideles alliéz de se joindre et de s'unir inséparablement avec leurs ennemis communs pour s'oposer à leurs violences. Les plaintes continuelles des ministres de France, les mauvais offices qu'ils ont rendu à ceux de cet Etat dans toutes les cours de l'Europe, leurs intrigues avec le protecteur d'Angleterre, et avec le feu roi de Suède, à son préjudice, les déprédations que ses vaisseaux de guerre ont faites des navires marchands de ces païs, et les difficultéz que les ambassadeurs extraordinaires rencontrèrent devant que de pouvoir conclure le traité de Paris en l'an 1662 aprèz 2 annéez de négotiation, en ont été des marques et des témoignages infaillibles. Il est certain aussi qu'ils ne l'auroient jamais conclu en effet sans le dessein que la France avoit formé dèz ce tems là de se rendre maître des provinces de Flandre. Car encor que par le traité des Pirenéez le roi de France, et la reine sa femme eussent formellement et solemnellement renoncé à tout ce que cette princesse pouvoit prétendre de la succession du roi, son père, tant en Espagne, que du coté de la Bourgogne, en sorte que la France n'y pouvoit pas succéder, ni annéxer aucun de leurs domaines à sa couronne pour quelque prétexte, et en quelque cas que ce fût, si est ce qu'incontinent aprèz le décèz du roi Philippe iv, le roi de France prétendit que la reine sa femme devoit succéder en vertu d'un certain droit de dévolution, en Brabant et en quelques autres provinces des Pais-Bas ou ce prétendu droit doit avoir lieu. Qu'elle n'avoit pas pû y renoncer au préjudice de ses enfans; et même que la renonciation étoit nulle, puis qu'elle se trouvoit acompagnée d'une | |
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condition que le roi d'Espagne n'avoit pas acomplie en ne paiant pas la dote qu'il avoit promise par le contract de mariage. Les partisans de l'Espagne débattoient ces raisons, et disoient que la dernière étoit ridicule, puisque faute de paier une somme d'argent que les rois ne considéroient point, l'on ne pouvoit pas détruire une renonciation solemnelle qui servoit de fondement à la paix, et au mariage; d'autant plus qu'il étoit certain que ni l'un ni l'autre ne se seroient point faits sans la renonciation. Et bien que les 2 rois eussent solemnellement promis par le même traité des Pirenéez, que les differends qui pourroient naître entre les 2 couronnes ne pourroient pas être vuidéz par les armes, qu'elles n'eussent essaié auparavant de les ajuster à l'amiable, le roi de France ne laissa pas en l'an 1667 d'entrer avec une armée dans les Pais-Bas, sans aucune déclaration précédente, et d'y prendre dans fort peu de tems un si grand nombre de villes, que l'on eût sujet de craindre la conquête de toutes ces provinces. Tout le voisinage s'en allarma. Mais il n'y eût point de puissance qui en considerât mieux les conséquences que l'Etat des Provinces-Unies, qui les fit représenter à l'Angleterre et à la Suède, qui ofrit du secours à l'Espagne, et qui ne craignit point de faire déclarer à la France, qu'il seroit obligé de de s'oposer au progrèz de ses armes, si elle continuoit de les porter plus avant dans les provinces voisines. Le roi céda aux puissantes intercessions de ces 2 couronnes et des Etats des Provinces-Unies, et donna la paix à l'Espagne et à la chrêtienté, permettant à toutes les autres puissances de l'Europe de la garantir, et de se joindre contre celui des 2 rois qui viendroit à la violer. Mais ce procedé d'une république que les rois, ses prédécesseurs, avoient aidé à former, à ce qu'il disoit, lui déplut tellement, que l'on peut dire, que la Triple Alliance qui se fit ensuite à la Haye entre l'Angleterre, la Suède, et cet Etat, pour l'exécution du traité qui s'étoit fait entre les 2 couronnes, a été sinon la seule, du moins la plus essentielle cause de la guerre dont les particularitéz feront | |
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la plus considérable partie de l'histoire du tems. Et afin que l'on ne puisse pas douter de cette vérité, je ne m'amuserai pas à raporter les paroles de ressentiment qui échapèrent à l'ambassadeur de France qui étoit à la Haye, et aux ministres de la cour de Paris; mais je me contenterai de faire remarquer qu' Hugues de Lionne, sécrétaire d'état et des commandemens du roi, aiant le département des affaires étrangères, s'en expliqua asséz nettement dans la lettre qu'il écrivoit au comte d'Estrades, ambassadeur extraordinaire à la Haye, du 18 Novembre 1667, ou il dit; que le roi avoit apris que Meerman, ambassadeur des Etats auprèz du roi d'Angleterre, qui n'avoit pas osé y proposer de son chef une ligue pour la défense des Pais-Bas contre la France, en avoit fait faire l'ouverture par le comte de Molina, ambassadeur d'Espagne, et l'avoit fait assurer que ses maîtres y étoient disposéz. Que l'on étoit plus afligé à la Haye qu'à Madrid des progrèz que les armes de son maître faisoient en Flandre. Qu'il reconnoissoit bien avoir trèz prudemment fait de ne s'être point ouvert aux Etats de son dessein. Mais aussi qu'il avoit résolu de s'en ressentir, et de leur en rende le double, quelque chose qui en pût arriver. Et de fait ce fut dèz ce tems-là que la France détermina de faire la guerre aux Provinces-Unies, et qu'elle commença à prendre ses mesures pour cela. L'on y faisoit de tems en tems des levéez et des recrues. Le roi se plaisoit à faire faire l'exercice à ses troupes, et à en faire la revue, à les faire camper, et même à les conduire avec l'artillerie jusques sur les frontiéres, afin de les acoutumer à la fatigue et à la guerre avant qu'elle fût déclarée. Jean de Witt, qui comme premier ministre des Etats d'Hollande, avoit presque toute la direction des affaires, voiant qu'il se formoit sur sa tête une tempête capable de faire échouer le vaisseau dont il tenoit le gouvernail, et prévoiant la nécessité ou il se trouveroit bientôt de laisser au prince d'Orange le commandement des armes, si l'Etat étoit obligé de les met- | |
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tre en campagne, tâcha de conjurer l'orage, en faisant représenter au roi de France les avantages que cette couronne donneroit à l'Angleterre si elle contribuoit au rétablissement du prince d'Orange, qui, à ce qu'il disoit, dépendoit absolument des volontéz du roi de la Grande Bretagne, son oncle. C'étoit autrefois le sentiment de la cour de France, et l'on avoit vu ici depuis quelques annéez son ambassadeur aller de porte en porte, protester aux députéz des Etats d'Hollande, que le roi, son maître, ne soufriroit pas que l'on changeât ici la forme du gouvernement. Que lors qu'on avoit conclu le dernier traité, la Hollande n'avoit point de Gouverneur. Qu'il avoit traité avec les Etats, et qu'il n'entendoit pas voir un Prince à la tête des affaires de ces païs. En effet le roi de France honoroit ce ministre de son estime en ce tems-là. Mais depuis la guerre de Flandre et la Triple Alliance cette estime étoit changée en aversion, et l'afection qu'il avoit eue pour lui, en une haine irréconciliable. De Witt en écrivant en l'an 1671 à M. de Pomponne, qui étoit en Suède, à l'ocasion de sa promotion à la charge de sécrétaire d'état, lui fit connoître qu'il seroit bien aise de l'entretenir lors qu'au retour de son ambassade il repasseroit par ces provinces, de l'état present des affaires, et des intérêts du roi, son maître. Son intention étoit de lui représenter combien il importoit à la France de s'oposer à l'autorité que le roi d'Angleterre aquéreroit en ces païs, si l'on mettoit les armes et les forces de l'Etat entre les mains du prince d'Orange, son neveu. Mais le roi qui avoit déjà formé son dessein de rompre, et qui ne vouloit pas apuier une faction dont les chefs étoient les auteurs de la Triple Alliance, ordonna à Pomponne d'éviter sa rencontre, et de prendre son chemin par Cologne. Le même roi qui avoit eu une grande passion pour l'établissement de ce ministre pendant les premières annéez de l'ambassade du comte d'Estrades, n'en avoit pas moins alors pour sa ruine; jusques là qu'il ne dissimula point dans sa déclaration que le changement de ministère étoit l'objet de ses armes, et non la conquête des | |
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Provinces-Unies. Mais comme il falloit se servir d'un autre prétexte que de celui de la Triple Alliance, laquelle les 2 couronnes d'Angleterre et de Suède étoient obligéez de garantir, l'on en chercha, et il ne fut pas fort difficile de le trouver dans le commerce, dont Jean Baptiste Colbert qui s'en étoit fait donner l'intendance, faisoit le premier intérêt de la couronne. Ce ministre pour attirer et rétablir le commerce dans le roiaume, se servoit des mêmes moiens que l'on a acoutumé d'emploier ailleurs pour le bannir et pour le détruire, et ne craignoit point de ruiner les marchands de France, pourvu qu'il incommodât ceux d'Hollande. Il faisoit de tems en tems augmenter les droits d'entrée de toutes les marchandises, et denréez étrangères, et tâchoit de faire faire dans le roiaume toutes sortes de manufactures, croiant pouvoir faire porter partout ailleurs celles de leur façon et fabrique, et pendant qu'il ruinoit la plûpart des marchands par ses monopoles, se faisant donner et à ceux qu'il produisoit, des privilèges et octrois de plusieurs manufactures, jusqu'à faire faire des défenses aux particuliers d'y travailler pour leur plaisir ou pour leur commodité. Il ne comprenoit pas que la Hollande est proprement le magasin de la France, ou plûtôt de tout l'univers, et que les marchands Hollandois qui ne subsistent que par le ménage, n'étant que les commissionnaires des marchands François, ne faisoient que débiter les marchandises de France en toutes les autres parties de l'Europe. Pour tâcher de ramener les esprits, et de remettre cette affaire au premier état, comme aussi pour représenter à la cour de France l'intérêt qu'elle y avoit, l'on y avoit envoié Pierre de Groot, pensionnaire de la ville de Rotterdam, comme une personne qui n'y pouvoit pas être désagréable, et qui avec toutes les autres qualitéz capables de la faire réussir, possedoit ce que les François apellent l'art de plaire. Il avoit de plus la confidence du premier ministre d'Hollande, avec lequel il avoit contracté une étroite amitié depuis plusieurs | |
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annéez: de sorte que l'on eût pû espérer un trèz heureux succèz de sa négotiation, si les affaires y eussent été tant soit pen disposéez. Au mois de Juin 1670, c'est à dire environ 2 mois devant qu'il partit, il eût ocasion de voir à la Haye le comte d'Estrades, ci-devant ambassadeur extraordinaire de France en ce païs, qui y étoit venu faire un voiage (à ce qu'il disoit) pour ses affaires particulières. Dans une conversation qu'ils eurent ensemble dans une maison particulière, et en présence d'une personne de qui je le tiens immédiatement, de Groot lui dit: qu'aiant été nommé à l'ambassade de France, et n'étant pas encor déterminé dans la confusion ou il voioit les affaires s'il l'accepteroit, ou non, il seroit bien aise de prendre avis et conseil de lui, comme d'un de ses plus anciens amis, dans une conjoncture si délicate. D'Estrades n'hésita pas à lui repondre, et lui dit qu'il n'étoit point capable de le conseiller; mais qu'il ne doutoit point qu'il n'y fût le bien venu, et que l'on ne fît à sa personne toutes les civilitéz qu'il pourroit désirer, tant à cause de son mérite personnel, qu'à cause de l'estime et du souvenir que l'on avoit encor pour le nom et pour la mémoire de son père. Mais que les esprits étoient tellement aigris qu'il falloit du tems pour les radoucir, et qu'il ne voioit point d'aparence que sa négociation pût réussir si l'on ne changeoit ici de conduite et d'intérêts. Que le prince de Condé et le maréchal de Turenne conseilloient la guerre, et qu'ils n'avoient pas beaucoup de peine à la persuader à un jeune roi à qui la fortune rioit, qui se plaisoit à faire parler de lui, et qui cherchoit toute sa réputation dans la gloire de ses armes. Que le marquis de Louvois-Tellier, qui avoit le département de la guerre, et l'oreille du maître, y trouvoit son compte, par ce que le voiant engagé dans des affaires de cette nature dont il avoit la principale direction, il le possédoit presque seul, et rendoit les autres ministres inutiles. Que Colbert même ne seroit pas marri de faire noïer dans la confusion de la guerre les hautes espérances qu'il avoit donnéez | |
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au roi d'un puissant établissement de commerce, et même qu'il ne le pourroit pas empêcher quand il entreprendroit de s'y oposer, non plus que le marquis de Lionne, qui étant sécrétaire d'état pour les affaires étrangères, n'avoit pas grande part à cette sorte de déliberations; tellement que si on ne donnoit ici un autre tour aux affaires devant qu'il partit, il ne le feroit pas changer en France quand il y seroit arrivé. Simon Arnaud de Pomponne, qui faisoit ici les affaires de France en qualité d'ambassadeur extraordinaire, étoit celui qui animoit le plus la cour à la guerre. Il dépendoit de Colbert, qui étoit le plus puissant dans le conseil, tant parce qu'il avoit besoin de lui pour se faire paier une somme qu'il prétendoit du roi, que pour se maintenir dans l'emploi, et pour l'établissement de sa fortune: comme c'est par son moien en effet qu'il a depuis obtenu la charge de sécrétaire d'état, parce qu'il a voulu se fortifier dans le conseil contre les deux de Tellier, père et fils, dont le dernier avoit aquis les bonnes graces du maître par une assiduité continuelle à faire réussir les choses pour les quelles le roi avoit le plus de passion. Il faut avouer que Pomponne est trèz habile homme, et pour le moins aussi sincère que de Lionne son prédécesseur. Mais son malheur voulut que prenant conseil devant que de partir de Paris, sur la conduite qu'il auroit à tenir à la Haye, de Jaques Auguste de Thou, qui comme trèz incapable d'un emploi de cette nature, s'en etoit trèz mal aquité, celuici lui conseilla de faire des habitudes trèz particulières avec ceux qui étoient ennemis du gouvernement d'alors, et qui haïssoient les ministres qui en avoient la principale direction. Dèz qu'il arriva à la Haye des personnes trèz afectionnéez à la France, et trèz bien informéez de l'intention des ministres, et particulièrement de ceux d'Hollande, l'assurèrent qu'elle étoit trèz bonne, et lui firent voir que leur intérêt les obligeoit à à s'attacher à la France. Ils en avertirent en même tems Lionne, qui voulut que celui qui lui fit cette confidence, s'en ouvrit à l'ambassadeur. Il le fit; mais comme l'ambassadeur | |
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Pomponne étoit obsédé par des gens ignorants et fort mal intentionnéz, et qu'il s'imaginoit que non obstant cela l'on entreroit d'abord dans une intime confidence avec lui, il rejetta les premières ouvertures qu'on lui en fit, parceque les ministres mêmes ne lui en parloient point. Tellement que n'admettant plus que des François dévouéz à la cour, ou des Hollandois dénaturéz qui lui donnoient des avis méchants et infidels, il les débitoit à la cour comme ils les recevoit, et achevoit par là d'effacer de l'esprit des ministres de France ce qui y pouvoit rester encor de dispositions à l'acomodement. Il est certain que c'est chez cet ambassadeur qu'on a forgé avec des sujets traîtres de cette République, leur patrie, et qui se sont ouvertement déclaréz contre elle, les armes que la France a porté jusques dans les entrailes de l'Etat, et qu'elle pourroit se vanter d'avoir poussé jusques dans les parties nobles, si elles eussent pû entamer ses plus importantes provinces. Le marquis de Louvois qui règnoit dans la geurre, avoit avec cela un ressentiment particulier contre cet Etat, et particulièrement contra la ville d'Amsterdam. Il avoit la surintendance des postes de France, et en cette qualité il vouloit faire des établissemens dans cette province, qui étoient si préjudiciables au commerce, que le magistrat d'Amsterdam jugeoit qu'il devoit s'y oposer. Le commis que Louvois y emploioit, et qui étoit fait á l'humeur de son maître, perdant le respect qu'il devoit au magistrat d'une si puissante ville, l'obligea à se ressentir de son insolence, et à lui en témoigner son indignation. Pour faire croire que la conquête de cet Etat seroit fort facile, il en faisoit remarquer tous les défauts et toutes les foiblesses, qu'il exagéroit bien au delà de la verité. Il suposoit, qu'en Hollande l'on en viendroit aux dernières extrémitéz plûtôt que de consentir à la nomination d'un Capitaine Général. On lui avoit fait acroire qu'il y avoit deux partis forméz, et que les deux factions se déchiroient. Que l'Etat n'aiant point d'autre fonds sinon celui que son crédit lui | |
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faisoit fournir, les premières disgraces de la guerre détruiroient l'un, et épuiseroient l'autre. Que la milice étoit trèz mal constituée. Que les vieux officiers avoient oublié leur métier. Que les jeunes ne l'avoient pas apris: et ainsi que les uns et les autres étoient incapables de servir. Qu'il n'y avoit pas un seul officier général capable de commander un corps d'armée, à la réserve de Paul Würtz, l'un des maréchaux de camp, qui n'y étoit pas fort propre non plus, par ce que les gens de guerre de ce païs qui n'étoient point du tout disciplinéz, ni acoutuméz aux ordres et commandemens rudes et sévères des généraux Allemans, ne l'aimoient point, et la plûpart ne le respectoient point non plus, par ce qu'ils le considéroient comme le principal obstacle à l'avancement du prince d'Orange. Que l'on en devoit dire autant de l'artillerie. Qu'il n'y avoit point d'officier qui fut capable de la commander, et presque pas un homme qui sut comment l'on devoit s'y prendre pour manier un canon et ce qui en dépend. Le conseil d'Etat n'avoit pas manqué de représenter depuis plusieurs annéez qu'il en manquoit presque partout, et que la plûpart des provinces étoient en demeure de fournir le fonds destiné à cela et aux afuts, qui étoient la plûpart pourris, et hors d'état de servir. Que parmi les gouverneurs des places il n'y en avoit pas trois à qui on en pût surement confier la garde. Qu'il étoit impossible de donner des garnisons suffisantes à cent et dix places fortes qui couvroient les frontières de l'Etat, et de mettre en campagne une armée asséz puissante pour secourir celles qui seroient assiegéez ou attaquéez, et de s'oposer en même tems aux troupes qui viendroient forcer les passages. Qu'il n'y avoit presque point de fortifications capables de faire une longue résistance, parceque pendant quelques annéez l'on avoit retranché les trois quarts du fonds nécessaire, et l'on avoit négligé même de paier le quart restant. Que l'on avoit donné, et que l'on continuoit de donner les charges à la faveur. Que l'on méprisoit le mérite au lieu de le considérer, et que ceux qui avoient du crédit, ne l'em- | |
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ploioient qu'à faire avancer leurs parens, quelques incapables et lâches qu'ils fussent. Que la plûpart des compagnies étoient foibles, tant à cause de la négligence de la plûpart des provinces qui paioient fort mal, que parceque les commissaires étoient ou corrompus, ou intéresséz, ou ignorants, et que les Etats des provinces qui les paioient, avoient plus de considération pour le profit des capitaines, leurs parents ou amis, que pour l'avantage de l'Etat. Qu'il n'y avoient point d'instruments à remuer la terre, qui ne fussent ou uséz ou gatéz de vieillesse. Qu'il n'y avoit point de fonds afecté pour les fortifications, ni pour les magasins. Et que le conseil d'Etat qui eût bien voulu réparer tous ces manquemens, n'étoit point secondé des provinces qui lui en devoient fournir les moiens. Il faut avouer que la plûpart de ces choses n'étoient que trop véritables: aussi n'en at-on senti les tristes effets que lorsque le mal étoit sans remède. Il ne s'étoit point passé d'année que le conseil d'Etat n'eût envoié ses députéz dans toutes les places frontières, avec ordre de faire réparer ce qui manquoit aux fortifications, et de supléer aux manquements des magasins. Ces commissions qui sont en effet inutiles, par ce qu'on ne les donne qu'à des personnes qui ne s'en chargent que pour y trouver leur profit ou leur divertissement, n'avoient rien produit sinon qu'elles avoient augmenté les dépenses de l'Etat, et l'avoient jetté dans une sécurité qui n'a pas peu contribué à sa perte, si elle n'en a pas été la principale cause. Avec cela il y avoit dans le gouvernement même des foiblesses que tout le monde ne remarquoit pas, et qui étoient pourtant des causes, et des présages infaillibles de la ruine inévitable de la République. Entre ceux qui avoient la principale conduite des affaires, il y en avoient qui possédoient certes des qualites éminentes, dont les lumières étoient pénétrantes, et la probité et sincerité à toutes épreuves. Leur aplication étoit infatigable. L'on y voioit une fermeté de courage sans exemple, et une grandeur d'ame proportionnée à leurs emplois | |
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et à leur caractère. Mais comme l'étendue de l'esprit humain n'est pas sans bornes, l'on remarquoit aux mêmes ministres des imperfections et défauts, capables non seulement de ternir en quelque façon tout le lustre de ces éclatantes vertus, mais aussi de faire avorter toutes les productions que l'on s'en pouvoit promettre. Ils avoient une trèz grande présomption de leur mérite; une trop bonne opinion de la sincérité d'autrui; peu ou point de discernement de l'intention et de la capacité de ceux qui s'aprochoient d'eux, et des avis qu'on leur donnoit; un ménage sordide et presque criminel des deniers publics pendant que l'on négligeoit les véritables intérêts de l'Etat; une indifférence presqu'insuportable pour les alliances des princes voisins; une incivilité ofensante pour tous les étrangers; une ignorance surprenante et inexcusable des affaires de la guerre, dont ils ne connoissoient ni le gros ni le détail, et un mépris outrageant des avis qu'on leur donnoit de tems en tems des bonnes et mauvaises qualitéz de leurs chefs et officiers de guerre, de la mauvaise constitution des compagnies de cavalerie ou d'infanterie, de leurs magasins et arsenaux, et même des fortifications de leurs places; parcequ'ils ne pouvoient s'imaginer que jamais cet Etat fut attaqué par terre: quoique l'on en eût fait une si triste et si honteuse expérience depuis quelques annéez. Avec cela leur naissance n'avoit point d'avantage sur celle des autres habitans, dont quelques-uns jugeant que leur mérite n'en avoit point non plus, ceux qui avoient le plus de crédit se faisoient aussi le plus d'envieux et d'ennemis, à mesure qu'ils travailloient à s'établir par le moien de leurs amis et de leurs créatures. Il y avoit dans le gouvernemet même des défants irréparables, et qui l'empêchoient de subsister. Toutes les provinces étoient jalouses de celle d'Hollande, laquelle contribuant seule plus que toutes les autres ensemble, croioit devoir avoir une autorité proportionnée à sa puissance. Elles avoient toutes des intérêts differents, et bien souvent oposéz: ce qui retardoit le plus souvent les résolutions qu'il étoit nécessaire de pren- | |
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dre dans les rencontres les plus pressantes. Cette différence de sentimens et d'intérêts ne se trouvoit pas seulement entre les provinces, mais aussi entre les villes, et particulièrement entre celles d'Hollande. Les magistrats y sont la plûpart composéz de personnes qui vivant de leurs rentes, ne songent qu'à conserver ou augmenter leur bien, ou qui étant nourris dans le trafic ou dans le métier, ne s'apliquent qu'à leur commerce ou à leur boutique, et se contentant de savoir superficiellement les affaires de leur ville, ne s'appliquent point aux étrangères, et laissent la direction de celles de la province à de certains ministres qu'ils apellent Pensionnaires. Ce sont des avocats qui au sortir du barreau entrent dans l'assemblée des Etats, où ils introduisent les maximes de la pratique du palais, tournent la politique en chicane, et s'attachent avec d'autant plus d'obstination aux règles de leur première profession, qu'ils s'imaginent faire partie d'une souveraineté, quoi qu'ils ne soient que ministres des membres qui la composent tous ensemble. Ils ont la plûpart une grande présomption, et une fausse idée du véritable courage, que leur coeur ne connoit point. Ils n'ont point d'autre connoissance des intérêts des princes et des Etats de la chrêtienté que celle qu'ils ont aprise dans les livres de quelques politiques de l'école, et en jugent avec beaucoup de témérité et sans connoissance, aussi bien que de la guerre, et de ce qui est nécessaire pour y réussir. Mais ce qui partageoit le plus les esprits, c'étoit le choix que l'on devoit faire d'un capitaine général. Ceux qui étoient prevenus de l'opinion qu'on ne le pouvoit pas prendre dans la maison d'Orange sans faire violence à la liberté de la République, tâchoient d'empêcher l'élection du Prince, et se fortifioient d'une résolution qui en excluoit sa personne devant qu'il eût atteint l'âge de 22 ans acomplis. Il y avoit déjà quelques annéez qu'ils avoient bien voulu proposer la personne du maréchal de Turenne, et en avoient même parlé à la Princesse douairiere d'Orange, pour tâcher de lui faire aprouver le choix d'une personne qui aiant l'honneur d'être trèz proche parent | |
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du Prince, le pouvoit former et rendre capable de servir l'Etat avec succèz. Cette proposition n'en eut point; au contraire elle excita une dernière indignation en ceux qui conservoient encor quelque vénération pour la mémoire des Princes défunts, et de l'affection pour la personne de celui-ci. Depuis ce tems là on n'avoit donné le commandement des armes à Paul Würtz, en qualité de maréchal de camp, que parceque l'on espéroit par ce moien pouvoir en éloigner le prince d'Orange, et se passer d'un Capitaine Général. Cependant dans les aparences de cette guerre inévitable ils cherchoient inutilement par toute l'Europe un Capitaine capable de commander en chef les armes de cet Etat, ou ils tâchoient de persuader que les deux maréchaux de camp se trouvant à la tête d'autant d'arméez, pourroient arrêter les forces du roi de France à l'entrée du païs, pendant qu'ils oposeroient leur Lieutenant Amiral à celles du roi d'Angleterre. Mais la Zéelande se déclaroit ouvertement contre tout ce qui ne partoit point du prince d'Orange. Les Etats de cette province écrivirent à ceux d'Hollande, au commencement de l'année: Qu'il ne suffisoit pas de faire des levéez de gens de guerre, et de se fortifier d'alliances étrangères, si on ne levoit les ombrages, les jalousies et les défiances qui divisoient les Provinces. Qu'il étoit inutile de former un puissant corps d'armée, si on ne mettoit à sa tête un Capitaine Général aussi agréable au peuple, qu'aux soldats. Que les six Provinces étoient d'acord qu'il n'y avoit que le prince d'Orange qui pût ocuper ce poste. Que ce n'étoit qu'avec cette intention qu'elles avoient consenti en l'an 1667 à la séparation de la charge de Capitaine Général par mer et par terre d'avec celle de Gouverneur de province. Que c'étoit le seul moien de guérir toutes les jalousies et défiances qui divisoient les Provinces, de porter les peuples à contribuer sans répugnance à la dépense que l'Etat seroit obligé de soutenir, et les gens de guerre à combattre avec plus de résolution sous un si illustre chef. Et que le choix que l'on en feroit seroit si agréable au roi de la Grande Bré- | |
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tagne, qu'en cette considération il changeroit en afection pour l'Etat le mécontentement qu'il témoignoit en avoir. La Frise et Groningue la sécondoient. C'étoit les sentiments de la Gueldre. En la province d'Utrecht les deux premiers ordres des Etats les suivoient, et celle d'Overissel étoit divisée non seulement sur ce sujet, mais aussi sur la plupart des autres affaires. Il n'y en avoit point qui le fut plus que la Hollande. La plupart des villes vouloient qu'en procédant à l'élection d'un Capitaine Général, l'on considérât la personne du prince d'Orange, et les autres qui n'étoient pas en si grand nombre, s'opiniatroient à ne point sortir des termes de la résolution, et s'y oposoient avec une fermeté qui tenoit de l'obstination. De ces dernières étoient Dordrecht, Delft, Goude, Rotterdam et Hoorn; et d'autant que dans une affaire de cette nature la pluralité n'a point de lieu, ces contestations retardoient toutes les résolutions qu'il falloit nécessairement prendre tant pour la levée des troupes, que pour celle des deniers nécessaires pour leur subsistance. Pour les faire cesser, et afin de donner quelque satisfaction aux autres provinces, l'on demeura enfin d'acord, que l'on donneroit le commandement de l'armée au Prince pour cette seule campagne, sous la direction de sept ou huit députéz, à qui les Etats Généraux donnèrent une pleine puissance de disposer de tout, et même de règler et d'observer la conduite du Capitaine Général. Les plus opiniâtres aquiescèrent enfin à ce choix, tant à cause du péril éminent dont l'Etat étoit ménacé, que parceque Würtz, l'un des maréchaux de camp, faisoit tous les jours naître tant de difficultéz nouvelles, et formoit tant de nouvelles prétentions qu'il devint l'aversion même de ceux qui l'avoient fait venir, et qui le prétendoient mettre à la tête de l'armée. De sorte que ne le pouvant pas contenter, et le jugeant incapable du premier commandement, ils résolurent enfin de le donner au prince d'Orange. Les Etats d'Hollande qui avoient bien prévu qu'ils seroient réduits à la nécessité de procéder à cette élection, avoient, dèz | |
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le mois de novembre de l'année précédente, nommé des députéz, à qui ils avoient donné ordre d'examiner les commissions, instructions, résolutions, et avis, comme aussi tout ce qui s'étoit ci-devant passé sur ce sujet, et qui avoient été d'avis: Que suivant l'harmonie conclue le 30 mai 1670, le Capitaine Général ne pourroit pas être Gouverneur de province, ni aussi posséder aucunes autres charges, ou être au service, ou au serment d'aucun autre prince étranger. Qu'il faudroit qu'en son particulier il fut intéressé en la conservation de l'Etat et de la religion réformée. Que la commission que l'on lui donneroit ne fut que pour une seule expédition. Qu'il ne se melât point des affaires des provinces, ni des différends qui y pourroient naître entre les alliéz, non plus que des affaires ecclésiastiques tant à l'égard de la doctrine que de la discipline. Qu'il falloit considérer quelle autorité on lui donneroit pour soutenir le lustre de sa dignité, et touchant la disposition des charges militaires qui viendroient à vaquer pendant que l'armée seroit en campagne. Quelle seroit sa fonction dans les Provinces-Unies à l'égard des Etats, ou du Capitaine Général, ou Gouverneur de celles qui en ont; et de quelle façon on feroit expédier les ordres et routes pour les troupes, et comment en règleroit les passages et les logements des gens de guerre dans les autres provinces. Quelle seroit son autorité à l'égard des affaires dont le conseil d'état a la disposition. Quelle elle seroit à l'égard de la discipline militaire, les déclarations et les ordonnances qu'il faudroit publier, les délits et les crimes qu'il faudroit punir au conseil de guerre, la surséance des exécutions, pardons et rémissions, et quelle réflexion il auroit à faire aux députéz des Etats Généraux qui l'acompagneroient à la campagne. Le Prince ne se put pas bien résoudre à accepter cet emploi limité, parcequ'il étoit persuadé, (et c'étoit le sentiment des Etats de Zéelande), que l'intention de ceux d'Hollande étoit de donner quelque satisfaction aparente à leurs alliéz, en attendant que les affaires du monde, qui étoient fort brouilléez, fussent aucunement démèléez, et qu'alors on ne parleroit plus | |
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de Capitaine Général que comme d'une charge inutile en tems de paix: comme au contraire l'on chargeroit le Prince de la haine de tous les mauvais succèz dont la geurre pourroit être acompagnée, si l'on étoit contraint de la continuer, afin d'y trouver un prétexte de condamner le choix que l'on avoit fait de sa personne. Il l'accepta pourtant; soit qu'il considérât qu'il lui importoit de commencer à agir, ou qu'il ne pût pas douter que le crédit de ceux qui s'oposoient à son avancement, ne fut déjà tellement afoibli, qu'il leur seroit impossible de le déposséder d'un emploi que tout le peuple jugeoit être dû à sa naissance, et qui l'étoit à son mérite. La France continuoit cepandant de se préparer à une guerre dont elle se promettoit la conquête de tout l'Etat devant la fin d'une campagne. Elle faisoit faire des levéez non seulement en toutes les provinces de France, mais aussi en Suisse, en Allemagne, en Angleterre, en Ecosse, en Italie. Jean Baptiste Colbert qui avoit la direction des finances, faisoit un fonds proportionné à la dépense qu'il falloit faire pour cela, et Louvois qui faisoit filer de tems en tems des troupes le long de la Meuse et de la Moselle jusques dans l'archevèché de Cologne, faisoit fortifier Nuys et Keyserveert, ou il faisoit ériger des magasins de munitions de bouche et de guerre, capables de faire subsister longtemps une armée roiale, quelque puissante qu'elle pût être. Ces troupes qui étoient composéez en partie de celles de la maison du roi et de quelques vieux régimens, étoient en aparence destinéez au secours de l'électeur de Cologne, contre ceux qui l'empêchoient de poursuivre ses prétentions sur la ville du même nom; mais elles en vouloient effectivement aux Provinces-Unies, dont la conquête faciliteroit á l'électeur la réduction de la ville, ou la feroit tomber entre les mains des François. Ce n'est pas d'aujourd'hui que l'électeur et la ville ne sont pas d'acord. Mais depuis quelques annéez les esprits avoient été fort aigris sur de nouveaux différends, qui ne naissent que trop souvent entre ceux qui vivent en des jalousies perpétuelles, | |
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fomentéez par des ministres ambitieux et intéresséz d'un coté, et de l'autre par des gens, qui sous prétexte de la liberté, donnent dans la licence, et font leurs affaires particulières. L'évêque de Strasbourg, de la maison de Fürstemberg, à qui l'électeur laissoit la conduite de toutes les affaires de son Etat, portoit l'humeur dévote et peu guerrière de son maître à des ressentimens dont elle n'étoit pas susceptible d'elle même, et l'engagea petit-à-petit dans une guerre dont il n'a pas su le sujet, ni le commencement, et dont il ne verra peut-être jamais la fin. Son intention étoit de se saisir de la ville de Cologne, sans laquelle la France ne pouroit pas bien facilement attaquer les Provinces-Unies. Pour les incommoder du coté de l'Overissel, de Frise et de Groningue, l'évêque de Strasbourg et le duc de Luxembourg furent envoiéz à l'évêque de Munster, non point pour le disposer à entrer dans les intérêts de la France, parcequ'il se jettoit aveuglement dans le parti de ceux qui se déclaroient contre cet Etat, mais pour concerter avec lui la jonction de ses armes avec celles de l'électeur de Cologne et du roi de France, sous le commandement du duc de Luxembourg, que le roi prêtoit à ces deux prélats. Les Etats et particulièrement ceux d'Hollande qui ne le pouvoient pas ignorer, entretenoient bonne correspondance avec quelques-uns du magistrat, qui s'emploioient avec chaleur pour la liberté de la ville, et qui jugeoient qu'elle ne pouvoit pas se conserver que par les armes de ces Provinces. Non contens d'en faire représenter l'importance à la cour de Vienne, ou le chevalier de Gremonville, ministre de France, faisoit d'étranges intrigues par le moien de ceux qui y avoient la principale direction des affaires, mais ne put pas empêcher que le conseil de Vienne n'envoiât à Cologne le marquis de Grana, en qualité de commissaire; mais aussi aiant résolu de faire de nouvelles levéez, ils ordonnèrent au colonel Bampfield, Anglois, d'y lever son régiment d'infanterie, d'y prendre sa place d'armes, et d'y tenir garnison jusqu'à autre ordre. L'évêque de Strasbourg, et Guillaume de Fürstemberg, son frère, qui avoit | |
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été fait prince de l'empire, voiant que ce régiment joint à celui que le magistrat avoit sur pié, et aux troupes que Grana faisoit lever, alloit rompre toutes les mesures qu'ils avoient prises avec la France, acusoient la ville de rébellion et de félonie, pour avoir reçu garnison étrangère contre les constitutions de l'empire, pendant qu'eux-mêmes attiroient dans le coeur de l'empire les mêmes étrangers, qui sous prétexte de le secourir s'étoient autrefois rendus maîtres des trois évêchéz de Metz, Toul et Verdun, et qui pour se recompenser de la guerre qu'ils avoient faite à l'empereur, se firent donner à Munster cette partie de l'Alsace, qui pour l'amour d'eux a été détachée de l'empire. L'évêque de Munster toujours ennemi couvert, ou déclaré de cet Etat, s'y joignit, et ces princes en aiant fait enfin un intérêt commun et général du cercle de Westphalie, ils firent enfin un acomodement entre l'électeur et la ville, et résoudre que l'on feroit retirer le régiment de Bampfield, et que les princes voisins, comme neutres, y feroient entrer des troupes non suspectes et capables, (à ce qu'ils disoient), de conserver la ville contre les entreprises que les Fürstemberg y pourroient faire sous le nom de l'électeur. Le marquis de Grana y aquiesca de la part de l'Empereur, et il y eut des ministres, et particulièrement ceux de l'électeur de Brandebourg, qui contre les sentimens, et au préjudice des intérêts de leur maître, forcèrent la ville de renvoier les conservateurs de la liberté. Le régiment de Bampfield en sortit par une espèce de capitulation, et au plus fort de l'hyver, et à la faveur d'un passeport du comte de Chamilly, qui commandoit les troupes de France en ces quartiers là. Les François aiant par ce moien l'entrée de la ville de Cologne, et le passage du Rhin, libre, il n'y avoit plus rien qui s'oposât à l'exécution du dessein qu'ils avoient formé contre l'Etat du Païs-Uni, parcequ'il n'y avoit point d'obstacle qui put les empêcher de remplir leurs magasins, et de faire descendre leur artillerie par la rivière jusques devant les places qui devoient faire le premier objet de leurs armes. Le roi avoit | |
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fait déclarer hautement dans les cours de Suède, de Danemarc, de Brandebourg et partout ailleurs, qu'il ne s'armoit que contre les Etats, qu'il vouloit les humilier, et qu'il vouloit se ressentir de l'audace de ceux qui y avoient la principale direction des affaires, qui avoient bien osé faire défendre le transport, et le débit des marchandises et denréez de France en ces Païs. C'étoit-là le prétexte qu'il prit; quoique la véritable cause de son mécontentement étoit la résolution qui avoit été prise autre fois ici d'arrêter le progrèz de ses armes aux Païs-Bas, et de lui ôter le moien d'y recommencer la guerre, en faisant pour cela une alliance avec l'Angleterre, et avec la Suède, ainsi que nous venons de dire. De Groot en arrivant à la cour de France, y avoit représenté que la véritable liaison entre les souverains ne se trouvoit pas dans les traitéz et dans les alliances, mais dans l'avantage et l'utilité que les sujets trouvent dans le commerce réciproque. Qu'il avoit été fort ruiné depuis quelques annéez par les droits dont l'on avoit chargé les marchandises et denréez d'Hollande, jusques-là qu'il alloit se perdre entièrement si l'on ne déchargeoit les unes et les autres, et si l'on ne rétablissoit le commerce dans la même liberté ou il étoit en l'an 1662. Il apuia ses rémontrances de raisons si puissantes, que le roi et les ministres commençoient à s'y rendre, lorsqu'on y aprit que les Etats avoient défendu fort sévèrement le débit de toutes les eaux-de-vie étrangères. Cette résolution qui fut prise avant que l'on sût le succèz de la première audience de de Groot, et de quelle façon les ministres de France recevroient les premières propositions qu'il avoit à faire, rompit toutes ses mesures. Tellement que ne pouvant pas rendre d'autres services à sa patrie que d'avertir ses maîtres de ce qui se passoit en France, il ne manquoit pas de s'étendre dans toutes ses dépêches sur les particularitéz des grands armements, et des desseins de cette cour-là; d'avertir les Etats et leurs principaux ministres de l'étroite liaison que l'on y avoit prise au mois de février de cette année avec l'Angleterre, dont il marquoit tou- | |
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tes les circonstances; de les exhorter de se fortifier d'alliances au dehors, et de s'armer au dedans par mer et par terre. Il leur représentoit continuellement que c'étoit là le seul moien d'éviter la guerre, et de faire échouer les desseins de la France, que de faire voir que l'on ne manquoit point d'ordre, de résolution, d'alliances, ni de forces capables de faire tête à celles de cette couronne. La duchesse d'Orléans, princesse de la Grande Brétagne, voulant engager le roi de France à l'aimer par un service de la dernière importance, ofrit de faire le voiage d'Angleterre, et de tâcher de faire entrer le roi, son frère, dans les intérêts de la France. Elle passa à Douvres, et s'y aboucha avec lui. Parmi les tendresses qu'ils se témoignèrent réciproquement, la princesse lui dit, qu'il tireroit des avantages incomparables de l'alliance de France, qui le délivreroit de la sujétion ou le Parlement le tenoit, et lui donneroit le moien, en changeant le gouvernement du roiaume, d'y rétablir la religion catholique romaine. La demoiselle de Montalais, fille d'honneur et confidente de la princesse, qui étoit seule présente à cette entrevue secrète, a raporté, que le roi d'Angleterre fut tellement touché de cette proposition, que les larmes lui en vinrent aux yeux. Mais il dit que l'affaire étoit si importante et si dangereuse, qu'il n'y avoit personne à qui il en osât confier le secret, non pas même à son propre frère. Qu'il tâcheroit néanmoins de gagner quelqu'un de ses ministres, et qu'il lui feroit savoir son intention. Et bien que la duchesse d'Orléans vint à décéder bientôt aprèz son retour en France de mort subite et violente, le roi d'Angleterre ne laissa pas de faire poursuivre la négociation par le duc de Buckingham, qui y fit plusieurs voiages, et conclut enfin le traité, le 2 février, de cette année, aprèz qu'il eut été introduit deux ou trois fois de suite dans le cabinet du roi, par un exemt des gardes du corps, à minuit lorsque tout le monde étoit retiré. Ces avis ne faisoient point d'impression, et ne trouvoient | |
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pas le crédit qu'ils méritoient, parceque dans l'assemblée des Etats Généraux il y avoit des députéz qui vouloient faire croire, que ces avis étoient suggéréz à de Groot par ses amis de deçà, et qu'il falloit s'arrêter à ceux qui venoieut de Londres, et qui étoient directement contraires à ceux que l'on écrivoit de Paris. Celui qui se mettoit à la tête de ceux qui donnoient dans ces sentimens, étoit Gaspar Mauregnault, homme violent et emporté par l'animosité qu'il avoit contre le premier ministre d'Hollande, dont la modération étoit son aversion. L'on perdit aussi le tems inutilement à des contestations frivoles pour une liberté imaginaire; comme si elle pouvoit subsister sans l'Etat, ou se conserver sous le gouvernement despotique d'un puissant monarque, s'il s'en rendoit le maître. Jean Boreel écrivoit de la cour d'Angleterre: Que l'on devoit s'assurer qu'il n'y avoit point de traité entre la France et l'Angleterre. Que l'argent que l'on y avoit vu arriver de dehors n'étoit pas fort considérable. Que la guerre étoit l'aversion du peuple; et que le roi même joindroit son armée navale à celle de cet Etat, si on lui donnoit satisfaction au sujet du pavillon, et si l'on avançoit le prince d'Orange, son neveu, aux charges de ses ancêtres. Ceux qui décrioient les avis de P. de Groot, canonisoient ceux de Boreel, et persuadoient à ceux qui vouloient bien être trompéz que les dispositions de la cour d'Angleterre étoient trèz favorables, et que l'on en avoit l'obligation aux bons offices que le prince d'Orange y avoit rendu lors de son voiage, et qu'il continuoit d'y rendre à l'Etat. Conrad van Beuningue qui y avoit négocié avec le même succèz que ses négociations avoient eu dans les autres cours ou il avoit été emploié, étant revenu tout persuadé de ceux que la cour avoit apostéz exprèz pour le tromper, n'eut point de peine à le persuader aux autres. Ni la République, ni ses ministres n'avoient pas ofensé le roi d'Angleterre. Au contraire l'on avoit recherché son amitié. C'est pourquoi il y en avoit qui ne sachant pas le secret de la cour de Londres, ju- | |
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geoient que l'on auroit pû prévenir l'engagement qu'elle prit avec la France, si l'on n'eût apréhendé que l'amitié de l'Angleterre n'obligeât l'Etat, et la province d'Hollande en particulier, à faire quelque chose pour le prince d'Orange. D'ailleurs il n'auroit pas été fort difficile d'avoir quelque complaisance en des rencontres qui ne blessoient pas la grandeur, ni la réputation de l'Etat, et la République ne se faisoit point de tort en témoignant quelque respect pour une tête couronnée. L'on ne pouvoit pas se persuader en Angleterre qu'il y eut ici une véritable inclination à vivre en bonne intelligence avec eux, tandis que les trophéez que l'on avoit érigéz à la mémoire de leurs disgraces, et les superbes, que je ne dise, insolentes inscriptions dont ils étoient acompagnéz, leur reprochoient leurs malheurs, et c'étoit ofenser irréconciliablement la gloire de la nation que d'en faire ostentation, et d'en envoier les marques publiques aux dernières extrémitéz du monde. Il est vrai aussi que l'on avoit tellement négligé de ménager les ministres de la cour d'Angleterre, qu'on ne peut pas le pardonner à ceux qui avoient en ce Païs la principale direction des affaires. Il y en avoit un à Londres à qui l'on étoit sans doute obligé de la conclusion de la Triple Alliance. Il y avoit fait résoudre le roi, son maître, contre le sentiment du duc d'Yorck, et avoit fait envoier ici un ambassadeur capable de la faire subsister, et de la faire exécuter ponctuellement. Et cepandant l'on avoit non seulement négligé de reconnoitre cet important service, mais aussi l'on ne lui avoit pas fait faire la moindre civilité ni de bouche, ni par écrit. Il est certain que ceux qui avoient la principale direction des affaires en Hollande, avoient en leur manière d'agir à l'égard des étrangers, même à l'égard des princes et des têtes couronnéez, quelque chose de si grossier et de si rustique, que les personnes de naissance, nourries dans une façon de vivre plus civile et plus délicate, ne le pouvoient pas soufrir. Cette négligence qui faisoit croire qu'on le méprisoit, avoit extrèmement irrité le ministre Anglois, et ne l'avoit pas seulement éloigné des bons | |
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sentimens qu'il avoit eu pour ce Païs, mais l'avoit aussi fait entrer dans les intérêts de la France, à laquelle il a rendu les bons offices qu'il eut rendu à cet Etat, si l'on eut eu pour lui la considération que l'on devoit à un si grand et si habile ministre, qui avoit la confidence du maître. Tellement qu'il ne fut pas fort difficile à la France de gagner le roi d'Angleterre, qui recevoit favorablement les espérances qu'on lui donnoit, qu'aprèz la réduction des Provinces-Unies, la France emploieroit toutes ses forces à le rendre absolu dans son roiaume, et indépendant du parlement, qui partage la souveraineté avec son prince. Ces derniers avis, comme venant d'un homme qui étoit sur le lieu, et que l'on présuposoit être bien informé des intentions de cette cour-là, (quoique ce ne fût pas un sujet fort éclairé ni fort capable de pénétrer les affaires de cette nature), donnoient dans la vue de quelques gens, qui prévenus d'une grande opinion de leur propre sufisance, et de la tendresse du roi d'Angleterre pour le prince d'Orange son neveu, se persuadoient aisement que le seul avancement de ce prince empêcheroit le roi d'Angleterre de se déclarer contre cet Etat. Etrange aveuglement! qui peut conduire des gens de jugement dans une opinion si contraire à la véritable et la mieux établie; étant trèz certain que les rois n'ont point de parens, et que leur afection n'a point d'autre objet que leur intérêt. Dans cette croiance l'on y différoit de consentir aux ambassades, aux armements, et à la levée des deniers nécessaires pour l'un et pour l'autre. Il y avoit déjà plus de six mois que Pomponne étoit à Stockholm, et il y avoit tellement ébauché son traité qu'il ne restoit plus qu'à y mettre la dernière main devant que l'on eût nommé à la Haye un ambassadeur pour cette cour-là. Cet Etat n'a pas beaucoup de sujets capables d'une grande négotiation, et la plûpart de ceux qui le sont, ont des attachemens domestiques, et des intérêts dans le païs, qui ne leur permettent pas de se charger des emplois de cette nature. Et | |
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néanmoins Corn. de Witt, ancien bourgemaître de la ville de Dordrecht, et député au conseil d'état d'Hollande, fit connoitre qu'il ne refuseroit pas de servir sa patrie en cette rencontre si on l'en jugeoit capable. Mais quelques députéz de l'assemblée, ennemis de sa personne et de sa maison, voulurent bien dire dans l'assemblée des Etats, qu'il sembloit qu'il n'y eût que la ville de Dordrecht qui pût produire de grands hommes; et que l'on ne pouvoit pas faire ce choix sans faire une espace d'outrage aux autres villes de la Province. Ceux qui tenoient ce langage n'avoient point de capacité euxmêmes, et ne purent, ou ne voulurent pourtant point produire d'autre sujet; et de Witt ne voulant plus accepter cet emploi, dont il ne s'étoit voulu charger que par complaisance, il fallut en aller chercher un en Frise, qui en arrivant à Stockholm, trouva le traité entre la France et la Suède conclu. Ce fut Guillaume Haren, qui avoit ci-devant été emploié en ces quartiers-là, et avoit aidé à faire la paix entre les deux couronnes du Nord en l'an 1660. Il y avoit lieu d'esperer que la Suède qui avoit touché 500.000 écus de l'argent d'Espagne, et qui faisoit partie de la Triple Alliance, s'engageroit à la maintenir, et s'oposeroit à ce qui la pourroit détruire, joindroit ses armes à celles des Provinces-Unies, et aideroit à conserver le repos de la chrétienté; et il est certain qu'à la réserve de quelques-uns du conseil qui prenoient de l'argent de la France, pour fournir à la dépense excessive de leurs maisons, les autres avoient tous envie de conclure avec cet Etat. Le drossart et le connétable, qui sont les deux premiers officiers de la couronne, pressoient continuellement le résident des Etats de se faire donner un pouvoir suffisant, et l'assuroient que s'il prévenoit Pomponne, la France n'y trouveroit pas les dispositions qu'elle espéroit. Il est certain aussi que ces Provinces en faisant une dépense trèz médiocre, pouvoient trèz facilement gagner la Suède, et par cemoien éluder le dessein que l'Angleterre et la France formoient de leur faire la guerre. Mais le premier ministre d'Hollande | |
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ne pouvoit pas se résoudre à changer les maximes de ménage qu'il avoit introduites par une politique qui lui étoit particulière. La Suède voiant qu'on la méprisoit ou négligeoit, s'engagea donc avec la France, ainsi que nous venous de dire. Ce traité qu'Honoré Courtin, maître des requêtes, qui avoit succédé à M. de Pomponne dans l'ambassade extraordinaire, fit signer à Stockholm le 14 avril, ne parloit en aparence que d'une alliance défensive, n'aiant pour objet que l'exécution des traitéz de Munster et d'Osnabrug. Mais les articles secrets parloient d'un bien plus grand engagement, et disoient, que si l'empereur, ou quelques-uns des électeurs, ou des autres princes de l'empire, entreprenoit de faire la guerre à l'un des deux rois alliéz, ou bien se mettoit en devoir de sécourir ses ennemis tant au dedans qu'hors de l'empire, pour quelque cause, ou sous quelque prétexte que ce fût, celui qui ne seroit pas attaqué, seroit tenu de secourir l'attaqué. Ils demeurèrent aussi d'acord de faire exhorter l'empire, de ne se mêler point de la guerre qui pourroit s'allumer dans le voisinage, afin de n'attirer pas les armes étrangères dans leurs maisons; et qu'en cas que ces rémontrances et ces conseils ne fissent pas l'effet que l'on s'en devoit promettre, les deux allièz délibéreroient ensemble des moiens qu'ils emploieroient contre ceux qui en violant le traité de Westphalie, troubleroient le repos de l'Allemagne. Et d'autant que pour cet effet la couronne de Suède seroit obligée de faire une dépense extraordinaire pour tenir un corps d'armée de 10000 hommes de pié et de 600 chevaux, prêt, acompagné de l'artillerie nécessaire, la France promit de lui donner des subsides à proportion des troupes d'infanterie et de cavalerie qu'elle mettroit sur pié, jusqu'à la somme de 600.000 écus, laquelle lui seroit ponctuellement paiée en la banque d'Hambourg. Pour sauver les aparences et la réputation de la couronne de Suède, qui avoit touché 500.000 écus de l'Espagne pour la faire entrer en la Triple Alliance, l'ambassadeur de France sou- | |
