Mais, dans la colonie, pareille situation n'existe pas et les éléments français et flamands doivent être présumés se trouver indistinctement partout.
Quelle est la langue à adopter dans les divers cas? Le législateur n'en a rien dit, il s'est borné à donner une directive au législateur futur; ce n'est donc, dans l'état actuel, qu'un voeu, mais ce sera un ordre pour le législateur futur: ‘Les Belges jouiront (impératif) de garanties semblables, etc...’
Devant le silence du législateur dans l'état actuel de nos lois coloniales, on peut se trouver devant d'étranges situations. Exemple: un prévenu flamand, un ministère public requérant en flamand, conformément au voeu de