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frit, que l'on y ajoutât un article touchant la garantie du traité d'Aix-la-Chapelle: quoique les ministres de Suède n'ignorassent pas que c'étoit aux auteurs de ce traité que la France en vouloit, et qu'elle n'alloit déclarer la guerre aux Provinces-Unies que parce qu'elles l'avoient comme contrainte de faire la paix par le moien de la Triple Alliance. Mr. de Pomponne avoit ajusté tous les articles, à la réserve de celui des subsides, devant que de partir de Stockholm. Tellement que tout ce que cette couronne-là put faire ce fut d'ofrir sa médiation, aprèz avoir par une indifférance si contraire à ses intérêts, exposé l'Etat au dernier péril de sa perte. Mais n'étant point armée, ses offices froids et languissants qui n'avoient pour objet que la satisfaction de la France, ne faisoient pas plus d'effet que si elle eut aporté un seau d'eau pour éteindre le feu qui embrase toute une ville. Le chevalier de Terlon, fils d'un praticien, ou solliciteur de procèz au parlement de Toulouse, étoit en Danemarc, il y avoit longtems, en qualité d'ambassadeur, et il y avoit fait des ofres trèz grandes. Mais comme il avoit affaire à un roi qui connoit ses intérêts, et qui n'est pas d'humeur à vendre ses inclinations, ni sa réputation, il n'y fit rien. De sorte que lorsque Wijngaerde, sieur de Werckendam, qui partit longtems aprèz Haren, arriva à Coppenhague, il trouva la cour asséz bien disposée, et prête de se joindre aux intérêts de ces Provinces, quand on seroit d'acord des conditions. On l'auroit été bientôt si cette négociation eût été confiée à un ministre plus acoutumé à manier des affaires de cette nature que ce gentilhomme, qui ne s'y étoit pas fort apliqué jusqu'à ce temslà, et qui s'y prit si mal, qu'il ne se rendit pas agréable à la cour, et ne donna point de satisfaction à ses maîtres. La France envoia plus d'un ministre à la cour de Brandenbourg, et y fit une dépense considérable L'on disoit qu'il y en avoit dans le conseil qui prenoient a toutes mains; ils s'étoient rendus suspects, et leur crédit étoit sinon du tout ruiné, du moins bien afoibli. L'électeur qui avoit de fort bons | |
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sentimens, s'y faisoit fortifier par le prince d'Anhalt, son beaufrère, dont les sentimens étoient fort bons en ce tems-là. Il savoit qu'aprèz la perte des Provinces-Unies il n'y avoit rien qui put empêcher le roi de France de se rendre maître de l'empire. Que ce que l'électeur possédoit de la succession de Juilliers, se perdroit avec elles, et que ses voisins, l'électeur de Cologne, et l'évêque de Munster, en profitant de la dissipation de ces belles et grandes provinces, en devenoient plus redoutables, et plus incommodes. Il considéroit encor la religion, aussi bien que l'intérêt du prince d'Orange, son neveu, et surtout cet Etat dont il pouvoit beaucoup espérer et ne rien craindre. Si bien que Godard Adrien de Reede d'Ameronge, trouva des dispositions si favorables à Berlin, que son traité fut presqu'aussitôt conclu que commencé, c'est à dire dèz que l'on fut d'acord des subsides, et de la somme que l'électeur devoit emploier à faire de levéez. L'électeur non content de s'être ainsi engagé, s'emploia aussi de toute son afection à engager l'empereur dans le même parti et dans les mêmes intérêts. Le commandeur de Grémonville qui faisoit les affaires de France à la cour de Vienne, avoit eu le moien et le loisir d'y faire des habitudes qui embarassoient le conseil de l'empereur, en sorte que les ministres d'Espagne qui y représentoient continuellement les intérêts communs de la maison d'Autriche, y trouvoient des obstacles invincibles. L'électeur aida à les vaincre par le moien du prince d'Anhalt-Dessau, son beau-frère, qui y fit deux voiages en poste; et comme c'est un prince qui avoit la réputation d'avoir autant de coeur et d'esprit que de naissance, il sut si bien faire comprendre à des gens plus qu'à demi persuadéz, qu'il n'y alloit pas moins de l'intérêt de l'empire que de celui de l'empereur et de sa maison, que le conseil céda enfin à ses raisons. Tellement que le baron de Lisola qui étoit pour l'empereur à la Haye, eut ordre d'y conclure le traité, et presqu'en même tems l'empereur fit donner rendezvous à quelques troupes à Egra, sur les frontières de Bohême | |
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et du Haut Palatinat, dont cette ville a autrefois fait partie, et les fit ensuite marcher sous le commandement du comte de Montecuculli, en Allemagne, pour les joindre à l'armée de l'électeur de Brandebourg. Grémonville voiant l'empereur résolu au secours de la Hollande, et que les troupes marchoient déjà vers le rendéz-vous, le pria de lui faire donner audience en plein conseil, et l'aiant obtenue, il y fit un discours qu'il avoit mis par écrit, et dont les copies ont été vues dans toutes les cours de l'Europe. Il a dit qu'il l'avoit prononcé de mot-à-mot ainsi qu'il lui avoit été envoié de France. Mais il y en avoit qui le trouvoient trop ridicule, et rempli de trop de bévues pour pouvoir passer pour l'ouvrage de tant de grands ministres dont cette courlà est composée. L'on y remarquoit: Qu'il acuse les Etats Généraux de perfidie: ce que le roi, son maître, n'avoit pas osé faire, mais s'étoit contenté de dire, que leur conduite lui avoit déplu. Que c'étoit une grande imprudence à lui de traiter de canaille des souverains que le roi de France ne reconnoissoit pas seulement pour tels, mais même pour ses amis et féderéz. Qu'à peine pouvoit-on soufrir que ces injures sortissent de la bouche d'un laquais, ou d'une harangère; mais qu'elles ne devoient jamais sortir de la plume, ni même entrer dans la pensée d'un ambassadeur. Qu'il y entreprénoit hors de propos de justifier avec un trèz méchant succèz la rupture du roi d'Angleterre, par une grande ignorance ou malice, puisque le procédé du roi n'avoit point d'exemple et ne pouvoit pas être justifié. Qu'en donnant la souveraineté de la mer il dispose en faveur du même roi de ce qu'il n'apartient qu'à la nature de donner, et y assujettit même le roi et la couronne de France. Qu'il étoit plaisant quand il vouloit faire croire que le roi, son maître n'avoit pas asséz d'ambition pour aspirer à la monarchie universelle, et que la conquête de la Hollande n'y pouvoit rien contribuer. Qu'il ne savoit ce qu'il disoit, quand il fait connoitre que la Triple Alliance est la cause de l'indignation que le roi a contre les Hollandois, et | |
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néanmoins qu'elle ne l'est pas de la guerre, parcequ'il n'ose pas prononcer que l'Angleterre et la Suède n'en usent pas de trop bonne foi en abandonnant leurs alliéz, qui ne sont attaquéz que comme auteurs de la Triple Alliance. Qu'en disant que les Hollandois comme rebelles du roi d'Espagne doivent être abandonnéz, il condamne la mémoire du roi Henri le Grand, dont le roi d'àprésent a voulu que les actions servissent de modèle aux siennes, et celle du roi Louis xiii qui les ont apuié de leurs armes contre l'Espagne, et secondé en cela les reproches que l'Espagne leur en a fait autrefois. Que sa menterie va jusqu'à l'impudence quand il dit, que le roi, son maître, a trouvé en entrant dans les Provinces-Unies, une forte et vigoureuse résistance. Que c'est une ignorance bien grossière à lui de dire, que le roi son maître, aiant ocupé une bonne partie des Provinces-Unies, ce qui en reste n'est pas capable de fournir les sommes que l'Etat a promises à l'Empereur; vu que lui, qui fait le grand négociateur, et l'habile ministre, devoit savoir que les trois Provinces que le roi de France a conquises, ne contribuoient ensemble que quinze pour cent; qu'il y avoit toujours des nonvaleurs fort considérables de la part de celles de Gueldre et d'Overissel, et que depuis leur perte les quatre Provinces ont fait un règlement par lequel elles supléent à ce défaut. Qu'en disant que l'Empereur au lieu d'armer, devroit disposer le roi de France à donner la paix aux Hollandois par une ambassade composée de personnes de qualité, et qu'il trouveroit que S.M. considéreroit fort l'intercession d'un si bon parent, il le fait ressouvenir de la naissance de Terlon, de Gravelle, et de Verjus, qui sont les grands ministres dans l'Empire et dans le Nord; mais particulièrement de la considération que l'on avoit eue à Paris pour les offices que S.M.I. y avoit fait faire pour la restitution de la Lorraine. Qu'il vouloit faire passer le reste des hommes pour des statues, quand il prône, que le roi de France n'a rien pris sur l'Empire, tandis qu'il est le maître de Nuys et de Keyserveert, qu'il a fortifié, et où il a ses magasins, et qu'il se | |
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saisit, et retient par force Maseyck et Tongres au païs de Liège, terre de l'Empire. Qu'il prend l'Empereur et tous ses conseilleurs d'état pour autant de bêtes, quand il emploie son éloquence à leur persuader, que l'on a vu un exemple d'une justice singulière, et de rare modération en la guerre que le roi fit en Flandre en l'an 1667. Qu'en déclarant, que le roi, son maître, tiendra pour ennemis tous ceux qui secourent les Hollandois, il déclare la guerre à l'Espagne, lui fait voir à quoi elle doit s'attendre, et la contraint de rompre, si elle ne veut pas jouir du bénéfice de Polyphème, et être mangée la dernière. Qu'en disant qu'il faut que tous les bons catholiques travaillent à extirper ceux qu'il apelle hérétiques, il fait voir, ou que le roi d'Angleterre ne l'est pas, ou que l'alliance qu'il a faite avec lui ne servira qu'à le perdre, aussi bien que les Suèdois, qui sont hérétiques obstinéz. Que c'est une fausse bravoure quand il menace les mêmes conseillers d'une guerre qui embrasera non seulement l'Allemagne, mais aussi toute l'Italie et l'Espagne; et enfin que ce ne sont que des illusions, que toutes les paroles qu'il emploie pour vouloir faire accroire, que l'Empereur et l'Espagne doivent abandonner les Provinces-Unies à la France. Les Etats envoièrent à Madrid Paets, du Magistrat de Rotterdam, homme d'une trèz grande capacité, et qui avoit les qualitéz nécessaires pour faire réussir la négociation, si les avis du mauvais état des affaires de ce Païs n'eussent pas préocupé la cour avant qu'il y fût arrivé. Il étoit encor à Paris, où le roi de France lui avoit permis de passer, lorsqu'il aprit la révolution qui fait le sujet de cette rélation. Il avoit ordre de représenter à la reine, régente d'Espagne, les suites de l'invasion des armes de France; l'intérêt commun qui l'obligeoit à s'y oposer; et le péril inévitable que les provinces de Flandre couroient de se perdre avec celles-ci. Corn. de Witt, Ruart de Putten, député au conseil d'état d'Hollande, et Corn. de Vrijberguen, député de la part des Etats de Zéelande au conseil d'état de l'Union, furent envoiéz à Brusselles, pour | |
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tâcher d'engager le comte de Monterey à une défense commune contre un péril commun, et pour lui faire voir que le salut de l'un étant la conservation de l'autre, on ne pouroit pas l'espérer si l'Espagne ne se déclaroit, et ne joignoit ses armes à celles de l'Etat contre les injustes armes de la France. La négociation que le sr. Brasset, capitaine de cavalerie, fit auprèz des ducs de Brunswick et de Lunebourg, ne réussit pas si bien d'abord. Il avoit négocié autrefois avec les mêmes princes lors qu'il y fut envoié en l'an 1670, avec ordre d'ofrir la médiation de cet Etat pour l'acomodement des différends, que la maison de Brunswick avoit à démêler avec l'évêque de Munster, pour la protection de la ville d'Hoxter sur le Weser, et il s'y étoit rendu asséz agréable. L'on ne peut pas nier qu'il n'ait un grand courage, acompagné d'une froideur que l'on croit être plus étudiée que naturelle; de sorte qu'il n'eut pas de peine à s'aquérir l'estime des princes par ces qualitéz, et par la complaisance qu'il témoignoit avoir pour leurs sentimens. Et quoiqu'étant allé l'année dernière au siège de la ville de Brunswick comme volontaire, il en parlât avec tant de liberté et si peu de discrétion que les princes eurent sujet de n'en être pas fort satisfaits; ils l'aimoient pourtant mieux que ceux que l'on avoit proposé de leur envoier: quoiqu'il n'eût point de qualitéz radicales, et qu'il n'en eût point d'autre que celle de capitaine de cavalerie. Ce ne fut pas pourtant la plus grande des difficultéz que Brasset y rencontra. Jean Frédéric, duc de Brunswick et Lunebourg-Hanovre, qui a en partage Calenberg et Grabenhague, étant catholique, et s'étant marié en France, ne prenoit point de parti, et s'il avoit à se déclarer, il prenoit sans doute celui de la France. Il haïssoit irréconciliablement la maison d'Autriche, tant parceque la recherche qu'il avoit faite de la princesse d'Inspruck, présentement femme de l'Empereur, n'avoit pas réussi, par la mauvaise conduite de celui qui la négocioit à Vienne, plûtôt qu'à cause de la disposition qu'il y avoit trouvée, que parceque ce prince se plaisoit toujours à entrer dans des sentimens oposéz à ceux de | |
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son frère ainé. Rodolfe Auguste, duc de Brunswick-Wolfembutel, avoit de l'inclination à secourir les Etats, moiennant qu'on lui donnât des subsides à proportion du secours. Ernest Auguste, évêque d'Osnabrug, avoit témoigné ci-devant que ses sentimens étoient tels que l'on pouvoit désirer à la Haye. Mais on l'avoit négligé pendant que la France l'avoit recherché, et gagné ses ministres, en sorte que son afection se trouvant altérée, il n'y avoit point d'aparence de le ramener, et sans George Guillaume, son frère ainé, et sans quelqu'autre considération il auroit pris parti ailleurs. Ce prince, l'ainé et le chef de toute la maison, n'ignoroit pas que l'intérêt commun de l'empire l'obligeoit à se joindre à ceux qui s'oposoient à la trop grande puissance de la France, encor que ceux qui avoient la direction des affaires d'Hollande, eussent témoigné de l'indifférence pour son amitié, et rejetté les ofres avantageuses qu'il en avoit fait faire plus d'une fois. Ces messieurs vouloient que les princes d'Allemagne considérassent la guerre dont les Provinces-Unies étoient ménacéez comme si la France la faisoit à eux-mêmes, et ils avoient refusé de donner au Duc un subside médiocre pendant la paix, afin de l'aider à faire subsister les troupes dont il prétendoit les secourir quand ils seroient attaquéz: la politique de ce tems-là ne pouvant pas se résoudre à faire une petite dépense pour prévenir celle que l'on seroit contraint de faire, aprèz que ces Provinces seroient effectivement attaquéez; comme si aprèz une rupture formelle l'on eut pû disposer les princes voisins à hasarder leurs Etats, ou à se mettre aux gages de celui-ci, quand messieurs les ministres le trouveroient à propos pour le bien de leurs affaires. Le Duc faisoit réflexion sur la jonction des forces redoutables de France et d'Angleterre, et avoit sujet de craindre que les Provinces aiant à soutenir seules la guerre par mer et par terre contre ces deux grandes puissances, n'eussent de la peine à y résister. Il voioit que l'Espagne et l'Empereur qui y étoient le plus intéresséz, ne se déclaroient point; que pas une autre ne remuoit, et même que la Suède, dont le voisinage n'est pas | |
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fort commode à la maison de Brunswick, avoit pris ses mesures avec les deux couronnes. Les déliberations qui se faisoient cepandant dans le Païs ne réussissoient pas mieux que les négociations que l'on faisoit faire dans les cours étrangères. Dèz l'an 1667 les Etats d'Hollande non contens de résoudre qu'à l'avenir les charges de Capitaine Général et de Gouverneur de Province seroient incompatibles dans une même personne, et d'y avoir fait consentir tous les alliéz, c'est à dire les autres Provinces, avoient encor tout-à-fait suprimé la charge de Gouverneur de leur province par une espèce de déclaration, à la quelle ils avoient donné le nom d'Edit Perpétuel. Tous ceux qui avoient séance dans leurs assembléez, aussi bien que ceux qui faisoient partie du magistrat des villes, avoient été obligéz de jurer solemnellement qu'ils ne permettroient jamais que cet édit fut aboli ou enfreint en quoique ce soit, ni que l'on fît dans l'assemblée des propositions qui le pussent altérer en aucune de ses parties directement ou indirectement: quoique les auteurs de cet ouvrage eussent autrefois fortement soutenu en toutes les autres rencontres, que ceux qui sont à la tête des afaires dans un tems, ne peuvent pas ôter à ceux qui leur succéderont un jour, la liberté d'en user ainsi qu'ils le jugeront à propos pour le bien de l'état, sans aucune considération des sentimens et des résolutions de leurs prédécesseurs. Ils avoient aussi fait résoudre que le commandement des armes ne pouvoit pas être mis entre les mains du Prince qu'il n'eût 22 ans acomplis, et il ne faisoit qu'y entrer au mois de novembre de l'année courante. Presque toutes les Provinces, et la plûpart des villes d'Hollande étoient d'avis, qu'il ne falloit pas s'arrêter à une résolution qui avoit été prise dans un tems ou l'on n'avoit point de guerre, et ou un Capitaine Général n'étoit pas nécessaire. Elles représentoient que l'on ne pouvoir pas s'en passer à la veille d'une formidable guerre dont le Païs étoit menacé, et qu'il n'y avoit point de choix à faire. Que non seulement il ne se trouvoit point de sujet chez les étrangers en qui se rencontras- | |
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sent toutes les qualitéz nécessaires, c'est à dire avec la capacité et la naissance, l'approbation du peuple; mais aussi que les voeux de tous les gens de guerre y apelloient le prince d'Orange, et qu'à moins de donner cette satisfaction aux uns et aux autres, les premiers feroient difficulté de contribuer, et les autres ne combattroient que lâchement, et sans afection. Ceux qui suposoient que la qualité de Capitaine Général en la personne du Prince n'étoit qu'une chimère, tâchaient de persuader que les deux maréchaux de camp qui pouvoient commander l'armée, pourroient supléer à ce défaut. Que le Prince n'avoit ni l'âge ni l'expérience nécessaire pour pouvoir commander une armée en chef, ni même pour pouvoir faire choix des avis de ceux qui lui serviroient de conseil; et vouloient que l'on demeurât dans les termes des résolutions qui avoient été prises sur ce sujet, s'oposant avec beaucoup de fermeté aux instances des autres. Parmi ces derniers il y avoit des personnes d'un grand mérite, et qui avoient les intentions bonnes et droites. Mais comme ils abondoient en leur sens, et qu'ils vouloient s'oposer inutilement à la violence du courant, cette fermeté qui est une excellente vertu quand elle est bien apliquée, dégénéroit en opiniâtreté, qui est un vice fort dangereux, surtout dans les delibérations d'état. Néanmoins voiant que pendant ces contestations l'on ne résolvoit point les levéez, et que l'on ne demeuroit pas d'acord du fonds nécessaire pour la subsistance des troupes tant de mer que de terre, les plus fermes cédèrent enfin, et consentirent à ce que le commandement des armes de cet Etat fût donné au prince d'Orange pour l'expédition de cette année seulement. Ce fut le 24 février que les Etats Généraux prirent une résolution formelle sur ce sujet. Mais d'autant qu'ils ne lui donnoient cet emploi que pour cette campagne, parcequ'il n'avoit pas encor atteint l'âge de 22 ans acomplis, ils lui conservèrent sa place au conseil d'état, et ordonnèrent que comme l'un des plénipotentiaires à l'armée, il auroit aussi voix décisive avec eux, et séance immédiatement aprèz le président, et que com- | |
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me Capitaine Général il disposeroit pour la première fois du gouvernement des places qui seroient conquises par les armes de l'Etat sous sa conduite, et des compagnies qui viendroient à vaquer en campagne. Moiennant quoi les députéz de toutes les Provinces promirent formellement, qu'ils ne permettroient jamais que le Prince, étant Capitaine des armes de l'Etat par mer et par terre, pût prétendre le gouvernement d'aucune des Provinces-Unies, ni même qu'il le pût accepter quand on le lui ofriroit: messieurs les Etats se réservant et à leurs députéz extraordinaires, l'expédition des patentes pour la marche des troupes, comme aussi la direction des affaires qui regardent la religion, la police, la justice, et les finances. Sa commission portoit aussi en termes exprèz, qu'il ne pourroit pas exercer la charge de Capitaine Général, ni se donner l'autorité du commandement dans le territoire d'une des Provinces-Unies, sinon du consentement volontaire des Etats de la même Province, ni rien exécuter à l'armée même, sinon de l'avis des députéz, et par la pluralité des voix. Ces députéz étoient, de Ripperda de Buirse, de la part de Gueldre; Corn. de Witt, et Jerôme Beverningk pour la Hollande; Marin de Crommon, de la part de la Zéelande, Schade pour Utrecht; Isbrants Viersen pour la Frise; Jacob de Coeworden seigr. de Stouwelaer pour l'Overissel; et Gockinga de la part de Groningue. De Witt, Ruart de Putten, se fit députer à l'armée navale où il eut bonne part à la gloire que de Ruyter aquit quelque tems aprèz à la bataille qu'il donna aux Anglois; et Crommon se chargea de la commission de Mastricht, où il s'enferma avec Egmond de Niebourg, député du conseil d'état dans Mastricht, que le roi de France menaçoit de siège, et résolut d'y courir la même fortune avec le Rhingrave qui y commandoit. Les particularitéz des intrigues qui se firent pour cela ne sont pas du sujet de cette relation, mais bien de l'histoire, qui en parlera en son tems. C'est pour quoi nous nous contenterons de demeurer dans les termes de la geurre de France et | |
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d'Angleterre, avec ses suites, à laquelle nous ne destinons que fort peu de feuillets, qui pourront servir de mémoires à ceux qui entreprendront de la joindre aux autres révolutions du tems, et d'en faire un ouvrage parfait et achevé. Et comme cette guerre n'est qu'une suite de celle que la France fit aux Païs-Bas, de l'obéissance du roi d'Espagne, en l'an 1667, nous en dirons un mot en passant. Philippe iv étant décédé le 17 septembre 1665, Louis xiv, roi de France, et son gendre, qui avoit solemnellement renoncé aussi bien que la reine, sa femme, à tous les droits qui lui pouvoient écheoir par ce décèz, tant en Espagne qu'ailleurs, ne laissa pas de former aussitôt des prétentions sur quelques provinces des Païs-Bas, qu'il disoit apartenir à la reine, en vertu d'un droit de dévolution, qui préfère les filles du premier lit aux mâles du second, et en ôte même la disposition au père quand il passe à de secondes noces. Il en donna connoissance à la plûpart des princes de l'Europe, et entr'autres aux Etats Généraux, à qui il ne dissimula point que son intention étoit de poursuivre ses prétentions, et de conserver le bien de la reine par les voies dont les souverains ont acoutumé de se servir en de semblables rencontres. Mais il les fit assurer en même tems, qu'il ne le feroit pas sans leur participation. Il ne laissa pas cepandant d'en faire parler à l'ambassadeur d'Espagne; mais la reine-mère qui fit cet office, lui dit bien expressément, qu'elle le faisoit de son mouvemement, et comme princesse de la maison d'Autriche, plûtôt que comme mère du roi de France. Même elle ne fit point d'autres instances aprèz la réponse que l'ambassadeur lui fit; tellement que la cour de Madrid demeura persuadée, que la France emploieroit tout autre moïen que celui des armes; quand les habitans de Flandre virent, en l'an 1667, le roi en personne dans le coeur de leur païs, et que l'on en sentit le contrecoup en Espagne. Les progrèz en furent merveilleux, et l'on pourroit dire qu'ils seroient sans exemple, si l'on n'avoit vu quelque chose de plus surprenant pendant la campagne, qui fera une partie du sujet ces mémoires. | |
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La France ne les poursuivit pas, quoique la saison ne fût pas fort avancée, bien qu'aprèz la défaite de Marsin il fût absolument maître de la campagne, et que l'épouvante fût si grande et si générale dans les Païs-Bas, qu'il sembloit qu'il n'y avoit point de place qui ne se rendît à la première sommation. Mais l'infanterie étoit fort diminuée; de sorte qu'il n'étoit pas bien facile de former de grandes entreprises. Les places qui avoient été conquises étoient de si grande et de si difficile garde que pour y laisser une garnison suffisante il falloit y emploier tout le reste de l'infanterie. Mais ces progrèz furent principalement arrêtéz par la résolution que les Etats prirent de secourir les Païs-Bas, par les offices que l'on fit faire à la cour de France conjointement avec le roi d'Angleterre, et par les liaisons que l'on prit avec les couronnes de la Grande Brétagne et de Suède en faisant la Triple Alliance, qui a fait tout le crime, et a été cause de tous les malheurs des Provinces-Unies. Celui qui y contribua le plus fut Jean de Witt, premier ministre d'Hollande, en ce tems-là le premier mobile qui faisoit agir tous les autres ressorts de l'Etat, et qui par cette conduite, qui fut jugée avantageuse et nécessaire en ce temslà, attira sur son Païs et sur sa personne l'indignation du plus puissant monarque de la Chrétienté. Pendant la guerre que l'Etat avoit été contraint de soutenir avec l'Angleterre et contre l'évêque de Munster, Christophe Bernard van Galen, en même tems, la France avoit secouru ces Provinces, mais d'une manière qui avoit bien fait connoitre qu'elle vouloit ménager l'amitié de ces princes pour d'autres ocasions qu'elle feroit naître bientôt. En effet les ministres de France ne pressèrent le traité de Bréda, qu'afin que le roi, leur maître, pût rechercher l'amitié de l'Angleterre; comme il la rechercha ouvertement dèz que le traité fût conclu. Il y envoia Colbert, frère de celui de tous ses ministres qui avoit le plus de pouvoir dans ses conseils, qui s'y fit considérer par une dépense prodigieuse, et qui y aquit des créatures au roi, son maître, par les présens qu'il faisoit tant aux ministres qui | |
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avoient la confidence du prince, qu'à d'autres personnes qui possédoient son afection. Il aquit particulièrement au roi, son maître, le Duc de Buckingham, lequel aiant dissipé la meilleure partie des grands biens que son père, favori des deux derniers rois, lui avoit laissé, cherchoit de tous cotéz de quoi pouvoir continuer ses profusions. Il fit aussi des présens à Henri Bennet, qui depuis quelque tems avoit été fait Lord Arlington, alors un des secrétaires d'état, à Ashley Cooper, présentement Chancelier, à Clifford, à Lauderdale qui avoit la principale direction des affaires d'Ecosse, et à la dame de Castelmine, duchesse de Cléveland, maîtresse du roi. Toutefois Colbert ne fit qu'y préparer la matière, et ce fut la Duchesse d'Orléans, soeur du roi, qui passa à Douvres, à l'ocasion d'un voiage que la cour de France fit à Calais, et fit les premières ouvertures au roi, son frère, d'un engagement plus étroit avec la France. Elle lui représenta les avantages qu'il y trouveroit, l'argent de la France, son secours et son apui contre les ennemis et envieux de son autorité roiale, trop dépendante de celle du parlement. La Duchesse qui étoit la personne du monde la plus engageante, laissa le roi son frère fort bien disposé, mais tellement incertain de quelle façon il devoit s'y prendre, que les larmes confirmèrent ce qu'il lui découvrit de l'inquiétude où cette proposition le mettoit. Il ne lui dissimula point que dans tout son roiaume il n'y avoit personne à qui il voulut ou osât communiquer un dessein de cette nature, non pas même au Duc d'Yorck, son frère, qui en ce tems-là n'avoit point de part aux plus intimes secrets du roi, son frère. Mais il ne mit pas longtems à trouver dans sa cour corrompue et nécessiteuse, des ministres mercenaires, dignes et capables de cette confidence. Le Duc d'Yorck étoit ennemi de tout ce qui étoit oposé à la domination absolue, et particulièrement de cette République; et quelques-uns des principaux ministres, et de ceux qui gouvernoient le roi, s'étoient vendus à la France: de sorte que cette cour-là demeura bientôt d'acord avec elle de faire la guerre aux Provinces-Unies. | |
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L'on vit la première marque de la bonne intelligence entre les deux couronnes, et du changement des intérêts et des maximes de quelques ministres de la cour de Londres en la révocation du Chevalier Guillaume Temple, lequel étant ici ambassadeur ordinaire, avoit heureusement travaillé à la réunion des esprits des deux nations. Il avoit été mis dans les affaires par le Lord Arlington, et avoit fait réussir les intentions du roi, son maître, tant à Brusselles où il avoit été résident, qu'en ce Païs, où il avoit en fort peu de tems conclu les traitéz qui auroient fait la gloire et le bonheur de l'Angleterre, aussi bien que de ces Provinces, s'ils eussent été aussi religieusement exécutéez, et fidellement observéz de la part de l'Angleterre qu'ils l'ont été par les Etats. C'étoit un gentilhomme qui avoit ajouté au lustre de sa naissance la connoissance des bonnes lettres, un grand mérite, et une probité et intégrité d'autant plus rares dans une personne de sa qualité, qu'il étoit éloigné des finesses et des artifices qui forment le caractère d'un habile homme dans la plûpart des cours de l'Europe, et particulièrement en celle de Londres, où le plus souvent l'on ne fait point de différence entre un adroit courtisan et un grand fourbe. La Triple Alliance étoit son ouvrage et comme il se seroit apliqué à la faire subsister, et qu'il étoit incapable de tromper ceux à qui il avoit affaire, la France ne le jugeoit pas propre pour faire réussir ses intentions. Ses ministres demandèrent cette preuve d'amitié au roi d'Angleterre, même avant qu'il y eût aucun engagement formé entr'eux. Ce fut le duc de Buckingham qui acheva de conclure le traité, et ce fut avec lui que l'on prit les premières mesures pour l'exécution. Le roi d'Angleterre avoit promis par la Triple Alliance, et solenellement juré, qu'il y auroit toujours une paix sincère et bonne correspondance entre les trois alliéz, pour avancer de bon coeur et de bonne foi le profit, l'avantage, et la dignité mutuelle des uns et des autres, et de détourner de tout leur pouvoir ce qui y seroit oposé ou contraire. Et s'il arrivoit que cette bonne intention des uns et des autres fût mal reçue | |
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ou expliquée, et que si une des parties, c'est à dire le roi de France, ou celui d'Espagne, ou quelqu'un de leur part, vint à faire la guerre, ou à exercer quelque vengeance mal à propos contre quelqu'un des alliéz, ils seroient obligéz de se secourir fidellement les uns les autres. Le même roi d'Angleterre qui avoit été le premier auteur de la Triple Alliance, et venoit de promettre de secourir celui des alliéz qui seroit inquieté pour cela, promit à la Fance non seulement de se dédire de ce qu'il venoit de promettre, mais même de rompre le premier avec les Etats; et rompit avec eux en effet sans aucune déclaration précédente. Qui plus est; en l'an 1668 il avoit fait avec les mêmes Etats une alliance défensive, par laquelle il s'étoit obligé de les secourir de 40 vaisseaux de guerre, de 6000 hommes de pié et de 400 chevaux, contre celui qui les attaqueroit; et les Etats avoient promis de le rembourser de la dépense qu'il y feroit dans trois mois aprèz que la paix seroit faite. Le roi d'Angleterre pour se dégager de cette obligation, et pour avoir un méchant prétexte de rompre, s'avisa d'ordonner expressément au capitaine de la patache roiale qui devoit transporter en Angleterre made. Temple avec sa famille, qui étoit demeurée en Hollande un an aprèz que son mari en étoit parti, de sortir de sa route, et de tâcher de rencontrer l'armée navale des Etats, afin d'intéresser toute la nation dans son mécontentement particulier par le refus qu'elle feroit, sans doute, de saluer le pavillon. Et de fait le capitaine s'étant détourné de sa route, pour passer au milieu de l'armée navale Hollandoise, tira un coup de canon, et le redoubla pour l'obliger à saluer le pavillon d'Angleterre. Mais Guillaume Joseph de Guent, Lieutenant Amiral d'Amsterdam, qui se trouvoit dans l'avant-garde, ne croiant pas être tenu de faire honneur à une Patache ou Yacht, ne salua point. Toutefois aiant apris qu'elle portoit une dame qui s'étoit fait considérer en ce païs par son mérite personnel, aussi bien que par la conduite de son mari, eut la civilité de lui rendre l'honneur qu'il croioit devoir à sa qualité en la visitant dans sa | |
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patache. Il y eut quelques contestations avec le capitaine sur le salut qu'il prétendoit être dû au pavillon d'Angleterre; mais il en sortit avec satisfaction. Le capitaine étant arrivé à Londres fut arrêté prisonnier pour ne s'être point ressenti du mépris que les Hollandois avoient eu pour le pavillon. Ce fut-là non la cause, mais le prétexte du mécontement du roi d'Angleterre, et de la guerre qui avoit été résolue dans son esprit longtems auparavant. Le roi s'en plaignit à l'ambassadeur des Etats, demanda que de Guent fût puni, et renouvelloit de tems en tems ses plaintes. Mais les Etats jugeoient avoir fait ce qu'ils devoient, en ofrant de lui donner toute la satisfaction qu'il pourroit prétendre en vertu du traité de Bréda. Il ne s'en étoit point fait depuis quelques annéez ou cette matière n'eût été agitée et contestée avec chaleur, et l'on n'en étoit jamais demeuré d'acord jusqu'à ce que celui de Bréda eût en quelque façon expliqué l'article, dont on étoit convenu avec Olivier Cromwell en l'an 1654. Mais le roi ne se voulant pas satisfaire de ces ofres parcequ'il étoit résolu de rompre, et néanmoins voulant en quelque façon justifier sa rupture aux yeux de ceux qui peut-être n'aprouveroient pas ce procedé, envoia à la Haye, au commencement de l'année, George Downing, revêtu de la qualité d'ambassadeur extraordinaire. L'intention de la cour étoit de donner cet emploi à Guillaume Temple, et le Lord Clifford, grand trésorier d'Angleterre, et le plus violent des cinq seigneurs qui composoient la Cabale, entreprit de lui faire accepter. Il eut voulu faire une seconde Carthage de l'Etat des Provinces-Unies, et tâchoit de persuader à Temple, qu'il étoit nécessaire de décrier ces peuples comme les plus scélérats de la terre, et ceux qui les gouvernoient, indignes avec qui les Princes et Etats voisins fissent des traitéz et des alliances: tellement que le roi d'Angleterre avoit raison de renoncer à leur amitié, et de leur déclarer la guerre. Temple repartit: Qu'il avoit négocié avec les Etats, et avec leurs ministres; mais qu'il ne les trouvoit pas tels que le trésorier disoit. Qu'il ne les pouvoit pas acuser de | |
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perfidie, pendant qu'il avoit tant de preuves du contraire; et qu'étant incapable de faire une action si éloignée de l'honneur et de la probité dont il avoit toujours fait profession, l'on pouvoit chercher un autre qui ne fît pas tant de difficulté de servir à ses passions et à ses violences. Il n'y en avoit point de plus propre en Angleterre que George Downing. Le choix que l'on fit de cet homme, qui étoit l'aversion générale de tout le Païs à cause de la conduite qu'il y avoit tenue ci-devant pendant qu'il y avoit été résident et envoié, premièrement du parlement et du Protecteur, et ensuite du roi d'Angleterre, faisoit bien juger de l'intention de celui qui s'en servoit en cette conjoncture. Il amena ici toute sa famille, et même sa femme quoique prête d'acoucher, pour faire croire qu'il n'y auroit point de rupture, puisque le roi, son maître, y envoioit un ministre qui ne venoit que pour assurer l'Etat des bonnes intentions de son Prince et dans le dessein d'y faire un long séjour. Il emploia toute son industrie pour faire croire que les intentions du roi son maître, étoient bonnes et sincères, et ne craignit point de dire positivement, qu'il tromperoit plûtôt la France, que les Etats. L'on en fut bientôt détrompé. Car en sa première audience il changea sa qualité d'ambassadeur en celle d'héraut, et parla en des termes qui firent bien connoitre, que son maître n'avoit pas envie qu'on lui donnât la satisfaction qu'il demandoit, et qu'il ne se satisferoit pas, quand même on lui acorderoit la seigneurie de la mer en toute son étendue, en y comprenant toute la Manche, la Mer Septentrionale, et une partie de l'Océan: quoique l'on fût bien éloigné de cette pensée. Il fit sa première proposition le 12 janvier, et demanda une promte et entière satisfaction, non seulement en reconnoissant la souveraineté du roi d'Angleterre sur ces mers, mais aussi en promettant de faire saluer son pavillon par tous les vaisseaux de cet Etat, de quelque qualité et en quelque nombre qu'ils fussent, et en punissant exemplairement le Lieutenant-Amiral de Guent, qui y avoit manqué. Et comme cette demande étoit de | |
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la dernière importance, l'assemblée des Etats-Généraux ne la pouvoit pas résoudre sans la communiquer aux Etats des Provinces; de sorte qu'il falloit du tems pour l'y envoier et savoir leur sentiment. Et néanmoins Downing ne laissa pas de demander réponse, avec d'autant plus d'empressement qu'il avoit ordre de n'en recevoir point, et de partir si dans un certain jour, dans le quel il étoit impossible de faire résoudre une affaire de cette nature dans les Provinces, on ne lui donnoit satisfaction. Et de fait; lorsque les Etats la lui firent donner le 3 février, il déclara (quoi qu'il n'en eût jamais rien témoigné auparavant), qu'il n'étoit plus en son pouvoir de la recevoir, et qu'il n'avoit plus de caractère, parceque le roi, son maître, l'aiant révoqué, il ne pouvoit plus faire figure, mais seulement le personnage de G. Downing. Ce qu'il y eut de plus ridicule en toute cette farce, ce fut que nonobstant cette déclaration, et le refus que Downing avoit fait de se charger de la réponse de l'Etat, il ne laissa pas de prendre son audience de congé comme ambassadeur, pour se faire donner le présent de 6000 livres, qu'il accepta sans répugnance, parcequ'il ne faisoit pas partie de la satisfaction qui eut pû empêcher la rupture. Pour en ôter tout le sujet, et même tout prétexte au roi d'Angleterre, l'on envoia la réponse par un exprèz à l'ambassadeur de cet Etat, à qui l'on donna ordre d'ofrir quelque chose de plus que ce que le roi d'Angleterre pouroit prétendre en vertu du traité de Bréda, qui régle le salut du pavillon de la manière que nous venons de dire; et de se plaindre du refus que Downing avoit fait de recevoir la réponse. Celle-ci l'auroit satisfait s'il eut eu dessein d'exécuter le traité de Bréda, puisque son dixneuvième article dit positivement: Que les vaisseaux de ces païs, tant marchands, qu'arméz en guerre, abatront le pavillon et amèneront la hunière du grand mât, en rencontrant dans la mer Britannique un navire de guerre du roi d'Angleterre. Il n'avoit pas prétendu autre chose au traité de l'an 1662, où il avoit voulu que l'on insérât les paroles | |
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formelles qui se trouvoient dans le traité fait avec Cromwell en 1654. Or, afin de donner au roi d'Angleterre plus de satisfaction qu'il ne pouvoit légitimement prétendre, on lui fit dire qu'on auroit pour lui la complaisance et le respect de faire saluer son pavillon par toute l'armée navale de cet Etat, quand même elle ne rencontreroit qu'un seul vaisseau du roi; pourvu que S.M. de son coté exécutât le traité, et n'en tirât point d'avantages au préjudice de la liberté du Païs à l'égard de la seigneurie de la mer. La cour d'Angleterre fit son profit de ces ofres, et en prit prétexte de faire croire à celle de France, que les Etats avoient voulu engager l'Angleterre dans une alliance étroite, et la faire déclarer contr'elle. Downing aiant sû qu'on lui envoieroit la réponse, par ce qu'on la lui avoit déjà fait ofrir en flamand, présenta un mémoire, et déclare, qu'aiant reçu ordre de partir, et sa commission étant révoquée, il n'avoit plus de caractère, et ne se pouvoit plus charger de quoique ce soit comme ambassadeur. Le roi désavoua par sa réplique, du 13 février, le procédé de son ambassadeur, nia qu'il lui eût commandé de ne recevoir la réponse et de partir, et assura qu'il lui avoit ordonné par un exprèz de demeurer et de continuer la fonction d'ambassadeur. Il est vrai que le roi craignant qu'en rompant la négociation, l'on ne prit ici des mesures pour une défense nécessaire, et ne voulant pas découvrir ses véritables intentions devant qu'il eut fait sa main, avoit envoié à Downing un ordre contraire à sa première instruction. Mais soit qu'il arrivât trop tard, ou que Downing voulût suivre ses premiers ordres, qu'il savoit être conformes aux intentions du duc d'Yorck, il ne laissa pas de partir. En arrivant à Londres on le mit dans la Tour; mais il n'y demeura pas longtems. Toute fois afin qu'on ne le crût pas innocent tout-à-fait, on lui ôta sa charge, laquelle le rendoit peut-être plus criminel que sa prétendue desobéissance. Ceux qui ont quelque connoissance de la constitution de la cour de Londres, et de l'humeur du Lord Arlington, pour avoir en | |
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part à sa confidence, et à ce qu'il a fait négocier en France, assurent que l'on pouvoit gagner ce ministre, et que si les Etats eussent fait la dixième partie de la dépense que la France à faite pour le gagner, ils ne se seroient jamais attiré sur les bras les deux puissances qui les ont réduit à des extrèmitéz dont ils ne reviendront jamais, quelque révolution qui puisse arriver. Mais le ministre qui avoit alors la principale direction des affaires d'Hollande, n'a jamais voulu prêter l'oreile à cette sorte de propositions, et n'écoutoit jamais les avis contraires à ses maximes et à ses sentimens. La négligence et le mépris qu'on a eu pour Arlington, qui n'a pas dissimulé qu'il méritoit et vouloit recompense pour avoir aidé à faciliter la Triple Alliance, n'a pas peu contribué à la guerre. Pierre de Groot, pensionaire de la ville de Rotterdam, qui avoit été bien informé du tems et des circonstances de la signature du traité que le Duc de Buckingham y avoit fait, n'avoit pas manqué d'en avertir l'Etat et ses ministres, pendant que Jean Boreel qui étoit à Londres, ne cessoit pas d'écrire: Qu'il n'y avoit rien de signé entre les deux couronnes; que si l'on donnoit quelque satisfaction au roi touchant le salut du pavillon et la personne du prince d'Orange, et si l'on pouvoit se résoudre à faire quelque dépense en cette cour-là, et à y envoier un ministre extraordinaire, son voiage ne seroit pas inutile. Ces avis trouvoient du crédit dans l'Assemblée, et étoient apuiéz de ceux qui s'imaginoient que la cour de Londres feroit son intérêt de celui du prince d'Orange, et qui vouloient faire croire que son élévation aux charges de ses ancêtres donneroit le repos à l'Etat, et attacheroit l'Angleterre inséparablement à ses intérêts. Ils faisoient d'autant plus d'impression que C. van Beuningue qui avoit négocié en presque toutes les cours de l'Europe, et que l'on croioit capable de pénétrer les plus intimes penséez des plus rafinéz courtisans, étant à Londres en l'an 1670, écrivit plus d'une fois, que la Chambre-Basse du parlement étoit fort animée contre la France, et qu'il y avoit de l'aparence que le roi d'Angleterre soufriroit | |
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que l'Empereur entrât dans la Triple Alliance. Etant de retour à la Haye, et faisant raport dans l'assemblée des Etats-Généraux du succèz de sa négociation, il dit, qu'en arrivant à Londres il n'avoit pas trouvé la cour fort bien intentionnée; mais que depuis que le prince d'Orange y avoit paru, les affaires étoient bien changéez, et qu'il y avoit rendu de fort bons offices à l'Etat. Il en étoit si bien persuadé, parceque la cour avoit bien voulu lui faire donner cette impression par ses émissaires, qu'il écrivit à de Groot, qui ne parloit en toutes ses lettres que de la liaison que la France avoit prise avec l'Angleterre, et du dessein que les deux rois avoient formé de faire la guerre aux Provinces-Unies, marquant même que celui de la Grande Brétagne s'étoit obligé de rompre le premier, que le zèle qu'il témoignoit avoir pour sa patrie, étoit à estimer, mais que l'inquiétude qu'il se donnoit, et l'alarme qu'il prenoit du côté de l'Angleterre étoient aussi inutiles, qu'il étoit certain qu'il n'y avoit rien à craindre la part du roi et de cette cour-là. Mais d'autant que l'on étoit averti de tous côtéz, que les mêmes ministres qui avoient conseillé et fait conclure la Triple Alliance, étoient ceux qui parloient avec le plus de passion pour les intérêts de la France, et que l'on voioit le contraire de ce que van Beuningue vouloit faire croire, on résolut d'envoier en cette cour-là un ministre habile, avec des ofres que l'on croioit capables de ramener ces messieurs-là. L'on voulut obliger J. de Beverningk, habile et heureux négociateur, de se charger de cet emploi, et à son refus l'on y envoia Jean Meerman, ancien bourguemaître de la ville de Leyde, qui y avoit été ci-devant en qualité d'ambassadeur extraordinaire. On lui donna ordre de sonder l'intention de la cour d'Angleterre en y arrivant, en se contentant d'abord de la qualité de ministre, et on lui permit de prendre le caractère d'ambassadeur s'il y trouvoit les esprits disposéz à l'acomodement. Néanmoins ce ministre sans avoir égard à ses ordres exprèz se produisit d'abord comme ambassadeur, et prit audience en cette qualité; quoiqu'il y trouvât des dispositions directement | |
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oposéez à l'intention de ses maîtres, et à son instruction. Le roi même ne se contenta pas de le détromper de sa bouche des espérances du succèz de sa négociation dont il s'étoit flatté, en lui disant bien expressément, qu'il alloit faire la guerre, et qu'il avoit en main de quoi se faire la raison que les Etats refusoient de lui faire; mais il lui déclara aussi qu'il avoit donné ordre d'attaquer la flotte de Smirne, et d'amener tous les autres navires Hollandois que ses vaiseaux de guerre rencontreroient en mer, lui faisant entendre, qu'il feroit bien de se servir du même vaisseau qui l'avoit aporté pour repasser la mer, parcequ'il n'y avoit rien à faire avec lui. Que l'ambassadeur parloit trop tard, parcequ'il se trouvoit si avant engagé avec la France qu'il ne pouvoit pas entendre à aucun traité de paix et d'alliance avec les Etats sans le consentement de cette couronne-là. Meerman étoit encor à Londres quand on y aprit la rencontre de quelques vaisseaux de guerre Anglois avec la flotte marchande Hollandoise qui venoit de la mer Mediterranéc. Elle étoit composée de soixante voiles, sous l'escorte de six vaisseaux de guerre, et étoit partie des côtes d'Espagne vers la fin du mois février. Vers le 20 ou 21 de mars Edouard Sprag, qui avoit commandé une escadre de vaisseaux de guerre en ces quartiers-là, où il avoit conclu avec les corsaires d'Alger un traité qui donnoit fort peu d'avantages et de réputation aux armes du roi, son maître, en arrivant aux côtes d'Angleterre y rencontra Robert Holmes à la tête de six grands vaisseaux et d'une frégatte, et l'avertit de l'état de la flotte d'Hollande. Il lui dit aussi, que si l'on avoit un ordre de la cour, il y auroit un beau coup à faire. Holmes qui en avoit un, mais qui ne vouloit pas partager le butin qu'il croioit ne lui pouvoir pas échaper, ne lui dit mot, et alla seul avec son escadre au devant des marchands Hollandois, dont il tenoit la prise indubitable. Ce fut mercredi, 23 mars, sur le midi, qu'il les attaqua auprèz de l'Isle de Wigth, aprèz avoir gagné l'avantage du vent sur eux. Il fit d'abord tirer un coup à bale pour | |
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faire saluer son pavillon, et pour faire venir un officier dans son bord. Le capitaine de Haes à qui les autres avoient cédé le commandement pour ce voiage, lui envoia son lieutenant, qui ne fut pas sitôt entré dans le vaisseau d'Holmes, et réconnut qu'il n'y avoit rien de bon à espérer de Anglais, qu'il ordonna à ses gens qu'il avoit laissé dans sa chaloupe, de s'en retourner, et d'avertir le capitaine de l'intention des Anglois. Il fut obeï, et les matelots qui y étoient demeuréz, lâchèrent la corde, se mirent sur le ventre, et se sauvèrent parmi une grêle de mousquetades, et arrivèrent au bord de leur vaisseau presqu'en même tems qu'Holmes commença le combat. Son vaisseau qui étoit monté de 84 pièces de canon, alla aussitôt choisir celui du capitaine de Haes, qui n'étoit monté que de 50 pièces de canon. Mais il en fut si mal reçu qu'aiant été mis hors de combat, il fut obligé de faire carène, et de se retirer. Le même capitaine renvoia avec le même succèz un autre Anglois monté de 50 pièces de canon, et mit ce jour-là tout l'avantage du combat de son côté. Le lendemain 10 autres vaisseaux Anglois frais le recommencèrent, et se rendirent maîtres du vaisseau commandé par le capitaine van Es, qui fut contraint de se rendre, aprèz avoir si bien combattu, que son vaisseau percé de tous côtéz, et à fleur d'eau, alla à fond avec ce que les Anglois y avoit mis et laissé de gens. Ils prirent aussi cinq navires marchands, et tuèrent le capitaine de Haes. Le capitaine du Bois y eut aussi une main emportée. Mais les Anglois n'eurent pas beaucoup de sujet de se vanter du succcèz de ce combat, puisque leurs vaisseaux n'étant pas en état de recommencer, les Hollandois poursuivirent leur route, et arrivèrent deux jours aprèz à bon port, ne laissant aux Anglois que le regret d'avoir rompu mal-à-propos, au préjudice du traité formel, et d'avoir fait une action que leurs meilleurs amis n'aprouvèrent pas. Une personne de qualité qui se trouvoit en ce tems-là à la cour d'un des premiers princes d'Allemagne pour les affaires du roi de France, aiant apris de quelle façon celui d'Angleterre avoit rompu, ne | |
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put pas s'empêcher de dire, que ce procédé n'étoit pas fort honnête, que le roi, son maître, en useroit plus généreusement, et qu'il ne feroit pas la guerre en pirate. Le roi d'Angleterre en donna avis en même tems à la cour de France, et la pressa de déclarer aussi la guerre. Mais la saison n'étant pas encor asséz avancée pour faire marcher les arméez, et le roi ne voulant pas exposer les troupes qui étoient dans l'archévêché de Cologne, à une insulte, ni donner le déplaisir à Pierre de Groot, ambassadeur des Provinces-Unies, de voir publier la déclaration de guerre en sa présence, et d'être obligé d'y séjourner encor aprèz la rupture, ne la fit publier que le 8 avril. De Groot qui a de l'esprit, et qui s'étoit rendu si agréable à la cour, que si les mesures n'eussent pas été prises devant qu'il y arrivât, ou si l'on n'eût pas achevé d'aigrir les esprits en défendant l'eau-de-vie incontinent aprèz qu'il y fut arrivé, et devant qu'il pût commencer sa négotiation, il eut pû les faire raprocher, et remettre les affaires en leur premier état. Il est bien certain que si l'on eut pû se résoudre ici à abandonner à la France les provinces des Païs-Bas de l'obéissance du roi d'Espagne, ou bien à les partager avec elle, l'on auroit pû éviter la geurre, du moins pour quelque tems. On lui fit faire quelqu'ouverture devant qu'il partit, et quelques-uns de ceux qui avoient connoissance des dispositions de la cour, en avoient fait part à leurs amis de deçà, qui le pouvoient faire savoir aux ministres, et qui en effet les en firent avertir. Mais l'on avoit pris en Hollande des engagemens qui les empêchèrent de les écouter, et les mêmes ministres que le peuple a soupçonné d'intelligence avec la France, étoient d'avis que l'on ne pouvoit pas abandonner les provinces de Flandre, ni souffrir que les armes de France s'en rendissent les maîtres sans abandonner en quelque façon l'Etat même, et ne voulurent pas écouter ces propositions. Et c'est ce qui a fait le crime dont ils ont irrémissiblement ofensé la majesté du roi de France. Lorsque Godefroi, comte d'Estrades, vint à la Haye, en | |
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1663, comme ambassadeur extraordinaire de France, il proposa le même partage, ou bien de faire cantonner les mêmes provinces. La négociation fut bien avancée, mais le crédit qu'un des plus grands négociateurs de ce tems avoit aquis dans une des premières villes du Païs, en empêcha la conclusion, pendant que de l'autre côté l'on se servit en France de plusieurs mauvais prétextes pour la rompre. L'histoire en marquera les particularitéz en son tems. De sorte qu'il suffit de dire ici, que lorsque l'on en fit parler à de Groot par des gens que l'on pouvoit désavouer, les Etats avoient pris avec l'Espagne des liaisons dont ils ne se pouvoient pas dégager; et l'on ne pouvoit pas se défaire de la jalousie que l'on s'étoit formée du voisinage de la France. Néanmoins comme le roi se plait à faire tout d'hauteur, et qu'il est ennemi de la supercherie, il ne voulut pas que la déclaration de guerre fût publiée que lorsqu'il jugeoit que l'ambassadeur seroit sorti de son roiaume, ordonnant en même tems aux gouverneurs des villes de Picardie, qui étoient dans sa route, de lui faire tous les honneurs et toutes les civilitéz que l'on auroit pû faire à un ministre d'une tête couronnée, amie et alliée de la France. La déclaration portoit les marques du génie du prince qui alloit faire la guerre, en disant, qu'il ne la faisoit que parceque la conduite des Etats lui déplaisoit, et que son intention étoit de les en châtier. Il ne s'en étoit pas fort caché. Au contraire ses ministres en parloient dans toutes les cours des autres princes comme d'une chose que les autres puissances de l'Europe ne pourroient pas empêcher. C'est pourquoi les Etats voulant justifier leur procédé, lui avoient écrit vers la fin de l'année passée, une lettre, par laquelle ils lui représentoient: Que ce n'avoit pas été leur intention de l'ofenser. Qu'ils savoient ce qu'ils devoient à S.M.; et que s'il lui plaisoit de leur marquer en quoi il croioit qu'ils l'eussent ofensé, ils tâcheroient de le réparer, et de lui donner satisfaction. Le roi qui savoit que les Etats avoient fait faire plusieurs copies de cette lettre, et qu'ils les avoient fait distribuer dans | |
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les cours des princes où ils croioient pouvoir justifier leur intention et leur procédé, jugeant que c'étoit une espèce de manifeste, reçut la lettre avec dédain, dit à l'ambassadeur qui la lui rendit, qu'il en avait vu la copie il y avoit longtems, et se contenta de répondre, que les armemens que l'on faisoit ici tant par mer que par terre, et les alliances que les Etats tâchoient de faire dans les autres cours, l'avoient obligé de renforçer ses troupes par des recrues et des nouvelles levéez, et qu'il les emploieroit là où il le jugeroit à propos pour sa gloire, n'étant obligé de rendre compte de ses actions à qui que ce soit. Le roi de la Grande Brétagne en déclarant la guerre, publia une espèce de manifeste, qui devoit justifier ses armes, lesquelles sans cela ne pouvoient pas trouver une aprobation générale. Il y disoit: Qu'il étoit allé au devant de tout ce qui pouvoit contribuer à l'établissement d'une bonne correspondance avec les Etats, ses voisins, et qu'il l'avoit témoigné par le traité qu'il avoit fait avec eux en 1662. Que de son côté il l'avoit religieusement observé, jusqu'à ce que voiant en l'an 1664, qu'ils refusoient de lui faire raison des plaintes continuelles que ses sujets lui faisoient, il avoit été enfin contraint de se résoudre à la rupture l'année suivante. Que les victoires et les avantages qu'il avoit remportéz sur eux pendant cette guerre, au lieu de les convier à être plus fidèles en l'observation des traitéz, les avoient rendus plus opiniâtres: Tellement qu'immédiatement aprèz la conclusion du traité de Bréda, ils avoient négligé d'en exécuter les principaux points. Qu'ils avoient manqué d'envoier leurs commissaires en Angleterre, ainsi qu'ils y étoient obligéz, pour régler le commerce des Indes Orientales. Qu'ils avoient violé la capitulation faite pour la réduction de Suriname en tous ses points. Qu'en leurs tableaux, médailles, et colonnes ils avoient prostitué l'honneur de sa personne roiale, et la réputation de la nation Angloise, en sorte que ce seul outrage le pouvoit obliger à s'en ressentir. Que leurs vaisseaux avoient refusé de saluer son pavillon, et que par une ingratitude et une insolence sans exemple, ils osoient | |
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bien lui disputer la seigneurie de la mer. Qu'ils avoient voulu détacher le roi de France de ses intérêts, et que bien qu'il leur eût fait demander satisfaction par un ambassadeur qu'il leur avoit envoie exprèz, au lieu de la lui donner, ils lui avoient fait dire qu'ils auroient de la complaisance pour lui à l'égard du salut du pavillon s'il vouloit les secourir contre la France. L'on s'est souvant étonné de ce que l'Etat qui ne peut pas ignorer quelles impressions ces sortes d'écrits sont capables de faire, ne s'est pas mis en devoir d'y répondre, et n'a pas même soufert que l'on publiât le manifeste qu'il avoit fait faire par un des ministres de l'assemblée d'Hollande, vu que des particuliers pour soutenir l'honneur de l'Etat, et pour défendre la vérité, avoient bien voulu prendre la peine de le faire. L'on vit paroître un petit, mais trèz excellent écrit, sous le titre de: Réflexions sur l'Etat présent des Provinces-Unies, où l'auteur qui se trouve présentement dans un emploi fort illustre, remarque: Que le manifeste de l'Angleterre n'étoit qu'un tissu d'incongruitéz, et que celui qui l'avoit composé étoit ou grossièrement ignorant ou impudemment malicieux, s'il n'étoit l'un et l'autre, puisque cette pièce n'étoit remplie (à ce que l'auteur dit), que de positions fondéez sur des principes directement contraires à la vérité, et tiréez de l'école de celui qui est meurtrier et menteur dèz le commencement. Il faisoit remarquer: Que dans le traité de Bréda il ne se trouvoit pas un article qui obligeât l'Etat à envoier des commissaires à Londres pour régler le commerce des Indes Orientales. Qu'il avoit été effectivement réglé en l'an 1669 par un traité de marine sur le pié de celui que cet Etat avoit fait avec la France. Qu'à l'égard de Suriname les Etats avoient fait plus qu'ils n'étoient obligéz de faire, non seulement en exécutant ponctuellement le traité de Bréda, mais aussi en acordant par complaisance et en considération de l'intercession du roi d'Angleterre, aux habitans de Suriname, quoique depuis ce tems-là ils fussent devenus sujet de l'Etat, des avantages qu'on ne leur de- | |
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voit pas, et qu'ils ne demandoient pas. Que l'on ne pouvoit pas empêcher des souverains d'ériger des trophéez à la vertu, ni de reconnoître par des marques publiques le mérite des personnes qui leur avoient rendu de si signaléz services, afin de de convier par-là la postérité à imiter leur exemple. Que ce n'avoit pas été l'intention des Etats, ni même de ceux qui les avoient fait ériger, d'ofenser la personne du roi, ni la nation; mais seulement d'honorer et de recompenser la vertu en leurs sujets. Qu'ils n'avoient pas refusé de saluer le pavillon d'Angleterre, ni d'exécuter, ponctuellement ce que le traité de Bréda avoit réglé sur ce sujet. Mais que ce traité n'obligeoit pas toute une armée navale à saluer une seule barque ou patache, et encor moins à reconnoître une superiorité et seigneurie sur la mer, qui n'est pas due au roi d'Angleterre, ni à aucune puissance de l'Europe. Que tout ce qu'ils avoient fait négocier à la cour de France n'avoit eu pour vue que la conservation de la paix, et du repos de la chrétienté: comme de l'autre côté en se résolvant d'avoir pour le roi d'Angleterre un peu plus de complaisance touchant le salut du pavillon qu'ils n'étoient obligéz d'avoir en vertu du traité de Bréda, ou des autres traitéz précedens, ils n'avoient pas voulu stipuler autre chose que ce qu'ils pouvoient légitimement prétendre de la part du roi en vertu du même traité. Qu'à la dernière ambassade le roi avoit emploié G. Downing, qui pour avoir suscité plus d'une guerre à cet Etat, en étoit l'horreur et l'aversion, et qui bien instruit des intentions du roi, son maître, ne désiroit pas qu'on lui donnât une satisfaction capable de faire cesser, pas tant la cause, parceque le roi étoit résolu de rompre, que le prétexte de la guerre. Qu'il savoit que le roi, son maître, ne se pouvoit pas dédire de ce qu'il avoit promis au roi de France, et que pour cette raison aiant apris que les Etats lui alloient envoier une réponse qui le devoit contenter s'il eût été raisonnable, il déclara qu'il n'étoit plus ambassadeur, et ainsi qu'il ne pouvoit pas se charger de la réponse des Etats, mais bien du présent, qu'il se fit donner, quoiqu'il en eut déjà eu un en arrivant. | |
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La véritable cause de la rupture de l'Angleterre étoit l'adresse que Colbert, ambassadeur de France à Londres, eut de corrompre, à force de présens et de promesses de pensions, deux ministres de cette cour-là, dont l'un qui avoit eu asséz de pouvoir sur l'esprit du roi pour faire exclure le duc d'Yorck du Conseil lorsqu'on déliberoit de la Triple Alliance, se réconcilia avec ce prince, et entra dans ses intérêts et dans ses sentimens à l'exclusion de ceux du roi, son maître. L'histoire les nommera et en dira les particularitéz. Mais afin que le lecteur ne puisse pas douter de cette vérité, quoiqu'elle parût asséz évidemment au rapel du chevalier Temple, qui de sa créature devint son ennemi, il faut savoir que dèz que ces deux personnages furent gagnéz, le roi de France ne pouvant pas dissimuler la joie qu'il en eut, en fit confidence au jeune comte de Königsmarck, et celui-ci à Puffendorff, qui faisoit les affaires du roi de Suède à Paris. Ce jeune comte qui étoit plus François que Suèdois, tâchoit d'inspirer les mêmes sentimens au ministre du roi, son souverain, et d'y faire entrer aussi la cour de Stockholm. Puffendorff qui les jugeoit incompatibles avec les intérêts de la couronne de Suède, en parla à son secrétaire, lequel étant ami et serviteur particulier de l'un de ces deux ministres, s'en voulut éclaircir avec lui, et lui en écrivit; mais l'on ne fit point de réponse à ses lettres. Etant de retour en Angleterre il lui en parla; mais il n'en eut pas raison, et aprit que ces deux ministres pour porter le roi, leur maître, à une déclaration formelle contre les Provinces-Unies, lui représentoient sans cesse le ressentiment qu'il devoit avoir des marques publiques que l'on voioit ici exposéez de la rencontre de Chattam, et la satisfaction qu'il devoit se faire donner de la capitulation de Suriname; et qu'aprèz avoir aigri son esprit par ce moien, il n'avoit pas été difficile de le porter à ordonner au capitaine de la patache, qui devoit aller quérir made Temple, d'aller chercher l'armée navale de cet Etat, et de l'obliger à une bassesse infâme, ou à lui faire un outrage irréparable On lui persuada que le refus du salut en faisoit un | |
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à l'Angleterre, qui la pouvoit obliger à déclarer la guerre; et ainsi ces deux ministres l'engagèrent dans un parti pour lequel il avoit déjà un grand penchant depuis les premières ouvertures que la duchesse d'Orleans, sa soeur, lui en avoit faites. Pour dire en un mot, il y avoit quelque chose de si irrégulier et de si extraordinaire dans la déclaration du roi d'Angleterre, qu'il sembloit qu'en faisant les traitéz qu'il avoit fait depuis l'an 1667, il n'avoit eu d'autre intention que de tromper les Etats, et que son dessein avoit été en faisant celui de la Triple Alliance, d'en rendre les auteurs irréconciliables avec la France. Maximilien Henri de Bavière, archévêque et électeur de Cologne, et évêque de Liège et d'Hildesheim, qui en laissant la conduite de sa personne et de ses affaires à François Egon de Furstemberg, évêque de Strasbourg, avoit permis que l'on remplît son païs de gens de guerre étrangers, que les François fortifiassent Nuys, Keyserveert, et quelques autres postes, et ce sous prétexte du démêlé qu'il avoit avec la ville impériale de Cologne. Il craignoit que les Etats ne fissent charger les François dans leurs quartiers sur le Rhin. C'est pourquoi il les fit passer à son service, et déclarant qu'il ne les avoit fait venir que pour sa conservation, il leur fit défense de rien attenter ou entreprendre contre les Provinces-Unies, et leurs habitans, au préjudice de la paix et de la neutralité qu'il prétendoit entretenir avec elles. L'on savoit bien que l'intention de ce bon prélat, ou de ceux qui le gouvernoient, étoit d'attaquer les Provinces-Unies; que c'étoit la France qui paioit les troupes dont les villes étoient remplies; que les magasins qui s'y formoient devoient faire subsister les arméez que l'on vouloit emploier contre ce Païs; et que ces mêmes troupes s'y joindroient dèz que la saison leur permettroit d'agir: comme en effet elles ne firent plus qu'un corps, et ne reconnurent plus qu'un maître dèz que le roi de France parut sur la frontière. L'artifice de l'évêque de Munster étoit pour le moins aussi grossier. Il protestoit qu'il ne se sépareroit point de l'intérêt de l'Empereur et de l'Empire, et il avoit assuré Godard de | |
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Reede, d'Ameronge, qui avoit passé chez lui, qu'il exécuteroit ponctuellement le traité qu'il avoit avec cet Etat; mais qu'il ne pouvoit pas refuser à ses alliéz de laisser passer leurs troupes par son païs quand ils le demanderoient. Cependant il ne laissoit pas de négocier avec la France, avec l'électeur de Cologne, et avec les autres ennemis de l'Etat. Il faisoit délivrer des commissions pour de nouvelles levéez, et il renforçoit ses vieilles troupes de recrues, au préjudice de ce qu'il avoit promis par le traité de Clèves. Il remplissoit ses magasins de vivres et de munitions, faisoit fondre des canons et des mortiers, faisoit travailler continuellemet à des feux d'artifices, et faisoit toutes les démarches d'un prélat qui songeoit à toute autre chose plûtôt qu'à dire son bréviaire. Toutefois n'aiant point de prétexte de faire la guerre à un Etat voisin avec lequel il n'avoit point eu de démêlé depuis la paix, n'osant pas la déclarer ouvertement, il fit, le 28 mai, publier un manifeste, par lequel, aprèz avoir dit: Qu'aiant apris par des lettres interceptéez, et par la déposition de quelques prisonniers, que dans les Provinces-Unies l'on emploioit de l'argent à débaucher ses soldats, à corrompre les gouverneurs et commandeurs de ses places pour les faire tomber entre les mains des Etats-Généraux; que l'on se servoit d'incendiaires pour mettre le feu en plusieurs endroits de son païs; et même que l'on subornoit des assassins qui avoient attenté à sa personne, il faisoit défenses à ses sujets d'entretenir commerce ou communication avec les habitans des Provinces-Unies, à peine de la vie. Quelque tems auparavant les députéz plénipotentiaires qui étoient à l'armée sur l'Issel, lui avoient envoié Jacob de Coeworden, Seigr. de Stouwelaer, gentilhomme d'Overissel, et un de leurs collegues, pour tâcher de pénétrer ses intentions, ou plûtôt pour observer ses actions. L'évêque ne pouvant pas douter du dessein du député, lui fit connoître que tout ce qui venoit de ce Païs lui étant suspect, il ne le pouvoit pas considérer comme une personne publique: comme en effet il lui donna des gardes qui ne le perdoient point de vue, qui l'ob- | |
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servoient dans sa chambre, et qui l'acompagnoient quand il prenoit envie à l'évêque de l'envoier quérir pour diner ou souper avec lui. Lorsqu'il s'avisa de le renvoier, il le chargea d'une lettre dans laquelle il acusoit plusieurs messieurs d'avoir fait un complot contre sa vie. Il y nommoit particulièrement Hooft, bourguemaître d'Amsterdam, et député au conseil d'Etat d'Hollande, Jean de Witt, C. Pensionaire de la même province, Jacob de Reigersberg, Seigr. de Couwerven, député à l'assemblée des Etats-Généraux de la part de la Province de Zéelande, et Paul Würtz Maréchal de Camp dans les arméez de cet Etat. En quoi il ne faisoit pas seulement violence à la vérité; mais il parloit même contre toutes les aparences, comme savent ceux qui connoissent cet Etat, aussi bien que l'humeur et les liaisons de ces quatre personnages. Mais comme toutes les actions de l'évêque sont asséz irrégulières, l'on ne doit pas s'étonner de ce qu'il traitoit d'assassins et d'incendiaires les Etats, lesquels il ne pouvoit pas traiter d'ennemis sans ce faux prétexte. Un des premiers soins auxquels les préparations qui se faisoient en France, obligeoient les Etats, ce fut de prendre des mesures avec l'Espagne qui n'avoit pas moins de sujet de les apréhender qu'eux. Etrange révolution! de voir la France nécessiter l'Etat des Provinces-Unies qu'elle avoit aidé à former, pour s'en servir contre la puissance de la maison d'Autriche, de se jetter entre les bras du roi d'Espagne pour réclamer son secours contre les premiers fondateurs de la République et de sa liberté; par des maximes si contraires à celles qui ont si heureusement réussi sous le Roi Henri iv et sous le dernier règne qu'un trèz habile ministre que le cardinal de Richelieu avoit souvent emploié, et qui a depuis servi encor de son esprit aussi bien que de son épée, n'a pu s'empêcher de dire, qu'il trouvoit si peu de raport entre les instructions que l'on donnoit aux ambassadeurs en ce tems-là, avec celles qu'on leur donne depuis que le ministère a passé en d'autres mains, qu'il falloit nécessairement que de ce tems-là ou eut travaille sur de faux principes, ou que l'on y agissoit présentement contre les véri- | |
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tables intérêts de la couronne. Hugues de Lionne qui a toujours jugé qu'il falloit engager toutes les autres puissances de l'Europe à s'oposer à celle que l'Autriche alloit former par le moien du mariage de l'Empereur avec l'Infante d'Espagne, a toujours soutenu que les Provinces-Unies y étoient les plus intéresséez, et que l'on devoit les mettre à la tête de ceux qui s'y oposeroient. L'on peut produire ses lettres: et néanmoins l'on sait qu'il a eu part aux résolutions qui ont été prises en France contre les mêmes Provinces, et qu'en s'éloignant de ses premiers principes, il a été des premiers à se déclarer contre elles; et ce parcequ'elles n'ont pas voulu consentir à la perte de la Flandre, ni aider à élever la France à une grandeur si formidable qu'elles mêmes n'auroient pas été en sureté dans son voisinage. L'on craignoit ici d'abord que la cour de Madrid ne s'opiniâtrât à demander des arbitres qui réglassent les prétentions qu'elle a contre la France, et à presser l'Angleterre, la Suède, et cet Etat d'y faire consentir la France. Don Estévan de Gamarra, ambassadeur d'Espagne, avoit fait de grandes instances pour cela, et avoit déclaré que le conseil de Madrid ne s'en relâcheroit pas. Que le roi, son maître, étoit aussi souverain que celui de France, et que les alliéz étoient obligéz d'examiner ses prétentions aussi bien que celles du roi T.C., et de lui faire justice. L'on suprima son mémoire, et on lui fit dire que l'on en feroit rien, et que si l'Espagne s'attiroit par son opiniâtreté les armes de France sur les bras, les alliéz ne lui donneroient point de secours. L'on ne demeura pas longtems dans cette peine, parceque le roi de France qui n'avoit garde de rompre avec l'Espagne, promit à celui d'Angleterre, que d'un an il ne parleroit point de ce différend. Ces deux rois étoient d'acord, parceque l'un et l'autre aiant un même dessein, l'un ne vouloit pas choquer la Triple Alliance, et l'autre ne pouvoit pas désirer qu'elle seroit de prétexte à la guerre, parcequ'il n'en auroit point eu qui l'eut pu dispenser de secourir ses alliéz en vertu du traité de 1668. | |
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Jerôme de Beverningk étoit allé à Madrid vers la fin de l'année 1670, en qualité d'ambassadeur extraordinaire, et avoit eu ordre entr'autres affaires dont l'on avoit fait une espèce d'instruction, quoiqu'elles ne fissent que le prétexte de sa négociation, d'y représenter le mauvais état de celles des Païs-Bas, tant à l'égard de la guerre que pour les finances, et de presser les ministres de considérer la nécessité de ces Provinces-là. Que pour cet effet il falloit y entretenir pour le moins 36.000 hommes tant infanterie que cavalerie bien entretenus; mettre en bon état les magasins de vivres et de munitions; et pour cet effet faire un fonds de 100.000 écus par mois. Qu'il étoit nécessaire de remettre sur pié les forces maritimes, tant en Espagne, qu'à Naples, et en Sicile; et d'obliger aussi les autres princes d'Italie d'armer par mer. On lui ordonna aussi d'assurer le roi d'Espagne que la garantie des trois alliéz seroit fidellement exécutée, et qu'il seroit ponctuellement secouru des alliéz, pourvu que les subsides fussent ponctuellement paiéz à la Suède: d'y remontrer, qu'il étoit d'une nécessité indispensable de l'assurer dèz-à-présent du paiement des subsides, en donnant bonne hypothèque ou caution pour cela, parceque si on ne le faisoit point, l'on ne la pouvoit pas empêcher de changer de parti: D'obliger cette cour-là à faire entrer l'Empereur et l'Empire dans les mêmes intérêts, et d'y engager particulièrement les ducs de Lunebourg. Qu'il falloit qu'elle songeât sérieusement à faire régler les limites des nouvelles conquêtes de la France, et à ne demander point d'autres arbitres que l'Angleterre et la Suède; et surtout à donner le gouvernement des Païs-Bas à un habile homme, non pour un an ou deux, mais à vie, ou du moins pour tout le tems de ces mouvemens. Devant que Beverningk arrivât à Madrid, la reine écrivit, qu'elle avoit fait remettre 500.000 écus au comte de de Monterey; qu'elle lui envoieroit quelques régimens d'infanterie Espagnole et Italienne. Que l'argent des subsides de Suède étoit prêt, et qu'elle mettroit les affaires en bon état: priant les trois alliéz d'en faire autant de leur côté. | |
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Mr. van Beuningue étant en Angleterre, et y aiant fait des habitudes avec des gens dont la cour se servoit, écrivit des merveilles de cette cour-là, de l'inclination du parlement à faire la guerre à la France, et des bons offices que le prince d'Orange qui étoit allé faire un voiage à Londres pour ses affaires particulières, y rendoit continuellement. Les avis de mr. de Groot disoient au contraire: Que nonobstant le bruit qui couroit, que le roi d'Angleterre aloit armer 50 grands vaisseaux contre la France, ou du moins pour la défense des Païs-Bas, et pour l'exécution de la Triple Alliance, la cour de France étoit entièrement assurée de celle d'Angleterre, et que leurs desseins étoient concertéz. Qu'il étoit bien certain que le roi d'Angleterre n'armoit pas en faveur de la Triple Alliance. Que s'il faisoit quelqu'armement, qu'il seroit ou de fort peu d'importance, et ainsi tout-à fait inutile aux alliéz; ou bien qu'il armeroit puissamment, et qu'alors de cette froideur et indifférence il passeroit indubitablement à des hostilitéz déclaréez contre cet Etat. On se le tint pour dit. Car encor que la France donnât sa parole que d'un an elle n'emploieroit point ses armes pour se faire raison de ce qu'elle prétendoit lui apartenir en vertu ou en suite du traité d'Aix-la-Chapelle, on ne laissa pas de résoudre ici premièrement l'armement de 36 grands vaisseaux, de 36 frégates, et d'autant de brûlots et de galiotes: de mettre les compagnies d'infanterie à 100 hommes, et celles de cavalerie à 80 maîtres, ce qui devoit augmenter le nombre des gens de guerre de 16.000 hommes, et de lever..... régimens de cavalerie et d'infanterie. Ils firent aussi un nouveau réglement pour les officiers généraux. L'évêque de Munster avoit fait une armée fort considérable à cause du démêlé qu'il avoit avec le duc de Brunswich Wolfembutel pour la ville d'Hoxter dépendante de l'abbaye de Corwey sur le Weser, et l'on ne doutoit point que la France n'eut donné de l'argent pour cela, et ne se fut assurée, autant qu'il étoit possible, de la personne et des troupes de | |
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l'évêque pour l'exécution du dessein qu'elle formoit contre les Provinces-Unies. C'est pourquoi elles tâchoient de leur côté de s'assurer de toute la maison de Brunswich-Lunebourg, qui se trouvoit intéressée dans la querelle. Mais le duc Jean Frédéric qui étoit catholique romain, et qui avoit épousé une princesse Françoise, soeur de la duchesse d'Enghien, n'aiant pas réussi en la recherche qu'il avoit fait à Vienne de la princesse d'Inspruck, aujourd'hui femme de l'Empereur, uniquement par la mauvaise conduite de son ministre, refusoit de s'engager, et un petit chétif intérêt empêcha malheureusement les Etats d'Hollande de ménager les trois autres, d'ailleurs fort afectionnéz à l'Etat, parcequ'ils le considéroient comme le principe de la conservation de la liberté de l'Empire. Cepandant comme la France n'avoit pas encor bien pris toutes ses mesures, particulièrement avec la Suède, et qu'elle avoit assuré l'Angleterre, qu'elle ne feroit pas la guerre cette annéelà, les Etats l'emploièrent à des négociations, et particulièrement dans la cour de Londres. Le dernier traité que l'on avoit fait avec le roi d'Angleterre obligeoit les alliéz à un secours fort considérable, et l'on se flattoit de l'espérance de pouvoir donner une plus grande étendue à l'alliance en s'engageant à une rupture formelle, si l'un des alliéz étoit attaqué. Mais l'Angleterre n'y étoit point du tout disposée. Au contraire l'on n'y faisoit point d'ouvertures qui ne fussent communiquéez à la France, afin de l'animer d'autant plus contre les auteurs de ces propositions. Le roi d'Angleterre bien loin de s'engager à une plus étroite liaison avec eux, ne dissimula point à l'ambassadeur, que la Triple Alliance n'étoit qu'une pure illusion, puisqu'il n'y vouloit pas admettre l'Empereur. Il lui dit franchement, que l'on ne faisoit rien pour rien. Qu'il étoit bien avec la France, et qu'il ne s'y vouloit pas mettre mal en la désobligeant. Que l'Empereur et l'Empire avoient des intérêts qui n'avoient rien de commun avec ceux d'Angleterre; et qu'il n'avoit garde de faire la guerre pour l'amour de lui, s'il n'étoit assuré d'être remboursé de la dépense qu'il y feroit, et si l'Es- | |
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pagne et cet Etat n'en demeuroient garants. Ses ministres se plaignoient de plusieurs outrages que l'on faisoit ici à la personne du roi par des tableaux, des médailles, des tapisseries, et d'autres choses qui représentoient la rencontre de Chattam, et reprochoient au roi ses disgraces. Et néanmoins l'ambassasadeur ne pouvoit pas s'empêcher d'écrire souvent le contraire et même de demander et de se faire donner un pouvoir pour conclure une plus étroite alliance. Les ministres d'Angleterre remarquoient, que l'ambassadeur ne voioit que des gens qui pour n'aimer pas la cour, et pour n'y être pas bien, ne l'entretenoient que de l'inclination du peuple, et lui disoient non pas les véritables intentions de la cour, lesquelles ils ne savoient pas, mais seulement ce que le peuple souhaitoit, et ce que le parlement auroit sans doute fait s'il en eut été cru. Vers les fêtes de Pâques mr. de Louvignies vint à la Haye de la part du comte de Monterey, représenter l'état des affaires de Flandre; et à cette ocasion il demanda ce que l'on feroit ici, si la France attaquoit les provinces de de-là? On lui dit, qu'il ne falloit point douter que les Etats n'exécutassent ponctuellement la Triple Alliance, mais qu'ils désiroient savoir de leur côté ce que l'Espagne feroit, si la France attaquoit ces provinces? Mais d'autant qu'il n'avoit point de pouvoir pour celà, et que peut-être le comte même n'en avoit point, l'on donna ordre à Beverningk de négocier cette affaire-là à la cour de Madrid. Il y trouva des dispositions si favorables, et négocia si heureusement, qu'Emanuel Francisco de Lira eut bientôt ordre de faire ici les traitéz dont il sera parlé ci-aprèz. Cepandant la ville de Cologne étoit la pierre de scandale; et l'électeur de Cologne et ses ministres ne pouvoient pas soufrir qu'il y eut garnison Hollandoise. Les autres amis de la France qui ne l'étoient pas de cet Etat, disoient que la protection que l'on donnoit à la ville, aprèz les autres afronts que l'on avoit fait à l'électeur, l'ofensoit sensiblement, et étoit capable de rallumer la guerre en Allemagne, et de l'attirer en ces Provinces, parceque la France ne perdroit pas l'ocasion de | |
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se servir de ce prétexte pour envoier une puissante armée sur ces frontières. L'évêque de Munster particulièrement, voulant ouvrir ce passage aux François, protestoit que l'Empire ne soufriroit pas que le régiment de Bampfield demeurât dans la ville, et promit de faire en sorte que si on l'ôtoit de-là, l'électeur n'attaquât pas la ville de ses armes, et que les étrangers ne se mêlassent point de ce différend. Mais ce qu'il y a de plus étonnant, c'est que des ministres d'un prince qui avoit le plus d'intérêt à ce que les François n'eussent point d'établissement en ces quartiers-là, travailloient avec le plus d'empressement à en faire sortir le régiment Hollandois, et ne se donnèrent point de repos qu'ils ne l'eussent fait sortir. L'Empereur y avoit envoié le marquis de Grana en qualité de commissaire; mais son autorité n'étant pas soutenue de forces capables de la faire considérer, il ne lui étoit pas possible de conserver la ville. La Hollande, et quelques autres provinces étoient d'avis, qu'il y falloit emploier toutes les armes de l'Etat. Mais la Zéelande, et surtout un ou deux de cette province, gens attachéz à leur sens, et qui étoient persuadéz et tâchoient de persuader aux autres, que l'Angleterre ne se joindroit pas à la France pour faire la guerre en ces quartiers, s'y oposoient, parcequ'ils croioient qu'en abandonnant la ville de Cologne, la France ne feroit pas avancer ses troupes vers le Rhin. On fit enfin retirer le régiment de Bampfield, tant à l'instance des Princes et Etats du Cercle de Westphalie, que parceque le magistrat même ne se pouvant pas résoudre à recevoir d'autres troupes Hollandoises, ce régiment qui n'étoit pas seul capable de conserver la ville, y étoit inutile. Le magistrat et les habitans étoient diviséz, et la religion étoit un prétexte plausible dont les zéléz catholiques se servoient avec succèz contre ceux qui vouloient se lier plus étroitement avec les Provinces-Unies. Il y avoit plusieurs annéez que l'électeur de Cologne demandoit la restitution de Rhinberg. Mais depuis quelque tems il ofroit de la recevoir démantelée, et de faire en même tems | |
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une alliance défensive avec cet Etat. Ceux qui ne considéroient pas que le trop grand nombre de places fortifiéez en étoient la perte, ne vouloient pas consentir à la restitution de cette place, et soutenoient que quand même il seroit indifférent à l'Etat de la restituer ou de la garder, il ne la falloit pas remettre entre les mains de l'électeur dans un tems ou il sembloit qu'il la voulut extorquer en le menaçant des armes de France. Il y en avoit qui étoient d'avis, que cette ville couverte de celle d'Orsoi, ne contribuant rien à la sureté de l'Etat, lui étoit à charge, et qu'il étoit à propos de s'en défaire, et d'ôter par ce moien un des prétextes de la guerre. L'évêque de Strasbourg avoit cepandant fait négocier par le prince Guillaume de Furstemberg, son frère, que l'on ne peut pas nier avoir vendu à la France les intérêts de l'Empire, le repos et la réputation de l'électeur de Cologne, et d'avoir été le principal boute-feu de la guerre, à la cour de France, un traité qui devint la seule cause de la guerre, laquelle fera le sujet de cette rélation. Il étoit déjà conclu lorsque l'électeur faisoit encor faire des instances pour la restitution de Rhinberg; et il avoit déjà mis les François en possession de la ville de Nuys quand Ferdinand van der Veeken, son résident, vouloit encor faire acroire, que l'électeur, son maître, pourroit se dégager d'avec la France si l'on avoit quelque complaisance pour lui. Mais lorsqu'on lui en voulut témoigner, et qu'on lui fit savoir par le baron de Lisola et le chevalier de Cramprecht, qui avoient négocié cette affaire à la réquisition de l'électeur, qu'on lui rendroit la place, moiennant l'alliance défensive que l'électeur avoit proposée, l'évêque de Strasbourg emploiant la plume de Verjus, les fit désavouer de mauvaise grace, et se servant du nom de l'électeur, son maître, fit bien connoître que ce n'étoit pas son intention, et que ses ministres l'avoient trop avant engagé pour s'en pouvoir dédire. Son païs se trouvoit rempli de troupes de France, sous la conduite de Louis Bouton, comte de Chamilly. Il y fortifioit des places, et y faisoit des magasins de vivres et de munitions, | |
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s'avouant de l'électeur de Cologne, à qui ses troupes avoient fait serment, et observoit une neutralité fort ponctuelle pendant qu'il n'avoit pas asséz de forces pour faire des hostilitéz. L'électeur disoit qu'il avoit été obligé de faire des levéez, et de faire venir les François à son secours, pour se mettre à couvert des insultes dont les garnisons renforcéez des places que les Etats avoient sur le Rhin et sur l'Issel, le menaçoient, et il protestoit continuellement qu'il demeureroit dans les termes de la neutralité et de la bonne correspondance qu'il avoit toujours entretenue avec eux. C'est ce que l'électeur écrivit au baron de Lisola, envoié extraordinaire de l'Empereur; et les Etats pour s'éclaircir de son intention, répondirent au Baron, qui faisoit ici les affaires de l'Empereur avec le chevalier de Cramprecht, que s'ils pouvoient acheter la paix, et conserver le repos de la chrétienté en restituant la ville de Rhinberg, ils auroient cette complaisance pour l'Empereur. Mais dèz que Lisola en eut fait ouverture à la cour de Bonn, et de la disposition qu'il trouvoit ici, l'électeur se dédit de ses ofres. Les ministres de l'électeur le soupçonnoient; ils l'acusoient d'intelligence avec les Etats, et ne dissimulèrent point, que l'engagement que leur maître avoit pris avec la France, ne lui permettoit plus d'en prendre ailleurs; et néanmoins qu'il ne laisseroit pas d'entretenir toujours la neutralité avec les Etats, ses voisins: comme en effet le 16 avril il fit faire des défenses à tous ses officiers de faire des actes d'hostilité contre les Etats, et contre les habitans des Provinces-Unies, parcequ'il prétendoit entretenir la neutralité avec elles. Il parloit en ces termes parceque l'armée de France qui avoit son rendéz-vous au païs de Liège, et dans l'archévêché de Cologne, et qui devoit attaquer les Provinces-Unies, n'étoit pas encor arrivée, ni en état de marcher. Il y avoit déjà quelque tems que P. de Groot, qui ne s'étoit chargé de l'ambassade de France que pour un an, et qui voioit la rupture inévitable, faisoit de grandes instances pour | |
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son retour: mais on lui ordonnoit de tems en tems d'y demeurer jusqu'à ce que la cour l'obligeât de se retirer. Il suivit ses ordres, quoiqu'avec répugnance, jusqu'à ce que Simon Arnauld de Pomponne, l'un des secrétaires d'Etat, lui dit, que le roi, son maître, ne lui feroit jamais commander de partir; mais que c'étoit à lui à considérer, si en l'état où étoient les affaires, où il ne pouvoit plus faire la fonction d'ambassadeur, sa prudence ne lui conseilloit pas de prendre son congé, et s'il n'étoit pas à propos de ne se trouver pas à Paris, ni même dans le roiaume lorsqu'on y déclareroit la guerre. De Groot se le tint pour dit, et ne séjourna à Paris qu'autant de tems qu'il falloit pour rétablir sa santé qui étoit aucunement alterée, et pour faire partir son bagage. En prenant son audience de congé il reçut toutes les civilitéz qu'il pouvoit prétendre. Ou lui fit un trèz riche présent; et dans les villes qui se trouvoient sur sa route les commandans venoient prendre l'ordre de lui, et le roi eut la générosité de ne pas faire publier la déclaration de guerre qu'il ne sût que de Groot étoit sorti de son roiaume, et arrivé en Flandre. Les troupes de France commencèrent à s'assembler sur la Meuse et sur la Moselle vers la fin du mois d'avril, et dèz que l'herbe commença à paroître elles commencèrent aussi à filer, pendant que l'on faisoit descendre l'artillerie, les munitions, et une partie de l'infanterie par ces deux rivières. Le roi de France même acompagné du duc d'Orleans, son frère, du cardinal de Bouillon, du marquis de Louvois, et du sr. de Pomponne, l'un ministre, et l'autre secrétaire d'état, et de plusieurs autres personnes de condition, partit le 23 avril, se rendit à grandes journéez à Metz, et se mit à la tête de ce qui y étoit resté de troupes. Elles étoient composéez de 46 régimens d'infanterie Françoise, faisant 1569 compagnies, et sur le pié de 53 hommes par compagnie 83.157 hommes: de 13 régimens étrangers, et de 50 compagnies franches de diverses nations, Suisses, Allemans, Anglois, Ecossois, Irlandois, et Italiens, faisant 36.256 hommes: de 52 régimens de cavalerie | |
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de 6 compagnies, chacune de 54 maîtres, faisant 324 chevaux par régiment, et en tout 16.848: de 22 autres régimens de 3 compagnies, faisant 8564 chevaux: De 16 compagnies de gendarmes, faisant 2608 chevaux: De six régimens de cavalerie étrangère, faisant 3096 maîtres: De 948 dragons: De 5000 hommes des deux régimens des gardes Françoises et Suisses, et de 400 maîtres des 2 compagnies de gendarmes et des chevaulégers de la garde du roi. Outre cela il fit délivrer des commissions pour lever encor 300 compagnies d'infanterie, et 120 de cavalerie, qui devoient faire 15000 hommes de pié et 6000 chevaux; de sorte que toutes ses forces montoient à plus de 160.600 hommes. L'on prétendoit en former trois corps d'armée; mais l'on n'en fit que deux. Le roi servoit de premier mobile à cette furieuse machine, et faisoit agir sous lui comme généralissime, le duc d'Orleans, son frère, qui en avoit la qualité pendant que mr. de Turenne, premier maréchal de France, faisoit les fonctions de l'un et de l'autre. Ses lieutenants généraux étoient Gadagne, le duc de Roannois la Feuillade, le comte de Soissons, le duc de Mazarin, grand-maître de l'artillerie, le comte de Lorges, et le marquis de Rochefort: et les maréchaux de camp, le chevalier de Lorraine, Martinet, Montal, et Fourilles. Le prince de Condé, sans contredit le plus grand capitaine de notre tems, commandoit l'autre armée, et on lui avoit donné pour lieutenants généraux le comte de Guiche, St. Abre, et Foucaut; et pour maréchaux de camp, le comte du Plessis, le comte de Nogent, Magalotti, et Choiseuil. Le roi prit le chemin de Charleroi et des Ardennes. Le prince de Condé passa par la Lorraine, et joignit le roi auprèz de Liège. Leur premier dessein étoit d'assiéger Mastricht, tant pour donner quelque réputation aux armes de France à l'entrée de la campagne, qu'afin de ne pas laisser derrière eux une garnison, qui faisant un petit corps d'armée, les pouvoit extrèmement incommoder, et les obligeoit à laisser une armée en ces quartiers-là. | |
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Les Etats aprèz avoir donné le commandement général de l'armée au prince d'Orange, nommèrent les députéz plénipotentiaires de leur corps, à qui ils donnèrent un plus grand pouvoir qu'au Prince, qui ne pouvoit agir, ni faire marcher les troupes, ou les faire changer de garnison sans leur consentement: quoique parmi tous ces politiques il n'y en eût pas un qui entendît la guerre, ou qui fût capable de donner le moindre ordre à l'armée. Sous le Prince devoient commander les deux maréchaux de camp, le prince Maurice de Nassau, et Würtz: le Rhingrave, général de la cavalerie: Frédéric de Nassau, seigneur de Zuylestein, général de l'infanterie: Jean, seigneur de Welderen, et Walrave, comte de Nassau-Sarbruck, lieutenants généraux de la cavalerie:...... Aylva et le comte de Köningsmarck, lieutenants généraux de l'infanterie; Jean Barton, vicomte de Monbas, et Steinhuysen, seigneur de Heume, commissaires généraux de la cavalerie: et le comte d'Hoorn, grand-maître de l'artillerie. Les Etats voiant la guerre infaillible, et ne sachant si l'orage fondroit d'abord sur leurs provinces, ou sur celles de l'obéissance du roi d'Espagne, envoièrent quelques régimens d'infanterie au secours du comte de Monterey, qui en renforça les garnisons à qui la marche de l'armée Françoise pouvoit donner de l'ombrage, comme à Cambrai, à Namur, et à quelques autres places. Mais dèz que le comte la vit éloignée, il ne se contenta pas de renvoier le secours, mais il secourut aussi les Etats de 2000 chevaux sous le commandeur de Villeneuve, et du comte de Louvignies, à dessein d'en renforcer l'armée qui étoit campée sur l'Issel. Mais avant qu'ils la pussent joindre, les François entrèrent dans la Bétuwe; de sorte qu'aprèz en avoir sauvé les débris que le prince d'Orange ramena à Utrecht, ils furent logéz dans les postes que l'on fit fortifier pour couvrir la Hollande, où ils ont rendu de grands services, quoiqu'acompagnéz des incommoditéz qui sont comme inséparables des secours étrangers. Les Etats jugeant qu'en arrêtant sur les frontières les deux | |
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grands corps d'armée, ils les feroient périr dans peu de jours, faute de subsistance, résolurent de faire une de leurs places-d'armes à Mastricht, d'en faire réparer le fortifications, d'y mettre une garnison de 10.000 hommes, et d'y établir des magasins de toutes sortes de munitions, avec une artillerie capable de soutenir un long siège, et de repousser les attaques des François. Ils firent de l'autre côté faire un grand retranchement le long de l'Issel, à dessein d'en disputer le passage aux ennemis, et de couvrir les villes d'Overissel et de Gueldre, que l'on pouvoit secourir de ce poste. Ce retranchement avoit vingt lieues d'étendue, de sorte qu'il eut fallu prèz de 100.000 hommes pour le garder contre une armée de 60.000; et néanmoins aprèz que l'on eut fait la revue de l'armée le 20 mai, il se trouva qu'à peine elle étoit de 14.000 hommes effectifs. C'est pourquoi l'on mit en délibération au conseil de guerre, si l'on abandonneroit, ou si l'on continueroit de défendre le retranchement? Würtz, maréchal de camp, et quelques autres officiers généraux, qui avoient vu et fait la guerre, étoient d'avis qu'on l'abandonnât, et que l'on mît les troupes dans les villes pour n'exposer point l'armée à un afront, et tout l'Etat à une perte inévitable. Mais les députéz, et particulièrement ceux de Gueldre et d'Hollande, s'opiniâtrèrent à soutenir qu'il falloit défendre les lignes, parceque le prince Maurice de Nassau, l'un des maréchaux de camp, en parloit comme d'un ouvrages que toutes les arméez de France ne pourroient pas forcer. De sorte que bien loin de suivre cet avis, l'on tira plusieurs compagnies de Wesel et de Rhinberg, et au lieu de renforcer les garnisons des postes qui furent les premiers attaquéz, on les afoiblit. Il est vrai que l'armée fut renforcée de plusieurs compagnies de milice que l'on venoit de lever, et d'un bon nombre de païsans. Mais avec tout cela il n'y avoit rien d'aprochant de ce qui étoit nécessaire pour garnir suffisamment un retranchement d'une si vaste étendue, et cette multitude mal disciplinée étoit plus capable d'augmenter le désordre que d'y remédier. | |
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Il y en avoit qui trouvoient à dire, qu'en fortifiant un passage au milieu du païs, l'on abandonnoit tout ce qui étoit au delà, et qu'en aiant trop de soin de la conservation du coeur, l'on négligeoit les parties sans lesquelles il ne pouvoit pas agir: au lieu qu'en prenant poste à la tête, on couvroit tout le corps, et l'on arrêtoit l'armée Françoise qui ne pouvoit pas subsister si on l'amusoit seulement quinze jours à l'entrée du païs. Ceux qui tenoient ce langage étoient d'avis, qu'il failloit mettre la ville de Wesel dans le même état ou l'on avoit mis Mastricht. C'étoit le sentiment du prince d'Orange, qui soutenoit que le roi de France ou ne l'auroit pas assiégée, ou qu'attaquant dans les formes une place défendue par un corps d'armée, il y auroit consumé la sienne, et n'auroit pas osé entrer plus avant dans le païs, en laissant derrière lui une garnison si considérable. Le prince de Condé et le maréchal de Turenne, qui sont sans doute les deux premiers capitaines de l'Europe, jugeant que les Etats prendroient ce parti, n'avoient pas rendu l'entreprise du roi si facile que ceux du conseil, qui ne savoient pas ce que c'est que d'attaquer une ville bien garnie, et de faire subsister une armée si nombreuse dans le païs ennemi. Wesel manquoit de canons, d'afûts, de munitions, et de vivres, que les glaces avoient empêché d'y envoier par la rivière; et au lieu d'en renforcer la garnison, les députéz plénipotentiaires qui étoient auprèz du général, en tirèrent 15 compagnies, pour en grossir l'armée qui étoit sur l'Issel. Les Etats Généraux en firent aussi sortir Martin van Juchem, qui y commandoit depuis plusieurs annéez, pour lui substituer le colonel van Santen, et le lieutenant-colonel Copes, lequel aiant fait la charge de major dans la ville, l'on croioit que sa personne y étoit nécessaire, et qu'il y rendroit de fort bons services. Van Santen avoit la réputation d'avoir été bon officier lorsqu'il n'étoit que capitaine, devant la paix de Munster. Mais étant monté à de plus hautes charges lorsqu'il n'y avoit plus de guerre, il n'en entendoit pas bien les fonctions, qu'il | |
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n'avoit jamais faites. Et pour dire la vérité, ce changement se fit si tard, que Van Santen qui n'avoit jamais commandé en qualité de gouverneur, qui ne s'étoit jamais trouvé dans une place assiégée, et qui a depuis avoué pendant sa détention, qu'il n'étoit pas capable d'un commandement de cette nature, que quand il l'auroit été, il n'auroit pas eu le loisir de se reconnoître, non plus que l'état de l'artillerie, des magasins, la qualité de la garnison, l'humeur des habitans, et l'état des fortifications. Elles avoient été visitéez tous les ans, aussi bien que celles des autres places frontières. Mais le conseil d'état étant composé de personnes d'une autre profession, les ingénieurs mêmes qui étoient hors d'action depuis plus de vingt ans, n'étant pas des plus habiles, et la plûpart des provinces négligeant de fournir aux fonds nécessaires pour la réparation des fortifications, il ne faut pas s'étonner de ce qu'elles n'étoient pas bien achevéez. Les ennemis qui en étoient asséz bien informéz, et mieux que ceux qui y commandoient, aprèz avoir campé prèz d'un mois à la vue de Mastricht, décampèrent enfin pour aller vers le Rhin. Le roi devant que de partir d'auprèz de Paris, avoit envoié un de ses gentilshommes aux Etats de Liège, pour leur faire dire que, voiant que leurs voisins alloient entreprendre sur la liberté et sur la neutralité de leur païs, il se trouvoit obligé de protéger et de conserver l'une et l'autre. Qu'en cela il leur donneroit des marques de l'afection qu'il avoit pour eux, et que le porteur de la lettre leur feroit entendre ses intentions. Le roi prétendoit, en vertu de cette neutralité, passer par tout le païs de Liège, y loger et séjourner, faire subsister son armée aux dépens du païsan, et ôter toutes ces commoditéz à ses ennemis, avec lesquels les Liègeois avoient la même neutralité. Il rompit le commerce entre la ville de Liège et celle de Mastricht, et vouloit qu'on le considérât non comme l'ami, mais comme le souverain du Païs. Frédéric, Rhingrave, général de la cavalerie, commandoit dans Mastricht une garnison de prèz de cent compagnies d'in- | |
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fanterie, de quatre de cavalerie, et de mille chevaux Espagnols, sous Don Mario Caraffa, Napolitain. Les fortifications de la ville et des dehors étoient en si bon état qu'il n'y avoit pas une seule pièce qu'il n'eut fallu attaquer dans les formes; quoique l'on ait trouvé depuis qu'on leur avoit donné trop d'étendue. L'artillerie étoit complète, et les magasins étoient remplis de vivres et de munitions de guerre. Et afin qu'il n'y manquât rien, les Etats y avoient envoié deux députéz avec plein pouvoir, Martin de Crommon, seigneur d'Odekenskerck, Vinninguer, et Ostende, et Jean d'Egmont van der Nieuburg, le premier du corps de leur assemblée, et l'autre du conseil d'état, qui y avoient la direction suprème de tout, et qui (à ce qu'ils disoient) étoient résolus de se faire enterrer dans la place plûtôt que de la rendre. Le prince de Condé qui croit qu'il n'y a rien d'invincible, et qu'il n'y a point de place ni de garnison qui ne doive céder à son courage, avoit été d'avis, que l'on attaquât Mastricht, et faisoit espérer que la forte garnison n'empêcheroit pas que l'on ne s'en rendît maître dans peu de tems. Mr. de Turenne qui étoit plus froid et plus réservé que le prince, et qui avoit toujours soutenu dans le conseil, que les armes du roi ne réussiroient point en ce païs, jugeoit au contraire que la place étant trèz bonne, et la garnison capable de faire une longue et vigoureuse résistance, sous le commandement d'une personne de qualité, qui aiant à combattre pour sa fortune et pour son honneur, y auroit emploié aussi sans doute son sang et sa vie, l'armée s'y seroit consumée en sorte qu'elle n'auroit pas été en état de faire d'autres progrèz, ni d'autres conquêtes, et couroit même risque de ne pas faire celle-ci. Le marquis de Louvois qui étoit celui qui avoit le plus conseillé la guerre, parcequ'aiant la survivance de la charge de secrétaire d'Etat au département de la guerre, et l'exerçant déjà en effet en l'absence et à cause de l'âge de son père, elle le faisoit considérer; comme en effet il avoit été emploié à disposer tous les préparatifs, tant aux frontières de France, qu'en | |
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Allemagne, et qui étoit apellé aux délibérations, disoit: Que l'on pouvoit ménager la réputation des armes du roi, en rendant la ville de Mastricht, avec la garnison qui la défendoit, inutile aux Etats, en la laissant investie ou bloquée, en sorte qu'elle se consumât en elle-même, et en marchant cepandant vers le Rhin, par où l'on pourroit entrer jusques dans le coeur du Païs. Le roi et le reste du conseil étant entréz dans ce sentiment, le maréchal de Turenne se saisit de Tongres et de Maseyck, villes de l'évêché de Liège, afin d'incommoder la ville de Mastricht par le moien du corps d'armée de prèz de 10.000 hommes qu'on laissoit en ces deux places, sous le commandement du comte de Chamilly, et de s'assurer du passage de la Meuse, qui faisoit la communication des arméez avec la France. L'on n'en parla pas seulement à l'électeur de Cologne, évêque et prince de Liège; mais comme la cour de France disposoit absolument de l'évêque de Strasbourg, qui gouvernoit ce prince, dont la bonté aproche de l'innocence et de la simplicité, ils n'eurent pas de peine à lui faire persuader par Louvois, que cela n'étoit pas seulement utile pour le bien des intérêts communs du roi et de l'électeur, mais même nécessaire pour la sureté et la conservation de son païs de Liège, et à le faire consentir à ce qu'il ne pouroit pas empêcher, c'est à dire de laisser ces deux places entre les mains du roi, qui promit de les restituer lorsque Mastricht seroit pris, ou aprèz que la paix seroit faite: quoiqu'aprèz la prise de Mastricht il ait refusé de les rendre, se servant pour retenir ces deux places du même prétexte qu'il avoit eu pour s'en rendre maître. L'on en fit d'abord un grand secret, parceque le prince Guillaume de Furstenberg qui signa le traité au nom de l'électeur, ne pouvant pas douter que le chapitre de Liège ne désavouât cette aliénation, tâchoit de lui en ôter la connoissance. Et de fait, il n'aprit rien de ce traité, qui fut signé au camp devant Rhinberg le 5 juin, qu'au commencement de septembre. Mais aussi n'en eut-il pas sitôt recouvert une copie, qu'il déclara que ce procédé étoit contraire | |
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à la neutralité du païs de Liège, et que bien loin de ratifier le prétendu traité, fait incompétemment entre les parties intéresséez, oposé aux loix fondamentales, au bien et à la conservation de l'église et l'état de Liège, ils le désavouèrent et y contredirent expressément, voulant que leur protestation fût imprimée, publiée, et afichée aux lieux publics et carefours, afin que personne n'ignorât leur intention. La résolution aiant donc été prise, les deux arméez s'éloignant de la Meuse marchèrent vers le Rhin par deux routes différentes. Le roi sous lequel le maréchal de Turenne commandoit, passa la Meuse à Wiset, prenant le chemin de Nuys, afin de pouvoir s'aboucher en passant avec l'électeur de Cologne, et avec l'évêque de Strasbourg, comme il fit en effet: mais avec peu de satisfaction pour ces deux prélats, qui furent traitéz en évêques, et non en princes. Ils ne virent le roi qu'en passant, et n'en furent pas reçus avec les civilitéz qu'ils attendoient de leurs grands services. Le prince commença à défiler le 20 mai, en prenant sa marche par le païs d'Outremeuse, et par le duché de Juillers. Une partie des troupes aiant passé le Rhin sur le pont de batteaux que l'on avoit fait à Keyserveert, le prince de Condé attaqua Wesel, mr. le duc d'Orleans, Orsoi, le maréchal de Turenne, Burick, et le roi alla en personne à Rhinberg. Toutes ces places se rendirent presque sans faire la moindre résistance. La ville de Wesel capitula devant qu'elle fût attaquée, et le magistrat soufrit que la garnison fût enfermée dans l'église, à la réserve de huit capitaines à qui on permit de sortir de la ville. L'on en avoit tiré Martin van Juchem, qui avoit commandé plusieurs annéez sous le prince Maurice de Nassau, parceque les Etats Généraux jugeoient que son âge ne lui permettroit pas de s'aquiter bien de toutes les fonctions d'un commandant dans une place assiégée, et on lui substitua le colonel Van Santen, qui avoit aquis la réputation de bon capitaine d'infanterie. Mais n'aiant pas été à la guerre depuis 25 ans, et ne sachant pas ce que c'étoit que de défendre une place, il | |
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fit bientôt connoître qu'il en étoit pour le moins aussi incapable que son prédécesseur. Copes, major de la garnison, ne l'étoit pas plus que lui, et les autres colonels Hundebeeck, Haeften, et Nieuland, qui n'avoient point de part au commandement, n'en eurent point non plus à la reddition de la place. Le commandeur signa les articles, que le prince de Condé, qui avoit fait investir la ville le premier jour de juin, lui voulut acorder, consentant à ce que les officiers et les soldats demeurassent prisonniers de guerre pour le moins six semaines, aprèz lesquelles ils pourroient se rançonner, paiant deux mois de gages. Tous les officiers de la garnison se sont en quelque façon justifiéz, à la réserve du gouverneur et du major, qui ont été bannis par sentence du conseil de guerre, et auroient été exécutéz si l'on n'eut considéré, que la garnison n'étoit pas asséz forte pour défendre la place contre un puissant ennemi de dehors, et contre les bourgeois mal intentionnéz au dedans. Deux députéz du conseil d'état qui avoient été commis pour voir l'état des fortifications et des garnisons des places qui sont sur le Rhin, aprirent de quelques cavaliers de l'électeur de Brandebourg, et écrivirent les premières nouvelles de la prise de Wesel. L'on eut de la peine à croire qu'une ville de cette réputation, qui devoit servir de boulevard au Païs, et qui en effet l'avoit sauvé autrefois, eut été prise devant que l'on sût qu'elle étoit assiégée. Mais ceux qui en savoient la constitution, et à qui les correspondances secrètes ne manquoient point, n'en étoient que trop assuréz, quoiqu'ils le dissimulassent en public, et fissent mine de ne pas croire ces avis, de peur d'étonner les esprits. De sorte que l'on fut prèz de huit jours devant qu'elles fussent bien certaines, sinon à l'égard de ceux qui en avoient des nouvelles particulières. Elle se rendit le 5 juin, jour de la Pentecôte, et sa perte fut suivie de celle de toutes les autres places de ces quartiers-là, à la réserve de celle d'Emérick, d'où les Etats retirèrent la garnison, l'artillerie, et les munitions, et en firent entrer une parti dans le | |
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fort de Scenck, comme dans un poste d'où dépendoit la conservation d'une partie du Païs. Orsoi fit mine de vouloir se défendre. Les Francois arrivèrent devant la place le 2 juin, et à l'entrée de la nuit ils y firent trois attaques, deux fausses sous St. Geran et Mouci, et une véritable sous le duc de Roannois la Feuillade. Le dernier se rendit maître de la contr'escarpe, et se logea sur le chemin couvert. Le gouverneur n'osant pas attendre le progrèz du travail de la nuit suivante, fit une capitulation honteuse, et se rendit à discrétion, quoique les 700 hommes de pié et 60 chevaux qui étoient dans la place, fussent capables de la défendre encor quelque tems. Sept soldats François qui y étoient en garnison, et qui étoient au service de l'Etat depuis plusieurs annéez, même dèz le tems que le roi de France y entretenoit quelques régimens, furent pendus comme traîtres et perfides; Louvois voulant traiter de cette façon des gens qui s'étoient établis dans le païs avec la permission de leur roi, qui s'y étoient mariéz, et qui n'avoient pas pû obtenir leur congé lorsque la déclaration de la guerre ne permettoit pas aux officiers de rester, parceque depuis le 15 avril le roi avoit rapellé tous les François qui étoient au service des Etats, et leur avoit enjoint de le quitter dans quinze jours aprèz la publication de la déclaration, à peine de confiscation de corps et de biens. Et néanmoins, en la capitulation de la ville de Wesel, le prince de Condé stipula bien expressément qu'un capitaine François, nommé Bouleau, et un autre nommé Menguers, frère de la concubine de Bouleau, fussent nommément mis au nombre des huit officiers à qui il permettoit de se retirer. Celui qui commandoit dans Burick se rendit à la même condition dèz qu'il vit ouvrir la tranchée. Le siège d'Orsoi couta la vie à quelques officiers et volontaires, et entr'autres au chevalier d'Arquien, qui fut tué d'un coup de canon à six pas du roi. Rhinberg et Rees se perdirent sans tirer un seul coup de mousquet; tellement que ce ne fut qu'un feu de paillle, ou plûtôt comme celui d'une trainée | |
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de poudre qui prend et s'éteint presque dans le même tems. Le roi se trouva en personne devant Rhinberg, ville du diocèse de Cologne, et le prétexte des armes de l'électeur. La place étoit bien fortifiée et munie, et le colonel van Bassem y commandoit une garnison de plus de 1600 hommes, et on lui avoit adjoint un autre colonel nommé d'Ossery, qui avoit cidevant servi plusieurs autres princes de l'Europe, et même l'évêque de Munster, mais avec peu de réputation. Le duc de Duras, l'un des capitaines des gardes du corps, et des lieutenants généraux de l'armée du roi de France, étant allé reconnoître la place, et étant entré en conférence avec d'Ossery, celui-ci lui permit d'entrer dans la ville, le fit coucher dans son lit, parcequ'il s'étoit laissé surprendre de la nuit, et en le conduisant le lendemain, il lui fit voir l'état des fortifications, et demeura d'acord avec lui de la reddition de la place. Car dèz le lendemain aiant obligé Van Bassem d'assembler le conseil de guerre de tous les capitaines, dont la garnison étoit composée, il n'y en eut qu'un qui fut d'avis que l'on se défendit, et tous les autres firent conclure qu'il falloit accepter la capitulation par laquelle le roi leur permettoit de sortir avec armes et bagages, et de se retirer à Mastricht. L'on ne sait pas ce que Van Bassem est devenu. Mais d'Ossery aiant été assez efronté pour se présenter quelque tems aprèz au prince d'Orange, fut arrêté prisonnier, et eut la tête tranchée. La plûpart de ces places étoient assez raisonnablement fortifiéez, et leurs garnisons étoient capables sinon de faire une longue résistance, du moins d'arrêter quelque tems l'armée Françoise, qui auroit été obligée de les attaquer dans les formes, si elle y eut trouvé la moindre résistance. Elles ne manquoient point non plus de vivres, ni de munitions; de sorte que leur perte ne peut être imputée qu'à l'ignorance et à la lâcheté des officiers qui y commandoient. Les uns ont mieux aimé s'aller cacher en des païs étrangers que de venir rendre compte de leurs actions; et de tous ceux qui ont été assez imprudents pour croire qu'ils pouvoient justifier leurs actions, les uns ont | |
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été exécutéz, et les autres ont été déclaréz infâmes et incapables de porter les armes, bannis, et traitéz en sorte qu'il ne leur reste que la vie, qui leur seroit à charge s'ils avoient de l'honneur. Les Etats avoient bien leurs garnisons dans toutes ces places; mais ce n'étoient que des dehors du corps de l'Etat, et elles ne faisoient pas partie de l'Etat des Provinces-Unies, ni même des païs conquis et associéz. Elles apartiennent toutes à l'électeur de Brandebourg, et font partie du duché de Clèves, et Rhinberg est de l'archévêché de Cologne: l'électeur y aiant joui non seulement de la jurisdiction spirituelle, et du temporel des bénéfices, mais même du domaine, du péage du Rhin, et de tous les droits de supériorité qu'il y avoit comme prince de l'Empire. Tellement que jusqu'alors les François n'avoient rien fait, sinon de prendre sans beaucoup de résistance quelques villes des deux électeurs de Cologne et de Brandebourg, dont le roi ne prétendoit pas faire une conquête pour l'annexer à sa couronne. Au contraire, le premier traité que l'on feroit, les faisoit restituer aux propriétaires, puisqu'il avoit soufert que le dernier mit garnison dans Rhinberg, incontinent aprèz la réduction de cette place: si bien qu'il n'avoit rien fait s'il n'entamoit le corps de l'Etat. Il ne le pouvoit ouvrir que du côté du Rhin, ou bien en forçant le retranchement de l'Issel. Il y avoit dans l'armée de France deux gentilshommes de Gueldre, qui avoient ci-devant servi l'évêque de Munster, et qui, connoissant parfaitement tous les défiléz et tous les passages de cette province-là, indiquoient aux François tous les endroits où le Rhin étoit guéable. La sécheresse étoit extrême, et presque miraculeuse depuis plusieurs mois. De sorte que, la rivière étant fort basse, le prince de Condé résolut de se servir de cette commodité pour entrer dans cette partie de la Gueldre que l'on apelle la Bétuwe. Le Rhin qui forme la Bétuwe, qui est la Batavia des anciens, se sépare en deux branches auprèz du fort que Martin Scenck fit à la pointe de l'isle pendant les premières guerres | |
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civiles, et de ces deux branches celle qui coule vers Arnhem, conserve son premier nom, et l'autre qui passe devant Nimègue a pris le nom de Waahal, dèz devant que celui des Romains fut connu en ce Païs. Auprèz de la petite ville d'Huessen il y avoit un gué qui donnoit passage à trois escadrons de front; auprèz de Tolhuys il y en avoit encor un; et entre ces deux postes, qui sont eloignéz l'un de l'autre de six lieues, il y avoit encor cinq ou six autres passages fort guéables pour des escadrons entiers. Le prince d'Orange craignant que l'ennemi n'entrât dans la Bétuwe, confia la garde de ces postes, à Jean Barton de Monbas, l'un des commissaires généraux ou sergents majors de la cavalerie, à qui il donna pour cet effet les deux régimens de cavalerie de Soutland et de Kimma, qui faisoient onze compagnies, c'est à dire 600 chevaux; trois compagnies du régiment d'infanterie de Guent, et le régiment d'Aylva, qui étoit de huit compagnies. Ces troupes furent logéez dans les deux quartiers que je viens de marquer, à trois lieues de distance l'un de l'autre. Il y ajouta un ordre de veiller à la conservation de Nimègue, et de s'y jetter si la place étoit ou investie, ou effectivement attaquée. Monbas eut depuis un ordre particulier de la part des députéz plénipotentiaires, qui (à ce qu'il dit) marquoit que leur intention étoit, comme aussi celle du Prince, que s'il jugeoit que l'ennemi le put forcer dans son quartier, ou le contraindre de se retirer avec désordre, il n'hazardât pas ses troupes, et qu'il n'attendît pas l'ennemi: mais que voiant aprocher l'armée de France, et la ville de Nimègue en danger d'être assiégée ou investie, il s'y jettât avec ses troupes pour la défendre. Monbas s'attachant à la lettre de ce dernier ordre, et jugeant que son poste n'étoit pas tenable avec le peu de troupes qu'il avoit, se retira, et jetta une partie de ses gens dans Nimègue. Würtz lui avoit dit, que les trois régimens d'infanterie de Scot, de Wrijbergue, et de Golstein, et ceux de cavalerie d'Harsolte, et de la Leck, avec 500 chevaux Espagnols, et trois compagnies de Painetvin, venoient renforcer son poste. Mais ces | |
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troupes aiant été contremandéez sur l'avis que le prince d'Orange eut, que Beauvesé avoit pris Deutecom, Monbas retira son infanterie, et Soutland aiant lâché le pié dèz que les premiers dragons de l'armée Françoise eurent passé la rivière, Monbas crut devoir exécuter l'ordre que les députéz lui avoient donné. Il en alla rendre compte au prince d'Orange qui le fit arrêter prisonnier, et envoia Würtz au poste que Monbas venoit de quitter. Il emmena avec lui les deux régimens d'Harsolte et de la Leck, le colonel Joseph avec trois compagnies de son régiment, deux de celui de Kimma, et une de celui de Welderen, et il y trouva le régiment d'infanterie d'Aylva, et celui de cavalerie de Soutland. Mais il ne put pas empêcher les François de passer. Le passage se fit le 12 juin, à la faveur d'une batterie que le prince de Condé avoit fait faire sur une éminence, presque vis-à-vis de Tolhuys, qui étoit autre fois le bureau où se paioit le péage; mais il se fit avec assez de désordre et de précipitation, de sorte que ne suivant pas bien exactement le gué, et quantité de chevaux se mettant à la nage, environ 80 ou 100 cavaliers, et quelques personnes de condition s'y noièrent, et entr'autres Guitri, maître de la garderobe du roi, aussi bien que le comte de Theobon, le chevalier de Salart, mr. de Bouri: mmrs. d'Aubusson et de la Force, le comte de Revel, mmrs. de Maurevert et du Ménil, de Montauban, d'Aubeterre, de Beaumont, de St. Arnould, de Beaufort, de Montereau, et de Beauvau furent blesséz. Le comte de Sault s'étant mis à la tête de quelques cavaliers, passa le premier, et ne laissa pas d'agir à son abord, quoiqu'il eût été blessé au passage. Le comte de Guiche le seconda, et fit mettre en bataille ce qu'il avoit fait passer de troupes devant que le prince de Condé, qui avoit passé en bateau avec le duc de Bouillon, fût arrivé. La plûpart des officiers du Païs soutiennent, que Monbas pouvoit garder son poste, et empêcher le passage; et quelques François en parlent dans les mêmes termes. Mais c'est ce dont ceux qui composoient le conseil de guerre, qui est celui | |
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qui en commit la garde à Monbas, n'étoient pas tout à fait d'acord. Les ordres qu'on lui donna marquent le contraire; les troupes dont on promit de le renforcer font connoître que celles qu'on lui avoit donnéez n'étoient pas capables de défendre le poste, et la diversité des ordres fait voir manifestement que l'intention de ceux qui les donnoient, étoit qu'il l'abandonnât, ou du moins qu'il n'hasardât rien, s'il n'étoit assuré de le pouvoir garder. Cette sorte d'ordres sauve en quelque façon ceux qui les donnent; mais ils embarassent extrêmement par leur ambiguité ceux qui les reçoivent, parcequ'ils les chargent du succèz de l'exécution. Monbas n'étoit pas fort bien dans l'esprit du prince d'Orange, tant à cause de l'alliance qu'il avoit prise dans une famille qui n'avoit pas toujours été dans les intérêts de S.A., que parcequ'il avoit été assez imprudent pour ne pas rendre au Prince ce qu'il devoit à sa naissance, et même ce qu'il ne pouvoit pas sans crime refuser à son capitaine général. C'est pourquoi il y en a eu qui ont cru que son intention étoit de le perdre, non parcequ'il étoit criminel à l'égard de l'Etat, mais parcequ'il étoit ennemi de sa personne. Il avoit fait un voiage à Paris l'hyver précédent. Il disoit que c'étoit pour mettre son bien à couvert de la confiscation, laquelle il ne pouvoit pas éviter en cas de rupture. Les Anglois ont publié qu'il y étoit allé de l'ordre de mr. de Witt, pour ofrir au roi la carte-blanche, et pour le convier à se joindre à cet Etat contre l'Angleterre. Il y en avoit dans ce Païs qui le croioient, et il y en avoit aussi qui vouloient qu'on le crût, quoiqu'ils ne le crussent pas eux-mêmes. La vérité est qu'il n'avoit point eu de commission; mais l'on n'a pas laissé de se servir de ce prétexte pour achever de le rendre odieux, comme si, parmi les conditions du prétendu traité, il eut aussi proposé la ruine du prince d'Orange. Aprèz le passage les François trouvèrent peu de résistance, parcequ'une bonne partie de l'armée de France aiant passé dans l'isle, il n'y avoit presque rien qui s'y pût oposer. Il y eut pourtant une rencontre assez forte au régiment d'Aylva, lequel | |
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voulant capituler pour se rendre, et le duc de Longueville avec quelques autres seigneurs de marque, emportéz par la chaleur de la jeunesse, leur présentant le pistolet comme à des gens qu'ils ne croioient pas devoir marchander, les officiers du régiment, s'imaginant que l'intention des François étoit de ne leur donner point de quartier, firent sur eux une décharge si à-propos que plusieurs personnes de condition y furent tuéez et blesséez. Le duc de Longueville même demeura sur la place, et le prince de Condé qui y acourut à dessein de les séparer et de faire retirer le duc, son neveu, y fut blessé au poignet en sorte que ce coup le mit hors d'action pour le reste de la campagne. Le prince de Marsillac et le comte de Vivonne furent blesséz à l'épaule; le duc de Coassin qui avoit déjà été blessé à la main au passage la rivière y reçut un coup de mousquet dans la même main. Le comte de Sault y fut encor blessé, et le comte de Nogent, maréchal de camp dans l'armée du Prince y fut tué. Le comte de Guiche, lieutenant général dans la même armée, se mettant à la tête d'une brigade de cavalerie, défit celle des Hollandois qui avoit voulu s'oposer au passage, avec d'autant moins de résistance que la cavalerie, et particulièrement le régiment de la Leck, au lieu de soutenir l'infanterie, se renversa sur le régiment d'Aylva, qui eut de la peine à se remettre et à combattre. Aprèz cela le passage se trouva ouvert à toute l'armée, laquelle mr. de Turenne commanda aprèz la blessure du prince de Condé. La retraite de Monbas surprit extrêmement le prince d'Orange, qui fut d'avis que pour y remédier il falloit marcher droit à l'ennemi avec toutes les forces de l'Etat, devant qu'il eut le loisir de se fortifier dans la Bétuwe; et il y vouloit aller en personne. Mais il y en eut qui l'en détournèrent, en lui faisant naître tant de difficultéz, qu'elles n'ont pas peu contribué à détruire l'estime et l'afection que le Prince avoit pour eux auparavant. Au reste cette invasion dans un petit païs contigu à la Hollande, et la retraite de l'armée, qui se fit avec une confusion | |
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extrême, furent suivies d'une consternation si universelle, que l'on peut dire, que c'est la seule cause de tous les malheurs dans lesquels ce Païs se voit comme abîmé depuis ce tems-là. Le prince d'Orange s'en prit à Monbas, le fit arrêter prisonnier, et lui fit faire son procèz par le conseil de guerre, ainsi que nous verrons ailleurs. Il décampa en suite de dessus l'Issel, et se retira auprèz d'Utrecht, pour n'être pas chargé en queue: ce qui auroit été facile, parceque si les François eussent fait tant soit peu de diligence, il eussent pu gagner Utrecht devant que le Prince y fut arrivé, vu que les deux arméez se côtoioient, et marchoient presque sur une même ligne. Il ne fut pas sitôt éloigné de l'Issel, que les François se rendirent, le 16 juin, maîtres d'Arnhem, d'où l'on ne tira qu'un seul coup de canon, qui tua le comte du Plessis-Prâlin, premier gentilhomme de la chambre du duc d'Orléans, et maréchal de camp dans l'armée du prince de Condé, fils du maréchal du Plessis-Prâlin. La garnison fit une capitulation honteuse, et demeura prisonnière de guerre. Aprèz cette réduction il ne fut pas difficile de prendre possession de toute la Véluwe, des villes de la province d'Utrecht, et même de Naerden en Hollande, jusqu'à ce golfe ou bras de mer que l'on appelle le Zuyder-zée, pendant que de l'autre côté ils prirent Tiel et le fort de Scenck. Les Etats de Gueldre avoient donné le commandement du fort à un jeune homme, qui au sortir de l'école où il avoit à peine vu la guerre en peinture, se vit gouverneur d'un des plus importans et des plus forts postes du Païs. Ses parens promettoient qu'il y feroit des miracles; et en effet il fit d'abord quelques fausses bravoures. Mais il fit bientôt voir par une capitulation honteuse, que ceux qui l'avoient avancé à cet emploi, contre le sentiment de presque toutes les provinces, et contre les principes de toute bonne politique, avoient fait un choix qui a été en partie, cause de la ruine de leur patrie. Ce fut le 18 juin, à deux heures aprèz midi, que les François parurent devant le fort, et ils ne l'attaquèrent que le len- | |
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demain, quand il se rendit sur les cinq heures du soir, et la garnison fut envoiée à Groningue. Son père et ses parens qui avoient été assez imprudents et assez injustes pour lui confier cette place, ont été assez heureux pour le voir mourir d'un coup de mousquet dans Couworden, où il s'étoit jetté comme volontaire, et voulant bien donner des preuves de son courage, et faire voir, que bien qu'il n'eût pas assez d'expérience pour commander dans une place, il avoit assez de coeur pour combattre sous le commandement d'un autre: quoique cette dernière place fût aussi lâchement rendue que le fort de Scenck l'avoit été. Aprèz la prise de ce fort les François attaquèrent celui de Knodsenbourg. Verschoor qui y commandoit, fit d'abord une trèz vigoureuse résistance, en laquelle périrent dans peu d'heures 7 ou 800 François, et entr'autres plusieurs officiers. Il fit mine de s'y vouloir opiniâtrer, et fit passer son frère à la nage pour demander au gouverneur de Nimègue les choses qu'il jugeoit nécessaires pour défendre la place. On les lui acorda toutes, et Gysen, capitaine de cavalerie, ofrit de s'y jetter avec 5 ou 600 hommes. Mais lorsqu'il fut sur le point de s'embarquer, il aprit que Verschoor avoit capitulé, et vit les drapeaux François arboréz sur les ramparts. Aprèz cela les François s'attachèrent à la ville de Nimègue, première de toute la province de Gueldre. Ils entreprirent ce siège avec d'autant plus d'aparence de succèz, que Wede de Walenbourg, colonel d'un des régimens de la marine, eut ordre des Etats Généraux d'abandonner Grave, où il commandoit, et de conduire la garnison dans Bois-le-Duc. Il y obéit; mais avec autant de regret que les Etats en eurent, d'avoir abandonné par une résolution trop précipitée, aux ennemis une place de laquelle dépendoit entièrement la conservation de Nimègue. Aussi changèrent-ils bientôt leurs premiers ordres, et commandèrent à Wede de ramener la garnison à Grave. Dans l'apréhension qu'il avoit, que les ennemis ne le prévinssent, il prit les devants avec quelques compagnies de cavalerie, et laissa | |
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ordre à l'infanterie de le suivre immédiatement. En arrivant à Grave il y trouva 30 ou 40 chevaux François qu'il fit sortir. Mais l'infanterie aiant rencontré dans la bruyère quelque cavalerie Françoise, en fut chargée, et entièrement défaite. Tellement que Grave se trouvant sans garnison, Wede ne la put pas garder. Mr. de Turenne n'aiant plus rien derrière lui qui le put incommoder, résolut d'assiéger Nimègue. Devant que de former le siège, il la fit canonner de l'autre côté de la rivière; mais Jean van Welderen, gouverneur de la ville, et lieutenant général de la cavalerie, étant entré dans la ville, incommodoit l'artillerie dont les François se servoient contre les ramparts du côté de Knodsenbourg, et n'en ruina pas seulement toutes les batteries, mais aussi toutes les fortifications, en sorte que les François ne s'en pouvoient plus couvrir. Toutefois comme il n'avoit pas pu empêcher que le fort ne se perdît faute de poudre, et avec le fort toute l'espérance d'être secouru du côté de la rivière, il ne lui en resta point d'autre que celle qu'il trouveroit dans une courageuse résistance du côté de la terre. Les François qui avoit fait des batteries dans le fort de Knodsenbourg, n'osèrent pas s'engager à un siège formé, qu'apréz la réduction des places de la Meuse. Nimègue ne pouvant plus espérer de secours aprèz cela, les François l'assiégèrent le 28, et quoique Welderen fit une résistance aussi vigoureuse que l'on pouvoit attendre d'un officier qui avoit vieilli dans la cavalerie, et qui avoit plus de zèle et de courage que de connoissance, car ne s'étant jamais trouvé au siège de place où il eût fait les fonctions de commandant, il ne savoit ce que c'étoit que de défendre une assez grande ville, il ne la put pas faire longue, et capitula le 29 aux mêmes conditions que les commandants de plusieurs autres places avoient stipuléez, c'est à dire en obtenant la liberté et quelques autres avantages pour les officiers, et en laissant les soldats prisonniers de guerre. Il faut rendre au magistrat et aux habitans cette justice, qu'ils s'oposèrent à la capitulatien, et ofrirent de défendre la brèche, si les soldat les vouloient secon- | |
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der. Mais les officiers bien loin de servir d'exemple aux bourgeois, achevèrent de les désespérer en les menaçant de piller leurs maisons, si en aquiesçant à la capitulation ils ne prévenoient le désordre que la ville ne pouvoit pas éviter en continuant de s'opiniâtrer. Uytenhove, Cassiopin, et Grenhem, qui commandoient l'infanterie, n'aquirent pas beaucoup de gloire en cette rencontre, non plus que le gouverneur, qui savoit si peu l'état de la place, que la veille de la capitulation il fit venir tous les timballes et trompettes de la garnison sur le bastion de Nassau, où il fit boire les officiers d'une manière qui eut pu faire croire qu'il n'étoit pas en état d'être forcé, dans une place laquelle il rendit le lendemain. Le même malheur suivit les armes de l'Etat dans les autres provinces. L'électeur de Cologne, et l'évêque de Munster ocupèrent toutes les villes d'Overissel, pendant que l'armée de France se rendit maître de Zutphen et de Doesbourg deux places assez fortes et assez bien munies pour amuser une armée roiale une campagne entière. Le drossart de Twente avoit convoqué les Etats d'Overissel à Déventer, afin de se pouvoir servir du voisinage de l'armée, et de l'avis des députéz qui y étoient. Mais étant tombé malade, les chefs du parti contraire à celui du drossart firent transférer l'assemblée à Campen, où il ne fut rien résolu, à cause des sentimens contraires de ceux dont l'union devoit sauver la province. Il y en eut qui ne voulurent pas permettre que les députéz des villes d'Hasselt et de Steenwijck y fussent apelléz, parcequ'ils n'ont point de séance dans l'assemblée des Etats, que lorsque l'on y délibère d'un gouverneur de la province, ou de faire des levées de deniers; et il y en eut même qui craignant la recherche de leurs malversations à l'égard des finances de la province, étoient dans l'impatience de la mettre entre les mains des ennemis, afin de mettre leurs personnes et leur honneur à couvert, et de cacher leurs crimes dans les disgraces générales. Mais devant que de nous étendre sur les particularitéz de | |
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cette conquête, et de celle de la ville et province d'Utrecht, il faut voir ce que faisoit cepandant l'armée navale. Lorsque l'on commença à délibérer en Hollande des forces que l'on pourroit oposer à la France et à l'Angleterre, il y eut des villes qui furent d'avis que l'on n'armât point par mer. Qu'au lieu de faire cette dépense qui absorberoit une bonne partie du fonds que l'on pourroit faire pour la guerre, il faudroit l'emploier à faire des levéez d'infanterie et de cavalerie, afin que l'Etat pût résister aux forces inombrables avec lesquelles la France alloit l'attaquer. Elles représentoient que la guerre étoit purement défensive, il suffisoit de faire garder la côte, d'empêcher les débarqemens et descentes, et de mettre aux entréez des ports et havres, et aux embouchures des rivières quelques frégates et brûlots: et que par ce moien l'on pourroit renforcer l'armée de 20.000 hommes, tant matelots que soldats. Mais les autres répondoient: Que pour la garde des côtes d'Hollande, depuis l'embouchure de la Meuse jusqu'au Texel, et pour celles des isles de Zéelande, où la descente seroit pour le moins aussi facile qu'en Hollande, il ne falloit pas moins de 15 ou de 20.000 hommes, qui peut-être ne l'empêcheroient pas: au lieu que les ennemis ne l'oseroient pas hazarder, tant que l'Etat auroit en mer une armée navale qui les pourroit combattre pendant qu'ils seroient ocupéz de faire descente. Qu'en n'armant point par mer, l'on en abandonnoit l'empire aux Anglois, aussi bien que les navires que l'on attendoit des Indes Orientales, dont la prise fourniroit aux Anglois le moien de continuer la guerre qu'ils faisoient présentement aux dépens de la France. Enfin qu'il y alloit de la gloire de la nation d'oser paroître en mer, pendant que l'on étoit attaqué par terre, et d'oser afronter les forces navales des deux plus puissants rois de la chrétienté, jointes ensemble. Cet avis prévalut, et il fut résolu d'armer 72 vaisseaux de guerre, savoir 24 montéz de 60 à 80 pièces de canon; 24 de 40 à 60 pièces; et les 24 autres de 30 à 40 pièces; 24 frégates, autant de brûlots; autant d'inaves (avisos?), et de les monter | |
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d'environ 26.000 hommes, tant soldats que matelots. Michel de Ruyter, lieutenant amiral d'Hollande, la commandoit en chef, comme lieutenant amiral de l'Union pour cette expédition, et on lui avoit adjoint Corn. de Witt, ancien bourguemaître de la ville de Dordrecht, et ruart, ou bailli de Putten, en qualité de député plénipotentiaire. Celui-ci se chargea de cet emploi volontairement, quoiqu'il eut bien pu s'en dispenser à l'exemple de ses collègues, dont pas un ne voulut aller sur mer, quoiqu'il sût que l'affaire de Chattam, laquelle il avoit exécutée, l'eut fait l'objet de la haine des Anglois, qui tâchoient de s'en ressentir. On le vit partir acompagné de 12 gardes, arméz d'hallebardes, et vêtus de la livrée de l'Etat: ce qui étoit sans exemple, et faisoit parler bien des gens, qui sans cela n'étoient que trop jaloux de la fortune de sa maison, et qui n'aimoient pas sa personne, dont l'abor det l'humeur avoient je ne sais quoi de rude, que l'on ne trouvoit pas en son frère. Sous de Ruyter commandoient van Nes, lieutenant amiral de l'escadre de la Meuse; de Guent lieutenant amiral de celle d'Amsterdam; Adrien Banckert, de celle de Zéelande, Jean Guillaume d'Aylva de celle de Frise; et...... de celle de Nort-HollandeGa naar voetnoot1). Les vice-amiraux étoient de Liefde, Sweers, Corneille Evertsen, Enno Doedes, et Jean Schram; et les contr-amiraux, van Nes le jeune, de Haan, Jean Matthyssen, Brunsvelt, et David Vlug. Les dessein étoit d'empêcher la jonction des arméez navales de France et d'Angletterre, afin de rendre par ce moien tout l'armement des ennemis inutile; et l'on y auroit réussi si les autres provinces eussent secondé les bonnes intentions et l'aplication de la Hollande. Mais elles s'oposoient à tout ce que celle-ci désiroit, dans le dessein de l'obliger par-là à donner le commandement des armes au prince d'Orange. De Ruyter étant sorti de la Meuse au mois de mai, alla joindre l'escadre d'Amsterdam au Texel, d'où il sortit quelques jours aprèz dans la pensée de prendre en passant les vaisseaux | |
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de Zéelande. Mais ils n'étoient pas encor prêts, et ainsi l'amral qui les attendit quelques jours, perdit la plus belle ocasion du monde de se rendre maître de la mer pendant cette année: comme il pouvoit faire facilement s'il eut empêché de bonne heure la jonction des forces navales des deux couronnes, qui se fit pendant que de Ruyter s'arrêtoit à la rade de Zéelande. Les premières mesures aiant été rompues de cette façon, il fallut se résoudre à afronter les deux arméez navales des deux rois, et à commettre la réputation d'une république avec celle de ces deux grandes puissances. Les Anglois avoient 50 grands et bons vaisseaux sous le commandement du duc d'Yorck, leur amiral, qui s'y trouvoit en personne, suivi d'un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes. Edouard Sprag faisoit sous lui la charge de vice-amiral, et Jean Harman celle de contr-amiral du pavillon rouge. Montaigu, comte de Sandwich, lieutenant amiral d'Angleterre, commandoit l'escadre du pavillon bleu, et avoit sous lui Joseph Jordens, et Jean Kempthorn, qui y faisoient les charges de vice-amiral, et de contr-amiral. L'on disoit que cette armée navale étoit montée de 23530 hommes, et de 4092 pièces de canon. Le comte d'Estrées, vice-amiral de France, s'y étoit joint avec 30 vaisseaux de guerre, mais pas tous également forts, ni si bien montéz que ceux d'Angleterre. Depuis plusieurs siècles l'Océan ne s'étoit vu couvert de si considérables forces, et peut-être n'avoit on jamais vu des ennemis si animéz, ni si échauféz au combat. Mais comme elles étoient presqu'égales, et que les uns y combattoient pour la gloire de la Nation, et les autres pour le salut de leur Patrie, les deux chefs se tâtèrent, et marchandèrent longtems devant que d'en venir aux mains. Les deux arméez se trouvèrent plusieurs jours de suite en présence, pendant lesquels les Anglois eurent, et perdirent plus d'une ocasion de se servir utilement de l'avantage du vent. De sorte que de Ruyter voiant qu'ils n'avoient point d'envie de s'engager, résolut de les aller attaquer dans Soltsbay, où ils se retiroient | |
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de tems-en-tems, jusqu'à ce qu'enfin le 7 juin les Anglois qui s'étoient ce jour-là préparés à un grand festin où les généraux devoient celébrer le jour de la naissance du roi, de sorte qu'ils eussent volontiers évité l'ocasion du combat ce jour-là, voiant qu'on les y alloit forcer dans la baye même, et qu'ils seroient contraints d'y combattre avec désavantage, résolurent d'aller au devant des Hollandois. Le combat commença sur les huit heures du matin avec autant d'ordre que l'on en ait jamais vu en de semblables rencontres. Banckert, chef de l'escadre de Zéelande attaqua les François qui vinrent au combat avec fierté, et résolution. Mais ces Superbes, ces Foudroiants, ces Grands, ces Conquérants, ces Illustres, ces Admirables, ces Invincibles, ces Sans-pareils, ces Excellents, ces Hasardeux, ces Terribles, ces Tonnants, ces Braves, ces Téméraires, et ces Hardis, que l'on avoit ainsi baptiséz à Rochefort et à Brest, et dont toute l'armée étoit composée, ne furent rien moins que cela. Ils ne combattirent que de loin et mollement, et se retirèrent bientôt: pendant que de Ruyter choisit l'amiral Anglois, et le lieutenant amiral Guent combattit l'amiral du pavillon bleu. Le vaisseau du duc d'Yorck y fut si mal traité qu'il fut contraint de le quitter pour faire arborer son pavillon sur un autre vaisseau, et ensuite de monter sur un troisième. Guent y fut tué dèz le commencement du combat, et le capitaine Brackel s'attachant à l'amiral du pavillon bleu, le réduisit à telle extrémité que les Anglois demandèrent quartier. Mais le capitaine ne pouvant pas faire passer dans son bord un si grand nombre de prisonniers, il y fit attacher un brûlot, qui fit périr Montaigu avec son fils, et les 900 hommes dont son vaisseau étoit monté, à la réserve de son lieutenant et de quelques matelots qui se sauvèrent à la nage, et furent faits prisonniers. Le duc d'Yorck y perdit la vergue de son grand mât, et son vaisseau y fut tellement percé, qu'aiant été mis hors de combat, il fut contraint d'en monter un autre. Plusieurs personnes de qualité furent blesséez auprèz de lui: quoique d'ailleurs dans un combat si | |
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furieux, que de Ruyter déclara de n'en avoir jamais vu de si long, ni de si opiniâtre, il y eût fort peu de vaisseaux perdus de part et d'autre. Les Anglois n'en prirent qu'un, qui étant tout percé de coups, périt entre leurs mains, et alla à fond avant qu'ils le pussent conduire à un de leurs ports. De Witt écrivit au greffier, que pendant le combat il s'étoit toujours tenu debout ou assis devant la dunelle; mais que la fumée continuelle de la batterie lui avoit ôté la vuë et la connoissance de ce qui se passoit hors de son bord entre les deux arméez navales. Les premières nouvelles de ce combat en donnoient tous les avantages à ceux à qui on les portoit, et il est certain qu'ils étoient entièrement du côté des Hollandois, puisque non seulement ils n'y perdirent rien, mais même ils tinrent la mer, et témoignèrent qu'il ne tenoit pas à eux que le combat ne recommençât le lendemain. Les Anglois au contraire évitèrent toutes les ocasions qui les pouvoient engager au combat, parceque la plûpart de leurs vaisseaux aiant été assez maltraitéz, il falloit les radouber. De sorte qu'étant obligéz de s'aprocher de leurs côtes, bien qu'ils eussent le vent sur leurs ennemis, ceux-ci se retirèrent aussi vers celles de Zéelande. Quelques jours aprèz de Witt, se trouvant incommodé d'un rhumatisme tellement qu'il n'étoit pas en état d'agir, il se fit porter à terre, et ne retourna plus à la flotte, laquelle se contenta d'observer celle d'Angleterre, qui de tems-en-tems faisoit mine de vouloir faire descente, tantôt dans la Meuse, tantôt auprèz du Texel, et n'entreprit pourtant plus rien de tout l'été. La France continuoit cepandant ses conquêtes, et l'évêque de Munster aprèz avoir pris la maison de Borculo, qu'il prétendoit être une partie et une dépendance de son évêché, et le comté de Lingen apartenant au prince d'Orange, prit aussi la ville de Groenlo ou Grolle, qui avoit couté une campagne entière au prince d'Orange en l'an 1627, et toutes les autres petites villes de Gueldre et d'Overissel. Les villes de Zutphen et de Doesbourg se perdirent sans résistance, et toute | |
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la province d'Overissel capitula, et se rendit tout-à-coup: quoique le Prince et les députéz en abandonnant le retranchement de l'Issel, eussent jetté dans Déventer, Zutphen, et Doesbourg presque toute l'infanterie avec une bonne partie des païsans que l'on avoit arméz, et tiréz de tous les quartiers d'Hollande, faisant ensemble plus de 15.000 hommes. Les deux régimens de Bampfield et de Ripperda étoient dans Zwoll, avec 6 cornettes de cavalerie. Mais ils en sortirent aux premiers avis que l'on y eut de la capitulation de Déventer. Diterick Stecke, colonel, commandoit dans la ville de Déventer; mais la ville ne fut pas sitôt attaquée par l'électeur de Cologne et par l'évêque de Munster, qui s'y trouvoient en personne, aussi bien que l'évêque de Strasbourg, et le prince Guillaume de Furstemberg, son frère, secourus de quelques troupes auxiliaires de France, sous le duc de Luxembourg, que le commandant fit connoître qu'il n'avoit pas la force, ni la capacité nécessaires pour un si important emploi. Il soufrit que les François poussassent leurs ouvrages jusques sur le fossé de la contrescarpe sans qu'il s'y oposât par des sorties. Il abandonna tous les dehors, et aiant été pressé par le magistrat aprèz trois jours de siège, de dire quelle résistance il pourroit faire, il déclara que la ville ne pouvoit pas tenir vingtquatre heures. Il est vrai qu'il n'y avoit ni grenadiers, ni mineurs, ni ingénieur dans la place qui pussent arrêter les progrèz des assiégeans en éventant leurs mines, ou en coupant les ouvrages qui couvroient la ville. Mais quand il y en auroit eu, celui qui les devoit commander n'avoit ni résolution, ni conduite, ni même l'esprit de sauver par une honorable capitulation les 1500 hommes que la province d'Hollande avoit envoiéz à son secours. Pour ce qui est de Zwoll, les deux colonels disent dans une lettre qu'ils ont publiée, qu'ils en sortirent parcequ'ils ne trouvoient point de sureté parmi des gens qui s'alloient rendre, qui avoient fait leur traité avec l'électeur de Cologne et l'évêque de Munster, et qui pour ne point trouver d'obstacles à l'exécution du traité, avoient négligé de réparer leurs ramparts, leurs bastions, et | |
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leurs batteries, de mettre leur artillerie en état, de se servir des afûts et des gabions qu'ils avoient, de ruiner leurs fauxbourgs, et d'inonder la campagne voisine; et qu'ils avoient emploié le nom de la noblesse et des villes d'Overissel pour traiter avec les ennemis, de la part des Etats de la Province, quoiqu'ils n'eussent ni pouvoir ni autorité pour cela. Tellement que craignant d'être trahis, livréz aux François, et traitéz comme les garnisons des autres places, que l'on avoit désarméez et enferméez dans des églises, où non seulement ils ne pouvoient pas se coucher, ni s'asseoir, mais où ils crevoient même dans leurs propres ordures, ils résolurent de se retirer. Le magistrat de Zwoll au contraire s'en défendit par un autre écrit, nia tout ce que les deux colonels posoient, leur donnoit des démentis, et disoit: Qu'il n'avoit traité avec l'évêque de Munster qu'aprèz que les deux colonels se furent retiréz, parceque se voiant abandonné aprèz la retraite de ces deux régimens, il ne pouvoit sauver la ville que par le moien d'une capitulation qu'ils n'ont faite que le 13 de juin, et du consentement de quelques gentilshommes de la Province, et des députéz de la ville de Campen. Le magistrat de Campen de son côté justifie sa capitulation, parceque dans la ville il n'y avoit que cinq cornettes de cavalerie, et trois compagnies d'infanterie, dont il étoit impossible de garnir les deux forts sur l'Issel, et les six bastions dont la ville est fortifiée; de sorte qu'il avoit été contraint de suivre l'exemple de celui de Zwoll, et de capituler aussi le 13: outre que l'artillerie n'étoit pas en état, et qu'il n'y avoit point de munitions dans les magasins. Hasselt se rendit de la même façon, et pour les mêmes raisons, parceque les deux régimens qui étoient sortis de Zwoll, refusèrent d'y demeurer, et emmenèrent avec eux, le 14, le peu de garnison que l'on y avoit mis auparavant. Pour ce qui est des gentilshommes dont ceux de Zwoll parlent, il est vrai que Rudiger d'Harsolte, Elbert Antoine de Palant, seigr. de Ham, Jean Mulert, et Gerard Sloet, assistéz de Roelinck, greffier de la Province, aux quels se joignirent | |
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depuis onze autres gentilshommes, firent, le 5 juillet, au nom de toute la noblesse d'Overissel, et signèrent conjointement une déclaration, laquelle portoit: Que d'autant que les armes que l'évêque de Munster avoit prises contre les Provinces-Unies, avoient fait de si heureux progrèz, qu'aprèz la conquête de plusieurs places fortes, il s'étoit aussi rendu maître de la province d'Overissel; et que comme les villes dont elle est composée s'étoient vendues à de certaines conditions, ainsi la noblesse qui étoit alors assemblée, lui avoit fait remontrer: Que puisque les autres Provinces avoient manqué à l'égard de celle-ci à ce qu'elles lui devoient en vertu de l'Union, et d'ailleurs se trouvoient aussi la plûpart sous une puissance étrangère, elle de son côté jugeoit qu'elle n'y étoit plus obligée, et ainsi qu'elle y renonçoit volontairement, et s'en détachoit, tant pour elle que pour ses successeurs, et pour sa postérité à jamais. Que pour confirmer d'autant plus le droit que les armes de l'évêque lui avoient aquis sur la province d'Overissel, la même noblesse reconnoissoit volontairement la souveraineté de l'évêché de Munster, promettant de ne se soustraire jamais de son obéissance pour quelque cause ou ocasion que ce fût, mais d'exposer leurs biens et leurs vies pour le service de l'évêque leur souverain seigneur. En considération de quoi, et de la soumission que la noblesse lui faisoit, l'évêque déclare: Qu'il acorde à tous les habitans de la province d'Overissel la liberté de conscience, et l'exercice libre de la religion catholique romaine et réformée. Que pour l'administration de la justice, il fera une cour, composée d'un chancelier et de huit conseillers de l'autre religion. Qu'il ne fera donner séance dans l'assemblée des Etats de la Province qu'à ceux qui ont droit d'y comparoître. Que pour ce qui est des finances, il les laissera dans l'état où elles étoient avant cette guerre, et qu'il feroit en sorte que les dettes de la Province fussent aquitéez, et que les charges fussent donnéez à ceux de la province de l'une et de l'autre religion indistinctement: le tout sans préjudice du droit de souveraineté de l'évêque, et à l'exclusion de ceux qui s'absentoient | |
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de la Province, ou qui portoient les armes pour le service de l'ennemi. Il importe que la postérité sâche les noms de ceux qui manquant de cette manière à ce qu'ils devoient à leur honneur, à leur naissance, et à leur serment, ne se contentèrent pas de signer cette renonciation, mais la firent aussi signer par d'autres. Ce furent Rudiger d'Harsolte, Elbert Antoine de Palant, Jean Mulert et Gerard Sloet, assistéz du greffier de la Province, qui signa l'acte pour le rendre plus autentique. Ceux qui à leur exemple le signèrent aussi, furent N..... de Beverwoorde, Jean Blanquewoort, Joachim de Beuk, Eusèbe Burghard Bentinck, Jean Ludolfe Mulert, P. van Eterwyck, H.J. Grubbe, Jean van Keppel, Herman van Heert, J.Ch. van Beverwoorde, et D. Ludolfe van Keppel. L'invasion des François dans la Bétuwe, l'abandonnement de l'Issel, et la retraite de l'armée donnèrent l'épouvante à tout le païs, et particulièrement à la province d'Utrecht. L'on ne peut pas nier qu'elle n'ait fait pour la conservation de l'Etat autant ou plus qu'aucune autre Province, tant par ses consentemens à tout ce que l'Union jugeoit nécessaire pour se mettre à couvert de l'orage dont elle étoit menacée, qu'en fournissant libéralement son contingent des contributions, qu'en paiant exactement ses gens de guerre. Elle avoit envoiée une partie de ses habitans et bourgeois à Nimègue, et au fort de Scenck. Elle avoit secouru ces places de 380 quintaux de poudre, et s'étoit dénuée de tous ses gens de guerre pour en assister l'Etat en général, et ses alliéz en particulier. Tellement que se trouvant dénuée de tout, elle résolut d'envoier au quartier du roi de France demander un passeport pour les députéz par lesquels les Etats vouloient faire leurs conditions avec S.M. Le roi étoit encor en Gueldre, et si loin de la ville, que les Etats ne sachant pas où le rencontrer, firent partir deux trompettes, par autant de différents chemins, pour l'aller chercher. L'armée des Etats étoit cepandant arrivée auprèz de la ville; mais les bourgeois qui n'étoient pas tous d'une même religion, ni d'un même sentiment, se persuadant, et s'étant laissé persuader par | |
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quelques-uns du magistrat, qu'une armée qui manquoit de toutes les choses nécessaires, les incommoderoit et seroit leur ruine plûtôt que leur salut; que la ville n'étant pas fortifiée, n'étoit pas en état de faire la moindre résistance, et voiant que quelques-uns des principaux habitans se retirant avec leurs meubles en Hollande, remplissoient la ville de désordre et de confusion, le firent remontrer au prince d'Orange, et le firent prier de considérer ce qu'il pourroit faire pour la conservation et pour le repos de la ville et de la province. Ce fut le 15 juin. Le 16, le magistrat pria le Prince d'y entrer; le Prince y consentit, et se trouva à l'assemblée des Etats, qui disposèrent les bourgeois à recevoir les régimens d'infanterie de Zuylestein et d'Aquila, et celui de cavalerie de Langerak, tous trois de leur département. Beverningk qui y étoit présent, en donna avis aux Etats d'Hollande, et ceux-ci dèz le lendemain aux Etats Généraux. Le 17 le Prince au lieu d'y faire entrer ces régimens, leur déclara, que la garnison y seroit inutile si l'on ne mettoit le feu dans les quatre faux-bourgs, et ce sans perdre un moment de tems. Les élus, c'est à dire les députéz du clergé, et ceux de la noblesse, y consentirent. Mais les députéz de la ville s'emportèrent fort à cette ouverture, et dirent, qu'il seroit impossible d'y faire consentir les habitans. C'est pourquoi le Prince jugeant ne devoir point hasarder l'armée dans une ville de si grande garde, et si peu capable de faire une vigoureuse résistance, trouva bon de retourner à son quartier. En l'état où étoit l'armée, et de la façon qu'elle étoit campée, il étoit trèz facile aux François de lui faire une insulte, et de l'enlever. C'est pourquoi le Prince pour ne s'embarasser point d'artillerie en sa retraite, l'avoit dèz le 15 envoiée à Leyde; et les Etats Généraux qui désespéroient de la conservation de la province d'Utrecht, et qui avoient sujet d'apréhender la perte de la Hollande, avoient ordonné, dèz le 16, au Prince de ramener l'armée en cette province, et lui avoient fait savoir leur résolution par Corn. Hop, pensionnaire de la | |
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ville d'Amsterdam, par Philippe de Zoete de Lake de Villers, seigr. de Zéventer, député au conseil d'état de la part des Etats d'Hollande, et par Corn. Slinguelandt, secrétaire du même conseil. Ces députéz qui devant que d'aller à la Haye avoient vu les désordres de la ville, où ils avoient couru péril de vie, n'avoient point eu de peine à la faire prendre, et ne purent être disposéz à en faire différer l'exécution: quoique les députéz leur représentassent, que les affaires de la ville étoient bien changéez; que les habitans qui avoient refusé d'y admettre garnison, ofroient d'y recevoir même toute l'armée, et que le Prince lui-même y consentiroit si l'on vouloit donner cette interprétation à la résolution. Ceux d'Utrecht prièrent le Prince d'en différer l'exécution, et il y auroit consenti. Mais les députéz plénipotentiaires qui avoient des ordres contraires, firent difficulté d'y aquiescer; si bien que l'armée décampa d'auprèz d'Utrecht, le 18, de grand matin; nonobstant la protestation que les Etats de la Province firent faire par leurs députéz: que se trouvant de cette manière abandonnéz de leurs alliéz, ils se trouvoient contraints de se servir des moiens qu'ils jugeroient les plus propres pour leur conservation. L'étonnement fut si grand dans la ville, que les Etats, résolus de députer au roi, afin de tâcher de prévenir leur ruine entière, et ne sachant qui ils pourroient emploier à cette députation, jettèrent d'abord les yeux sur un nommé Holleval, natif de Lille, d'où il étoit venu demeurer à Utrecht, et sur un François, nommé Pierreville, qui y tenoit cabaret, pour les envoier au roi en qualité de députéz. L'un des deux trompettes, que les Etats de cette Province-là avoient fait partir cepandant, pour aller quérir le passeport pour les députéz, aiant trouvé le roi auprèz de Doesbourg, et étant revenu avec un sauf-conduit et escorte pour les députéz qu'ils y vouloient envoier, les Etats revinrent aussi de leur premier étourdissement, et députèrent Tuyl de Serooskerk, seigr. de Wellant, Jacob van der Does, seigr. de Berkenstein, et van der Voort, bourguemaître de la ville d'Utrecht, de la part des trois ordres des | |
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Etats; qui partirent le même jour, que ceux des Etats Généraux y passèrent pour aller trouver le roi au sujet de quelqu'ouverture d'acomodement. Leur intention étoit de ne faire demander qu'une sauvegarde en attendant que le traité se fit: ce dont ils donnèrent le même jour avis aux Etats Généraux. Les députéz à qui le roi acorda la conservation de leurs privilèges, tant pour la Province que pour la ville capitale, n'étoient pas encor de retour. Les petites villes de Wageningen, et de Rhenen avoient obtenu sauvegarde dèz le 15. Arnhem, une des villes capitales de la Gueldre avoit été assiégée dèz le 14, et prise le 16; et Thiel et Wyck avoient reçu des sauvegardes le 17, lorsque le comte de Rochefort aiant pris Amersfort le 19, et Naerden le 20, sans aucune résistance, s'achemina le 23 vers Utrecht, où il entra le même jour avec 100 mousquetaires à cheval de la garde du roi, et se fit donner les cléz des portes, logea l'armée dans les fauxbourgs, et aux environs, fit des corps-de-garde en toutes les places publiques, et se rendit par ce moien maître de la ville. Les députéz qui étoient cepandant arrivéz auprèz du roi, lui demandèrent des sauvegardes. Mais Louvois leur répondit, que le roi n'étoit pas là pour donner des sauvegardes, mais pour faire des conquêtes; et qu'ils pouvoient aller quérir un plus ample pouvoir de leurs committens, afin d'aprendre sur cela l'intention du roi, son maître. A leur retour Louvois leur acorda, au nom du roi, que l'exercice de la religion réformée, ainsi qu'elle y étoit prêchée, seroit conservé, aussi bien que l'université et les écoles. Que le gouvernement de la Province, ainsi qu'il étoit constitué, demeureroit en la même forme, et aux mêmes personnes qui en étoient en possession, et que les droits et privilèges des trois membres de l'Etat demeureroient en leur entier. Que la cour de justice, et toutes les autres charges et offices seroient continuéz aux mêmes personnes qui les possédoient. Que toutes les dettes et charges, tant à l'égard des sommes principales, que des rentes et intérêts hypothéquéz sur la Province, sur les villes, | |
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et communautéz, seroient continuéez. Que la province, la ville capitale, ni aucune des autres villes ne seroient point démembréez pour être donnéez à quelque seigneur particulier. Enfin que la province d'Utrecht seroit comprise au traité que les Etats pourroient faire avec le roi. Ils firent instance aussi à ce que le roi ratifiât l'aliénation des biens d'église qui avoit été faite jusqu'alors par les Etats de la Province, et que les chanoines, quoique de la religion réformée, fussent maintenus en la jouissance de leurs prébendes leur vie durant; ce qu'ils obtinrent aussi. Mais Louvois ne voulut pas permettre qu'il en parût rien dans la capitulation, afin de n'ofenser point le siège de Rome, qui n'a déjà que trop mauvaise opinion (à ce qu'il disoit) des sentimens religieux des François, et obligeroit sans doute le roi à s'en dédire. Ce furent là les avantages que le roi acorda à la province d'Utrecht lorsqu'il en étoit déjà le maître. Mais ceux à qui il en a donné le commandement, n'exécutent pas un seul point de la capitulation. Ces progrèz surprenants étonnoient même les conquérants. Mais la cour de France au lieu de faire son profit de la réduction d'Utrecht, et d'entrer par là dans le coeur de la province d'Hollande avant qu'elle pût fortifier les avenues, et inonder sa campagne, s'arrêta là, et donna au prince d'Orange le loisir de fortifier les postes, en sorte que toutes les forces de la France n'ont pas osé les attaquer depuis qu'ils ont été mis en état de défense. L'on ne peut pas dire bien certainement ce qui a empêché le roi, qui demeura plusieurs semaines campé au village de Zeyst, à deux lieues de la ville, et ses ministres, de suivre la fortune où elle les conduisoit, et de se servir de l'ocasion qui se présentoit à eux, et qui les convioit à se rendre maître des principales villes d'Hollande dans fort peu de jours. Le Prince n'avoit en tout que cinq régimens d'infanterie, pour défendre cinq postes, que l'on ne pouvoit pas mettre en état de défense d'abord, parceque la sécheresse étant extrême et inouie, l'eau dont on prétendoit couvrir la campagne étoit trèz basse, en sorte que les écluses ne faisant pas l'effet | |
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que l'on s'en étoit promis, le païs ne pouvoit pas être sauvé que par une espèce de miracle. Je dirai ici en passant que de plus de 600 compagnies d'infanterie que les Etats d'Hollande paioient, il n'y en avoit alors que quatre dans la Province, et elles étoient toutes quatres Françoises. De sorte qu'il n'étoit pas en leur puissance, ni en celle des magistrats des villes, de s'oposer au débordement des humeurs qui a pensé noier tout le païs, et l'auroit noié en effet, si au sortir de cette crise l'on n'avoit reconnu la nécessité d'un mal qui a servi de remède, puisqu'aparemment le païs ne pouvoit pas être sauvé, si l'on ne réunissoit en une seule personne la première puissance, laquelle l'autorité partagée et la division avoient plûtôt détruite qu'afoiblie. Le Prince prit son quartier à Nieuwerbrug, entre la petite ville de Woerden et le village de Bodegrave; et assigna au prince Maurice, Muyden, qui couvroit Amsterdam; à Würtz Gornichem; au comte d'Hoorn, général de l'artillerie, un poste entre Goude et Oudewater, nommé Goejan Verwellensluys; et à Louvignies, Schoonhoven. Le Prince avait résolu de mettre garnison dans Woerden, parceque ce poste couvroit toute cette partie de la Hollande que l'on apelle le Rhinland, et l'on y avoit déjà fait reconnoître les maisons où l'on devoit loger les officiers. Mais pendant qu'il ne pouvoit pas déterminer à qui il en donneroit le gouvernement, que le Rhingrave Charles, et le seigneur de Zuylestein, deux personnes qui lui étoient également chères, demandoient, les François y entrèrent, et en ont tellement incommodé la Hollande, que l'on peut dire que c'est de cette place qu'est sorti le feu qui a embrassé Bodegrave et Swammerdam, et qui a failli de perdre toute la Province vers la fin de cette année. Ceux des ministres qui avoient témoigné une fermeté inébranlable, et même un peu trop de fierté dans la prospérité, manquèrent tout-à-coup de courage, abandonnèrent le timon, et désespérant de la République, ne songeoient plus qu'à sauver les débris du naufrage qu'elle alloit faire. Le Cons. Pension- | |
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naire qui avoit prévu le mal, parcequ'il avoit une parfaite connoissance de celui de l'Etat, et qu'il savoit, qu'aiant à combattre les ennemis publics au dehors, et ses ennemis particuliers au dedans, avoit dit plusieurs mois auparavant à plus d'un ministre étranger, que si l'ennemi forçoit le passage de l'Issel, la Hollande seroit contrainte de capituler, et tâcheroit d'obtenir de la France des conditions qui lui conserveroient sa religion et sa liberté, sans aucune considération de l'intérêt des Etats et des Provinces-Unies. Il le dit bien à dessein que ces ministres représentassent aux princes, leurs maîtres, le danger où ils s'exposoient en laissant perdre l'Etat faute de secours: mais ceux qui ont eu quelque part à sa confidence, savent que ce ministre, qui ne pouvoit pas ignorer les foiblesses du gouvernement, et qui prévoioit bien l'effet des désordres qui y régnoient, ne dissimuloit pas toujours la mauvaise opinion qu'il avoit du succèz de cette guerre. Et de fait, dèz qu'il eut apris que les François étoient dans la Bétuwe, il alla dèz les quatre heures du matin trouver G. Fagel, greffier des Etats Généraux, qui étoit dans son lit, et lui dit, qu'il ne voioit plus d'aparence, ni de moiens de sauver l'Etat, ni la Province. Fagel repartit, par je ne sais quel pressentiment, qui bien souvent n'est qu'un effet de l'imagination, que l'Etat s'étoit autrefois trouvé en de plus grandes extrémitéz; que Dieu l'en avoit tiré, et qu'il l'en tireroit encor, pourvu que l'on ne s'abandonnât point au désespoir dans un tems où une bonne résolution pouvoit arrêter l'ennemi, et sauver la province d'Hollande. Qu'il ne désespéroit point de la République, et que si le pensionnaire abandonnoit le timon, il ne l'abandonneroit pas. Il faut croire que ce fut l'excèz de son courage qui le fit parler en ces termes, lorsqu'il n'y avoit plus d'aparence de pouvoir sauver l'Etat; vu qu'il ne tenoit qu'aux François de recevoir la plûpart des villes qui étoient prêtes de se rendre. Il y en avoit qui ne l'avoient pas dissimulé dans l'assemblée des Etats d'Hollande. L'on avoit déjà parlé plus d'une fois de la transférer, comme aussi celle des Etats Généraux, et le Conseil | |
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d'Etat à Amsterdam, où on avoit déjà fait les préparations nécessaires pour les recevoir. L'on y avoit porté l'argent qui se trouvoit en assez bonne quantité au bureau du receveur général d'Hollande; et le magistrat tenoit des lettres prêtes par lesquelles il prioit le roi de France d'épargner la Haye, comme le lieu où étoient gardéz les chartres, archives, et régistres d'une province qu'il alloit aparemment annexer à sa couronne. Pour dire la vérité, il n'y avoit point de prudence humaine qui put remédier aux désordres dans lesquels l'Etat étoit comme abîmé. Un ennemi puissant et victorieux n'étoit pas seulement aux portes; mais il y en avoit un autre bien plus dangereux dans le coeur du païs, où les habitans enragéz d'une révolution si surprenante, achevoient cepandant de se déchirer les entrailles. Le peuple avoit perdu le respect qu'il devoit au magistrat, et le considérant comme la cause, quoiqu'innocente, ou du moins indirecte, de toutes ces disgraces, emploioit contre ses supérieurs les armes qu'il eut pu plus honorablement et plus utilement oposer aux ennemis de l'Etat. S'attachant même à ce qu'il y a de plus sacré, même parmi les ennemis les plus enveniméz, l'on vit à Amsterdam arrêter avec violence les députéz que la ville d'Edam envoioit à l'assemblée des Etats de la Province. La postérité aura de la peine à le croire, et néanmoins il n'est que trop vrai qu'on leur ôta leurs lettres de créance ou leur instruction, qu'on les emmena par force à l'hôtel de ville, et que l'on crocheta le secret de leur commission, qui faillit de les faire perdre, parceque leurs committens étoient d'avis que l'on traitât avec la France. Nonobstant cela le greffier ne voulut pas désespérer, et l'évènement à fait connoître néanmoins qu'il avoit raison. Mais il ne la put faire comprendre, ni à l'assemblée des Etats Généraux, ni à celle des Etats d'Hollande. De toutes les places qui couvrent cette Province, comme Bois-le duc, Berg-op-zoom et Bréda, il n'y en avoit pas une qui eut pu amuser l'armée de France quatre jours, non plus que Gertruydenberg, Heusden, Gornichem, et les autres villes d'Hollande. Tellement | |
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que celles d'Haerlem, Leyde, Goude, et les autres craignant d'être surprises, déclarèrent qu'elles n'étoient pas en état de faire la moindre résistance, et ainsi qu'elles étoient d'avis que l'on envoiât au devant du roi de France, et que l'on traitât avec lui. L'un des députéz de Leyde, qui avoit en ce tems-là, la qualité de bourguemaître, et qui depuis a été avancé par le prince d'Orange à un emploi plus honorable, en fit la première ouverture, en disant, qu'il ne falloit pas croire, que leur ville, quoique fort peuplée, s'oposât au progrèz des armes de la France. Qu'elle seroit la première à recevoir garnison Françoise et à prévenir par là la ruine et la destruction. Des 36 conseillers dont le magistrat d'Amsterdam est composé, les 30 étoient dans les mêmes sentimens. De sorte que sans la vigoureuse oposition d'un des bourguemaîtres, qui fut aussitôt secondé d'un autre, dont l'histoire fera connoître les noms, cette grande ville alloit tomber dans la même foiblesse. L'assemblée des Etats d'Hollande y tomba, et alla ensuite en corps à celle des Etats Généraux, où l'affaire aiant été, mise en délibération, personne ne s'y oposa. Mais les députéz de Zéelande protestèrent d'abord, qu'ils ne soufriroient pas que l'on envoiât au roi de France, si l'on ne députoit en même tems au roi d'Angleterre, et obtinrent des alliéz cette double députation aux deux rois. L'on envoia au premier, Jean de Guent, lieutenant des fiefs de Fanquemont dans le païs d'Outremeuse, P. de Groot, conseiller de la ville de Rotterdam, G. de Nassau, seigr. d'Odyck, représentant la personne de mr. le prince d'Orange, comme premier noble de Zéelande, et van Eeck, tous députéz à l'assemblée des Etats Généraux de la part des Provinces de Gueldre, d'Hollande, de Zéelande, et de Groningue: et vers le roi d'Angleterre allèrent Corn. de Terestein de Halewyn, conseiller en la cour de justice d'Hollande, Jean Boreel, ci-devant ambassadeur en Angleterre, où il étoit encor, Everard de Weede, seigr. de Dycvelt, et de Guemmenick, de la part de la Hollande, Zéelande, Utrecht, et Frise. Les premiers avoient ordre de prier le roi de France | |
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de faire ouverture des conditions sous lesquelles il voudroit faire cesser ses armes d'agir; et les autres devoient prier le roi de la Grande Brétagne, que l'on croit devoir avoir quelque considération pour la religion, et pour les intérêts du prince d'Orange, quoiqu'en effet il eût autant d'indifférence pour l'un que pour l'autre, non seulement de s'en expliquer; mais aussi de tâcher de disposer le roi de France à donner la paix à ces Provinces, et se contenter de conditions raisonnables. L'on eut de la peine à faire passer cette résolution, laquelle prostituoit en effet la réputation de l'Etat, et faisoit croire à tout l'univers, qu'il alloit capituler pour se rendre à discrétion. Gisbert van der Hoolck, député d'Utrecht, quoiqu'agé de 74 ou 75 ans, s'y oposa avec vigueur, et le président à l'assemblée à son tour de semaine, refusa de conclure, comme G. Fagel, greffier des Etats Généraux, quoiquil eût la complaisance de voir les députéz de quelques provinces, pour les disposer à consentir à cette députation, refusa de signer; comme le Cons. Pensionnaire qui a coutume de coucher par écrit les résolutions des Etats d'Hollande, n'avoit pas voulu dresser celle-ci, bien qu'aprèz avoir pu se résoudre à conclure, il ne devoit pas faire de difficulté de mettre sa conclusion par écrit. Les députéz destinéz au roi de France partirent de la Haye le 16 juin, et arrivèrent le 22 au château de Keppel auprèz de Doesbourg, où étoit le quartier de roi. Mais devant qu'ils y arrivassent, les Etats de Groningue désavouèrent formellement cette députation; de sorte que mr. Eeck qui n'avoit consenti à la députation que sous le bon plaisir de ses committens, craignant d'être désavoué, fit le malade, se retira pendant que les autres dormoient, à Woerden, ensuite à Nieuwerbrug auprèz du prince, et de là à Amsterdam. Le lendemain aprèz que les députéz furent arrivéz, le marquis de Louvois, et Pomponne, l'un des secrétaires d'Etat, leur vinrent demander ouverture de leur commission, et des conditions que les Etats vouloient faire au roi. Les députéz repondirent, que leurs maîtres avoient cru témoigner plus de respect pour S.M. en | |
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les recevant de sa bouche, qu'en les lui ofrant; de sorte qu'ils aprendroient d'eux l'intention du roi. Les deux ministres en aiant fait raport à S.M. ils reçurent ordre de dire aux députéz, que le roi entendoit qu'ils parlassent, et que l'on ne négocieroit point avec eux qu'ils n'eussent plein-pouvoir de traiter et de conclure. Que les Etats devoient considérer en quel état les affaires étoient, et en quel état elles pourroient être réduites dans fort peu de jours. Sur cette déclaration les députéz résolurent de renvoier de Groot à la Haye pour y représenter l'état de la négociation, et demander les dernières intentions de leurs committens, avec un plein-pouvoir, afin de la pouvoir continuer et conclure. Sur le raport que Groot en fit, la plûpart des députéz de l'assemblée d'Hollande allèrent faire un tour chez eux pour le communiquer à leurs committens, promettant de se rendre à la Haye le dimanche 26 juin, à huit heures du soir. Quelques jours auparavant il y étoit arrivé un accident dont l'on ne peut omettre de dire les circonstances, si l'on ne veut manquer à une des principales parties de cette relation. Le peuple voiant tant de villes qu'il jugeoit pres qu'imprenables, se perdre dans si peu de jours, et prendre des résolutions qui mettoient l'Etat à la discrétion des deux rois, se mit dans l'esprit, que ceux qui étoient le plus obligéz à conserver le Païs, étoient ceux qui le trahissoient. Et comme Jean de Witt, Cons. Pensionnaire d'Hollande, étoit celui qui avoit eu la plus grande direction des affaires, aussi fut ce sur lui que le peuple déchargea principalement sa haine. Il le soupçonnoit, et l'acusoit publiquement d'intelligence avec la France, d'avoir vendu le païs par l'entremise de de Groot, et du colonel Monbas, et d'avoir fait remettre des sommes immenses à Vénise, à dessein de s'y retirer aprèz que les François se seroient rendus maîtres de ces Provinces. Cette préocupation étoit si universelle, que le 25 du même mois de juin, Jacob et Pierre van der Graeff, frères, et fils d'un conseiller de justice de la cour d'Hollande, Adrien Borrebach, commis du bureau de la poste | |
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de Mastricht, et Corn. de Bruyn, marchand grenetier, aiant soupé, et bu ensemble dans la maison du conseiller, qui étoit absent avec le reste de sa famille, et voiant en sortant sur les onze heures du soir, aux chandelles qui éclaroient la salle des Etats d'Hollande, qu'ils étoient encor assembléz, résolurent d'attendre le Cons. Pensionnaire au passage, et de le tuer. Et de fait, dèz qu'ils le virent venir de dessous la porte qui fait la prison de la cour, acompagné d'un valet qui portoit un flambeau, et d'un autre qui le suivoit, l'un des quatre s'avançant, ôta le flambeau au laquais, et l'éteignit. Les autres le chargèrent en même tems, le blessèrent en plusieurs endroits, et le laissant étendu sur le pavé comme moribond, ils se retirèrent. En se retirant aprèz l'action l'un des assassins apellant l'un des deux frères par son nom, les bourgeois, qui étoient de garde, ocupèrent les avenues de la maison du père, et prirent l'ainé de Graeff, ainsi qu'il pensoit y entrer. Sa chemise ensanglantée, et la confusion qui suit inséparablement les actions de cette nature, étant des témoins irréprochables de son crime, on le conduisit à la prison ordinaire, où il tâcha bien d'abord de le déguiser; mais s'en sentant convaincu en sa conscience, aussi bien que par la fuite de son frère et des autres complices, il ne voulut plus résister à la vérité. La cour de justice, aiant instruit le procèz au prisonnier, le condamna à avoir la tête tranchée pour crime de lèze-majesté, par l'assassinat commis vers les Etats d'Hollande, souverains de la province, en la personne de leur premier ministre, et l'exécution se fit le 29 du même mois, sans aucune émotion: quoique l'on eût grand sujet de l'apréhender, parceque la plûpart de ceux qui étoient capables de l'exciter, aprouvoient l'action. Presqu'en même tems quatre autres garnements se présentant à la porte de Corn. de Witt, frère du pensionnaire, qui étoit au lit et malade, se mirent en devoir d'entrer et de le tuer. Mais ils en furent empêchéz par le magistrat, pour lequel l'on avoit encor quelque considération. Le Cons. Pensionnaire gardoit le lit à cause de ses blessures | |
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lorsque de Groot arriva à la Haye. De sorte que ce fut en son absence, mais non pas sans son avis, ou du moins sans sa participation, que les Etats d'Hollande résolurent de traiter avec la France, et de donner pouvoir pour cela aux députéz. Cette résolution aiant été prise le 26 au soir, quoique les députéz d'Amsterdam, que l'on croioit s'être absentéz à dessein, afin de n'avoir point de part à une résolution qu'ils vouloient bien que l'on prît sans eux, ne fussent pas arrivéz, ils allèrent en corps à l'assemblée des Etats Généraux, et y firent prendre une résolution conforme à leur avis, et sentiment. Adrien de Duvenwoorde, et Frédéric van Dorp, seigr. de Masdam, qui portoient la parole, dirent: Que les Etats d'Hollande étoient d'avis que l'on traitât avec la France en toutes les façons, ou comme ils disoient in omni modo: ce que quelquesuns firent changer, et y firent couler le mot, de meliori; et ce furent là les termes qui furent couchéz dans le pouvoir. G. Fagel en parlant à de Groot, qui le devoit porter aux autres députéz, lui dit, qu'il pouvoit bien aller vendre sa patrie le plus cher qu'il pourroit; mais qu'il auroit de la peine à la livrer. Et sur ce que l'autre répondit, qu'il valoit mieux sauver une partie de son bien que de le perdre tout à fait, Fagel répliqua, qu'il n'avoit que faire de prendre tant de soin de son bien; qu'on laboureroit ses terres, et qu'on y semeroit du sel, afin que même la troisième génération n'en jouit pas. La Zéelande n'y voulut point consentir, et ses députéz reprochèrent même à ceux d'Hollande, que leur intention étoit d'abandonner la souveraineté de l'Etat à la France; qu'ils aimoient mieux vendre leur province à l'étranger que d'y reconnoître le gouvernement du prince d'Orange; et qu'ils vouloient engager leurs alliéz dans une même ruine avec eux. Mais la plûpart des villes d'Hollande, et particulièrement celles d'Haerlem, Leyde, Goude, et Rotterdam, plus exposéez aux insultes des François, que n'étoient celles de Zéelande, étoient si fort allarméez qu'elles vouloient que l'on pressât de Groot de retourner sur ses pas, et d'achever le traité. Il n'y alla pourtant qu'aprèz | |
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que les Etats d'Hollande lui eurent donné une déclaration formelle par laquelle ils garantissoient sa personne et son bien, comme aussi celui de la dame de Monbas, sa soeur, de ce qui lui pourroit arriver en son absence, et aprèz son retour: ce dont le magistrat de Rotterdam lui donna une garantie particulière. Elles croioient voir les François à leurs portes; et dans la crainte de voir ses biens exposéz au pillage, chacun les sauvoit à Amsterdam, à Rotterdam, en Zéelande, et même jusqu'à Hambourg, et Anvers. Et de fait; l'on peut dire que c'est un miracle que les François ne se soient pas rendus maîtres de la Hollande en moins de huit jours, comme ils auroient pu faire, s'ils eussent pu se résoudre à faire avancer 5 ou 6000 chevaux dans cette Province. C'est la maladie du prince de Condé, qui sans sa blessure auroit sans doute poussé sa fortune, parcequ'il l'avoit promis au roi, et s'étoit chargé de l'exécution, qui l'a sauvée. Car de croire, que la négociation des députéz y ait contribué, c'est se tromper; parceque le succèz en étant trèz incertain, comme en effet elle n'a pas réussi, les ministres de France qui parloient des quatre provinces comme d'une conquête infaillible, n'avoient garde de permettre que sous ce prétexte l'on fit cesser les hostilitéz. Dèz le même jour que de Groot partit, les Etats généraux en expliquant les termes du pouvoir qu'ils lui avoient donné, déclarèrent: Qu'en donnant aux députéz un pouvoir illimité, leur intention étoit que l'on ne conclût rien avec la France, au préjudice de la souveraineté de l'Etat, et de chaque province en particulier, et sans cette condition expresse, que toutes les provinces fussent rémises en l'état ou elles étoient devant la guerre. Tellement qu'on ne leur laisoit que la disposition des places dépendantes de la généralité, hors du ressort des Provinces: quoiqu'il soit certain que celui qui est maître de celles-là, l'est aussi de celles-ci. Les députéz étant retournéz à la cour de France, aprèz avoir communiqué leur pouvoir aux ministres, ofrirent la ville de Mastricht, avec une somme de 6 ou de 8 millions. Mais ces | |
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ofres furent rejettéez, et Louvois et Pomponne leur demandèrent, au nom du roi, tout ce que l'Etat possédoit hors des sept Provinces, de quelque façon qu'il pût le posséder: la ville de Delfziel, avec 20 paroisses les plus proches: le comté et la ville de Meurs, pour le donner à l'électeur de Cologne, moiennant que l'Etat dédomageât mr. le prince d'Orange: la ville de Grolle, Brevoort, Lichtenwoorde et Borculo pour l'égard de la souveraineté, et finalement tout ce qui est entre les deux rivières le Rhin et le Leck, et les Espagnols. Toutefois que le roi permettroit que la Bétuwe demeurât à l'Etat, moiennant qu'on cédât la ville et le païs de Bommel, les forts de Woorn, St. André, et Crèvecoeur, le château de Louwestein et le Clundert: que l'on rasât le fort de Scenck, et que l'on démantelât la ville de Nimègue: que l'on donnât aux François la liberté d'aller et de venir dans le païs sans être visitéz, ni obligéz de paier aucuns droits: que les déclarations faites touchant le commerce fussent révoquéez, et les affaires rétablies en l'état où elles étoient en l'an 1662, sans réciproquation pourtant: que les François fussent déchargéz du droit de fret, et au surplus traitéz comme les nations les plus favoriséez: que l'on feroit à loisir un traité particulier touchant les intérêts de la compagnie des Indes Orientales: que les catholiques romains auroient le libre exercice de leur religion, de sorte que dans les villes où il y auroit plus d'une église, on leur en donneroit une, et que dans celles où il n'y en auroit qu'une, ils auroient la liberté d'en bâtir une à leurs dépens, comme ils pourroient faire aussi dans les villages: que les curéz fussent entretenus des biens d'église, et les catholiques romains admis aux magistratures et aux charges publiques: qu'il y auroit compensation de prétentions entre le roi de Danemarc et cet Etat, qui paieroit à la France huit millions d'or, c'est à dire 20 millions de livres, monnoie du païs, pour les fraix de la guerre: et feroit tous les ans présenter par une ambassade extraordinaire, ou du moins dans une audience publique, une médaille d'or, du poids de 5 à 6 pistoles, portant | |
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des marques de la reconnoissance de l'Etat, pour avoir reçu pour la seconde fois le Païs, de la France. Mr. de Pomponne qui connoissoit l'état de ces Provinces, et l'humeur des habitans, étoit d'avis, que l'on n'insistât pas trop sur l'article du commerce, sur celui de la religion, et sur celui de la médaille, et représenta que l'un touchoit leur intérêt, que l'autre ofensoit et blessoit la réputation de l'Etat, et que le troisième embarassoit la conscience, et même renversoit en quelque façon la constitution du gouvernement; et dit que mr. de Groot ne reviendroit pas. Mais mr. de Louvois dit, qu'il connoissoit la timidité des Hollandois, qu'ils céderoient tout, et qu'ils croiroient avoir conquis ce qu'on leur laissoit. Pour ce qui est de l'intérêt du roi d'Angleterre, les ministres de France disoient positivement, que le roi, leur maître, n'étoit pas obligé de lui garantir quoique ce soit, sinon le salut du pavillon, et un droit pour la pêche du haran, avec ce que ses armes avoient conquis pendant cette campagne. Ces demandes étonnèrent les députéz; et néanmoins apréhendant quelque chose de pis, et considérant les ordres exprèz qu'ils avoient de traiter et de conclure, ils commencèrent à marchander avec les ministres qui se relâchoient de tems en tems sur plusieurs points trèz importans, et faisoient bien connoître qu'ils se rendroient encor faciles sur plusieurs autres, si les députéz eussent eu l'envie aussi bien qu'ils avoient ordre de conclure. Tellement que ceux-ci craignant que les François ne les prissent au mot, et ne les obligeassent enfin à faire le marché, jugèrent à propos de renvoier de Groot, pour aprendre les dernières intentions de leurs committens, et de le faire acompagner par d'Odijck. Ils arrivèrent à la Haye le premier jour de juillet, et le même jour de Groot fit son raport. Mais le dernier alla le même jour en Zéelande, où l'on avoit désavoué la députation, et les Etats de la Province avoient écrit aux Etats Généraux, qu'ils ne permettroient pas que l'on traitât avec la France; mais qu'ils étoient résolus de se défendre jusqu'à la dernière goute | |
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de sang; que la résistance que les François avoient trouvée à Aerdenbourg faisoit connoître qu'ils n'étoient pas invincibles; et qu'il valoit mieux tout hasarder que de faire une paix honteuse et infâme. Les députéz d'Amsterdam tenoient le même langage, et fortifioient leur ville. Pour ce qui est de l'affaire d'Aerdenbourg, en voici les particularitéz. Les François aiant apris que les fortifications de cette petite, mais ancienne ville de Flandre, située à une lieue de l'Ecluse, avoient été en partie démolies au commencement de l'année, formèrent, au mois de juin, le dessein de la surprendre. Pour cet effet ils tirèrent de Courtray, de Lille, d'Ath et des autres villes voisines, environ 4 à 5000 hommes, qui aiant passé le canal entre Gand et Bruges sans la permission des Espagnols, envoièrent, la nuit du 25 au 26, sommer la ville de se rendre. Il n'y avoit dans la place qu'environ 50 soldats, et 2 ou 300 bourgeois, qui répondirent au tambour qu'ils se défendroient; et ils se défendirent en effet. Les François commencèrent l'attaque à 11 heures de nuit, se rendirent maître de la demi-lune qui couvre la porte, et ils l'étoient presque du rampart. Mais ceux du dedans, quoique le commandant fût absent, et la garnison trèz foible, firent une si vigoureuse résistance, à laquelle les femmes mêmes eurent bonne part, que les François furent contraints de se rétirer avec perte, dans l'intention de remettre la partie au lendemain. Cependant le bruit de cette attaque aiant été bientôt porté dans le voisinage, Albert Spinteler qui levoit un régiment pour le service de l'Etat, et avoit sa place d'armes en ces quartiers-là, se jetta dans Aerdenbourg avec 230 hommes, et un capitaine de navire de Zéelande, nommé Jean Mathuyssen, en aprocha avec 200 hommes. De sorte que lorsque les François, qui avoient aussi été renforcéz de 2000 hommes, retournèrent la nuit suivante à l'attaque, non seulement ils trouvèrent plus de résistance de dedans, mais aussi le capitaine de navire les chargeant en queue, les contraignit de quitter la partie, aprèz s'être opiniâtréz au combat jusqu'au jour. Les secours conti- | |
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nuels que l'on préparoit en Zéelande, et que l'on faisoit passer de tems-en-tems, avec la résolution que l'on prit d'inonder la campagne voisine, obligea les François à se retirer, en laissant plus de 600 morts sur la place, et prèz de 500 prisonniers, et emmenant un grand nombre de blesséz. Cette rencontre fit effectivement connoître que les François n'étoient pas invincibles, et que, bien que l'on ne puisse pas disputer à cette nation-là la gloire de la vertu militaire, il faut avouer pourtant, qu'ils doivent leurs conquêtes de cette année à la lâcheté et même à la trahison de quelques-uns de ceux qui étoient dans les places, et qui au lieu de défendre leurs postes, les abandonnèrent, plûtôt qu'à la valeur de ceux qui les ont pris. Je dirai ici en passant, que les nouvelles du mauvais état des affaires aiant été portéez dans l'armée navale, les matelots, qui croioient le Païs vendu et perdu, refusoient de servir un Etat qu'ils croioient n'être plus, jusqu'à ce que l'amiral et tous les autres officiers leur eussent promis, que si le Païs changeoit de maître, et se donnoit à un souverain qui ne voulut pas reconnoître leurs services, ils les mèneroient en des lieux où ils pourroient vendre les vaisseaux, et se faire paier de leurs gages du provenu. Cela les contenta en quelque façon; mais ils ne laissèrent pas de s'inquièter jusqu'à ce qu'aprèz la mort des deux mmrs. de Witt, dont nous parlerons tantôt, et aprèz l'avancement du prince d'Orange aux charges de ses ancêtres, ils commençèrent à s'apaiser, et à espérer le rétablissement des affaires dans leur premier état. Alors ce ne fut plus qu'une même passion de tout l'équipage à demander le combat, où chacun prétendoit donner des preuves de son zèle pour le service du Prince. Les députéz qui avoient été envoiéz au roi d'Angleterre, rencontrèrent, en arrivant dans le roiaume, le duc de Buckingham et le lord Arlington, un des secrétaires d'Etat, que le roi, leur maître, envoioit au roi de France, et leur dirent, que la France aiant déjà conquis trois provinces, se rendroit sans doute maître des quatre autres, et se verroit dans peu de | |
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jours souverain de toutes les Provinces-Unies. Les deux Anglois qui étoient en partie cause de l'engagement que le roi, leur maître, avoit pris avec la France, craignant que celle-ci ne profitât seule de l'alliance commune, en furent si étonnéz, particulièrement quand ils aprirent que le marquis de Louvois en traitant avec mr. de Groot, avoit dit, que la France n'étoit obligée de garantir à l'Angleterre, sinon les conquêtes qu'elle auroit faites jusqu'au jour du traité, qu'ils ne purent pas s'empêcher de dire, qu'il falloit que l'on arrêtât le progrèz des armes de France. Qu'ils alloient pour cet effet passer la mer, et que si les Etats étoient disposéz à acorder au roi les conditions contenues dans un billet qu'ils donnèrent aux députéz, la paix seroit bientôt faite. Ces conditions étoient: que les vaisseaux, et mêmes les arméez navales entières de cet Etat, salueroient le pavillon d'Angleterre partout indistinctement. Que l'on permettroit aux habitans de ces Provinces de pêcher librement le haran, en paiant tous les ans 10.000 livres sterlings: que pour l'assurance du paiement de cette somme l'on mettroit entre les mains du roi, les villes de la Briele, Vlissingues, et l'Ecluse. Que les charges de capitaine général et de gouverneur de province seroient héréditaires dans la maison du prince d'Orange: et que faute d'héritiers capables d'en faire les fonctions, ou lorsqu'il y auroit un prince mineur, les Etats nommeroient un lieutenant, du consentement du roi d'Angleterre. Weede de Dycvelt, un des députéz, repassa la mer avec les deux seigneurs Anglois, qui l'en convièrent, afin que sa personne leur seroit d'escorte et de passeport dans un païs où l'on n'avoit pas grand sujet de les aimer, et où en effet leurs personnes comme ministres d'un roi, dont l'on croioit avoir tant de sujet de se plaindre, ne pouvoient, et ne devoient pas être en sureté, puisque l'on n'étoit pas obligé de considérer comme ministres et personnes publiques, ceux qui n'étoient pas envoiéz aux Etats, et n'avoient point d'adresse pour eux. Les députéz des Etats étoient persuadéz que dans l'étonnement | |
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où ils trouvèrent les ministres de la cour d'Angleterre, ils eussent pu l'obliger de faire un traité, s'ils eussent eu pouvoir de déclarer, que l'Etat étant contraint de traiter avec l'une des deux couronnes, ils s'en retourneroient sur leurs pas pour aller conclure avec la France si l'Angleterre l'abandonnoit C'est ce que le Duc et le Lord leur vouloient faire croire, et ce pouvoit être leur sentiment en ce tems-là, tant parcequ'ils croioient trouver tout le païs perdu, et entre les mains des François, que parceque la France en traitant avec les députéz de l'Etat, n'avoit point eu de considération pour les intérêts de l'Angleterre. Mais ils changèrent bientôt dèz qu'ils virent les armes de France arrêtéez à l'entrée de la Hollande, et ces provinces fort peu disposéez à donner à l'Angleterre les importans postes de la Briele et de Vlissingues. Le roi d'Angleterre ne voulut pas permettre que les députéz qu'on lui envoioit, allassent à Londres, de peur que leur présence ne portât le peuple, qui n'aprouvoit point cette guerre à un soulèvement. L'auteur François qui a fait dans la cour d'un prince d'Allemagne sur des mémoires qui ne sont pas toujours fort justes, une relation de ce qui s'étoit fait cette année, dit que Colbert, ambassadeur de France à Londres, qui avoit entre les mains un fonds de 400.000 écus, pour être par lui emploiéz dans une rencontre importante, jugeant qu'il falloit s'en servir à l'ocasion de cette députation, en donna 200.000 au roi pour l'obliger à ne point écouter les députéz Hollandois. Je dirai ici en passant, que cet auteur qui a entrepris de faire le panégyrique du roi de France, et une apologie pour la justification des armes du roi d'Angleterre, plûtôt qu'une histoire, n'a pas toujours été bien informé: et comme il se trompe souvent, il trompe aussi son lecteur quand il dit, que les Etats avoient fait passer deux députéz en Angleterre devant que de députer au roi de France. Il est trèz certain que de Guent, de Groot, et d'Odyck partirent huit jours devant les députéz que l'on envoioit en Angleterre. C'est une bévue, et ce n'est pas la seule qui se trouve dans son écrit. | |
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Mais il sort des termes de sa profession, et s'érige en juge incompétent et téméraire quand, faisant violence à la vérité, il condamne les Etats d'infidélité et de perfidie; et il ne peut pas se justifier d'une calomnie et menterie impudente quand il fait le prince d'Orange complice de l'assassinat commis en la personne du Cons. Pensionnaire de Witt, le 22 juin: vu que l'on sait, que l'affaire ne fut préméditée qu'une heure devant qu'elle fut exécutée, et que quelques sentimens que le conseiller, père des deux complices de l'assassinat, eût pour le prince d'Orange, ceux qui le connoissent, savent qu'il n'étoit pas homme à se porter à une action de cette nature, ni à la conseiller à ses fils, qui s'y engagèrent par un emportement de jeunesse et de débauche, plûtôt que par une délibération préméditée. Dans les lettres de créance que les députéz emportoient, les Etats parloient aussi de l'intérêt de la religion: ce qui fâcha tellement la cour d'Angleterre, qu'Arlington dit aux députéz, que l'on y avoit fait expressément insérer cette période pour exposer le roi et la cour à la fureur du peuple, qui se plait à se servir de ce prétexte. Et afin que cela n'arrivât pas, l'on conduisit les députéz au château d'Hamptoncourt, où ils demeurèrent comme dans une prison honorable pendant tout le tems qu'ils furent en Angleterre. Les deux lords Anglois au contraire en arrivant en Hollande y furent parfaitement bien reçus et traitéz, et on leur fit toutes les civilitéz imaginables. De leur côté ils assuroient les députéz des Etats qui leur faisoient compagnie, que ce n'étoit pas l'intention du roi, leur maître, d'abandonner ces provinces à la France. Ils faisoient acroire partout, qu'ils alloient disposer la France à la paix: que le roi, leur maître, y étoit tout disposé, et qu'il l'obligeroit de se contenter de Mastricht, et de ces places sur le Rhin qui apartenoient aux électeurs de Cologne et de Brandebourg. Etant arrivéz au camp, ils tinrent le même langage au prince d'Orange, et l'assurèrent, que s'ils ne pouvoient pas disposer les François à des conditions raisonnables, ils prendroient avec | |
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les Etats des mesures capables de rétablir les affaires de la République. Dans toute l'Angleterre l'on n'auroit pas pu trouver deux personnes plus dévouéez à la France que ces deux seigneurs. De sorte qu'il y a de l'aparence, que si l'intention de l'Angleterre eut été portée à la paix, l'on ne se seroit pas servi d'eux pour en faire la première ouverture à la cour de France. Et néanmoins ils en parloient avec tant d'assurance, que quelques-uns de ceux qui veulent passer pour les plus habiles négociateurs de ce païs, se laissèrent duper, et demeurèrent persuadéz de la sincérité des intentions de ces deux seigneurs: jusques-là que le 8 juillet les Etats d'Hollande résolurent, qu'on laisseroit au prince d'Orange la conduite de la négociation que les ministres d'Angleterre avoient promis de faire auprèz du roi de France en faveur de cet Etat, sur les principes dont on étoit demeuré d'acord avec eux. C'étoit principalement C. van Beuningue, qui n'aiant pas pu profiter des fausses démarches que la cour d'Angleterre lui avoit fait faire pendant qu'il y négocioit, se laissa encor tromper par ces deux Anglois, qu'il ne pouvoit pas ignorer être entièrement dévouéz à la France, et eut assez de crédit pour inspirer les mêmes sentimens à l'assemblée des Etats d'Hollande. Mais ils en furent bientôt détrompéz. Car dèz que les deux Anglois, qui avoient la qualité d'ambassadeurs extraordinaires vers le roi de France, et qui n'avoient pas seulement de simples lettres de créance pour les Etats, ni ordre de faire la moindre ouverture, furent arrivéz au quartier de Bodegrave, le prince d'Orange découvrit qu'il n'y avoit rien de sincère en leurs discours, ni en leurs intentions. Il ne put s'empêcher de le leur témoigner, et de leur en faire des reproches, comme à des ministres qui avoient le plus contribué à la liaison qui étoit entre les deux rois, et qui faisoit tout le malheur de l'Etat. Ils vouloient faire acoire, que le Prince étoit obligé au roi, leur maître, puisque sans la guerre il ne seroit jamais parvenu aux dignitéz de ses prédécesseurs, et n'auroit pas détruit la faction qui lui étoit oposée; et tâchoient de lui persuader, que ce n'étoit pas une marque | |
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d'une tendresse ordinaire, que les ofres qu'ils lui faisoient du secours que S.M. promettoit pour le mettre en possession de la souveraineté de ce qui resteroit du païs, aprèz que les deux rois l'auroient partagé avec leurs alliéz de la manière que nous allons voir. Le Prince indigné de ce qu'on le croioit capable d'attenter à la liberté du Païs, à la conservation de laquelle il sembloit que le ciel l'eut réservé, s'emporta à quelques paroles d'hauteur qu'ils ne purent pas bien digérer. Le duc de Buckingham au sortir de chèz le Prince ne put pas dissimuler le ressentiment qu'il eut de se voir traiter avec quelque supériorité par un Prince, qui étant neveu du roi, son maître, et prince du sang roial d'Angleterre, avoit d'ailleurs un caractère que les ducs, et particulièrement les titulaires, sont tenus de respecter comme une qualité que les rois mêmes ne peuvent donner qu'à leurs enfans. Il s'en est expliqué à son retour en Angleterre, et n'a pas manqué de lui rendre tous les mauvais offices dont il a été capable. Le prince ne le dissimula point, et en même tems il leur recommanda la paix. Mais ces deux ministres s'étant rendus à la cour de France, où ils trouvèrent le vicomte d'Halifax, qui n'eut point de part au secret de leur négociation, quoiqu'il eût la même qualité, et le duc de Monmouth à qui on la donna aussi pour cette seule action, ils y firent un traité de partage des Provinces-Unies. En passant à la Haye ils y avoient trouvé des gens qui avoient fait confidence avec eux, et qui n'avoient point fait de difficulté de leur dire en quels termes l'on en étoit avec la France; et en passant par le quartier du Prince ils y avoient vu les fortifications qu'ils croioient si avancéez, que ne craignant plus que le roi de France se rendît si facilement maître de la Hollande, (quoiqu'en effet les postes ne fussent pas si bien en défense, qu'il ne fut assez facile d'en forçer quelques-uns en hasardant un petit nombre de soldats, puisque plus de dix mois aprèz on ne les put pas défendre sans de nouvelles fortifications,) firent avec lui un traité, par-lequel les deux rois, en confirmant le traité précédent du 12 | |
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février de la présente année s'obligèrent de ne point faire de paix ni de trève avec les Etats Généraux sans le consentement reciproque de l'un et de l'autre, et sans que leur satisfaction y fut pleinement établie. Ils promirent même de n'écouter point de propositions de paix sans les communiquer aussitôt, de n'entrer dans aucune ofre qui leur pourroit être faite séparément pour leurs avantages, et de n'accepter aucune satisfaction que l'autre des deux rois ne fut pleinement content de celle qui auroit été donnée. Pendant qu'ils travailloient à bâtir ce traité, le Prince les pressoit de conclure celui qu'ils avoient fait espérer qu'ils feroient entre les deux rois et cet Etat, et leur écrivit enfin par Germain et par Sylvius, que la cour d'Angleterre emploioit comme ministres du second ordre, qu'il seroit bien-aise de savoir ce qu'il pourroit se promettre de cette négociation. Ils répondirent, que les rois de France et d'Angleterre aiant considéré que l'intention des Etats avoit été de leur donner de la jalousie l'un de l'autre en faisant négocier avec eux séparément, ils avoient renouvellé leur premier traité, et étoient convenus des conditions sous lesquelles les Etats pourroient faire la paix, pourvu qu'ils s'en expliquassent dans dix jours. Ils ne pouvoient pas ignorer que les Etats avoient déjà unanimement rejetté les demandes du roi de France, et ainsi qu'ils n'avoient garde d'accepter les conditions qu'ils y avoient ajoutéez, qui ne pouvoient pas avoir autre but, sinon la continuation d'une guerre, laquelle étoit capable d'assujettir les Provinces-Unies, si elles étoient malheureuses jusqu'à ce point, à la domination Françoise, mais ne les pouvoit jamais faire tomber entre les mains de leur maître. Les ambassadeurs au lieu d'attendre la résolution des Etats, ou de revenir dans le païs pour rendre compte de leur négociation au Prince, prirent le chemin de Brabant, et allèrent à Brusselles, où ils tâchèrent de persuader au comte de Monterey de retirer les troupes dont il avoit secouru les Provinces, et retournèrent par la Flandre en Angleterre. Ils lui voulurent persuader aussi de se servir de l'o- | |
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casion, et d'aquérir au roi d'Espagne les trois villes qui couvrent la Hollande, Bois-le-duc, Berg-op-Zoom, et Bréda, comme il pourroit faire sans peine, puisque les troupes qu'il y avoit envoiéez y étoient comme les maîtres. Mais le comte répondit généreusement, que l'on ne trouvoit point dans l'histoire que jamais les rois d'Espagne eussent trompé ou trahi leurs alliéz, et pour lui qu'il ne seroit pas cause que la postérité les y vit en cette qualité, et qu'il feroit bien en sorte qu'on ne le pourroit jamais acuser de friponerie, ou de lâcheté. Ces conditions portoient: que les Etats Généraux révoqueroient les déclarations qui défendent le transport et le débit des eaux-de-vie et des vins de France dans les Provinces-Unies, et qui chargent de nouveaux droits les denréez, marchandises, et surtout les manufactures de France. Que dans trois mois il se feroit un traité de commerce, et que l'on régleroit les intérêts des Compagnies des Indes Orientales et Occidentales de France et de celles d'Hollande. Que dans toutes les Provinces-Unies l'exercice de la religion catholique romaine se feroit publiquement, en sorte qu'aux lieux où il y auroit plus d'une église l'on en donneroit une aux catholiques, et que là où il n'y en auroit qu'une il leur fut permis d'en bâtir une, avec une pension convenable pour le prêtre ou curé, laquelle seroit prise sur le bien qui a autrefois apartenu à l'église. Que le roi restitueroit les trois Provinces qu'il avoit conquises, afin que le corps des sept Provinces-Unies continuât de subsister: pourvu que les Etats lui cédassent toutes les provinces, païs, villes, et places qu'ils possédoient en Flandre et en Brabant, et qui leur ont été cédéez par le roi d'Espagne, à la réserve de l'Ecluse, et de l'isle de Cadsant. Que les Etats céderoient aussi à la France la ville de Nimègue avec ses apartenances et dépendances, les forts de Knodsenbourg et de Scenck, et toute cette partie de la Gueldre qui est de decà le Rhin à l'égard de la France, avec l'sile et la ville de Bommel, l'isle et le fort de Woorn, les forts de Crèvecoeur et de St. André, le château de Louwestein, la ville de Grave avec ses apartenan- | |
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ces et dépendances, et la ville et le comté de Meurs, dont les Etats dédommageroient le prince d'Orange. Qu'ils céderoient au même roi tous les droits qu'il ont, ou peuvent avoir sur les places qu'il a prises sur eux dans l'Empire. Qu'ils retireroient leurs garnisons de la ville d'Emden, de Lieroort, et du fort Deyl; et céderoient au prince d'Oostfrise tous les droits qu'ils pourroient avoir ou prétendre dans les places qu'ils ocupent dans son païs. Que les sujets du roi pourroient librement aller et venir en toutes les places du païs qui leur seroient cédéez, sans être sujets à visite, et sans y paier aucun droit pour leurs personnes, ni pour leurs hardes et marchandises. Que les Etats restitueroient à l'ordre de Malte les commanderies qui lui apartiennent en ces païs, et au comte de Benthem, ses enfans, que sa femme avoit amenéz à la Haye. Qu'ils paieroient dans les termes dont l'on conviendroit une somme de 20.000.000 de livres, y compris les 3.000.000 que le roi prétendoit lui être dus depuis l'an 1651, pour dédommager le roi d'une partie des fraix de la guerre. Qu'ils lui envoieroient tous les ans un ambassadeur extraordinaire, qui lui présenteroit une médaille d'or du poids d'un marc, en reconnoissance de la conservation de la même liberté, que les rois, ses prédécesseurs, lui ont aidé à aquérir. Le tout avec cette protestation expresse: qu'il ne serviroit de rien aux Etats d'acorder toutes ces conditions au roi, si en même tems ils n'aquiesçoient aux avantages que le roi de la Grande Bretagne leur demandoit; s'ils ne donnoient satisfaction aux princes de l'Empire; ses alliéz, et s'ils ne s'en expliquoient dans dix jours, parcequ'aprèz cela il prétendoit n'y être plus tenu. Toutefois pour témoigner que c'étoit tout de bon que le roi vouloit donner la paix aux Provinces-Unies, il fit dire qu'il se contenteroit des conquêtes qu'il avoit déjà faites, et de celles que ses armes pourroient encor faire, jusqu'à ce que les Etats eussent accepté les conditions qu'il leur avoit demandéez, et nommément de toute la Province de Gueldre apartenant aux Etats, y compris le comté de Zutphen, la seigneurie d'Utrecht, | |
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avec toutes les villes, places, et forteresses qui y sont situéez; le tout en pleine souveraineté. Mais que pour assurer ces conquêtes à sa couronne, il faudroit que les Etats cédassent aussi au roi la ville de Mastricht, et Wyck, avec ce qu'ils possédoient au païs d'Outremeuse, comme aussi la ville et mairie de Bois-le-duc. Et afin d'assurer la communication nécessaire entre la France et la ville de Mastricht, il seroit stipulé de part et d'autre, que l'on travailleroit auprèz de l'électeur de de Cologne comme évêque et prince de Liège, à établir un passage libre pour les troupes du roi depuis les frontières du roiaume jusqu'à Mastricht: laissant aux Etats le choix de ces deux conditions. Celles que le roi d'Angleterre demandoit étoient pour le moins aussi dures. Il vouloit que les Hollandois lui rendissent sans dispute l'honneur du pavillon, que mêmes les arméez navales entières baissassent le pavillon et leurs voiles hunières à un seul vaisseau portant le pavillon du roi d'Angleterre dans toute la mer Britannique jusqu'au rivage d'Hollande: la liberté aux Anglois qui sont dans Suriname de s'en retirer dans un an, avec tous leurs biens de quelque nature qu'ils pussent être: le bannissement perpétuel hors le territoire des Provinces-Unies de tous les sujets du roi d'Angleterre, déclaréz criminels de lèze-majesté, ou que le roi déclareroit avoir fait contre lui des écrits séditieux, ou d'avoir conspiré contre le repos et la tranquilité de son roiaume: le remboursement des fraix de la guerre qu'il faisoit monter à un million sterlings, dont les 400.000 livres seroient paiéez au mois d'octobre prochain, et le reste en plusieurs termes de 100.000 livres par an: Une reconnoissance annuelle de 10.000 liv. sterl. pour la permission que le roi donneroit aux habitans de ces Provinces d'aller pêcher du haran aux côtes d'Angleterre, d'Ecosse et d'Irlande: la souveraineté des Provinces-Unies pour le prince d'Orange, ou du moins les charges de capitaine général, amiral et gouverneur, héréditaires dans sa famille. Qu'aprèz que l'on seroit d'acord de ce que dessus, il se feroit un traité de commerce qui ré- | |
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gleroit celui des Indes dans trois mois: l'isle de Walcheren, la ville et château de l'Ecluse avec ses dépendances; l'isle de Cadsant; celles de Goeréde et de Woorn seroient mises entre les mains du roi d'Angleterre, pour la sureté de l'exécution de ce que les Etats promettroient. Sur quoi les Etats seroient aussi tenus de s'expliquer dans dix jours. Le prince d'Orange qui ne pouvoit ou ne vouloit pas croire que le roi d'Angleterre eut part au procédé de ses ministres, lui en fit faire des plaintes par le Sr. de Réede, son confident, qui en parlant au roi fit connoître, que le prince avoit sujet de croire que S.M. en faisant ce nouveau traité avec la France, n'avoit pas eu pour ses intérêts la considération qu'elle avoit autre fois eue pour sa personne. Sur cela le roi lui écrivit, le 28 juillet: qu'il continuoit d'avoir pour sa personne la même tendresse et la même considération qu'il avoit toujours eu pour lui, et qu'il devoit à son mérite et à sa naissance. Que bien qu'il eut traité avec le roi de France sans sa participation, il n'avoit pas laissé d'avoir soin de ses intérêts, et qu'il les avoit recommandéz au roi T.C. autant que la conjoncture des affaires l'avoit pu permettre. Qu'il ne s'étoit engagé avec la France contre cet Etat que pour abattre l'orgueil des ministres du précédent gouvernement, qu'il apelle la faction de Louwestein, et pour se mettre à couvert de leurs insolences et insultes. Que l'aversion que le roi de France avoit pour eux, et l'afection qu'il témoignoit avoir pour le Prince lui faisoient espérer que la fin de toutes ces brouilleries ne lui seroit pas désavantageuse: comme il croioit aussi, que l'amitié qui étoit entre les deux rois et les Provinces-Unies, ne seroit pas altérée, si elles se fussent aviséez plûtôt d'apeller le Prince aux charges et dignitéz de ses ancêtres. Que lorsqu'il les verra bien établies en sa personne, en sorte qu'il ne puisse plus apréhender les violences et les injures de la faction contraire, en sorte qu'il puisse étendre sa protection jusqu'à lui et à ses amis, il s'emploieroit auprèz du roi de France, en sorte que l'on connoisse qu'il ne manque point d'afection pour | |
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lui. Cette lettre fut publiquement lue dans l'assemblée des Etats Généraux, et en suite imprimée, sinon de l'ordre, dumoins avec la permission du Prince. Ceux qui la publièrent ne pouvoient avoir d'autre intention que de décrier par-là les personnes et la conduite de ceux qui jusqu'alors avoient eu le plus de part à la direction des affaires, et à les exposer à la rage du peuple, avec le succèz dont nous dirons bientôt les particularitéz: quoiqu'ils sussent bien que les véritables causes de l'union des deux rois contre cet Etat, et de leur indignation étoient bien éloignéez de ce prétexte, et que de Witt n'étoit devenu leur aversion que parcequ'il n'avoit point de complaisance pour ceux qui en vouloient à la liberté de la République. Les François avoient perdu l'ocasion d'entrer dans la Province d'Hollande, lorsqu'ils n'y auroient point trouvé de résistance, incontinent aprèz la conquête de celle d'Utrecht. Toute la campagne étoit inondée, et le prince d'Orange fortifioit les postes dont il la prétendoit couvrir. Le prince de Condé étoit incommodé de sa blessure, et hors d'état d'agir; et le maréchal de Turenne étoit obligé d'observer les arméez de l'empereur, et de l'électeur de Brandebourg, qui faisoient mine de vouloir marcher au secours des Provinces-Unies, bien qu'en effet ce ne fut pas leur intention. C'est pourquoi l'on s'étonnoit de ce que les mêmes ministres de France, qui quelques jours auparavant avoient déclaré, que le roi, leur maître, n'étoit obligé sinon de garantir à l'Angleterre les conquêtes qu'elle pourroit avoir faites depuis la rupture, lesquelles n'étoient qu'imaginaires, négligèrent d'aquérir au roi, leur maître, un avantage incomparable, par le traité avantageux qu'il pouvoit faire avec l'Etat, et soufrirent qu'il prit de nouveaux engagements avec l'Angleterre pour courir aprèz l'ombre, pendant qu'ils laissoient perdre la plus favorable ocasion du monde. Il ne tint qu'a eux de lui faire donner non seulement la ville de Mastricht avec ses dépendances, et une bonne somme d'argent, mais aussi d'aquérir cet Etat à la France. Il le pouvoit obliger à renoncer | |
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à toutes les autres liaisons et alliances, et c'auroit été avec joie que toutes ces Provinces qui désespéroient de se conserver, et dont quelques-unes étoient déjà perdues en effet, se seroient mises en la protection de cette couronne-là; et même on lui auroit cédé quelques autres places qui lui eussent pu servir comme autant de citadelles contre le ressentiment que les peuples eussent pu témoigner de cette révolution. L'on dit que Pomponne conseilla au roi de prendre ce parti, et qu'il lui remontra, qu'en se rendant le maître de l'afection de ces peuples, il conquéreroit le reste des Païs-Bas sans peine, et se faisoit l'arbitre de l'Europe: au lieu qu'en partageant ses conquêtes qu'il n'avoit pas encor faites il augmentoit les forces d'un roi voisin, qui avoit toujours été jaloux de sa grandeur, qui avoit intérêt de s'y oposer et qui le feroit toujours quand il rentreroit en son bon sens, et avec d'autant plus d'aparence de succèz que le parti du prince d'Orange et celui de la religion le favoriseroient toujours. Mais les autres ministres craignant que, si le roi prêtoit l'oreille à cette ouverture, le roi d'Angleterre n'en prit ocasion ou prétexte de les prévenir, et de faire un traité séparé avec les Hollandois qui avoient un grand penchant de ce côté-là, furent d'avis que l'on renouvellât le traité avec l'Angleterre, et de continuer la guerre: quoique ce ne fût pas leur intention, comme aussi ce n'étoit pas leur intérêt de soufrir que les Anglois fissent des établissemens en ces provinces maritimes. Le procédé des deux seigneurs Anglois, le renouvellement du traité entre les deux couronnes, et la dureté des conditions que le roi d'Angleterre exigeoit, pouvoient détromper ceux qui s'étoient promis quelque chose de bon de ce côté-là. Et néanmoins le prince d'Orange étoit encor si fortement persuadé de la considération qu'il croioit que la cour de Londres auroit pour lui, que faisant espérer aux Etats que l'on pourroit encor traiter séparément avec l'Angleterre, et faire un acomodement raisonnable, ils lui donnèrent un pouvoir absolu de faire négocier par les personnes qu'il jugeroit y être les plus propres. | |
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Il envoia Reede, seignr. de Schonau, qui fut assez bien reçu du roi, et eut sujet d'abord d'espérer une réponse favorable aux lettres qu'il lui avoit rendues. Mais dèz le lendemain l'on ferma tous les ports du roiaume, sous prétexte du dessein que le duc d'Yorck avoit de faire descente en Hollande, en sorte qu'il lui étoit impossible d'écrire au Prince l'état de sa négociation, et la disposition des esprits de cette cour-là. Le roi lui en dit le sujet, et lui en fit quelques excuses au bout de dix jours. Mais lorsque ce gentilhomme fut sur le point de partir, et dans l'espérance de remporter la satisfaction que le Prince se promettoit de la bonté du roi, son oncle, Arlington lui dit, que son voiage ne pouvant servir qu'à faire soulever le peuple de Londres, qui n'aprouvoit pas cette guerre, il s'en seroit bien passé; et Reede eut le déplaisir de voir remettre au mois de février de l'année suivante, l'assemblée du parlement, dont les intentions (à ce que l'on croioit) étoient fort bonnes, et ratifier le traité que les deux seigneurs Anglois venoient de conclure avec la France. Ces conditions qui faisoient bien connoître d'un côté l'intention des deux rois victorieux, et de l'autre le misérable état des Provinces-Unies, étoient proprement le tissu d'une corde, dont chacun des deux rois tenant un bout, il leur étoit trèz facile de la serrer, et d'achever d'étrangler un corps languissant et tellement extenué, qu'en acordant aux deux rois ce qu'ils demandoient, il n'en restoit qu'un tronc destitué de tout mouvement, et sans autre esprit que celui dont il jouiroit précairement, tant qu'il plairoit aux deux rois de ne le pas étouffer. En donnant au roi d'Angleterre l'isle de Walcheren, tout le reste de la Zéelande étoit inutile à l'Etat: comme la ville de Rotterdam l'étoit à la Hollande, en cédant au même roi, les isles de Woorn et de Goeréde; et par ce moien les deux collèges de l'amirauté de la Meuse et de Zéelande hors d'état d'armer, et même de faire continuer la navigation. En donnant la souveraineté, quoiqu'imaginaire, au prince d'Orange, on l'ôtoit aux Provinces, auxquelles il étoit d'ailleurs impossible | |
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de fournir les sommes de deniers qu'on leur demandoit. Bois-le-duc, Bergen-op-Zoom, et Bréda étoient autant de citadelles qui bridoient la Hollande. La ville de Nimègue, les forts de Knodsenbourg, de Scenck, de Woorn, et de Crèvecoeur, la ville de Bommel, et le château de Louwestein leur donnoient entrée jusques dans le coeur de la Province, dont la conquête, aussi bien que celle du reste de l'Etat, n'auroit pas été l'ouvrage d'une campagne. C'étoit proprement donner la loi aux vaincus. L'on trouvoit à rédire dans ce traité, que les ministres du roi d'Angleterre donnoient au roi T.C. le titre de roi de France: ce que les rois d'Angleterre ne font pas, parcequ'ils en prennent eux-mêmes le nom et les armes, et prétendent depuis plus d'un siècle, et en vertu de plusieurs titres, que le roiaume de France leur apartient: qu'ils le traitoient par tout de Majesté; et qu'en tout le traité le nom du roi de France marchoit toujours devant celui de leur maître, qui par ce moien lui cédoit le rang: et qu'en stipulant de si grands avantages pour la religion catholique romaine, ils faisoient remarquer l'indifférence que le roi de la Grande Brétagne a pour la réformée. Dèz que le prince d'Orange eut reçu ces conditions, avec la lettre que Buckingham et Arlington lui avoient écrite, il les alla porter à l'assemblée des Etats Généraux, qui le prièrent d'en dire son sentiment et d'aviser ce qu'il jugeoit que l'on devoit faire en l'état où étoient les affaires, parceque depuis qu'il étoit capitaine général et gouverneur de province, ils ne résolvoient rien sans l'avis de S.A., qui ne régle pas seulement toutes les volontéz, mais forme aussi toutes les résolutions de l'assembleé. Il s'en défendit, et dit qu'il ne pouvoit pas s'en expliquer en présence de quelqu'un de l'assemblée qui l'en empêchoit. On l'en pressa, et on le pria de s'en ouvrir du moins aux députéz aux affaires de la guerre, ou à ceux de la Triple Alliance. Mais il s'y opiniâtra; et sur cela les députéz d'Hollande qui étoient mm. d'Asperen, Floris Cant, P. de Groot, et Merens, trouvèrent bon de sortir de l'assemblée, et d'aller savoir des Etats de leur province ce qu'ils avoient à | |
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faire dans une conjoncture si délicate. Ils ordonnèrent à leurs députéz de ne point soufrir que l'on fit l'afront à un des députéz de le faire sortir; et d'insister à ce que le Prince avisât. De Groot, qui étoit un des députéz, dit: que c'étoit lui que le Prince avoit voulu marquer, et demeura dans l'assemblée des Etats d'Hollande. Tellement que le Prince voiant revenir les autres, dit, que maintenant qu'il n'y avoit plus personne qui put l'empêcher de dire son avis, il ne craindroit point de dire; qu'il jugeoit que ces conditions étoient si dures, si fâcheuses, et si insolentes, qu'il n'y avoit rien qu'il ne fallût faire plûtôt, que de les accepter. Pour lui, qu'il aimeroit mieux mourir mille fois que d'y consentir, et de charger sa réputation de ce reproche auprèz de la postérité. Son avis fut suivi de l'aplaudissement des députéz de Zéelande, de Frise, et de Groningue. Ceux de Gueldre, d'Utrecht, et d'Overissel n'avoient plus rien à perdre, et pouvoient profiter de la continuation de la guerre; et dans la province d'Hollande, la ville d'Amsterdam rejettoit absolument toutes les ouvertures d'acomodement. De sorte que les autres villes qui étoient revenues de leur peur, qui, pour dire la vérité, n'avoit pas été tout-à-fait panique, se rendirent aussi au sentiment du Prince. Devant que de passer plus avant, il sera nécessaire de retourner sur nos pas, et de dire que lorsque de Groot et d'Odyck arrivèrent à la Haye, le premier remarquant que les esprits n'étoient plus dans les mêmes dispositions où il les avoit laisséez, et qu'il n'y avoit plus d'aparence qu'on le renvoiât au roi de France pour conclure le traité sur les conditions qu'on leur avoit préscrites, ou ordonné d'ofrir, pria les Etats d'Hollande de le décharger de cette commission; et il en fut déchargé en effet et remercié. Il fit les mêmes instances auprèz des Etats Généraux. Mais il n'y trouva pas les mêmes dispositions, parceque les députéz de Zéelande, de Frise, et de Groningue aiant eu ordre de désavouer tout ce qui avoit été fait, ne vouloient rien faire qui put justifier son action. | |
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Le même jour qu'il étoit arrivé à la Haye, une grande révolution avoit changée toute la constitution des affaires de la Province d'Hollande. Le peuple au lieu de raporter le mauvais succèz des armes à leurs véritables causes, c'est à dire à la lâcheté de la plûpart des officiers de guerre, et à la précipitation, ou, pour mieux dire, à la perfidie des magistrats de quelques villes d'Overissel, s'en prenoit à ceux qui avoient eu la principale direction des affaires en Hollande, et les acusoit de trahison et d'intelligence avec les ennemis de l'Etat, et particulièrement avec la France. Il disoit, que l'hyver dernier, de Witt, Cons. Pensionaire d'Hollande, avoit envoié en France, Monbas, beau-frère de de Groot, qui y avoit vendu les Provinces-Unies, et qu'il avoit détourné plusieurs millions, qu'il avoit fait remettre à Vénise. Les plus modéréz publioient, que Monbas y avoit ofert la carte blanche, et promis que l'Etat entreroit dans tous les intérêts du roi de France, s'il vouloit se séparer des intérêts de l'Angleterre. Que ces ofres avoient été envoiéez à Londres, et avoient donné sujet au roi de la Grande Brétagne de se détacher de la Triple Alliance. Que l'animosité contre la personne du prince d'Orange avoit été si grande, que ceux de la faction contraire eussent mieux aimé assujettir l'Etat à un roi étranger et hétérodoxe, que de soufrir la direction modérée d'un Prince, dont les prédécesseurs avoient en quelque façon fondé la République. Qu'il n'y avoit que le prince d'Orange qui fut capable de rétablir les affaires, et qu'il ne falloit plus différer de lui donner la même qualité, et la même autorité que ses ancêtres y avoient eues. Ce fut à la Vere, en Zéelande, où le feu de la sédition, qui embrasa ensuite les autres provinces, et surtout celle d'Hollande, fut allumé par le magistrat de la ville, lequel aiant donné ces mauvaises et fausses impressions aux habitans, ceuxci les communiquèrent à leurs voisins, et aux villes les plus proches d'Hollande. Les habitans de Dordrecht furent les premiers qui contraignirent leur magistrat de promettre et de signer, qu'à la pre- | |
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mière assemblée, des Etats d'Hollande ils feroient déclarer le Prince, gouverneur et lieutenant général de la Province. Il n'y avoit personne dans le magistrat qui n'eut juré solemnellement, qu'il n'y consentiroit jamais, et qu'il ne soufriroit pas même, que l'on en fit la proposition dans l'assemblée; mais il n'y avoit personne aussi qui ne courut risque d'être assommé en le refusant. Ils signèrent donc tous sans autre cérémonie. Il n'y eut que Corn. de Witt, qui avoit été plusieurs fois bourguemaître, lequel étant revenu malade de l'armée navale, et au lit, s'opiniâtra contre le sentiment du peuple, et refusa de signer à cause de son serment. Mais sa femme et ses enfans, voiant qu'il s'alloit perdre avec toute sa famille, l'obligèrent enfin à céder et à signer. En signant il protesta que c'étoit par force, et mit au bas de sa signature deux mots latins, qui marquoient la violence qu'on lui faisoit. Mais un pasteur aiant expliqué ces mots au peuple, on le contraignit de les effacer, et de suivre l'exemple des autres. Le peuple non content d'avoir fait cette violence, nomma des députéz, et contraignit le magistrat d'y ajouter de son corps, pour aller au quartier du Prince, prier S.A. de venir à Dordrecht recevoir les témoignages de leur affection, et les assurances de son avancement à la charge de gouverneur de la province. Le Prince fit d'abord quelque difficulté d'y aller, ne sachant pas encor quel seroit le succèz de ce soulèvement, et ce que les Etats d'Hollande jugeroient de ce voiage. Mais il se laissa persuader enfin, et alla à Dordrecht, à dessein de tâcher de faire cesser le désordre et la rébellion. Le peuple de Rotterdam, plus emporté que celui de Dordrecht, parceque le magistrat y étoit composé de personnes qui s'étoient oposéez à l'avancement du Prince avec plus de chaleur que l'on n'en avoit vu dans les autres villes, arrêtèrent leurs bourguemaîtres, et quelques autres personnes du magistrat, au nombre de cinq, prisonniers dans l'hôtel de ville, et les auroient maltraitéz s'ils n'eussent pas pris une résolution formelle en faveur du prince d'Orange. | |
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Dèz le 17 juin les députéz de Leyde avoient proposé: qu'il étoit nécessaire de donner à S.A. la faculté de faire expédier les routes et les ordres pour la marche et pour le logement des gens de guerre. Mais ce ne fut que le premier jour de juillet que les Etats d'Hollande résolurent: que les députéz, qui étoient de leur part dans l'assemblée des Etats Généraux, tâcheroient de disposer les autres Provinces à donner au Prince la qualité de capitaine général de l'Union: ce qui n'étoit pas fort difficile, puisque c'avoit toujours été la passion de la plûpart des Provinces, et des villes d'Hollande. Le même jour, du moins la nuit du premier au second de ce mois, un des députéz de Rotterdam, qui est celui qui avoit été chef du parti oposé au prince d'Orange, et le plus obstiné des ennemis de sa personne, étant dans l'assemblée des Etats d'Hollande, demanda au nom des autres députéz de la même ville, ses collègues, permission de faire ouverture d'une affaire que l'honneur et la conscience (à ce qu'il disoit,) et les résolutions formelles de l'assemblée defendoient de proposer, et laquelle néanmoins ils jugeoient être de si grande importance à l'Etat, que l'on ne pouvoit pas se dispenser d'en délibérer, à moins de lui faire un dernier préjudice. De tout l'ordre des nobles il n'y en avoit que trois présents, savoir les seigneurs de Duvenwoorde, d'Asperen, et de Masdam, qui dirent, qu'ils ne pouvoient pas opiner sur cette proposition, à moins que les députéz ne parlassent plus clairement. Les députéz de Dordrecht dirent, qu'ils ne pouvoient pas consentir à ce que ceux de Rotterdam parlassent d'une chose qu'ils disoient eux-mêmes intéresser l'honneur et la conscience des députéz et de l'assemblée même. Le peuple avoit fait du bruit à Harlem; c'est pourquoi les députéz de cette ville, craignant d'en être maltraitéz encor, avisèrent qu'il les falloit dispenser. Ceux de Delft déclarèrent, que c'étoit une affaire dont il falloit qu'ils fissent raport à leurs committens. Ceux de Leyde avisèrent aussi, qu'il n'étoit pas fort difficile de pénétrer l'intention de mm. de Rotterdam, et que l'on voioit bien qu'ils vouloient proposer | |
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la révocation de l'Edit Perpétuel, que l'on avoit fait depuis quelques annéez pour la supression de la charge de gouverneur de la province d'Hollande. Aprèz cette déclaration personne n'en fit plus la petite bouche; l'affaire fut mise en délibération, et il fut résolu que pour rendre les villes capables de pouvoir donner un gouverneur à la province en cette fâcheuse conjoncture de tems et d'affaires, les députéz se dispenseroient les uns les autres, aussi bien que tous ceux qui avoient séance et droit de comparoître dans l'assemblée, du serment qu'ils avoient fait en vertu de l'Edit Perpétuel, résolu le 5 août 1667. Tellement que toute l'assemblée se trouvant comme en sa première liberté, les députéz d'Amsterdam proposèrent: s'il ne seroit pas à propos de délibérer, si la nécessité des affaires présentes ne les obligeoit pas de donner au prince d'Orange la qualité et la charge de Gouverneur de la Province? Ceux d'Harlem et de Leyde, qui avoient toujours parlé avec chaleur pour les intérêts du Prince, se voiant prévenus, par ceux d'Amsterdam dans une affaire qui les obligeoit si fort, furent bien surpris, et dirent, qu'ils ne s'y oposeroient pas; mais qu'ils étoient d'avis que les villes se réservassent l'élection des magistrats, et qu'elles jouissent des privilèges et octrois qu'elles avoient obtenus des Etats d'Hollande. Mais les députéz d'Amsterdam repartirent: qu'il ne falloit rien faire à demi, et qu'en conférant cette dignité au Prince, il falloit l'acompagner de tous ses avantages, prérogatives, et prééminences, et que c'étoit-là leur avis. Toute l'assemblée y aquiesça, et demeura d'acord, que quelques-uns des députéz feroient un tour chèz eux, pour en représenter la nécessité aux magistrats, et pour les disposer à y consentir. Trois jours aprèz, savoir le 4 juillet, à quatre heures du matin, les Etats d'Hollande et de Westfrise déclarèrent, à l'exemple de ceux de Zéelande, qui l'avoient fait quelques jours auparavant, le prince d'Orange gouverneur, capitaine général, et et amiral de leur province, et le dispensèrent en même tems du serment, qu'il avoit fait lorsque les Etats Généraux lui don- | |
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nèrent le commandement en chef de l'armée pour cette année, ou pour cette expédition. A la fermeté opiniâtre, avec laquelle on s'étoit oposé à son avancement, succéda une soumission abjecte, et une bassesse honteuse avec laquelle on se précipitoit dans la servitude. Les sentimens peu respectueux que l'on avoit eu pour la naissance et pour la personne du Prince, se changèrent en une flatterie aussi infâme, que leur rusticité avoit été ofensante. Il n'y eut que G. Fagel, alors greffier de l'assemblée des Etats Généraux, qui crut devoir témoigner qu'il n'y avoit point de révolution capable de détruire les sentimens généreux dont il avoit donné tant de marques en plusieurs rencontres. Car rencontrant P. de Groot, au passage qui va de l'assemblée des Etats d'Hollande à celle des Etats Généraux, il lui demanda, si effectivement l'on avoit donné au prince d'Orange la charge de gouverneur de la Province? Et sur ce que l'autre lui répondit, que c'étoit une affaire faite, il repartit, qu'il auroit mieux aimé se faire couper tous les membres, les uns aprèz les autres, que de consentir à une chose si oposée à la liberté, et à l'intérêt de la province. Le magistrat de Dordrecht, qui se trouvoit ci-devant à la tête de ceux que l'on apelloit les partisans de la liberté, ordonna à ses députéz de proposer dans l'assemblée des Etats d'Hollande: que la personne du Prince devoit être aussi chère, qu'il falloit l'exhorter de se faire environner de gardes, d'archers, et d'hallebardiers; de songer à se marier, afin de laisser à la République une postérité capable de lui succéder; et en attendant qu'il y put apliquer ses penséez, de se désigner lui-même un successeur, afin que l'Etat ne demeurât pas orphelin, et destitué d'un chef qui faisoit tout son salut. Le même jour les Etats d'Hollande lui firent savoir par dix députéz de leur assemblée, le choix qu'ils avoient fait de sa personne, et le firent convier de venir faire le serment, pour se mettre en possession de sa charge. Le 8 du même mois les Etats Généraux firent à l'égard de | |
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la généralité, ce que les Etats d'Hollande avoient fait en leur province, en déclarant le Prince capitaine général et amiral en chef de l'Union, avec les droits, prééminences, et avantages avec lesquels ses prédécesseurs avoient exercé ces charges. Ils lui donnèrent deux régimens, un de cavalerie, et l'autre d'infanterie, dont il donna le commandement, avec sa confidence, à Charles, Rhingrave, au grand étonnement de tout le monde, qui ne pouvoit pas comprendre comment le Prince faisoit dépositaire de ses secrets, dont dépendoit la conservation de l'Etat, un homme qui avoit son fils unique et une bonne partie de son bien en France, et qui pour un intérêt particulier avoit abandonné la religion pour laquelle on combattoit en ce païs. Je crois devoir ajouter, que le père du Rhingrave, gouverneur de Mastricht, écrivant à un de ses amis au sujet de la faveur de son fils, ne put pas s'empêcher de dire, qu'il ne pouvoit pas s'en réjouir, parcequ'il connoissoit son fils capable de perdre le Prince et lui-même. Les Etats Généraux firent savoir au Prince sa promotion par cinq députéz d'autant de provinces, en l'absence de ceux d'Utrecht et d'Overissel. Il l'exerçoit déjà en effet, puisqu'il disposoit de toutes les charges militaires, et que tous les gens de guerre lui obéissoient aveuglement, et que les villes ne reconnoissoient plus l'autorité des Etats, et ne respectoient point leurs ordres. C'est pourquoi il ne se pressa point d'aller à la Haye. Sa présence étoit d'autant plus nécessaire à l'armée que les postes n'étoient point encor en défense; qu'il n'y avoit point d'ordre ni de discipline parmi les gens de guerre, qui d'ailleurs n'étoient pas en fort grand nombre; qu'il n'y avoit pas assez d'eau à la campagne pour la couvrir; et les païsans que l'on avoit arméz, se mutinoient partout, et s'oposoient à ceux qui avoient ordre d'ouvrir les écluses, et de couper les digues pour inonder la campagne. Ce désordre donnoit de l'inquiétude à quelques villes d'Hollande, qui se seroient opiniâtréez à insister à ce qu'on fit la paix avec la France à quelque prix que ce fut. De sorte qu'il étoit extrêmement nécessaire que l'on fit | |
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un gouverneur, dont l'autorité pouvoit seule faire cesser les plaintes importunes de ceux qui songeoient plus à la conservation de leur bien particulier, qu'à l'intérêt de l'Etat. Le peuple aprèz avoir contraint les magistrats des villes de consentir à la supression de l'Edit Perpétuel, et à l'élection d'un gouverneur, ne s'en contenta point, et n'aiant pas plus de déférence pour l'autorité du Prince, qu'il avoit eu de respect pour celle des Etats de la Province, s'assembla en la plûpart des villes tumultuairement, s'attribua le pouvoir de changer le magistrat à sa fantaisie, et de nommer au Prince ceux qu'il vouloit que S.A. substituât à quelques personnes qui n'étoient pas agréables au peuple, et que l'on dépouilloit de leurs dignitéz, sous prétexte d'avoir eu correspondance avec l'ennemi de l'Etat, et d'être traîtres à la patrie. Je n'aurois jamais fait, si je m'amusois à passer par toutes les villes d'Hollande, et à m'arrêter à dire les particularitéz de tous leurs désordres. Mais afin que l'on en puisse juger par un seul exemple, je parlerai de ce qui arriva à Rotterdam le 8 juillet, et de quelle façon les bourgeois y traitèrent le magistrat. Ils l'obligèrent à rapeller les députéz qui étoient de la part de la ville dans l'assemblée des Etats de la Province, et à leur substituer des personnes non suspectes, et agréables au peuple: que l'on ordonnât à ces nouveaux députéz de s'informer pertinemment de ce qui avoit été négocié avec la France, et de traiter avec le roi d'Angleterre, qui avoit ses ambassadeurs dans le Païs. Qu'il fît suplier le Prince de venir au plûtôt dans la ville, et d'y changer le magistrat ainsi qu'il le jugeroit à propos. Que l'on donnât à S.A. le même pouvoir et dans la même étendue que ses prédécesseurs avoient toujours eu, et ce non seulement pour sa personne, mais aussi pour sa postérité. Que l'on fît arrêter prisonniers mm. Pesser, Vroesen, Gael, les deux cousins Visch, Bischop, Van der Aa, De Groot, Paetz, et Voorbourg, et ordonner qu'eux et leur enfans, seroient déclaréz inhabiles d'entrer dans le magistrat jusqu'à la quatrième génération. Ce que le magistrat fut contraint de leur | |
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acorder, et en fit passer acte par le secrétaire de la ville. Les maisons de De Groot, Van der Aa, et Sonmans furent menacéez du pillage, et n'en furent pas entièrement exemtes. Les paisans d'auprèz de Goude, voiant que l'on avoit fait inonder la campagne, et craignant que l'eau ne couvrit aussi leurs terres, allèrent à la ville, forçèrent les portes que l'on avoit ferméez pour leur en empêcher l'entrée, tinrent le magistrat plus de 24 heures enfermé dans l'hôtel de ville, et pillèrent la maison du bourguemaître Cinq. A Harlem la canaille pilla celle du Sr. de Zypestein, parent du Cons. Pensionnaire, à qui l'on disoit que le maître du logis avoit donné retraite. A Amsterdam elle afronta et outragea quelques-uns des bourguemaîtres, et elle s'y seroit portée à de plus grandes extrémitéz si la fermeté des uns, la complaisance des autres, et l'intérêt commun des bourgeois qui couroient tous la même fortune, n'eussent fait dissiper ces assembléez tumultuaires. La Zéelande n'en fut pas exemte. Les païsans se rendirent maîtres des portes de Middelbourg. Leur insolence alla à un tel excèz, que le Prince se trouva obligé d'envoier une lettre circulaire dans les villes, qui disoit positivement: Qu'il ne savoit, et même qu'il ne croioit pas que parmi ceux qui avoient part à la direction des affaires dans les villes, ou dans l'Etat, il y en eut que l'on put soupçonner d'intelligence avec la France ou avec l'Angleterre, ou d'avoir rien fait contre leur honneur, ou contre le serment qu'ils ont prêté à l'Etat, ni d'avoir rien entrepris contre ce qu'ils doivent à leur patrie, à l'avantage de ses ennemis: de sorte que le préjugé, dont le peuple étoit prévenu, étant faux et sans fondement, il vouloit que ceux que l'on maltraitoit ou inquiétoit sous ce prétexte, fussent maintenus et protégéz contre la violence de ces mutins. Que ceux qui se mêloient de censurer les actions et la conduite des magistrats, attentoient à la puissance et à l'autorité que les Etats d'Hollande lui avoient déféréez, et s'oposoient à ce qu'il prétendoit faire et entreprendre pour le bien de la République, comme gouverneur et lieutenant général de la province: les exhortant | |
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de se tenir dans les termes de leur devoir; de s'abstenir de toutes assembléez et intrigues séditieuses; et de s'adresser à lui avec modestie et ordre, lorsque les affaires mériteroient une réflexion particulière. Mais ce remède n'étoit pas assez fort pour guérir le mal, ni capable de faire cesser le désordre, qui étoit si grand, que plusieurs, considérant qu'une domination étrangère étoit bien moins intolérable qu'une anarchie, ou la tyrannie de la populace, la plus insuportable de toutes, auroient mieux aimé reconnoître la France, que de demeurer exposéz à la discrétion d'un peuple soulevé et enragé, qui se portoit à des extrémitéz d'autant plus grandes, que les humeurs pesantes de ces brutaux ne pouvant s'exhaler, causoient dans les corps politiques les mêmes mouvemens, que l'air enfermé cause dans le sein de la terre. La paix, aux conditions que quelques-uns la prétendoient faire, étoit l'aversion du Prince, qui dèz lors commença à en témoigner quelque ressentiment, pas tant contre ceux qui l'avoient voulu conclure, et mettre tout l'Etat entre les mains de la France, comme ils auroient fait s'ils eussent cédé toutes les places fortes des frontières, que contre quelques-uns de ceux qui s'étoient laisséz députer. Quoiqu'il fit difficulté de dire son avis, il n'avoit pas voulu nommer personne pourtant, lorsqu'il communiqua aux Etats Généraux les propositions que les ambassadeurs d'Angleterre lui avoient envoiéez; et les députéz d'Harlem aiant représenté dans l'assemblée des Etats d'Hollande, qu'il falloit savoir du Prince quelles personnes il soupçonnoit, elle l'envoia prier de les nommer, et d'y ajouter les raisons qui les rendoient suspectes. Les députéz extraordinaires et ordinaires de Zéelande, aiant su que les Etats d'Hollande faisoient cette députation, envoièrent aussi quelques-uns des leurs au Prince, qui dit aux uns et aux autres: que bien qu'il eût assez fait connoître la personne dont il avoit voulu parler, et que d'ailleurs il jugeoit qu'en cette fâcheuse conjoncture d'affaires il ne falloit pas re- | |
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chercher davantage celle-ci, il ne feroit pas de difficulté néanmoins de dire que c'étoit de P. de Groot qu'il avoit entendu parler. Qu'il ne le pouvoit pas acuser, ni soupçonner d'intelligence avec la France; mais qu'il ne savoit pas si les Etats Généraux, ni ceux d'Hollande, lui avoient donné un ordre exprèz et particulier de faire les grandes avances que l'on disoit qu'il avoit faites. Or, d'autant que l'assemblée n'y fit point de réflexion alors, parcequ'elle savoit que la plûpart des villes avoit voulu que l'on traitât avec la France, et que l'on conclût en toutes les façons, et que l'étendue du pouvoir, que l'on avoit donné aux députéz, avoit été fort vaste, les mêmes députéz d'Harlem qui s'étoient ci-devant joints à ceux qui avoient parlé de la paix avec le plus d'empressement, redoublèrent leurs instances, quelques jours aprèz, de l'ordre exprèz de leurs committens, à ce que de Groot fut somé de venir faire raport à l'assemblée des ofres qu'il avoit faites au roi de France, afin qu'aprèz que l'on en auroit fait part au prince d'Orange, qui les confronteroit avec l'ordre que de Groot avoit eu, l'on résolût sur ce sujet, ce que l'assemblée jugeroit à propos. Mais comme elle étoit composée d'un grand nombre de députéz qui avoit trop d'honneur pour perdre la réputation d'un homme qui avoit agi sur leurs ordres, et selon leur intention, elle jugea, qu'il n'y falloit pas toucher, et déclara, que l'on pouvoit se contenter du raport particulier que de Groot avoit fait le premier jour du même mois de juillet. P. de Groot étoit fils de Hugues, qui aprèz avoir passé par plusieurs emplois en sa patrie, a été lontems ambassadeur de la couronne de Suède à la cour de France. Il avoit pendant plusieurs annéez servi quelques princes d'Allemagne comme leur ministre; mais d'autant qu'il désiroit rentrer dans l'administration des affaires de sa patrie, dont son père avoit été éloigné depuis l'an 1618, il n'avoit point eu de peine à quitter ses emplois, pour passer au service de la ville d'Amsterdam en qualité de Pensionnaire. Il avoit beaucoup d'esprit; | |
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toutefois comme il l'avoit plûtôt enjoué que sérieux, sa manière de vivre libre et complaisante n'étoit pas agréable à l'humeur sévère de quelques-uns du magistrat, qui lui donnèrent d'abord un adjoint, avec un apointement bien plus considérable que celui que de Groot avoit, et quelquetems aprèz on le congédia tout à fait. Etant ainsi hors d'emploi, et ceux qui avoient la principale direction des affaires dans la ville d'Amsterdam s'oposant à tout ce qui lui pouvoit faire avoir part à celles de la Province, son esprit et sa capacité, aussi bien que ses amis, qu'il avoit en grand nombre, lui firent donner l'ambassade ordinaire de Suède, et afin d'y paroître avec une qualité qui le put faire considérer, la Hollande lui donna celle de député de sa part à l'assemblée des Etats Généraux. Ses ennemis y consentoient, parcequ'ils croioient l'éloigner par-là dans une des extrémitéz de l'Europe. A peine avoit il été un an en Suède que les Etats Généraux lui ofrirent l'ambassade de France, et le magistrat de Rotterdam l'apella presqu'en même tems à la charge de Pensionnaire ou Sindic de leur ville. Il remercia les uns et les autres, se réservant de s'en expliquer quand il seroit arrivé au païs. Etant de retour en la Province il se mit au service de la ville, qui le prêta à l'Etat pour un an. Il demeura à la cour de France jusqu'à la rupture, et comme il y avoit été assez agréable, on l'emploia à cette dernière députation, qui a failli de lui être funeste, et lui a été en effet trèz malheureuse. Dèz qu'il aperçut que le Prince avoit fait une réflexion particulière sur sa personne, il se représenta le péril qu'il avoit couru à Rotterdam, où il n'avoit été sauvé que par miracle des mains de deux assassins, qui l'attaquèrent au dernier voiage qu'il y avoit fait, ainsi qu'il descendoit les degréz de l'hôtel de ville, aiant le couteau à la main, et l'eussent effectivement tué, si quelques officiers de la bourgeoisie ne l'eussent repoussé avec tant de violence que les meurtriers ne purent pas porter leurs coups jusqu'à lui; et considérant que pour plusieurs autres raisons il ne pouvoit pas être agréable à ceux qui se trou- | |
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voient arméz d'une autorité et puissance absolue, il céda aux tendres et pressantes instances de sa femme, qui l'obligea de se retirer à Anvers, et de-là à Liège. Devant que de partir d'Anvers, il écrivit aux Etats d'Hollande, du premier jour d'août: Qu'il avoit espéré qu'aprèz avoir servi l'Etat dans les ambassades de Suède et de France, il pourroit jouir de quelque repos dans sa patrie, et de le trouver dans l'afection que le peuple devoit avoir pour les services qu'il avoit rendus. Mais qu'il y avoit rencontré des dispositions si oposéez à celle qu'il avoit eu sujet de s'en promettre, qu'il ne savoit pas comment il n'avoit pas été sacrifié à la fureur de quelques gens, qui sans le connoître, et sans être ofensé, l'avoient voulu tuer dans la ville où il avoit pris naissance. Que la rage du peuple n'avoit pas été capable d'ébranler sa constance, et qu'il n'auroit pas refusé de secourir sa patrie de ses conseils dans cette fâcheuse conjoncture, si le 20 et le 21 juillet, il ne s'étoit passé des choses dans leur assemblée, qui l'aiant fait juger, que l'intention de quelques-uns étoit d'attirer le péril général sur sa tête, et d'abandonner sa personne à la fureur d'un peuple enragé, il avoit été obligé de la mettre à couvert de celui où il s'étoit déjà trouvé exposé, et de se retirer dans un païs neutre, jusqu'à ce qu'il put retourner avec sa famille en toute sureté au service de sa patrie. L'on en envoia copie aux villes, et il n'en fut plus parlé. Mais il faut avouer que ceux qui condamnèrent la retraite qu'il fit en ce tems-là, ont été contraints de louer sa prudence, et de reconnoître, qu'aprèz les choses qui sont arrivéez depuis, il lui étoit impossible de trouver sa sureté dans le Païs. Le silence de la cour de justice le justifie, aussi bien que la déclaration que la princesse douairière d'Orange, qui d'ailleurs n'avoit pas beaucoup de sujet de l'aimer, fit alors: qu'étant député avec trois autres messieurs de l'assemblée des Etats Généraux pour la complimenter sur la promotion du Prince, son petit-fils, elle dit en la présence des autres, que De Groot devoit être bien satisfait en sa conscience d'avoir | |
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donné des avis si salutaires à l'Etat, et de l'avoir de si bonne heure averti de ce que l'on voit arriver présentement. Le Prince même lui rendit ce témoignage; mais les discours qu'il a tenu depuis publiquement sur ce sujet, quand il a dit que les avis de de Groot s'étoient souvent contrariéz, font juger, qu'il n'y avoit point de sincérité en ce que lui et la princesse en avoient dit, ou qu'il en avoit toute autre opinion que ce qu'il vouloit qu'on en crut. Ce qui achevoit d'animer le peuple contre de Groot, c'étoit la retraite que le vicomte de Monbas, son beau-frère, avoit faite dans la Bétuwe, pour laquelle le prince l'avoit fait arrêter prisonnier. Lorsque l'armée quitta le retranchement de l'Issel, on le conduisit à Utrecht, où l'on eut de la peine à le sauver des mains du peuple, et de-là au quartier du Prince pour lui faire son procèz. Il y fut détenu, interrogé, et examiné jusqu'au 23 juillet. Ce fut ce jour-là que le conseil de guerre le cassa, et lui ôta, par une première sentence, toutes ses charges, et le déclara inhabile et incapable d'en posséder aucune. Mais cette sentence n'étant pas agréable au Prince, le même conseil le condamna à tenir prison pendant 15 ans à ses dépens, au lieu où le prince l'ordonneroit. Cette seconde sentence, qui fut envoiée aux Etats Généraux, portoit, que cela se faisoit avec l'aprobation du Prince: mais il fit bien voir le contraire. Car bien loin de l'aprouver, il ne voulut point que la sentence fut prononcée et en écrivant le même jour aux Etats Généraux sur ce sujet, il y dit bien expressément: Qu'il la leur envoioit afin qu'ils jugeassent, si elle devoit être prononcée ainsi qu'elle étoit couchée. La plûpart des députéz de l'assemblée témoignèrent n'en être point satisfaits, opinèrent à ce que le procèz fut renvoié à des jurisconsultes, afin que sur leurs avis l'on pût former une autre sentence, puisque celle du conseil de guerre, n'aiant pas été prononcée, ne pouvoit pas être considérée comme un arrêt, et ne pouvoit pas avoir force de chose jugée, qu'en vertu de l'aprobation du capitaine général. | |
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Monbas indigné de voir sa réputation, qui est la dernière chose qu'un soldat doit perdre, flétrie, parceque ne pouvant pas être convaincu de trahison, on l'avoit condamné pour lâcheté et désobéissance, et voiant avec cela que, puisque l'on n'étoit pas satisfait de la peine portée par la sentence, il avoit sujet de craindre de finir ses jours dans la prison, ou quelque plus grande violence: il se sauva le soir du 28 juillet. Il étoit détenu à Bodegrave dans une maison particulière, où quelques cavaliers le gardoient, mais non pas si étroitement qu'il ne trouvât le moien de descendre par une fenêtre dans la cour, d'où il passa dans le jardin et dans la campagne. Il se retira d'abord vers la Haye dans les dunes, à dessein de passer par mer en Flandre. Mais n'osant pas s'hasarder, parceque le bruit de son évasion fut aussitôt répandu dans le Païs, il prit le chemin d'Utrecht, et traversa, à la faveur de la nuit, toute la campagne inondée, qui sert de frontière commune aux deux provinces d'Hollande et d'Utrecht. L'on dit que devant que son procèz eut été jugé, il avoit fait sonder mr. de Turenne, par deux de ses neveux qui avoient de l'emploi dans l'armée de France, s'il y trouveroit de la sureté, au cas qu'il put se défaire de ses gardes, et que Turenne avoit dit, qu'aiant porté les armes contre le roi, qui avoit fait confisquer son bien en France, il ne pourroit pas le protéger; et qu'il ne lui conseilloit pas de se commettre. Il ne laissa pas d'y aller; et quoiqu'il passât de-là à Cologne, il revint pourtant à Utrecht où il a paru publiquement, aprèz qu'il eut fait partir sa femme de la Haye, nonobstant ses incommoditéz véritables ou imaginaires, qui la tenoient attachée au lit depuis quelques annéez. En partant de Cologne, il écrivit aux Etats d'Hollande, et il fit imprimer la lettre, bien que sans lieu et sans date: Qu'il n'avoit désiré et procuré sa liberté que pour avoir d'autant plus de moiens de les servir, et de détruire les calomnies dont on tâchoit de noircir sa réputation; que devant que d'accepter la charge de commissaire général de la cavalerie, il avoit | |
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su le dessein que l'on avoit de le perdre; que toutes les formes de son procèz avoient été irrégulières et violentes; que la religion de quelques-uns de ses juges avoit été surprise, et qu'il y en avoit même qui n'avoient pas voulu avoir part à un jugement qu'ils prévoioient devoir être injuste; que les ordres qu'on lui avoit donné dans la Bétuwe se contredisoient, et que la lettre que Würtz, maréchal de camp, lui avoit écrite au sujet de son emploi au passage du Rhin, avoit été captieuse, et non pas tout-à-fait véritable. Ofrant de venir se justifier, si on vouloit lui assigner une ville où il put être en sureté, et si l'on obligeoit l'avocat fiscal à donner caution de 25000 livres pour les dépens du procèz dont l'événement lui seroit sans doute favorable. Il dit à la fin de sa lettre: qu'il tâcheroit de ne tomber pas dans la dernière nécessité; et il faisoit bien connoître par-là que son intention étoit de prendre parti ailleurs. Comme en effet au lieu de justifier ses actions, de l'innocence desquelles le monde n'étoit pas entièrement persuadé, ou du moins l'on croioit que si sa fidélité avoit été bien entière, il falloit que le coeur ou la tête n'eut pas bien fait sa fonction, il se jetta ouvertement entre les bras des ennemis de l'Etat; et se mettant à la tête des troupes Françoises, il a fait depuis tout ce qu'il a pu, pour tâcher de détruire le Païs qui l'a fait subsister pendant plus de 25 ans, et qui a fait sa fortune, quoiqu'il ne lui eût pas rendu le moindre service. C'est lui qui a conseillé au duc de Luxembourg de se saisir de la ville de Woerden, que les deux parties avoient abandonnée; qui a paru quand on l'a fortifiée; qui a cru rendre un grand service à la France en obligeant le même duc de Luxembourg à percer la levée qui borde la rivière le Leck, ce qui a plus incommodé la Province d'Utrecht que celle d'Hollande; et qui a été cause de la mort de tant d'honnêtes gens qui ont été tuéz à l'attaque que le Prince d'Orange à faite depuis à Woerden. Ceux qui ne l'ont pas voulu acuser de lâcheté ou de trahison, ont bien trouvé à redire à sa conduite, quand ils ont vu de quelle manière il a bien voulu écrire au prince d'Orange, en | |
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lui demandant permission de combattre mr. de Zuylestein, général de la cavalerie, les comtes de Stirum, et de Flodorp, et le seigr. de s'Gravemoer, colonel des gardes à cheval des Etats d'Hollande, qui avoient été ses juges: comme de l'autre côté l'on n'a pas aprouvé la réponse injurieuse et peu cavalière que ces messieurs lui firent faire par le bourreau. Si les lettres étoient ofensantes et peu judicieuses, ils pouvoient s'en ressentir par le moien dont ceux de leur qualité ont acoutumé de se servir, puisqu'il leur en faisoit naître l'ocasion, et les y convioit, plûtôt que d'outrager de cette façon un gentilhomme qu'ils avoient cru ne devoir pas condamner comme traître. Ce fut vers la fin de juillet que le roi de France, qui avoit toujours campé depuis qu'il étoit parti de St. Germain, et qui n'avoit pas vu une seule de ses conquêtes, à la réserve de Rhinberg et de la ville d'Utrecht, qu'il avoit seulement traversée, ennuié du séjour d'un lieu si différent et si éloigné de celui qui contenoit toutes ses délices, résolut de reprendre le chemin de la France, se faisant escorter d'une partie de la cavalerie jusques sur les frontières de son roiaume. Le prince de Condé, aiant de la peine à se remettre de sa blessure, et ne se voiant pas en état de pouvoir agir à la campagne, et de faire d'autres conquêtes, le suivit de prèz, avec le duc d'Enghien, et la plupart des volontaires. Les François avoient fait un effort dans le chapitre de Liège pour faire donner la coadjutorerie de l'église au cardinal de Bouillon. Mais le parti ne se trouva pas assez fort pour faire réussir cette élection. L'évêque de Strasbourg y prétendoit aussi, quoiqu'il ne fût pas aimé dans la ville depuis qu'il eut attiré les armes de France dans le Païs; et il y avoit d'autres prétendans. Mais l'on ne vouloit pas un François, et l'aversion que l'on témoigna pour le cardinal, fit bien connoître celle que l'on avoit pour toute la nation. A ce propos nous remarquerons ici, que lorsque le roi étoit campé auprèz de Wiset, où il fut mis en délibération, si on assiégeroit Mastricht, ou non, les Etats de Liège envoièrent | |
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leurs députéz au roi de France, et en obtinrent la continuation de la neutralité qui leur avoit été acordée en l'an 1654. Et néanmoins le maréchal de Turenne, avant que de s'éloigner de la Meuse, laissa garnison dans Tongres et dans Maseyck, et fit fortifier cette dernière place par Chamilly, qui y commandoit, et ce sans le consentement de l'électeur de Cologne, évêque de Liège. Le roi lui en fit représenter la nécessité par les deux Furstenberg, qui lui firent acroire que sans cela le païs de Liège ne pourroit pas se conserver contre les Hollandois, qui menaçoient d'y lever des contributions. De sorte qu'ils n'eurent point de peine à se faire donner une procuration, en vertu de laquelle ils firent un traité avec Louvois, au nom du roi T.C., et lui permirent de mettre garnison dans ces deux places, de faire fortifier l'une et de les garder jusqu'à ce que Mastricht seroit pris, ou que la paix seroit faite avec les Hollandois: à condition entr'autres, que le roi ne pourroit pas faire mettre le Païs de mm. les Etats sous contribution par les garnisons de ces deux places; et que le grand chapitre de Liège ratifieroit le traité. Mais dèz que la guerre fut ouverte du côté du Rhin, Chamilly envoia de la cavalerie dans la mairie de Bois-le-duc, et voulut contraindre les habitans du plat-païs d'envoir des députéz pour acorder avec lui touchant les contributions, et de les porter à Maseyck. De l'autre côté le chapitre de Liège, bien loin de ratifier le traité, qui fut signé au camp de Rhinberg le 5 juin, n'en eut pas la moindre connoissance de plus de trois mois aprèz, et ne l'eut pas sifôt, qu'il déclara, du consentement unanime de tous les capitulaires: que le traité choquoit la neutralité qu'ils prétendoient entretenir avec leurs voisins, aussi bien que les loix fondamentales de leur Etat, et la conservation des droits de leur église et de leur païs: protestant publiquement et solemnellement contre tout ce qui avoit été fait à cet égard par l'électeur, sans leur consentement, et contre les formes. Dèz que les Etats furent avertis de l'évasion de Monbas, | |
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ils ordonnèrent au seigr. de Zuylestein, qui commandoit sous le Prince au quartier principal, comme général de l'infanterie, de faire toutes les diligences possibles pour tâcher de le faire reprendre, et promirent une recompense de 3000 livres à ceux qui le feroient retomber entre les mains de la justice. Le conseil de guerre le fit ajourner aussi à trois briefs jours pour se venir justifier, et répondre aux faits que l'avocat fiscal prétendoit intenter contre lui, pour avoir passé la nuit par dessus les fortifications, et par les fosséz du quartier, et pour avoir violé la prison, pendant que l'on délibéroit sur sa sentence; et on l'a depuis condamné par contumace. N'aiant pas suffisamment justifié son procédé, il pouvoit encor moins justifier la retraite et le séjour qu'il a fait depuis en France, avec laquelle on l'acusoit d'avoir eu intelligence: ce qui a fait tort indirectement à de Groot, son beau-frère. Presqu'au même tems de la retraite et de l'évasion de ces deux beau-frères, un chirurgien qui demeuroit, ou avoit demeuré au village de Pirshil, en Hollande, aiant fait entendre au maître d'hôtel du prince d'Orange, que Corn. de Witt, ancien bourguemaître de la ville de Dordrecht, l'avoit voulu induire à tuer le Prince, S.A. communiqua l'affaire à la cour de justice, laquelle aprèz l'avoir mise en délibération, décréta prise de corps contre l'acusé sur la simple déclaration d'un particulier, envoia l'avocat fiscal, assisté de quelques sergents ou archers à Dordrecht, et le firent amener à la châtellenie de la Haye. Les loix de la plupart des villes ne permettent pas que la cour de justice évoque ou attire à elle la connoissance de l'affaire ou du crime d'un bourgeois en première instance. C'est pourquoi le fiscal ne pouvoit pas enlever ou emmener son homme, sinon du consentement du magistrat, aussi bien que de celui de l'acusé. Le prétendu crime étoit fort odieux. La majesté des Etats de la Province s'y trouvoit lèzée dans la personne de leur gouverneur et lieutenant général, et il étoit d'autant plus atroce, que dans ce tems, mêmes les moindres penséez que l'on pouvoit avoir au préjudice du Prince, étoient crimi- | |
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nelles. De sorte que le magistrat ne s'y osant pas oposer, renonça volontairement à son droit pour cette fois, aprèz avoir fait demander à l'acusé, par deux députéz de son corps, s'il prétendoit se servir du privilège qu'il avoit comme bourgeois de la ville. De Witt soit qu'il fut assuré de son innocence ou qu'il ne se trouvât pas tout-à-fait en sureté dans la ville de Dordrecht dans laquelle on avoit déjà attenté à sa vie, ne fit point de difficulté de suivre les ministres de la justice. Ce Corn. de Witt que l'on avoit vu plusieurs fois, de la part de sa ville, député au conseil d'Etat, et à l'assemblée des Etats de la Province, qui étoit ruart ou bailli de Putten, qui dans la dernière guerre d'Angleterre avoit fait une action qui lui avoit fait ériger un trophée dans l'hôtel de ville de Dordrecht, et qui lui avoit fait donner une reconnoissance fort considérable, celui que l'on avoit vu partir, au commencement de la campagne, environné de douze gardes-du-corps, habilléz de la livrée de l'Etat, pour aller en la qualité de plénipotentiaire à l'armée navale, ce qui n'avoit pas encor été vu en la personne d'un homme de sa condition: et qui fut pris dèz-lors par plusieurs pour une marque d'une catastrophe trèz aparente et infaillible; ce Corn. de Witt, dis-je, dont le frère puîné étoit premier ministre des Etats d'Hollande, et le premier mobile de tous les ressorts de l'Etat, fut conduit par la rue en criminel, suivi du prévôt et des archers de la cour, sans qu'il put obtenir un carosse qui le conduisit depuis le bateau, qui l'avoit amené, jusqu'à la châtellenie, où il fut logé en arrivant. Il ne sut le sujet de son emprisonnement que de la bouche de ses juges, qui l'interrogèrent le même jour. L'on fit d'abord un grand mystère de ses confessions, sinon que quelques-uns des conseillers ne purent pas s'empêcher de dire, qu'il varioit en ses réponses, et qu'il se contredisoit, et que sur cela ils avoient trouvé bon de le faire transférer de la châtellenie à la prison ordinaire, afin, en agravant par-là sa détention, de le préparer à un plus vigoureux examen. L'on enferma en même tems, dans la même prison son acusateur, qui | |
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jusqu'alors avoit eu la liberté d'aller, et de venir partout. Il s'apelloit Guillaume Tigchelaer, et avoit été ci-devant condamné par l'acusé, comme bailli du lieu de sa demeure, à faire amande-honorable, et il avoit encor en ce tems-là fait intenter action contre lui pour une violence assez criminelle. Ceux qui ont fait publier une espèce de manifeste pour la justification de Corn. de Witt, disent, que Tigchelaer, [que l'acusé ne connoissoit point, que pour avoir été sa partie, et qui étoit allé à sa maison sans qu'il en eut été requis], aiant, le 8 juillet dernier, été admis dans la chambre où l'acusé étoit malade au lit, aprèz qu'on l'eut renvoié plus d'une fois, lui fit d'abord un discours fort afecté touchant la fâcheuse situation des affaires présentes; lui dit que le prince d'Orange alloit prendre une autorité plus grande que celle que ses prédécesseurs avoient eue; qu'il épouseroit sans doute la fille du duc d'Yorck, et que par ce moien le Païs tomberoit sous la domination des Anglois. Qu'il lui dit ensuite, que s'il vouloit l'écouter, et promettre de le ménager, il lui communiqueroit un secret trèz important pour sauver l'Etat. Que l'acusé lui avoit reparti, que si c'étoit quelque chose de bon, il le pouvoit bien dire; mais que s'il minutoit quelque crime, il n'avoit qu'à se taire, et à se retirer: et que sur cette repartie, qui fut confirmée par deux ou trois fois, l'acusateur sortit de la maison aprèz l'entretien d'environ un petit quart-d'heure. Que de Witt aiant été informé du nom et de la qualité du personnage, envoia quérir un des secrétaires de la ville, et le requit d'en faire part aux bourguemaîtres, afin que l'on s'assurât de la personne de l'acusateur. Qu'il n'y avoit point d'aparence qu'un homme de condition comme de Witt, qui n'avoit jamais été soupçonné d'aucune mauvaise action, voulut entreprendre un attentat si exécrable, et encor moins communiquer une pensée si criminelle à une personne inconnue, ou suspecte, et conserter avec lui dans si peu de tems les moiens de l'exécution: comme il n'y avoit point d'aparence aussi, que l'acusateur qui avoit déclaré que l'acusé lui avoit dit, qu'il y avoit encor trente autres | |
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personnes qui avoient promis de tuer le Prince, eut mis huit jours à le faire savoir à S.A., qui cependant couroit risque de perdre la vie entre les mains de tant d'assassins, s'il avoit pour elle le zèle qu'il vouloit faire acroire. Vers la fin de l'année, et longtems aprèz l'assassinat des deux frères, l'acusateur fit imprimer une espèce de manifeste, où il ne proteste pas seulement devant Dieu et devant les saints, (dit-il) que son acusation est trèz véritable, et qu'il ne s'y est engagé que par un mouvement de zèle pour le bien de sa patrie, et d'afection pour la conservation de la vie du Prince, mais il tâche aussi de justifier toute sa vie, ses moeurs et sa conduite: comme si aprèz les preuves et les témoignages qu'il produit, l'on ne pouvoit plus douter de la vérité. Les parens du défunt répondoient: que les protestations d'un homme qui a l'audace de se rendre délateur d'un crime atroce, sans aucune preuve, contre une personne de condition, dont la probité n'avoit jamais souffert la moindre atteinte, ne doivent pas être beaucoup considéréez: que les attestations dont il a rempli son manifeste, sont mendiéez, et d'autant plus suspectes que le magistrat de Pirshil, lieu de sa demeure, avoit refusé de lui en donner une; et qu'une personne de qualité qui a été député pendant plusieurs annéez de la part de la noblesse de Gueldre à l'assemblée des Etats Généraux, à qui il avoit servi de laquais, a dit plus d'une fois, que toute sa vie n'avoit été qu'une suite de friponneries, et que toutes ses actions marquoient autant de mauvaises inclinations. Ils remarquoient aussi que dans le même manifeste l'acusateur y avoue, qu'il n'a parlé qu'une seule fois au défunt, qui n'étoit pas assez étourdi pour parler d'une affaire de cette importance à une personne inconnue, et assez intrépide pour entreprendre lui même une grande action, quoique pas assez méchant, ni assez lâche pour tramer une trahison contre la personne du Prince. Mais tout ce que les parens alléguèrent pour l'innocence de l'acusé ne put pas empêcher qu'il ne fut apliqué à la question. | |
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Il la soufrit en protestant que les douleurs, qui étoient d'autant plus sensibles, qu'il languissoit encor de la maladie qui l'avoit obligé à quitter l'armée navale, et l'avoit tenu longtems attaché au lit, ne le forceroient jamais à dire des choses contraires à la vérité, et à la réputation de sa personne, et de sa famille. De sorte que la cour n'en pouvant pas arracher la confession, sans laquelle les loix du Païs ne lui permettent pas de condamner un criminel à la mort, déclara par sa sentence, que toutes ses charges étoient vacantes, et le condamna à un bannissement perpétuel, et aux dépens du procèz, taxéz depuis à 1966 livres, 9 sous, sans les vacations des conseillers. Pendant sa détention on publioit plusieurs choses qui lui étoient fort désavantageuses, et sur lesquelles mêmes on lui auroit pu faire son procèz, si elles eussent été bien vérifiéez. L'on disoit: que pendant qu'il étoit plénipotentiaire dans l'armée navale il y avoit eu un démêlé avec le lieutenant amiral, à qui il avoit donné un souflet, et que de Ruyter lui avoit donné un coup de couteau dans le bras, et que ce coup avoit servi de prétexte à la maladie, qui l'avoit obligé à demander son congé pour se retirer chèz lui. L'on y ajoutoit: qu'il n'avoit pas voulu combattre les ennemis de l'Etat, et particulièrement les François, et que le lendemain de la dernière bataille il avoit refusé de retourner au combat. Ces bruits étoient si universels, et avoient fait une si forte impression, que l'on ne pouvoit pas douter d'une vérité que le peuple jugeoit être si bien établie, sans se rendre suspect, criminel et complice de la trahison dont on l'acusoit. Il y avoit peu de personnes de qualité qui n'en fussent persuadéez, ou qui ne voulussent faire acroire qu'elles l'étoient. Ceux qui vouloient bien faire leur cour, en parloient comme d'une chose constante, et même l'assemblée des Etats d'Hollande en croioit quelque chose, jusqu'à ce qu'on vit paroître une lettre que de Ruyter écrivit aux Etats Généraux et à ceux d'Hollande, où il dit: qu'aiant apris, que le Païs étoit rempli du bruit d'une prétendue querelle qu'il avoit eue avec le ruart de Putten, en | |
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laquelle celui-ci auroit été blessé; qu'il avoit refusé de combattre les François, et de retourner au combat le lendemain de la bataille: son honneur et sa conscience l'obligeoient à déclarer, qu'il n'avoit jamais eu le moindre différend ou démêlé avec lui; au contraire qu'ils avoient toujours vécus en frères. Que le ruart avoit proposé et conseillé le combat; qu'il y avoit donné des preuves de son courage et de sa conduite, et qu'il n'avoit pas tenu à lui, mais bien aux ennemis que le combat ne fut recommencé le lendemain. Ceux qui avoient de la peine à se défaire de leur préocupation, ou à se dédire des bruits qu'ils avoient seméz et fomentéz, vouloient faire croire d'abord, que ce n'étoit pas de Ruyter qui avoit écrit cette lettre. Mais comme ils ne pouvoient pas nier qu'il ne l'eut signée, et que l'impudence eut été trop grossière de produire aux yeux des Etats une fausse lettre, ils publioient que c'étoit une chose mendiée, et que la lettre lui avoit été envoiée d'ici, afin qu'il la signât. De Ruyter a confessé, que le Cons. Pensionnaire lui en avoit envoié le projet, et qu'il en avoit été bien aise, parceque n'étant pas grand clerc, il auroit eu de la peine à s'exprimer sur le papier. Mais qu'il y avoit changé quelque chose, et qu'il n'avoit pas fait de difficulté de décharger sa conscience en justifiant l'innocent. Aussi n'étoit ce pas là le noeud de l'affaire. Il falloit savoir si de Ruyter étoit homme à déguiser la vérité, et s'il la pouvoit cacher aux lumières pénétrantes des Etats impunément. Il ne put pas lui-même se mettre si bien à couvert de la médisance, que sa famille ne se trouvât dans un trèz grand péril. Un matelot qui avoit été puni pour quelque crime, se trouvant à Harlem au lieu où les barques d'Amsterdam arrivent, y publia, que de Ruyter avoit traité avec les ennemis, et qu'il s'alloit rendre avec tous les vaisseaux de guerre à la France. Ce bruit impertinent aiant été aporté à Amsterdam, les femmes dont les maris servoient dans l'armée navale, en prirent l'allarme, et faisant marcher avec elles un grand nombre de personnes de leur qualité, de l'un et de l'autre sexe, | |
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allèrent droit à la maison de l'amiral, et se mirent en devoir de la forcer et de la piller. Mais ils en furent empêchéz par quelques compagnies de bourgeois, qui se mirent sous les armes, et l'amirauté aiant été avertie du désordre, fit couler dans le canal sur lequel la maison est située, une barque à plat-fond, avec 4 ou 5 petites pièces de canon chargéez à cartouches. De sorte qu'il ne fut pas fort difficile de dissiper cette canaille, qui venoit chercher le butin, et non la mort, ni le péril. De même le Cons. Pensionnaire étoit publiquement acusé d'avoir profité tous les ans de plus de 80.000 livres du fonds destiné aux correspondances secrètes. Les libelles impriméz le publioient, et l'on n'en pouvoit pas douter, à moins de pécher contre le sens commun. Et néanmoins les conseillers députéz qui sont les ordonnateurs des finances de cette province, en écrivant aux Etats d'Hollande, confirmèrent ce que de Witt leur avoit représenté, savoir, que tout le fonds afecté aux correspondances secrètes ne montoit qu'a 24.000 livres, dont l'on faisoit un article dans l'état de la guerre de la généralité: que les Etats Généraux en consument une partie, et que pour ce qui est du reste, que ce n'étoit pas de Witt qui en avoit disposé; mais que les conseillers députéz en ordonnoient sans que le Cons. Pensionnaire eut le maniement d'un seul denier. Mais quand il l'auroit eu, qu'il se trouvoit que la dépense ne montoit par an qu'à environ 6000 livres, l'un portant l'autre. Il lui étoit bien plus facile de se justifier, que de contenter le peuple au sujet de l'oposition qu'il avoit formée à l'avancement du prince d'Orange, qui faisoit son véritable crime. Ceux qui le vouloient excuser, disoient: qu'il n'y avoit point de capitaine général, ni de gouverneur de province lorsqu'il entra dans les affaires en l'an 1653. Qu'il croioit être obligé de les laisser dans l'état où il les avoit trouvéez: de faire comprendre aux députéz de l'assemblée le prix de la liberté, et de s'oposer à tout ce qui la pouvoit violer ou alterer. Qu'il avoit de l'estime pour le mérite et pour la naissance du Prince, et | |
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du respect et de l'afection pour sa personne; mais que l'un et l'autre cédoient à ce qu'il devoit à sa patrie, qui lui étoit plus chère que tous les intérêts du monde. Qu'en cette vue il s'étoit rendu assidu auprèz de S.A., afin de le former de bonne heure aux emplois dont l'Etat le jugeroit capable, et pour lui faire comprendre que sa grandeur, quelqu'elle puisse être un jour, n'étoit qu'une dépendance de celle des Etats, à qui il en auroit l'obligation: comme en effet l'on ne peut pas nier que le Cons. Pensionnaire ne se soit apliqué avec soin et assiduité à lui faire comprendre les fondemens du gouvernement de l'Etat, à l'instruire de tout ce qui pouvoit former un prince achevé, et à lui donner la première teinture de la véritable morale, laquelle comme elle le fait aujourd'hui le premier, le fera aparemmant aussi le plus honnête homme de l'Etat. Les autres disoient au contraire: que tout ce qu'il faisoit n'étoit qu'un ressentiment de ce que son père avoit souvert en l'an 1650. Qu'il n'éloignoit le Prince des affaires qu'afin de faire les siennes; et que toute sa conduite marquoit une ambition déréglée, et un dessein d'établir la fortune de sa maison, et d'avancer ses parens, que l'on apelloit les princes du sang, et amis, aux charges et emplois, qui en étoient tous remplis, plûtôt qu'un zèle désintéressé pour l'Etat. Mais ceux qui en jugeoient sans passion, remarquoient, que la liberté de l'Etat et l'emploi du Prince n'étoient pas incompatibles. Que le Prince étoit un sujet trop puissant et trop intéressé dans l'Etat pour y pouvoir vivre en particulier. Qu'il étoit impossible de déraciner des coeurs du peuple l'afection qu'il a pour la maison d'Orange. Que de Witt devoit considérer, que lui et tous ses amis ne pouvoient pas empêcher, que les six provinces, et la plupart des villes d'Hollande ne fissent des instances continuelles pour le rétablissement du Prince, et ne l'emportassent enfin contre l'intention de quelque peu de régents. Que la difficulté que l'on avoit faite de consentir à la nomination d'un capitaine général avoit retardé toutes les résolutions, empêché les levéez, et jetté l'Etat dans le désordre dont l'on ne | |
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voioit pas encor la fin. Et pour dire en un mot; qu'il avoit manqué de jugement en ce que pouvant aquérir l'afection du peuple, avec l'amitié du Prince, faire la fortune de sa maison sur un établissement inébranlable, assurer le repos de l'Etat, en fournissant à S.A. des conseils salutaires, afermir la liberté du Païs, en faisant faire une bonne instruction pour le capitaine général de l'Etat, et en faisant régler le pouvoir du gouverneur de sa Province sur les principes que l'on avoit établis depuis vingt ans, il avoit négligé l'un et l'autre, et avoit mieux aimé s'attirer sur les bras la haine du peuple, et l'indignation du Prince par une fierté et fermeté plus que stoïque, et ruineuse à l'Etat en la conjoncture présente. Ses blessures le tenoient attaché au lit, et l'avoient empêché de se trouver à l'assemblée des Etats d'Hollande, lorsqu'elle résolut de donner le gouvernement de la province au prince d'Orange. De sorte que n'aiant pas eu part à ces délibérations, et n'aiant pas été dispensé, et même ne le voulant pas être du serment qu'il avoit fait sur l'Edit Perpétuel, qui l'obligeoit à ne soufrir point que l'on fit revivre la charge de gouverneur, et qui lui défendoit de former une conclusion contraire à l'Edit, il ne voulut pas par sa présence autoriser une chose qui avoit été faite sans lui et contre son sentiment. Il voioit d'ailleurs tous ses vastes desseins ruinéz, les principes de sa manière d'agir détruits, et un si étrange changement de théatre qu'il n'y pouvoit plus représenter qu'un personnage muet ou ridicule, aprèz y avoir paru comme chef de la troupe. Cette considération l'aiant fait résoudre à remettre sa charge entre les mains des Etats d'Hollande, ses maîtres, il se rendit dans l'assemblée le 4 d'août, aprèz avoir visité et prié tous les membres en particulier de seconder les instances qu'il feroit pour sa démission. Il y représenta de bouche et par écrit: qu'il y avoit 19 ans passéz qu'il servoit la Province en qualité de Cons. Pensionnaire. Que pendant ce tems il avoit travaillé avec zèle et aplication à détourner la guerre que les deux puissances voisines faisoient à l'Etat. Que la voiant inévitable, | |
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il n'avoit pas laissé de presser continuellement tant les Etats d'Hollande, que les députéz des autres provinces, leurs alliéz, de se préparer à une vigoureuse résistance. Que ceux d'Hollande y avoient pourvu avec toute la promtitude que l'on pouvoit désirer du mouvement pesant d'un corps composé de tant de membres, qui ne se portent ordinairement à de fortes résolutions que par la considération d'une nécessité pressante, et d'un péril éminent et inévitable, plûtôt que par la force du raisonnement, quelque puissant qu'il puisse être. Que nonobstant l'ordre qu'ils avoient pu donner, l'Etat n'avoit pas laissé d'être acablé de disgrâces et de malheurs incroiables, qui avoient préocupé les esprits du peuple d'un préjugé contre ceux du magistrat, et particulièrement contre ceux qui avoient eu la principale direction des affaires, dont il étoit impossible de le guérir. Que lui en son particulier se trouvoit tellement exposé à la haine du peuple, que le service qu'il continueroit de rendre en cette qualité, seroit plus préjudiciable qu'avantageux à l'Etat. Et ainsi, qu'il jugeoit qu'il en rendoit un trèz considérable aux Etats, en les priant de le dispenser de la continuation de son emploi, de lui acorder son congé, et de lui permettre de prendre séance au grand conseil, en qualité de conseiller, suivant les résolutions qu'ils avoient ci-devant prises en sa faveur sur ce sujet. Quelques-uns de ses amis furent d'avis, qu'il falloit le prier de continuer de servir l'Etat en cette fâcheuse conjoncture d'affaires. Mais les autres qui savoient ses intimes sentimens, dirent que cela seroit inutile; que la résolution en étoit prise, et que tout ce qu'on pourroit faire pour lui, c'étoit de lui donner son congé de bonne grâce. Tellement que suivant cet avis, qui se trouva fortement apuié de ceux qui le vouloient éloigner des affaires, on lui acorda le congé qu'il avoit demandé, on le remercia des services qu'il avoit rendus, on lui permit de prendre séance au grand conseil, et le rang devant ceux qui y avoient été reçus dépuis le 6 aout 1658. Il eut pour successeur en cet emploi G. Fagel, fils d'un | |
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conseiller de la cour de justice, sorti du côté du père d'une famille ancienne et honorable. Dans sa première profession d'avocat, qui est le séminaire de toutes les dignitéz de robe en ce Païs, aussi bien qu'ailleurs, il avoit aquis une si grande réputation de probité et de capacité, que la ville d'Harlem le convia par de grands avantages à accepter la charge de pensionnaire, qui lui donnoit entrée dans l'assemblée des Etats d'Hollande. Il n'y avoit pas été longtems qu'il devint incommode au Cons. Pensionnaire, qui, pour faire sortir de l'assemblée un personnage capable de rompre toutes ses mesures, le disposa à poursuivre la charge de greffier des Etats Généraux, et emploia ses amis à la lui faire obtenir. Elle est aussi honorable que lucrative, et elle ne pouvoit pas ne plaire point à un homme infatigable. De Witt y réussit; mais il ne fit qu'augmenter le crédit de Fagel par celui que sa capacité et son travail lui aquirent dans l'assemblée des Etats Généraux, pendant qu'il conservoit celui qu'il avoit dans sa Province. Le prince d'Orange se servoit souvent de ses avis, et utilement pour ses intérêts particuliers. C'est pourquoi l'assemblée ne pouvoit pas faire un choix qui fut plus agréable au Prince, ni plus avantageux à l'Etat, même de l'avis de ceux qui ne trouvoient pas leur compte au changement. L'on eut de la peine à le disposer à accepter un emploi lequel étant trèz pénible et trèz difficile en tout tems, étoit devenu plus fâcheux, et dangereux en la conjoncture présente. C'est pourquoi il n'y eut que la considération et les instances du Prince qui l'obligèrent à s'en charger, à dessein de s'en décharger dèz que l'Etat des affaires publiques le lui permettroit: et moiennant une pension de 12.000 livres, et la promesse d'un office qui lui rendroit pour le moins 4.000 livres tout les ans, quand il voudroit quitter celui-ci. Il fallut l'acheter, parcequ'à moins de cela il ne seroit pas sorti d'un emploi qui lui rendoit pour le moins autant, pour entrer dans un autre qui lui donnerait plus de peine, et moins de profit. Le devoir que l'on a à la patrie n'oblige pas les ministres à la servir à leurs dépens, et | |
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quoique leur service ne soit pas mercenaire, l'Etat est tenu néanmoins de le reconnoître, et de leur donner le moien non seulement de subsister, et de soutenir avec quelque lustre la dignité de leur emploi, mais aussi de faire la fortune de leur maison et de leurs parents. Le prince d'Orange s'étoit utilement servi de ses conseils pendant que les Etats délibéroient touchant le commandement de l'armée, et l'on ne peut pas nier que ce ministre ne lui ait rendu de trèz grands services. Mais il y en a qui jugeoient, que dans la passion qu'il avoit d'établir le Prince, il ne se souvenoit pas bien de ce qu'il devoit à l'Etat, et qu'il n'a pas bien ménagé ses intérêts quand il a aidé à faire tomber la charge de gouverneur et lieutenant général de la Province, sans instruction et condition, et quand il a mieux aimé que S.A. eut l'obligation de son avancement à la rage efrénée d'un peuple soulevé, qu'au choix légitime des Etats, qui ne pouvoit avoir pour objet que la personne du Prince. L'on ne peut pas nier non plus, que Fagel n'ait de trèz grandes qualitéz. Il est d'un travail infatigable, et a une aplication merveilleuse, tellement qu'aiant une mémoire trèz heureuse, il ne se peut qu'il ne sâche une infinité de belles choses. Il est avec cela incorruptible, fort résolu, et tellement assuré du succèz des affaires, qu'il est capable d'inspirer du courage à ceux qui n'en ont point, et de répondre des événemens, même contre la raison, et contre les aparences. Pour dire en un mot, c'est un trèz grand homme, et s'il avoit tant soit peu de connoissance des affaires de la guerre et des finances, et surtout des intérêts des puissances étrangères, et avec cela un peu plus de phlegme en ses raisonnemens, et un peu plus de de civilité pour ceux qui ont à négocier avec lui, l'on en pourroit former un ministre achevé. Ce que l'on y trouvoit à redire, ce fut qu'autre fois, lors que son zèle ne pouvoit pas être intéressé, ni sa conduite suspecte, l'on avoit remarqué en lui des sentimens bien oposéz à ceux qui le faisoient agir alors. Ce fut lui qui étant député en l'an 1668 de la part des Etats | |
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Généraux, dit dans l'assemblée des Etats de Frise, qu'en mettant l'autorité politique et le commandement des armes entre les mains d'une seule et d'une même personne, l'on exposoit l'Etat au péril évident d'être assujetti par celui qui en devoit protéger la liberté. Que les délibérations politiques n'auroient pas pour objet le service de l'Etat, mais l'avantage particulier du gouverneur et capitaine général, et qu'étant le ministre des forces de l'Etat, il feroit exécuter les résolutions qu'il feroit prendre par ses confidents et créatures, ainsi qu'il jugeroit à propos: et que le mal seroit d'autant plus grand, que celui à qui on confieroit ces deux hautes dignitéz, étant homme, il seroit aussi sujet à des passions humaines, et pourroit porter ses penséez ambitieuses jusqu'à la souveraineté, au préjudice irréparable de la liberté. Il y en avoit aussi qui disoient (et il étoit vrai) que l'Edit Perpétuel que les Etats d'Hollande avoient fait pour la supression de la charge de gouverneur de leur Province, étoit son ouvrage, et qu'il en avoit écrit la minute de sa main. Tellement qu'il y eut de quoi s'étonner, que le même ministre qui par un serment particulier, dont il n'a jamais été dispensé, étoit obligé de parler pour la liberté et pour les avantages de la Province d'Hollande, osa bien, à l'entrée de son emploi, proposer dans l'assemblée des Etats de la même Province, qu'il falloit donner au Prince la disposition de toutes les charges militaires: comme en effet ils la lui donnèrent par une résolution formelle du 27 août, par provision, et jusqu'à ce que l'on auroit établi un autre ordre touchant les gens de guerre que la Province paie. Il auroit avec la même facilité obtenu la souveraineté même, puisqu'il l'a bien fait donner depuis dans un tems moins dangereux et moins turbulent, sous le nom de la survivance du gouvernement de la Province. J'ajouterai ici ce qu'on a ouï dire à son prédécesseur, lorsqu'il sut que le gouvernement de la Province avoit été donné au Prince: Qu'il ne croioit pas qu'homme vivant le put dispenser du serment qu'il avoit fait sur l'Edit Perpétuel; et qu'il | |
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n'auroit jamais prononcé de sa bouche une résolution qui le renverseroit, quand même on l'auroit déchiré en lambeaux: comme l'on auroit fait, même au dire du bourreau, si on l'eut étendu un peu davantage. Quoiqu'il en soit, l'aversion qu'il avoit témoignée avoir pour l'avancement du prince d'Orange, l'aiant fait venir celle du peuple et particulièrement des habitans de la Haye, cette démission volontaire ne fut pas capable de la détruire, ni d'en détourner les funestes effets, aussi bien que de son frère, le 20 août de la présente année 1672. La cour de justice n'aiant condamné le dernier qu'au bannissement perpétuel, ainsi que je viens de dire, parcequ'elle ne pouvoit pas le condamner à la mort faute de preuves et de confessions, le peuple aiant su que la sentence lui avoit été prononcée, et qu'il alloit sortir, en fit du bruit, qui ne cessa qu'aprèz la mort des deux frères. L'on dit qu'aprèz que la cour eut prononcé la sentence au ruart, et ordonné que les portes de la prison lui fussent ouvertes, il pria le géolier d'aller dire à son frère qu'il seroit bien aise qu'il le vint voir et qu'il lui amenât son carosse, parceque la foiblesse qui lui restoit de la torture, l'empêchoit de marcher. Mais il est certain que le géolier n'y alla pas, et que ce fut sa servante qui fit le message; comme aussi que ce ne fut pas le ruart, mais une personne apostée qui envoia quérir le frère, à dessein de faire périr l'un et l'autre en même tems. L'on remarqua que l'on faisoit le poil au frère lorsqu'on vint lui dire que le ruart désiroit de le voir, et que pendant qu'il étoit entre les mains du barbier on lui aporta une copie de la sentence, sur laquelle il faisoit quelques réflexions, quand on vint lui faire un deuxième message au nom de son frère, mais en effet à l'instigation de quelqu'un qui avoit envie de se défaire des deux frères à la fois. Etant sur le point de sortir, sa fille aînée, de l'éducation de laquelle il avoit toujours pris un soin tout particulier, en sorte qu'il en avoit fait une personne fort raisonnable, le pria et le conjura ardemment de n'exposer point sa personne et sa famille à la fureur d'une po- | |
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pulace qui le haïssoit, et qui s'atroupoit déjà auprèz de la prison. Mais elle ne put rien obtenir sur son père, qui faisant bouclier de son innocence, suivit aveuglement les mouvemens d'une fermeté inébranlable et fatale qui le conduisirent à sa ruine. L'on croioit que la fermeté du ruart obligeroit les juges à faire apliquer l'acusateur à la question, laquelle on ne devoit pas faire de difficulté de lui faire soufrir, puisque sa vie n'étant pas exemte de reproches, la présomption de calomnie étoit plûtôt contre lui, que celle d'un crime si atroce contre une personne de condition qui n'avoit jamais été soupçonnée ni de celui-là, ni d'aucun autre, et qui étoit encor ministre public revêtu de la qualité de député plénipotentiaire dans l'armée navale. Mais c'est ce qu'ils ne firent point, et même ce qui est inouï et incroiable, ils ne confrontèrent jamais l'acusateur à l'acusé. La cour aprèz avoir prononcé la sentence du ruart fit aussitôt ouvrir les portes de la prison au chirurgien qui l'avoit acusé, et qui ne se vit pas sitôt dans la rue, qu'il cria que la justice, aiant reconnu la vérité de son acusation, l'avoit mis en liberté; mais qu'elle y alloit aussi mettre sa partie, laquelle ne pouvant pas être innocente puisque son acusation étoit véritable, c'étoit aux bourgeois à y prendre garde, et à ne permettre point qu'un homme qui avoit attenté à la vie du Prince, laquelle devoit être si chère à l'Etat, en échapât à si bon marché. Son action a été aprouvée, et justifiée depuis, vu que l'on a voulu que le gentilhomme qui a succédé à la charge de ruart, ait donné à ce chirurgien celle de lieutenant, pour en faire les fonctions sous lui, et en son absence, comme une récompense du service qu'il avoit rendu à l'Etat en lui conservant une vie aussi précieuse que celle du Prince. Il y avoit déjà quelques jours que sur le bruit qui avoit couru que le ruart avoit voulu se sauver, la populace s'étoit atroupée, avoit menacé de piller les maisons voisines, avoit contraint la cour de le faire venir à une fenêtre pour le faire | |
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voir à ceux qui s'étoient assembléz dans la rue, et d'y faire poser un corps-de-garde d'une brigade de bourgeois, et il y avoit toujours deux mousquetaires en sentinelle à la porte de la prison, tant pour le garder contre la rage de la canaille, que pour l'empêcher de se sauver. Sur le bruit que le chirurgien faisoit, le peuple que quelques particuliers, qui en ont été récompenséz par le Prince, sollicitoient et animoient assez ouvertement, y acourut de tous les quartiers de la ville. De sorte que lorsque les deux frères voulurent sortir de la prison, la porte étant déjà ouverte, les mêmes sentinelles s'y oposèrent, compassèrent la mèche, et se mirent en état de tirer: comme elles eussent fait si les deux frères ne fussent rentréz. Ce fut là le commencement du désordre qui s'augmentoit à mesure que le concours de la canaille se multiplioit. De sorte que l'on apréhenda de voir la porte forcée, et les deux frères massacréz dans la prison: ce qui étoit l'intention de ceux qui n'en vouloient pas faire à deux fois, et qui ne l'avoient pas dissimulé dèz qu'ils virent entrer le puîné dans la prison. Pour prévenir ce malheur, le capitaine de la compagnie bourgeoise qui étoit de garde, alla demander l'ordre aux conseillers députéz, qui le renvoièrent à la cour de justice. Ils vouloient faire acroire que c'étoit une suite de la sentence qu'elle venoit de prononcer: comme si ce n'étoit pas le fait d'un collège qui a la direction des armes de la Province à les emploier pour le repos de l'Etat, et à s'oposer au soulèvement dont la ville étoit menacée. La cour reçut favorablement la proposition que le capitaine fit de se tenir avec trois ou quatre officiers ou bons bourgeois auprèz des deux frères, ne doutant point que les autres n'eussent quelque considération pour eux, et ne permissent qu'ils les gardassent jusqu'à ce que le Prince, à qui l'on avoit donné avis du tumulte par un exprèz, eut ordonné ce qu'il vouloit qu'on en fit. Cepandant sur le bruit dont toute la Haye étoit remplie, et sur celui que l'on faisoit courir exprèz, que les païsans de Maesland, et de plusieurs autres villages voisins, | |
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venoient piller la Haye et y mettre le feu, si le ruart se sauvoit, tous les autres bourgeois se mirent sous les armes, et allèrent se poster sur les avenues de la prison, sans l'ordre du magistrat, qui étoit irrésolu et timide, et qui, pour dire la vérité, n'en étant plus le maître, ne le pouvoit pas empêcher. Quelque tems aprèz les conseillers députéz firent monter à cheval les trois compagnies de cavalerie qui y étoient en garnison, afin d'empêcher la sédition, et de tâcher de sauver les deux frères. Mais ce secours étoit trop foible contre un peuple enragé, plûtôt que mutiné. Car lorsqu'ils voulurent se joindre dans la basse-cour où est leur corps-de-garde, et pour cet effet passer par dessous la porte de la prison, les bourgeois s'y oposèrent, chargèrent leurs mousquets à bale, couchèrent en joue, et menacèrent de tirer si elles ne se retiroient. De sorte qu'espérant d'éviter un plus grand désordre, on les renvoia aux quatre ponts, qui sont autant d'avenues de la Haye, afin de prévenir les païsans, qui, à ce qu'on disoit, la venoient piller. Il est bien vrai que les habitans de Maesland et de quelques autres villages voisins, s'étoient atroupéz à dessein de venir fondre sur la Haye. Mais ils en furent empêchéz par l'adresse de Jacob de Volberguen, receveur général des Provinces-Unies, lequel étant allé voir les terres qu'il a en ces quartiers-là, pria le pasteur du lieu de l'aider à dissiper la canaille, comme il fit avec succèz. Sur les cinq heures du soir une des compagnies des bourgeois, étant presque toute composée de gens de trèz basse condition, soufrit que quelques-uns, qui avoient un dessein formel de tuer les deux frères, et qui en levant les mains au ciel, pour l'invoquer sur l'attentat qu'ils alloient entreprendre, avoient solemnellement juré leur mort, se missent en devoir de se rendre maîtres des portes de la prison. La compagnie qui étoit de garde s'y oposa d'abord; mais voiant que cette contestation ne pouvoit pas être poussée plus loin sans une | |
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horrible effusion de sang, et sans que les bourgeois se coupassent la gorge entr'eux, elle céda enfin à l'autre. Le magistrat aiant apris le désordre, y alla en corps. Mais pendant qu'il prenoit le chemin ordinaire pour aller à la prison, un des échevins, qui depuis deux jours s'étoit fort emploié à faire soulever le peuple, s'étant fait acompagner d'une autre personne du magistrat, qui étant recherchée pour des malversations commises au fait des finances dont il avoit eu l'administration, vouloit relever sa fortune en se rendant agréable au peuple, coupa par une petite rue et alla avertir les bourgeois de l'intention du magistrat, et les exhorta à le prévenir, afin de ne perdre pas l'ocasion de faire périr deux personnes, qui (à ce qu'il disoit) faisoient tout le malheur du Païs. Ce fut Jean van Banken, qui a été récompensé de la charge de bailli de la Haye, et qui a longtems porté une épée dont la garde représentoit la sanglante action de cette funeste journée: et à lui se joignit Pieterson, qui aiant été auparavant bourgue-maître, et ensuite receveur, et colonel de la bourgeoisie de la Haye, avoit été convaincu de tant de malversations à l'égard de sa recette, que ne pouvant pas soutenir sa réputation parmi les personnes d'honneur, tâchoit de la rétablir par une action, laquelle n'a pas encor trouvé l'aprobation d'un seul homme raisonnable. Quelques mousquetaires tirant sans cesse sur la porte de la prison, en firent sauter les gonds et les serrures, et achevèrent de la forcer avec des marteaux et d'autres instruments qu'ils allèrent quérir chèz un serrurier, afin qu'il ne manquât rien à la violence et à l'ouvrage qu'ils faisoient à la justice, à sa vue, et à celle des Etats d'Hollande, qui étoient encor souverains de la Province. Aprèz que la porte fut ouverte, quelques-uns des plus avancéz montèrent à la chambre, où ils trouvèrent le ruart couché sur le lit dans sa robe de chambre, et son frère assis aux pièz, tenant un livre de dévotion à sa main. Dèz que le Cons. Pensionnaire y entra sur le midi, le ruart se désespéra de le voir dans un lieu où il croioit bien mourir; mais | |
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il ne pouvoit pas se consoler de voir périr avec lui une personne qui lui avoit été si chère pendant sa vie, et qui pouvoit encor être l'apui de sa famille aprèz son décèz. Il en témoigna son regret en des termes qui eussent sans doute touché des coeurs moins insensibles que ceux de ces bourgeois, et ce fut là leur conversation et leur entretien pendant que les autres consultoient tumultuairement comment ils se défairoient de l'un et de l'autre. Les deux frères voiant que la fureur du peuple ne pouroit être assouvie que par leur sang, ne s'en étonnèrent point, mais prièrent les officiers de les faire mourir sur le lieu, et de ne les exposer pas à la brutalité et à l'emportement d'une populace irritée. Mais ils étoient déjà entre les mains des bourreaux, qui les traitèrent d'injures, les forcèrent de descendre, et de sortir de la prison, et de se mettre à la discrétion de leurs conducteurs, qui ne valoient pas mieux que ceux qui les attendoient dans la rue. A peine les avoient-ils fait avancer dix ou douze pas vers la Place, à dessein de les faire monter sur l'échafaut destiné à l'exécution des criminels, pour les y attacher à un poteau, et les tuer à coups de mousquets, que l'aîné fut abattu d'un coup de coutelas, qu'il reçut d'un soldat du régiment de la marine, dont le frère avoit été puni dans la flotte pour un crime, et fut achevé à coups de demi-piques, d'epéez, et de mousquets. L'autre fut frapé d'un coup de crosse de mousquet qui le coucha par terre, en sorte pourtant que se trouvant à genoux, et apuié sur ses mains, il demeura en cet état jusqu'à ce qu'un bourgeois s'avançant, lui donna un coup de pistolet dans la tête, dont il mourut. Plus de dix scélérats se sont vantéz d'avoir fait le coup; comme plus de vingt voulurent avoir part à la gloire d'avoir fait mourir au milieu de 1000 ou 1200 bourgeois armèz, deux hommes, dont l'un étoit en manteau, et l'autre en robe et en mules de chambre, incommodé de la torture qu'il avoit soufert le jour précédent, puisqu'on leur tira à chacun plus de 20 coups aprèz leur mort. | |
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Les corps des deux frères se trouvant ainsi étendus sur le pavé, il y en eut d'assez lâches pour leur donner cent coups de pié. Les autres leur marchèrent sur le ventre, et tous les abandonnèrent à la fureur de la canaille. J'ai horreur de parler d'une action qui n'a point d'exemples, et j'ai honte de dire que des Hollandois ont été capables de la commettre. Mais afin de ne prévariquer point, et de ne pas manquer à ce que je dois à la vérité de l'histoire, je dirai qu'il s'y trouva des brutaux qui se jettèrent sur les corps, les dépouillèrent, les trainèrent sur l'échafaut, qui n'est qu'à 30 ou 40 pas de la prison, et les pendirent par les piéz à l'estrapade. Il est vrai que quelques-uns de ceux qui les avoient tué ne voulurent pas participer à ce dernier outrage. Mais il est vrai aussi que les bourgeois bien loin de l'empêcher, en furent les spectateurs, assistèrent à cette cruelle exécution, en repurent leur vue avec joie, se tinrent sous les armes, et ne quittèrent point leur poste que tout ne fut achevé. Ce massacre abominable, et sans exemple en ce Païs, n'étant pas capable d'apaiser la fureur du peuple, on leur coupa le néz et les oreilles, on les mutila de tous leurs membres, que l'on a vu mettre à prix d'argent, et vendre publiquement, tant à la Haye que dans les villes voisines; on leur arracha la langue, et on leur ouvrit l'estomac pour en tirer le coeur, et pour en déchirer les entrailles. Il y eut un orfèvre, que toute la Hollande connoit particulièrement depuis cette action, qui aprèz avoir traité le ruart dans la prison avec beaucoup de cruauté, le forçant de se lever de la couchette où il reposoit, et de descendre, lui donnant à peine le loisir de prendre son caleçon et de chausser un de ses bas, qui prit les coeurs des deux frères dans son mouchoir, et les porta dans la maison qui joint la prison, où les aiant mis sur la table, et manié d'une façon horrible, il dit en la présence de quelques personnes de condition qui s'y trouvoient par hasard, que c'étoient les coeurs de ces deux chiens. Il les conserve encor présentement en de l'huile d'aspic, comme le trophée de son action | |
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héroïque. Il y en eut d'assez enragéz pour porter les dents dans la chair des deux frères, afin qu'il n'y eût point de barbarie qui ne fut exercée contre des corps que le bourreau même auroit épargné aprèz la mort, s'ils eussent été condamnéz pour crime. La nuit fit cesser le désordre, et donna aux parents des défunts la commodité de faire enlever leurs corps, pour les faire enterrer quelques jours aprèz. Ce fut là la fin de Corneille et de Jean de Witt, que l'on ne peut pas nier avoir été deux grands personnages, et d'un courage si intrépide, que trois des plus hardis, (je ne dis pas vaillants, car cette vertu ne loge pas dans ces ames basses et brutales), je dis, des plus déterminéz de ces bourreaux n'eussent pas osé afronter l'un des deux frères. L'aîné avoit rendu dans la rivière de Chattam un service qui lui avoit fait ériger un trèz illustre, mais un peu trop superbe trophée dans la ville de sa naissance; et toutes les actions de l'autre n'avoient eu depuis plus de vingt ans pour objet que le bien de sa patrie; de sorte qu'ils méritoient certes une mort moins cruelle, et plus honorable, au-moins si les penséez du premier ont été innocentes à l'égard du prince d'Orange. Le Prince qui avoit le plus de sujet de se plaindre de leur conduite, et particulièrement de l'oposition continuelle qu'ils avoient formé à son avancement, n'a pas pu s'empêcher de regretter le puîné, et de condamner l'horrible cruauté de ceux qui ont eu part à cette action. Je sais jusqu'à quel point il a estimé la perte de ce ministre, et qu'il a dit depuis en confidence à ses amis, que si le défunt étoit en état de le secourir de ses conseils, il les préféreroit à ceux de tous les ministres de l'Etat. Cette action est d'autant plus détestable, que parmi tous ceux qui y ont mis la main, il n'y en a pas un seul, qui puisse dire avoir reçu le moindre déplaisir de l'un des deux frères, ni qui ait la moindre connoissance de leur mauvaise intention. Le peuple aime et hait toujours sans raison. C'est pourquoi l'on peut dire que la cause de son indignation, s'il y en avoit, n'étoit que la passion qu'il avoit pour | |
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le Prince, et l'on ne peut pas parler même avec certitude du crime de l'aîné, sinon sur la déposition d'un seul homme, dont la vie et le témoignage n'étoient pas hors de reproches, et ne le sont pas encor. Il est certain qu'en la plus grande chaleur de cette sédition, l'orfèvre, qui est celui qui s'est le plus signalé en cette action, faisant réflexion sur la démarche qu'il avoit déjà faite, mit en délibération, s'il devoit achever la tragédie, ou en demeurer au bruit que l'on avoit déjà fait devant que de forcer la prison. Mais il se détermina enfin au meurtre, craignant (à ce qu'il disoit) qu'on ne le traitât avec ses complices de la même façon que la ville de Groningue avoit traité les séditieux, qui depuis quelques annéez s'étoient soulevéz contre son autorité, et que ceux qui étoient présentement entre leurs mains, ne les fissent punir, et paier la peine de la faute qu'ils feroient, de ne pas tuer ceux qui ne manqueroient pas de les faire punir un jour. J'ai horreur de le dire, et il est vrai néanmoins qu'il y a eu des pasteurs, même de ceux qui veulent faire croire être des plus zèléz, qui ont bien voulu être spectateurs de cette tragédie, et d'autres qui ont osé donner en public leur aprobation à cette sanglante exécution, jusqu'à mettre cette action en parallelle avec d'autres, auxquelles la Sainte Ecriture donne des éloges. Je ne sais pas même s'il y en a eu un seul qui n'en ait senti de la joie. C'est pourquoi je me trouve obligé de dire, que les inhumanitéz que des barbares mêmes ne voudroient pas commettre, étant peu conformes aux règles du christianisme, sont tout-à-fait incompatibles avec les principes de la religion réformée, dont la plupart des bourgeois font profession, et pour laquelle ils veulent faire croire qu'ils ont du zèle. Il faut avoir un excèz de charité pour le croire; mais s'il en a, il ne se raporte pas à celui que David disoit avoir pour la maison de Dieu, et qui le rongeoit. Mais il est d'une autre nature, puisqu'il ronge et consume ceux que le véritable chrétien devroit aimer et conserver comme sa propre personne. Je voudrois pouvoir me dispenser de dire, qu'il y a eu des pasteurs qui ont bien voulu repaître leurs yeux de ce | |
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triste spectacle, qui, au lieu de condamner ce meurtre, l'ont publiquement aprouvé, et qui ont soufert que ces meurtriers se soient aprochéz de la table du Seigneur, sans aucune marque de répentance, qu'ils aient reçu de leurs mains sanglantes le le sacré pain, et le calice mystérieux de Son sang, et que celui qui gardoit, et garde encor chèz lui les coeurs des deux frères, ait manié de ses mains impures et meurtrières les sacréz symboles, que les yeux les plus innocents ne devroient regarder qu'avec crainte et tremblement. Parmi tant de chiens muets dont les chaires des temples sont remplies, il n'y en a eu qu'un à la Haye, qui ait osé témoigner, qu'une action si inhumaine étoit incompatible avec la charité chrétienne; jusqu'à ce que ces bons réforméz et réformateurs l'aient menacé de le traiter de la même manière, qu'ils avoient traité leurs martyrs: ce qui l'a tellement intimidé, que trahissant, par une prévarication damnable, ses premiers et légitimes sentimens, il a bien voulu suivre les sentimens des autres, c'est à dire le train de Balaäm. Si leur crime méritoit la mort, c'étoit à la justice et non au peuple à les punir: comme c'étoit à elle à punir exemplairement le meurtre commis en ces deux frères. Il est vrai que le peuple étoit si bien persuadé de la mauvaise intention de l'aîné, que la cour de justice qui avoit été outragée par la force que l'on fit à la prison, faillit d'être violée en la personne de son président et de quelques-uns de ses conseillers, lorsque le peuple sut la teneur de la sentence. J'y ajouterai seulement, que toutes les histoires, tant saintes que profanes, ne fournissent pas un seul exemple où l'on voie des gens de bien et d'honneur mêléz dans les affaires de cette nature, parcequ'ils savent que les eaux d'une rivière, quelque grande qu'elle soit, ne peuvent pas nettoier les mains souilléez de sang innocent. Le peuple étoit persuadé que l'acusateur ne pouvoit pas avoir été relâché s'il n'avoit vérifié le crime, et que l'acusé ne pouvoit pas être ensemble et innocent et coupable; parcequ'étant innocent, il devoit être renvoié absous, et que s'il étoit crimi- | |
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nel il falloit le faire mourir. Plusieurs jurisconsultes étoient dans les mêmes sentimens: quoique d'autres jugeassent qu'en matière de crimes de lèze-majesté une demi-preuve, et même une forte présomption suffit pour condamner l'acusé à la question, et à une peine extraordinaire autre que celle de la mort. Mais le peuple ne pouvant pas se persuader qu'il y eut un milieu entre l'innocence bien justifiée, et le crime vérifié, ne s'en satisfaisoit point: quoique, pour dire la vérité, ce ne fut pas proprement la cause de la mort du ruart, puisque les bourgeois n'avoient pas le même prétexte, et ne laissèrent pas de massacrer son frère, que l'on ne soupçonnoit pas seulement d'un crime de cette nature, et qui n'en étoit point atteint, non plus que d'aucun autre. Il y a deux particularitéz à l'égard de la mort de ces deux frères, dont il est nécessaire que ces mémoires disent un mot. L'une est que le tableau qui représentoit le portrait du ruart commandant dans l'armée navale, qui fit cette belle expédition dans la rivière de Londres en l'an 1667, et qui devoit transmettre à la postérité la mémoire d'une si illustre action, fut arraché du lieu où on l'avoit placé dans l'hôtel de ville de Dordrecht, et découpé en mille pièces par un peuple ingrat, à qui cette rencontre avoit donné la paix en ce tems-là. L'autre remarque que je suis obligé de faire, est que le Conseiller Pensionnaire étant blessé et au lit, fit prier un de ses amis de le venir voir, et de lui dire son avis sur la constitution présente des affaires. Ce fut un dimanche, 26 juin, pendant que l'on délibéroit non seulement si l'on traiteroit avec la France, mais de quelle façon, en traitant avec le roi, l'on conserveroit encor quelqu'espèce de liberté imaginaire. Il considéroit bien que de la perte de l'Etat dépendoit non seulement celle de sa fortune, mais aussi celle de sa personne. C'est pourquoi il écouta sans répugnance le conseil que son ami lui donna, de se soustraire au péril dont il étoit inévitablement menacé si le Païs changeoit de maître, soit entièrement, ou en partie. Mais comme il ne vouloit rien faire qui put marquer la moindre | |
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foiblesse, il dit, qu'il vouloit bien croire ses amis, mais qu'il ne pouvoit pas se résoudre à abandonner les affaires, quoiqu'il ne fût pas en état de s'en mêler, et qu'il ne se retireroit point, si les Etats d'Hollande ne lui témoignoient le désirer, et s'ils ne jugeoient qu'il y alloit du service de la Province. Ses amis, (c'est cette qualité que l'on donne en ce Païs à ceux qui ne sont pas ennemis déclaréz) n'en pouvoient pas parler, de peur que l'on ne crut que c'étoit lui qui en faisoit faire la proposition. De sorte que l'on s'adressa à un ministre d'une ville, que l'on jugeoit avoir encor quelqu'estime pour lui; mais il refusa d'en faire l'ouverture dans l'assemblée, et s'en défendit d'une manière qui fit bien connoître, que les malheurs et les disgrâces ont cela de commun avec les maladies contagieuses, dont on ne s'éloigne pas tant, que de ceux qui parlent pour une personne malheureuse. Il n'en voulut pas parler, et quelques jours aprèz les habitans de Dordrecht s'étant soulevéz, il ne s'y pouvoit plus retirer, et n'y auroit pas peut-être évité sa destinée; et l'emprisonnement de son frère, qu'il ne pouvoit pas abandonner, l'entraîna dans le malheur, qui fit périr l'un et l'autre. La ville de Dordrecht étoit leur patrie commune où l'aîné avoit pris naissance le 29 juillet 1623, sur les 7 heures du soir, dans un tems si extraordinairement chaud, que le charbon dont on avoit fait provision chèz son père, et que l'on avoit serré dans la cour, il y avoit 15 jours, s'embrasa à la chaleur du soleil. Ce que j'ai bien voulu remarquer, parceque lorsqu'il naquit il étoit si petit et si délicat, que sans cette chaleur extraordinaire il eut été impossible de l'élever. Son frère naquit le 24 septembre 1625, entre une et deux heures aprèz midi. J'estime devoir faire remarquer aussi, que la veille de cette malheureuse journée, un médecin nommé Outhoven, dont la vie ne tenoit rien de celle d'un honnête homme, se trouvant à Dordrecht, dans un cabaret, avec d'autres yvrognes, se fit donner deux harans saléz, qu'il fendit et éventra lui même, et les prenant par la queue pour les faire voir à la compa- | |
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gnie, il dit que les deux frères seroient traitéz de la même façon. Il est certain que quelques-uns de la même compagnie allèrent le lendemain à la Haye, où ils travaillèrent sans doute à faire réussir le pronostic du médecin. Un ministre qui a représenté ici la personne du roi de la Grande Brétagne, a bien eu l'assurance de dire et de publier, à la face de toute la cour d'Angleterre, que les services que le Cons. Pensionnaire avoit rendus à sa patrie pendant 19 ans, méritoient une autre récompense. Et de fait, ni le Prince, ni la cour de justice, ni même le peuple n'ont rien produit aprèz sa mort, je ne parle point de preuves de crimes, ou de fautes qui pourroient noircir sa mémoire, mais non pas même des conjectures, ou des soupçons qui pussent donner la moindre atteinte à sa probité. Ses plus grands ennemis sont muets sur ce sujet, et ses bourreaux ne peuvent trouver la cause de leur indignation que dans l'oposition qu'il formoit contre l'avancement du prince d'Orange, et dans la fermeté avec laquelle il vouloit faire exécuter les résolutions que ses souverains avoient prises avant qu'ils l'eussent apellé à la direction de leurs affaires. L'on aporta la nouvelle de leur mort au prince d'Orange pendant qu'il soupoit dans son quartier d'Alfen, et il y eut de la presse parmi ses courtisans à qui la lui diroit le premier, comme une chose qui aparemment lui devoit être fort agréable; parceque l'on jugeoit que le sacrifice que le peuple venoit de faire de deux personnes, que l'on pouvoit dire avoir été les chefs du parti qui s'étoit oposé à son avancement, ne pouvoit pas lui déplaire. Il n'avoit pas sujet de les aimer, et étant prévenu de l'opinion qu'il avoit que l'aîné avoit attenté à sa vie, il le devoit haïr. Et néanmoins, soit que la manière d'agir du peuple n'eût pas son aprobation, ou qu'il eût assez de pouvoir sur lui pour ne découvrir pas ses véritables sentimens, il témoigna en être tellement surpris et indigné, que l'on ne ne doutoit point qu'un jour il ne s'en ressentît, et n'apuiât de son autorité celle de la justice, laquelle n'est jamais impuné- | |
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ment méprisée sans que ceux qui en sont les dépositaires n'en soufient. Ses confidents qui s'imaginoient que tous les maux de l'Etat étoient étoufféz avec la vie des deux frères, n'osoient pas néanmoins se réjouir de leur mort, parceque le Prince même n'en avoit, ou du moins n'en témoignoit point de joie; et il y en avoit qui publioient, qu'il avoit assez de piété, et qu'il connoissoit assez ses intérêts, pour faire punir exemplairement un crime de cette nature, que les Princes ne doivent jamais laisser impuni, quelqu'avantage présent qu'ils en tirent. Il ne se hâta pourtant pas d'aller à la Haye, où il n'arriva que le 21 au soir. Le lendemain les Etats d'Hollande lui firent représenter l'atrocité du crime, le peu de sureté qu'il y avoit pour l'assemblée même, si l'on n'en punissoit pas les auteurs. Le Prince haussa les épaules, et dit que c'étoient des bourgeois, que le nombre des coupables étoit si grand qu'on ne pouvoit pas les punir tous, et qu'en l'état où étoient les affaires, l'on ne pouvoit pas donner à la justice l'apui qui lui étoit nécessaire pour réussir; et suivant le conseil de ceux qui étoient d'avis, qu'il falloit dissimuler une action où il n'y avoit plus de remède, il s'apliqua aux affaires publiques qui avoient besoin de son autorité et de toute sa prudence, que l'on peut dire, sans flatterie, lui être naturelle, et sans laquelle il eut été impossible de vaincre toutes les difficultéz, et tous les obstacles que le peuple faisoit naître tous les jours contre le repos du Pais, et même contre l'établissement du Prince. Le magistrat de la Haye n'a point de séance aux Etats d'Hollande, ni aucune part aux affaires publiques; quoique d'ailleurs ce lieu ait des privilèges qui aprochent de ceux des villes closes, et qu'aprèz la ville d'Amsterdam il contribue le plus. De sorte qu'il ne pouvoit pas avoir part à la prétendue trahison de quelques régents, ni à la correspondance que l'on disoit que ceux qui avoient la principale direction des affaires, avoient entretenue avec les ennemis de l'Etat. L'on pouvoit | |
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dire aussi qu'il étoit composé de personnes sages, qui, à la réserve de deux ou trois, n'avoient point de liaison particulière avec ceux que le Prince n'aimoit point; de sorte que n'aiant pas sujet de soupçonner leurs personnes et leur conduite, il n'y en avoit point non plus d'y faire quelque changement. Et néanmoins parcequ'ils ne plaisoient pas au peuple, et que quelques-uns du magistrat même, que l'on avoit obligé ci-devant d'éloigner des principaux emplois à cause de leur humeur incompatible, et parcequ'ils ne s'en étoient pas aquitéz avec toute la fidélité qu'ils devoient, y faisoient des cabales, et faisoient soulever le peuple publiquement. L'on vit d'abord plusieurs assembléez tumultuaires, et quelques jours aprèz un grand nombre de bourgeois paroître premièrement au Doele, et en suite à l'hôtel de ville, demander une réforme du magistrat, au magistrat même. Ils députèrent enfin douze bourgeois au Prince, ou plûtôt ceux qui y allèrent, et qui avoient eu le plus de part au meurtre des deux frères de Witt, s'étoient députéz eux-mêmes, et contraignirent le capitaine de la bourgeoisie de se joindre à eux, avec un mémoire contenant les noms tant de ceux qu'ils vouloient licencier, que de ceux dont ils vouloient remplir les places vacantes. Des 22 personnes dont le magistrat de la Haye est composé, il n'y en eut que deux qui eurent l'aprobation du peuple, et qui furent faits bourguemaîtres par le Prince. Tous les autres furent pris parmi le peuple, à l'apétit de celui qui s'étoit mis à la tête des mutins, et qui avoit le plus contribué au soulèvement du 20 août. Jamais on ne vit dans un Etat une si parfaite anarchie. Le peuple, c'est à dire la canaille, et peut-être la vingtième partie des bons bourgeois de la Haye, entreprit de faire ce changement, et le fit en effet. Au contraire en celle de Rotterdam où le magistrat avoit toujours témoigné le plus d'animosité contre le Prince, et pour le gouvernement qu'ils apelloient libre, le peuple s'emporta avec tant de fureur, que les bourguemaîtres et les autres personnes du magistrat qui ne lui plaisoient | |
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pas, furent enferméz comme des prisonniers dans l'hôtel de ville, contraints d'abdiquer, et de soufrir que le peuple fit la nomination de ceux qui leur devoient succéder: ce que le Prince aprouva. Et comme il falloit condamner aveuglement tout ce qui s'étoit fait depuis quelques annéez, non seulement du consentement unanime de toute l'assemblée des Etats d'Hollande, mais aussi par la cour de justice avec connoissance de cause, l'on vit arriver à Rotterdam, avec lettres de recommandation du roi d'Angleterre, c'est à dire de l'ennemi déclaré de l'Etat, un personnage que la cour avoit condamné quelques annéez auparavant par contumace à un bannissement perpétuel, comme criminel de lèze-majesté, et comme complice d'un fait pour lequel un homme de condition qui étoit tombé entre les mains de la justice, avoit eu la tête tranchée. L'on vit encor les mêmes juges se dédire, et rétracter la sentence qu'ils avoient prononcée: téméraires, ou iniques quand ils la donnèrent, ou prévaricateurs manifestes quand ils condamnèrent leur propre ouvrage pour justifier un homme qu'ils avoient condamné au paravant. Aussi n'y avoit-il plus rien qui put empêcher son rétablissement dans ses premiers emplois, et même à un plus important que celui qu'il avoit eu auparavant. Il y auroit de quoi faire un juste volume de toutes les séditions dont la plupart des villes d'Hollande furent agitéez; et la Zéelande même n'en fut pas exemte. Mais comme ces mémoires n'entreprendront pas sur l'histoire qui en parlera plus amplement, je me contenterai de dire en passant, que tout le Païs en étoit infecté, comme d'un mal épidémique et contagieux. Que personne n'y apliquoit le remède; et qu'en plusieurs endroits, et particulièrement à Middelbourg, quelques-uns de ceux qui le pouvoient guérir, ou du moins qui étoient obligéz de s'y emploier, étoient ceux qui le fomentoient le plus, et faisoient soulever le peuple contre les magistrats, jusqu'à les faire arrêter prisonniers, et à les réduire au dernier péril de leur vie. Pour guérir le peuple de ses faux préjugéz, et de l'impression qu'on lui avoit donné, que les magistrats avoient eu cor- | |
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respondance avec le roi de France, et qu'ils avoient trahi l'Etat; ou du moins que l'aversion qu'ils avoient pour le gouvernement du Prince les avoit obligéz de se jetter entre les bras de la France, le Prince écrivit aux villes où les habitans s'étoient emportéz aux plus grands excèz, les lettres dont il a été parlé ci-dessus. Mais ces lettres bien loin de produire l'effet qu'on s'en pouvoit légitimement promettre, achevèrent d'aigrir les esprits. Le peuple disoit, qu'elles avoient été fabriquéez par ceux qui les produisoient, ou du moins qu'elles avoient été extorquéez ou mendiéez. De sorte qu'en quelques villes ceux du magistrat qui savoient n'être pas agréables au peuple, abdiquèrent de leur mouvement, pour éviter les outrages, et une mort certaine dont on les menaçoit à toute heure. Or, afin de faire cesser le bruit et de prévenir la sédition qui alloit être presqu'universelle, et qui étoit sans comparaison plus dangereuse pour l'Etat que la guerre étrangère, il y en avoit qui proposèrent, qu'il falloit suivre l'exemple des Etats de Frise, qui avoient fermé la bouche à tous ces séditieux qui acusoient les magistrats de correspondance et de trahison. Daniel de Blocq van Scheltinga, député de la part de cette Province-là au conseil d'Etat, étoit celui contre lequel le peuple crioit le plus. De sorte que s'étant volontairement constitué prisonnier, tant pour se justifier, que pour se mettre à couvert de la rage de ces mutins, les Etats firent publier une déclaration, par laquelle ils permettoient à toutes sortes de personnes de quelque qualité et condition qu'elles fûssent, de porter à eux, ou à leur cour de justice, dans quatre jours, toutes les preuves qu'elles avoient des crimes et malversations de Scheltinga: leur défendant de l'acuser sans fondement, et de le rendre suspect et odieux sans raison, à peine d'être punis comme calomniateurs. Et afin de faire cesser entièrement tous les faux bruits qui décrioient absolument les actions des meilleurs magistrats, les Etats convièrent généralement toutes sortes de personnes, en leur promettant une récompense de 100 chevaliers d'or, de porter leurs légitimes plaintes au procureur | |
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général, munies de bonnes preuves, et les exhortant de s'y prendre en sorte que leurs acusations se trouvant fausses ou mal fondéez, elles ne s'exposassent point aux mêmes peines que mériteroient les crimes s'ils étoient bien vérifiéz. Mais l'on n'avoit garde de condamner ce que le peuple avoit fait, et faisoit encor. C'est pourquoi les Etats d'Hollande se contentèrent de prier et d'autoriser, le 27 août, le prince d'Orange, comme gouverneur de la Province, d'informer de la défiance qui donnoit sujet à tant de troubles, de la faire lever, de réconcilier les magistrats avec le peuple, de représenter à ceux-ci le tort qu'ils avoient de soupçonner leurs magistrats, et de les exhorter à lui rendre le respect qu'ils doivent à leurs supérieurs. Et en cas que les offices que le Prince y feroit n'eussent pas le succèz que l'on en devoit espérer, de disposer en la meilleure manière, ceux du magistrat qu'il trouveroit être les plus odieux au peuple, et s'il étoit besoin, de les nécessiter à en sortir, et à ne se mêler plus des fonctions de magistrature; de leur en substituer d'autres, et d'y donner tel ordre qu'il jugeroit nécessaire pour le bien et pour le service de l'Etat, tant à l'égard des magistrats que des habitans des villes. Ils y ajoutèrent: qu'ils ne donnoient cette autorité au Prince que pour cette fois seulement et sans préjudice des libertéz, privilèges, et franchises des mêmes villes pour l'avenir, comme aussi sans préjudice de l'honneur, de la réputation, et de la bonne renommée de ceux qui sortiroient ainsi de la magistrature: mettant leurs biens et familles en la protection et sauvegarde du Prince, avec des défenses trèz rigoureuses de les offenser en l'un ou en l'autre, directement, ou indirectement. Comme s'il étoit aussi facile de retirer des mains d'un Prince la puissance que l'on y a mise, qu'il l'est de l'en mettre en possession; et comme si l'on ne marquoit pas les personnes que l'on dépossédoit de leurs dignitéz et charges, si ce n'est que celui qui le faisoit, voulût avouer tacitement qu'on leur faisoit injustice et violence. Le Prince réforma le magistrat en plusieurs villes en vertu | |
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de ce pouvoir, en y envoiant deux commissaires, dont l'un étoit conseiller en la cour de justice d'Hollande, et l'autre au conseil de Brabant, et en celui du Prince. Mais ils trouvèrent le peuple tellement ému, qu'à la réserve d'Harlem, quoiqu'il y eût été plus insolent qu'en aucune autre ville de la Province, ils ne purent rien faire avec ordre et connoissance de cause. Une des choses qui contribuèrent le plus à fomenter l'indignation et la rage du peuple, ce fut que le roi d'Angleterre avoit écrit au Prince du 28 juillet, ainsi que nous avons dit ci-dessus, qu'il n'avoit joint ses armes à celles de France, que pour abattre l'orgueil de la faction de Louwestein, composée des ennemis communs des deux rois et du Prince, il s'emploieroit auprèz du roi T.C. en sorte que la guerre cesseroit dèz que cette faction seroit éteinte. Cette lettre aiant été lue dans l'assemblée des Etats Généraux et des Etats d'Hollande, et ensuite imprimée, le peuple qui avoit crié et publié que ceux qui avoient eu part aux affaires, et lesquels les deux rois ennemis déclaréz de l'Etat considéroient aussi comme leurs ennemis particuliers, l'étoient aussi de la patrie, et la trahissoient en faveur des deux rois qui se déclaroient si hautement contr'eux. Effet déréglé d'une imagination corrompue, qui ne peut pas considérer que le roi d'Angleterre, qui en déclarant la guerre à cet Etat, avoit passé par dessus toutes les considérations d'honneur, de probité et de bonne foi, dont les rois devroient être les dépositaires sacréz, tâchoit de détruire tout ce qui se pouvoit oposer à l'exécution de ses desseins, secondoit l'animosité que le roi de France avoit contre les auteurs de la Triple Alliance, dont cette lettre étoit une preuve indubitable. Il y avoit de quoi s'étonner de ce que la lettre d'un ennemi déclaré, dont les prédicateurs pronoient tous les jours la perfidie et la trahison, fit une si étrange impression, si le peuple étoit le maître de ses afections, et s'il aimoit ou haïssoit quelque fois avec justice. Le changement des magistrats qui s'étoit fait dans les villes d'Hollande et de Zéelande, fut suivi d'un autre que l'on fit | |
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dans l'assemblée des Etats Généraux, et dans les autres collèges de la Généralité, c'est à dire dans le conseil d'Etat, en la chambre des comptes, et dans les collèges de l'amirauté. L'assemblée étoit encor composée des députéz des sept Provinces, quoiqu'il y en eut trois qui étoient entièrement ocupéez par les armes du roi de France, de l'électeur de Cologne, et de l'évêque de Munster. De sorte que, ne faisant plus partie de l'Union, les autres soutenoient que ceux qui représentoient les Etats des Provinces conquises ne se devoient pas trouver aux délibérations des affaires d'un Etat où leurs committens n'avoient plus de part. Les députéz d'Utrecht et d'Overissel, dont les Etats étoient devenus comme sujets de puissances étrangères par capitulation, ne pouvoient pas se plaindre de se voir exclus d'une assemblée qui ne délibéroit plus que de la conservation des quatre Provinces, où leurs committens ne pouvoient plus députer, y aquiescèrent sans beaucoup de répugnance. Mais ceux de Gueldre dont les villes avoient été détachéez de l'Union par une force majeure, et dont plusieurs personnes de condition s'étoient retiréez en Hollande, prétendoient devoir avoir part à toutes les délibérations de l'assemblée. Ils se fortifioient du texte de l'Union de l'an 1579, qui dit: qu'elle doit être éternelle, et que les provinces ne pourront pas être détachéez, ni séparéez les unes des autres par quelque cause, ou pour quelqu'ocasion que ce soit. Mais l'on considéroit que les mêmes termes se trouvoient dans la Pragmatique Sanction que l'empereur Charles V fit en l'an 1549, et que n'éanmoins sept Provinces entières et une partie de celles de Brabant et de Flandre en avoient été détachéez, et faisoient un corps séparé et souverain; qu'ils ne pouvoient être apliquéz qu'à une séparation volontaire ou aliénation par contract, de quelque nature qu'il put être, non au cas présent, où une force majeure et une guerre déclarée, quoiqu'injuste, avoit arraché une partie des Provinces du corps de l'Union. Que les députéz de l'assemblée des Etats Généraux représentoient les Etats des Provinces respectives, ne parloient qu'en | |
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leur nom, et même n'agissoient en plusieurs cas et rencontres qu'en vertu des ordres exprèz de leurs supérieurs, et pour le bien de leurs Provinces. Que les mêmes Provinces étoient devenues membres de la monarchie Françoise, et leurs Etats sujets du roi de France par le droit des armes, qui bien qu'injustes, ne laissoient pas de donner un titre légitime. Que les Etats ne pouvoient plus donner d'ordres à ceux qui représentoient autrefois leur Province dans l'assemblée, puisque ne pouvant plus députer, leur députation précédente même venoit à cesser, et ils ne pouvoient plus être considéréz que comme étrangers dans un Etat ennemi déclaré des Provinces pour les intérêts desquels ils parloient autrefois. Tellement qu'on ne les pouvoit, pas même comme sujets d'un Prince ennemi de cet Etat, admettre aux délibérations, qui le plus souvent n'avoient pour objet que la ruine du roi de France, leur souverain. Néanmoins, d'autant que les mêmes députéz de Gueldre s'étoient retiréz en Hollande, afin de n'être pas obligéz de faire le serment de fidélité au roi de France, et aimoient mieux abandonner leurs biens que de s'assujettir à la domination d'un étranger, on voulut bien leur permettre de se trouver à l'assemblée, et d'être présens aux délibérations, sans y avoir part pourtant: quoique les plus importantes fussent réduites à fort peu de personnes, et la force des résolutions à une. Lorsque le corps de Jean de Witt, naguères Cons. Pensionnaire d'Hollande, fut dépouillé, l'on trouva dans sa pochette la minute d'une lettre, par laquelle il exhortoit Jerôme de Beverningk, un des députéz plénipotentiaires à l'armée, de ménager l'intérêt de l'Etat, en sorte que le capitaine général ne donnât pas une trop grande étendue à son autorité. Beverningk qui n'étoit plus ami du Cons. Pensionnaire il y avoit longtems, avoit communiqué la lettre au Prince. Mais le peuple qui ne le savoit pas, et qui croioit qu'il y eut une plus étroite confidence entre lui et le défunt qu'il n'y en avoit en effet, le menaçoit d'un traitement semblable, et l'obligea à se retirer à la campagne. Mais le Prince qui ne s'en pouvoit pas passer, | |
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parcequ'il n'y avoit que lui, qui eut une parfaite connoissance du véritable état des troupes, l'envoia quérir par son écuyer dans son carosse, et le logea à la cour, pour ne le pas commettre avec le peuple de la Haye qui ne l'aimoit point, et qui ne l'aimera jamais, à cause de son humeur incommode, et de sa manière d'agir trop hautaine pour un homme de sa naissance, et insuportable dans un Etat populaire. Pendant que la Hollande étoit ainsi agitée de séditions et de désordres au dedans, et affligée de la perte de tant de places qui se rendoient tous les jours aux François dans les Provinces voisines, l'électeur de Cologne et l'évêque de Munster entreprirent le siège de Groningue où ils avoient intelligence. L'évêque avoit pris Grolle, Brévoort, Coeworden, et les autres forts qui couvrent la Province, et comme la ville n'a point d'autres fortifications que celles de son rampart et de son fossé, qui sont aussi bons qu'il y en ait dans tout le Païs, il s'en promettoit un succèz trèz assuré. Il fit d'abord faire un effort sur l'esprit des Etats et du magistrat de la ville, par l'entremise de Jean Schulenbourg, qui leur écrivit une lettre pour les convier à une entrevue, à dessein (disoit-il) d'ajuster les contributions, et l'acomodement avec l'évêque. Schulenbourg dont la naissance étoit aussi basse que ses premiers emplois avoient été vils et abjects, avoit trouvé le moien de se faire députer à l'assemblée des Etats Généraux, où il faisoit acheter sa voix et sa faveur. Du moins est-il bien certain que pour faire résoudre le traité de Portugal, il toucha une bonne somme de deniers, et le fit conclure, lui étant président, contre les ordres exprèz de ses committens. Ils lui en témoignèrent leur ressentiment, et comme il s'opiniâtra contr'eux par une fierté insuportable, ils le révoquèrent, et l'obligèrent de vivre à Groningue en particulier. Il y avoit de l'aparence qu'il auroit été rétabli, s'il n'eut tâché de se maintenir contre ses ennemis par des cabales qui menaçoient la ville d'une rébellion formelle. Il en fut acusé, et arrêté prisonnier. Mais pendant que l'on instruisoit son procèz, dont | |
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la fin ne lui pouvoit être que trèz funeste, il trouva le moien de se travestir en femme, et de sortir de la ville. Il se retira auprèz de l'évêque de Munster, et rendit pendant la dernière guerre de trèz mauvais offices à l'Etat en général, et à la province de Groningue en particulier, et a toujours continué d'agir comme ennemi, et traître à sa patrie. L'armée de l'évêque étoit d'environ 22000 hommes, y compris les troupes que l'électeur de Cologne y avoit joint, et l'on n'avoit jamais vu une armée si bien pourvue d'artillerie, et de feux d'artifice Aussi n'a-t-on point vu de siège où en si peu de tems l'un et l'autre aient fait de si grands efforts. Toute l'attaque ne se pouvoit faire qu'à quatre bastions, et à deux portes, parceque le reste de la campagne étoit tellement inondé que les assiégeants n'y pouvoient point faire d'aproches ni de batteries, et les assiégéz recevoient de ce côté-là par les canaux tout le secours, et tous les rafraîchissemens d'hommes, de vivres, et de munitions dont ils avoient besoin. Les Etats de la province avoient apellé à leur service Charles de Rabenhaupt, lequel aiant servi avec réputation le landgrave de Hesse-Cassel pendant les dernières guerres d'Allemagne, et se trouvant dans la ville comme lieutenant général de la province sous le prince de Nassau, n'a pas aquis moins de gloire en ce siège qu'en toutes les ocasions précédentes. Il ne dura que 38 jours de tranchée ouverte, pendant lesquels les assiégeans tirèrent dans la ville 3874 coups de canon et de mortiers, et y jettèrent une horrible quantité de bombes, parmi lesquelles il y en avoit de plus de 600 livres de pesant. Mais si l'attaque fut vigoureuse, la défense ne le fut pas moins. Les deux évêques y perdirent prèz de 11000 hommes, dont il y en eut prèz de 4400 de tuéz, et le reste avoit déserté ou étoit mort de maladies et d'incommoditéz; au lieu que dans la ville il n'y eut que 80 personnes de tuéez. Le siège fut levé le 6 septembre, et par ce moien les deux Provinces de Frise et de Groningue furent sauvéez par la valeur et la conduite d'un chef, qui mérite un autre éloge que | |
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celui que ces mémoires lui peuvent donner. Je dirai seulement, que le succèz de ce siège dont les attaques ont été furieuses, a confirmé ce que le prince d'Orange dit en ses lettres, que les places que les François ont prises n'ont été perdues que par la lâcheté et l'incapacité de ceux qui y commandoient, et fait voir, que la valeur d'un seul homme est capable non seulement de défendre une ville, mais même de conserver tout un Etat. Celui-ci se trouvoit au dernier péril de sa perte si la ville de Groningue n'eut pas été conservée. La Frise ne pouvoit pas faire résistance, et étoit toute résolue de faire sa composition, si l'évêque de Munster au lieu de s'amuser au siège de Groningue, eut tourné ses armes de ce côté-là. Delfziel se perdoit aprèz cela infailliblement, et il n'y avoit rien qui put empêcher les Anglois d'entrer dans la rivière d'Ems, d'y prendre poste, d'y joindre leurs forces à celles des autres ennemis de ces Provinces, et d'enfermer la Hollande par mer aussi bien que du côté de la terre. Aprèz que le siège de Groningue fut levé, l'électeur de Cologne ramena ses troupes chèz lui, et l'évêque de Munster voiant aprocher les troupes auxiliaires de l'empereur et de l'électeur de Brandebourg, commença aussi à songer à la conservation de son païs. Il avoit eu plusieurs démêléz avec les officiers François qui commandoient dans les villes d'Overissel, pour les contributions de ces quartiers-là, et il savoit qu'à la cour de France l'on parloit avec peu d'estime de sa personne et de sa conduite: comme lui de son côté n'aimoit pas trop les François, et n'étoit point satisfait du tout de la réception que le roi lui avoit faite lorsqu'il alla le saluer dans le païs de Cologne. Mais de l'autre côté il étoit mal avec la plupart de ses voisins. Il avoit irréconciliablement offensé les Provinces-Unies: toute la maison de Brunswich et de Lunebourg lui en vouloit à cause du démêlé qu'ils avoient ensemble pour la ville d'Hoxter, qui n'étoit pas encor ajusté: l'électeur de Brandebourg étoit garant de l'exécution du traité de Clèves qu'il | |
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violoit en tous ses points; et l'empereur étoit indigné de voir les François attiréz au coeur de l'empire par deux prêtres, qui étant néz gentilshommes, et élevéz à la dignité de prince, étoient obligéz d'en empêcher l'entrée aux étrangers. Tellement qu'il étoit contraint de demeurer dans le parti qu'il avoit choisi, parcequ'il le haïssoit, et le craignoit moins que les autres. De l'autre côté le maréchal de Turenne à qui le roi de France avoit laissé non seulement la conduite de toute l'armée, mais aussi la disposition des affaires de ces quartiers, aprèz avoir muguetté quelque tems les villes de Bois-le-duc, Berg-op-Zoom, et Bréda, marcha vers la Meuse, et demeura quelque tems aux environs de Maseyck, en attendant les troupes qui sous Chamilly, Rochefort et la Feuillée, s'étoient retranchéez auprèz de Mastricht. Ils en partirent à la fin du mois d'août, pour aller ensemble prendre poste auprèz de Wesel, entre le Rhin et le Roer, comme le lieu le plus propre pour disputer le passage du Rhin aux troupes qui venoient d'Allemagne. Celles qu'il commandoit s'éclaircissoient tous les jours; les maladies en consumoient plusieurs, et les soldats, à qui on ne donnoit que 18 deniers par jour, et une ration de pain assez mal conditionné en deux jours, désertoient dèz qu'ils en trouvoient l'ocasion, et particulièrement lorsqu'il fallut marcher plus avant en Allemagne. L'électeur de Brandebourg étoit parti de Berlin au commencement de septembre, et aprèz s'être abouché à Halberstat avec le comte de Montecuculli qui commandoit l'armée impériale, prit sa marche vers le Weser, faisant mine d'avancer vers l'évêché de Munster. Mais devant que de partir d'Halberstat ils avoient résolu d'aller vers le Mein et le Rhin, soit que ce fut à dessein de s'assurer de ces deux rivières, ou pour faire subsister l'armée en ces quartiers-là non aux dépens de leurs ennemis, mais en ruinant le païs de leurs parens et amis. L'on croioit d'abord qu'en prenant cette route ils s'étoient assuréz des intentions des électeurs de Mayence et de Trèves, et que par ce moien ils ôteroient aux François la commodité du passage de la Moselle, sans laquelle ils auroient eu de la peine à | |
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faire descendre vers les Païs-Bas leur artillerie et les munitions sans lesquelles ils ne pouvoient ni subsister, ni rien entreprendre. Et néanmoins l'on vit ces puissantes arméez, qui faisoient ensemble plus de 30000 combattans, campéez, et comme immobiles entre le Rhin et le Mein, quoiqu'ils eussent des ponts sur l'une et sur l'autre rivière. Tellement que les Provinces-Unies n'en tirèrent pas le soulagement qu'elles s'en étoient promis, bien que mr. de Turenne, sur l'avis qu'il eut de la marche des arméez alliéez vers le Rhin, prit aussi cette route, et qui plus est, dans l'apréhension que l'on eut à Paris, qu'elles n'entrassent dans l'Alsace, ou qu'elles ne fissent diversion dans la Lorraine, le roi fit aller le prince de Condé à Metz, avec ordre de former une armée sur ces frontières-là, de joindre le maréchal de Turenne, et de s'oposer conjointement aux arméez de l'empereur et de l'électeur de Brandebourg. Les arméez navales de France et d'Angleterre d'un côté, et celle des Provinces-Unies de l'autre, n'avoient pas laissé de tenir la mer cepandant, sans qu'elles entreprissent rien les unes sur les autres, bien que celle des Etats se trouvât aucunement afoiblie par le désarmement de quelques vaisseaux. Ce qui ne l'auroit pas empêché de combattre les autres sans les défenses expresses que l'on fit à de Ruyter de n'en chercher pas les ocasions, parcequ'on apréhendoit d'altérer par une nouvelle rencontre les dispositions favorables que l'on espéroit trouver en Angleterre à un acomodement. Il eut ordre pourtant d'observer les Anglois, et de les combattre s'ils se mettoient en devoir de faire descente sur ces côtes. Ils firent deux ou trois fois mine de le vouloir entreprendre; mais soit que le vent ou la marée ne favorisassent point leur dessein, ou que ce ne fut pas leur intention, ils se retirèrent, et désarmèrent lorsque la saison ne leur permit pas de demeurer plus longtems sur ces côtes dans une saison où les vents de nord-ouest, qui y régnoient souvent, les rendent fort dangereuses, et capables de faire périr toute une armée navale. Celle des Provinces-Unies rentra aussi dans les ports, à la réserve d'une vingtaine de | |
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frégates, et les Anglois renvoièrent les vaisseaux François, qui aprèz avoir été balotéz longtems par les vents contraires dans la Manche, ne purent gagner leurs ports que vers la fin du mois de novembre. Par ce moien les subsides que le roi de France avoit donné à l'Angleterre n'avoient servi qu'à divertir les forces que les Etats auroient pu emploier contr'elle s'ils n'eussent pas été obligéz de faire un fonds trèz considérable pour l'armement par mer, et de monter leur armée navale de 20 ou 25000 hommes, dont l'on se seroit servi plus utilement ailleurs. Dèz le commencement de l'année ils avoient défendu tous les armemens particuliers, afin que les matelots qui ne cherchent pas la gloire, mais le profit, qui se hasardent plûtôt sur l'espérance du butin que sur des gages régléz, et qui en effet ne se hasardent pas tant en attaquant un navire marchand, qu'en combattant un vaisseau de guerre, ne s'amusassent pas à écumer la mer pendant que l'Etat avoit besoin d'eux pour sa conservation. Mais dèz que l'on vit que les ennemis n'avoient point d'avantages de ce côté-là, le prince d'Orange, comme amiral en chef, fit expédier un trèz grand nombre de commissions pour des armements particuliers, et avec tant de succèz, que l'on peut dire avec vérité, que les armateurs de Zéelande ont pris trois fois plus de vaisseaux sur les Anglois en trois mois, que ceux-ci n'en avoient perdu en toutes les guerres passéez. L'on n'en peut pas bien dire précisément le nombre; mais il est certain que leurs pertes qui montent à plusieurs millions, ont bien réparé celles que l'interruption du commerce causoit à ceux de Zéelande. Nous avons dit ci-dessus, que le roi de France voiant que le prince d'Orange avoit si bien fortifié les avenues de la Hollande qu'il étoit comme impossible de les forcer, s'en étoit retourné à Paris, laissant le commandement de l'armée et la conduite des affaires, avec un pouvoir absolu au maréchal de Turenne. Le prince d'Orange se trouva suivi de si peu de troupes que c'est par miracle qu'il a pu conserver cette Pro- | |
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vince contre une armée victorieuse, et commandée par des chefs qui pouvoient aller de pair avec les meilleurs de toute l'Europe. Mais aussitôt que les eaux commencèrent à inonder la campagne et à rendre les postes presqu'inaccessibles, que quelques officiers et soldats qui avoient été en Gueldre et en Overissel, revenoient petit-à-petit auprèz de lui, et que les nouvelles levéez enfloient son armée, son courage le porta à entreprendre quelque chose sur l'ennemi. Il avoit fait venir d'Allemagne George Frédéric, comte de Waldeck et de Cuylenbourg, pour faire sous lui, et auprèz de sa personne la charge de maréchal de camp. L'on avoit eu quelque considération pour sa personne lors que Paul Würtz fut apellé à cet emploi. Mais d'autant que c'étoit un homme qui dans la connoissance qu'il avoit de sa naissance et de son mérite, n'eut pas pu avoir pour les personnes qui avoient la principale direction des affaires le respect qu'ils se faisoient rendre, et qui n'auroit pas eu une déférence aveugle pour leurs sentimens aux choses qu'il croiroit être de son métier, l'on apréhendoit en lui cette ponctualité que l'on avoit remarqué en lui lorsqu'il vint négocier ici pour les ducs de Lunebourg en l'an 1665. Ce fut sans lui pourtant que l'on entreprit de surprendre la petite ville de Naerden, et ce fut contre son avis que l'on résolut l'attaque de Woerden: l'un et l'autre avec un succèz contraire à l'intention du Prince. L'entreprise de Naerden se fit vers la fin de septembre, et ne réussit pas, parceque le rhingrave qui en avoit eu la conduite, au lieu de s'embarquer de bonne heure à Amsterdam, s'y amusa mal à propos. De sorte que la marée étant trop basse, les barques qui portoient le canon dont l'on devoit battre la ville, ne purent pas entrer dans le havre, et celles qui portoient une partie de l'infanterie, furent arrêtéez dans les bancs de sable qui couvrent cette côte. Le prince s'opiniâtra à vouloir faire donner, parceque les François n'avoient pas pris l'allarme, quoi qu'environ 2000 hommes se fussent avancéz jusques sur le bord du fossé. Mais la plupart des officiers jugèrent, qu'il ne falloit pas hasarder | |
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avec les troupes la réputation du Prince, parceque l'on ne doutoit point que le duc de Luxembourg, qui ne pouroit pas ignorer les préparatifs que l'on faisoit à Amsterdam, n'eût renforcé la garnison de la place, et ne se fût mis en campagne pour l'incommoder pendant l'attaque. De sorte que suivant leur avis le Prince se retira. Pour ce qui est de l'affaire de Woerden, ce fut la nuit du 10e au 11e octobre que le Prince arriva devant la ville, croiant avoir si bien pris ses mesures qu'il seroit impossible au duc de Luxembourg de la secourir. Le régiment de Picardie et quelques fusiliers commandéz composoient la garnison, qui étoit d'environ 1500 hommes. Toute l'artillerie consistoit en deux pièces de canon de quatre livres de bale, et ils n'avoient point d'autres fortifications qu'une fausse-braye qu'ils avoient faite eux-mêmes, de laquelle ils firent une vigoureuse résistance. Dèz qu'ils furent attaquéz, ils en avertirent ceux d'Utrecht par un signal, et aussitôt le duc de Luxembourg se disposa à les secourir. Mr. de Zuylestein, général de l'infanterie, se raportant au dire des païsans qui l'avoient assuré que les eaux rendoient son quartier inaccessibe, fut pris par derrière par les François, qui passant par l'eau jusqu'à la ceinture, sous la conduite d'un païsan d'un village nommé Caméric, défirent d'abord tout le régiment du comte de Solms et quelques autres troupes, pendant qu'il faisoit filer les siennes dans la ville. Sur l'avis que le Prince en eut il fit cesser l'attaque, et emmena son canon, et les blesséz. Il y eut beaucoup de gens de tuéz en cette attaque; et entr'autres mr. de Zuylestein même: et les deux colonels Sideleniski et de Bie, dont le dernier étoit aussi maître d'hôtel du Prince, et fut dangereusement blessé en cette rencontre, furent faits prisonniers. Mais les François trouvèrent plus de résistance au quartier du comte de Hornes qui les repoussa avec tant de vigueur, et N. Palm, alors lieutenant colonel, et depuis colonel du premier régiment de la marine, y fit un si grand carnage des François, que si le Prince eut été averti de bonne heure de cet avantage, il ne | |
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se seroit pas retiré, et la place auroit été contrainte de se rendre dans fort peu d'heures: comme de l'autre côté la retraite du Prince se seroit faite avec plus de péril et de confusion si Genlis, qui commandoit la cavalerie Françoise, eut ponctuellement exécuté ses ordres en se trouvant aux postes dans l'heure qui lui avoit été marquée. La marche que le Prince fit ensuite au païs de Liège avec une partie de sa cavalerie, dont nous parlerons tantôt, ne servit qu'à couvrir un plus grand dessein. L'électeur aprèz avoir joint Montecuculli au lieu de venir droit vers l'Issel, prit sa marche vers le Weteraw et le Mein, et obligea par ce moien le maréchal de Turenne à passer le Rhin avec l'armée qu'il avoit formée des troupes de ce païs-là à dessein d'observer et de côtoier celle des alliéz. Mais elle fut tellement fatiguée, que pour la faire rafraîchir, et aussi pour disputer aux alliéz le passage de la Moselle, il la ména dans l'archévêché de Trèves. Pendant que les arméez des alliéz étoient entre le Mein et le Rhin, le prince d'Orange fit dire à l'électeur, que pour faciliter leur passage il avanceroit avec sa cavalerie et une partie de celle d'Espagne jusques sur la Moselle, et que par ce moien l'on pourroit porter la guerre jusqu'en France, et tâcher de prendre des quartiers d'hyver en Champagne et en Picardie. L'électeur écouta cette proposition et en demeura d'acord. Mais lorsque le Prince le fit presser par le colonel Wibenum et le jeune comte de Dohna de passer le Rhin, et de venir au devant de lui, son conseil corrompu y fit rencontrer mille difficultéz qui firent avorter ce grand dessein, et donnèrent aux François le loisir de se remettre aucunement, et le moien de revenir vers les frontières, où l'on attira par ce procédé tout le fort de la guerre, ainsi que nous dira l'année suivante. Il n'étoit pas fort difficile de faire prendre le change à un Prince qui étoit en possession de changer de parti sur le moindre avantage aparent, et qui étoit assiégé de ministres qui s'étant ci-devant oposéz à l'engagement qu'il avoit pris avec les Etats, travailloient continuellement à en éluder les effets, | |
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et étoient paiéz pour cela. Quand un prince peut pénétrer jusques dans les mouvemens des conseils de ses ministres, il est le maître des affaires. Mais le plus souvent il n'a pas assez de lumières pour les discerner; et il y en a peu qui soient assez fidellement servis pour être bien avertis des artifices dont on se sert pour infecter, et empoisonner leur conseil. L'électeur s'en prenoit à Montecuculli, qui en effet n'agissoit d'abord qu'avec longueur, parceque le traité qui avoit été fait entre l'Empereur et les Provinces-Unies, n'avoit pas été ratifié. Mais c'est sur quoi l'électeur devoit avoir pris ses mesures devant que de s'obliger à agir, moiennant un subside de plus de 200.000 livres, qui étoit ponctuellement paié tous les mois. La facilité du passage que les François avoient trouvé au païs de Liège, tant pour leurs troupes, que pour leur artillerie, leurs vivres, et leurs munitions, avoit beaucoup contribué à celle de leurs conquêtes. Et quoique ce fut l'électeur de Cologne, évêque de Liège, qui y avoit consenti, et qui même leur avoit prêté ou engagé les villes de Tongres et de Maseyck, sans le consentement des Etats, et du chapitre du Païs, on ne laissa pas de s'en prendre à eux, et on les voulut obliger à paier contributions. Ils s'en défendoient, et représentoient: qu'aiant été forcéz de soufrir un passage auquel ils ne pouvoient pas s'oposer, ils n'étoient pas sortis des termes de la neutralité, puisque même les Espagnols, qui savent que de la conservation et de la perte des Provinces-Unies dépend absolument celle de Flandre, ne l'avoient pas pu empêcher, et avoient été contraints de voir les François bâtir un fort vis-à-vis de Maseyck, au haut quartier de Gueldre. Ils ofroient de faire à l'égard de cet Etat tout ce qu'ils avoient fait pour la France, et faisoient connoître, que s'il y avoit de l'aparence de pouvoir faire sortir les François de Maseyck et de Tongres, villes du païs de Liège, que l'électeur avoit mises entre les mains du roi de France, pour les garder jusqu'à ce qu'il fut maître de Mastricht, ou jusqu'à ce que la paix fut faite, ils ne manque- | |
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roient pas de témoigner qu'ils seroient bien aises de se voir délivréz de ces hôtes. L'évêché de Liège est membre de l'Empire, et doit jouir des mêmes avantages que l'on a acordéz aux autres Etats d'Allemagne. C'est pourquoi les ministres de l'empereur tâchoient de le faire compendre dans la neutralité que l'Etat a toujours observée avec l'Empire, et les Etats travailloient à l'engager contre la France, ou du moins à en faire chasser les François. Le comte Flodorp fit plusieurs voiages à Liège, et régla enfin les affaires en sorte que le prince d'Orange demeurant satisfait de leur intention, fit différer l'établissement des contributions en ces quartiers-là. Les Etats du païs écoutoient volontiers les conseils qu'on leur faisoit donner de lever 5 ou 6000 hommes, pour délivrer le païs du passage et logement des gens de guerre. Mais ils ne purent pas demeurer d'acord entr'eux, si ces levéez se feroient sous leur nom, ou bien sous celui de l'électeur de Cologne, leur prince légitime. Ceux qui prétendoient emploier ces levéez contre les François, ne vouloient pas que l'électeur y fut nommé. Mais ses partisans qui n'étoient pas en petit nombre parmi le clergé, et même les plus modéréz jugeoient, que les Etats ne pouvoient pas lever des troupes sous leur nom, à moins de se rendre coupables du crime de rébellion, pendant que l'empereur ne faisoit pas procéder contre l'électeur, et le reconnoissoit encor pour prince de l'Empire. Pendant le séjour que le Prince fit en ces quartiers-là il passa, et repassa la Meuse plusieurs fois, fit attaquer, prendre, et en suite démolir le château de Fauquemont: fit mine de vouloir assiéger Tongres, et le quittant presqu'en même tems, alla chercher le duc de Duras de de-là la Meuse, le contraignit de repasser le Roer, et de se retirer avec précipitation et désordre jusques vers la Moselle. Le Prince aprèz l'avoir poussé de la sorte, revint de deçà la Meuse, attira à lui quelques troupes Espagnoles tant infanterie que cavalerie, sous le comte de Marsin, et sous les Princes de Vaudemont et de Solms, et s'alla poster pour la deuxième fois aux environs de Tongres, où Montal, gouverneur de Charleroi, s'étoit enfermé de l'ordre exprèz de | |
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la cour. Sur l'avis que le Prince en eut, aussi bien que de l'état de la garnison qu'il avoit laissé dans la place, le Prince concerta avec le comte de Monterey le dessein d'attaquer Charleroi. Cette place est située à une distance presqu'égale entre Namur et Mons en Haynaut, dans une assiète si avantageuse, que sa conquête étoit capable d'allarmer toute la France, et de la contraindre de se mettre sur la défensive. Le comte avoit promis d'y faire trouver l'artillerie, les vivres, les munitions, et tous les instruments nécessaires pour l'attaque, en sorte qu'il la pourroit commencer en arrivant. Il ne se pouvoit que ses intentions ne fussent trèz bonnes, parceque c'étoit un coup de partie qui remettoit l'Espagne en possession du plus important poste de tous les Païs-Bas. Sur cette assurance le Prince fit investir la place par 2 ou 3000 chevaux, et y arriva en personne le lendemain, 16 décembre. A son arrivée les dehors étoient abandonnéz; mais l'on ne s'étoit pas donné assez de tems pour préparer les choses nécessaires à l'exécution d'un dessein de cette nature. De sorte que le Prince n'y trouvant rien de ce qu'on lui avoit promis, et voiant que l'artillerie ne pouvoit pas encor arriver de deux ou trois jours, que le gouverneur étant entré dans la place dèz le 18 au matin, l'on reconnut bientôt qu'il seroit inutile de s'engager dans un siège dont le succèz ne pouvoit pas être fort favorable dans cette saison de l'année. On le reconnut bien mieux par les sorties que les assiégéz firent, où quelques officiers de marque furent tuéz. Tellement que le Prince fit bientôt résoudre la retraite, et se rendit en personne à la Haye, laissant une partie de la cavalerie au comte de Marsin, pour s'en servir ainsi qu'il le jugeroit à propos pour l'intérêt commun des alliéz, c'est à dire de l'Espagne et des Provinces-Unies. Mains elle le suivit de prèz, et fut mise en garnison dans les villes d'Hollande. Il y en a qui ont cru que Marsin qui ne s'étoit jetté dans le parti de l'Espagne, quoiqu'il eût épousé une femme Françoise, qui avoit beaucoup de bien, que parcequ'aiant mal à | |
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propos abandonné l'armée du roi de France qu'il commandoit sous le Prince de Condé en Catalogne, il s'y étoit rendu irréconciliable par la perte de la ville de Barcelonne, qui fut suivie de celle de toute la Province, faisoit négocier dèz ce tems-là son acomodement, parceque quelques mois aprèz il sortit du service du roi d'Espagne, et prit de lui-même le congé que le comte de Monterey lui refusoit. Mais la vérité est que Marsin voulut bien avoir la complaisance pour le comte de Monterey de se charger des manquemens qui firent avorter ce dessein; mais qu'aiant su que le conseil l'en chargeoit en effet dans les dépêches qu'il écrivit à la cour de Madrid, il s'en sentit tellement ofensé que ne pouvant plus servir sous lui, il se retira dans une des maisons qu'il a au païs de Liège. Et afin qu'on ne le soupçonnât point d'intelligence avec la France, il ne voulut pas accepter les grands avantages qu'elle lui fit ofrir, se contentant de donner plus d'une marque de sa modération en sa retraite, où il mourut l'année suivante, au voiage qu'il fit aux eaux de Spa, où il espéroit recouvrer les forces que l'âge et les travaux continuels de prèz de 40 campagnes, avoient consuméez. Le duc de Luxembourg, gouverneur de la province d'Utrecht, fils posthume de François de Montmorenci, sieur de Bouteville, qui fut exécuté à Paris en l'an 1626, se servant de l'absence du prince d'Orange, et de la gelée qu'il croioit devoir être de durée pendant les plus courts jours de l'année, assembla un corps de 11 à 12000 hommes, tant de sa ville que des garnisons voisines, avec lesquels il entra dans la Province d'Hollande. Le prince d'Orange devant que de partir pour conduire l'armée au païs de Liège, avoit fait publier même aux prônes des églises, que son absence ne devoit pas inquièter les habitans de la province, parceque laissant les postes garnis de plus de 25000 hommes, commandéz par des chefs de réputation, les ennemis ne les pourroient pas forcer, et même n'y oseroient pas songer. Mais les postes qui en défendoient les avenues n'empêchèrent pas le duc de l'entreprendre, et même de passer entre celui de Nieuwerbrug, | |
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qui est le plus avancé du côté de Woerden, et celui du comte de Hornes, de sorte qu'il vint droit au quartier de Swammerdam. Le comte de Köningsmarck qui y commandoit en l'absence du prince d'Orange, craignant d'être attaqué dans un lieu qui n'étoit pas fortifié, ou coupé en sorte qu'il n'eut pas pu sauver la ville de Leyde, mit la rivière entre deux, et la côtoia en sorte qu'il n'eut pas été fort facile aux François d'entrer plus avant dans le païs. Sa retraite se fit avec un peu de précipitation et de désordre, parceque les régimens qui faisoient l'arrière-garde, se mirent à piller les villages qu'ils abandonnoient, et il y eut deux colonels Allemans, Deguenfeld et Polens, qui marchèrent droit aux portes de Leyde. Leur intention étoit de donner l'épouvante à la ville afin de se faire ouvrir les portes, d'y prendre leurs quartiers, et d'y vivre à discrétion comme dans une place conquise. Le dégel surprit les François devant qu'ils fussent tous assembléz auprèz de Woerden; de sorte qu'enragéz de ne pouvoir pas exécuter le dessein qu'ils avoient de piller et de bruler la Haye, ils mirent le feu dans les deux beaux villages de Bodegrave et de Swammerdam, et y exercèrent des violences, des cruautéz, et des brutalitéz dont on ne lit pas beaucoup d'exemples dans l'histoire. La nôtre en dira les particularitéz, et ajoutera quelque chose à la gloire que quelques meurtiers et traîtres ont aquis à la nation à la St. Barthélémi, et à la célèbre sortie du duc d'Alençon d'Anvers. Ils en auroient été justement punis si les forts de Nieuwerbrug n'eussent pas été lâchement abandonnéz, parceque le dégel leur coupoit tellement la retraite qu'il leur eut été impossible de regagner Woerden, vu que le duc même tomba dans la glace, et n'en fut retiré qu'aux dépens de la vie de quelques-uns de ses domestiques. Il est certain qu'il y hasarda non seulement les troupes, mais aussi presque toutes les conquêtes du roi, son maître, qui ne pouvoient pas se conserver sans ces troupes. Quelque tems aprèz on intercepta une lettre par laquelle le maréchal de Turenne reprochoit au Duc son imprudence et sa cruauté, comme une chose que le roi de France n'aprouveroit pas. | |
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Les forts de Nieuwerbrug furent abandonnéz de l'ordre de Moïse Painetvin, qui non content de s'être retiré de son quartier, et d'avoir allarmé la ville de Goude, envoia ordre au colonel qui commandoit dans les forts, quoiqu'il ne dépendît point de lui, de les abandonner et de se retirer avec ses gens à Goude. Ce procédé étourdi d'un homme ou timide, ou ignorant, fit perdre la plus belle ocasion du monde de se défaire des François. Il fut arrêté, on lui fit son procèz, et il eut la tête tranchée. Mais sa mort ne remédia pas aux maux dont la province étoit afligée. De l'autre côté il y a lieu de s'étonner de ce que le duc de Luxembourg au lieu de laisser garnison dans ces forts, les fit raser; puisque le prince d'Orange qui n'en savoit pas mieux l'importance que le Duc, et qui n'avoit pas tant de facilité à les garder, n'a pas négligé d'y prendre poste dèz que la saison lui a permis de faire travailler aux fortifications. Presqu'au même tems que le Prince décampa d'auprèz de Tongres, les arméez de l'Empereur et de Brandebourg repassèrent le Mein, et marchèrent vers la Westphalie, où l'évêque de Munster avoit pris la ville de Lunen, sur la Lippe, apartenant à l'électeur de Brandebourg, en échange de quelques bicoques que les troupes de l'électeur commandéez par le général-major Spaan, avoient prises sur l'évêque. Ce général-major avoit la principale direction des affaires au païs de Clèves, et les avoit fort bien faites en tems de paix, de manière qu'il ne s'y étoit pas oublié. Mais en laissant perdre cette place presqu'à sa vue, pendant qu'il y commandoit un corps de 8 ou 10 mille hommes, il fit connoître qu'il étoit plus grand financier que capitaine. Les derniers jours de l'année attirèrent la première bénédiction du Ciel sur les armes des Provinces-Unies. Rabenhaupt, qui avoit si heureusement et si glorieusement repoussé celles des deux évêques de devant Groningue, forma un dessein sur Coeworden, la plus forte de toutes les places des Païs-Bas. Elle avoit été lâchement trahie par celui qui y commandoit, lequel étant gentilhomme de naissance, et commandant un ré- | |
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giment au service des Etats, fut assez infâme pour vendre sa place à l'évêque de Munster, qui en avoit fait son magasin, et y avoit laissé une partie de l'artillerie et des munitions dont il s'étoit servi au siège de Groningue. Le tems s'étoit mis à la gelée vers les fêtes de noël, sans laquelle l'on ne pouvoit pas entreprendre sur une place dont les marécages font les principales fortifications. C'est pourquoi Rabenhaupt ne manqua pas de profiter de l'ocasion. Il savoit que la garnison étoit composée de 600 hommes; et néanmoins il entreprit de les forcer avec guères plus de 1500, c'est à dire d'environ 1100 fantassins, et 4 à 500 tant cavaliers que dragons. Eyberg, lieutenant colonel du régiment de Königsmarck, se chargea de l'exécution, et y réussit: quoique devant que de faire l'attaque, il aprit que ceux du dedans étoient avertis, et l'attendoient sur les ramparts. Il la commença le 30 décembre sur les 8 heures du matin, à la faveur d'une trèz épaisse brouée, et devant 9 il se vit maître de la place. Il n'y perdit qu'environ 20 hommes, et en eut bien quatre fois autant de blesséz. Ceux du dedans y perdirent plus de 250 hommes, et le reste s'étant enfermé dans l'église, obtint quartier. Entre les prisonniers se trouvèrent le colonel Moy, Martel commissaire François, et un conseiller de l'évêque de Munster. Il y avoit fait une espèce de magasin, ou du moins il y avoit laissé l'artillerie et les munitions dont il s'étoit servi devant Groningue: tellement que l'on y trouva plus de 60 pièces de canon, toutes de fonte, à la réserve de 18 ou 20; 12 mortiers, quantité de bombes et de grenades, plus de mille quintaux de poudre, et plusieurs autres munitions de guerre; de la vaisselle d'argent, et du beau linge. La réduction de cette place a fort surpris non seulement l'évêque, mais aussi les François, qui ont été obligéz de renforcer les garnisons des villes qui sont sur l'Issel, à qui Rabenhaupt donne des allarmes continuelles, et fait espérer, qu'avec la nouvelle année il fera de nouveaux miracles. |
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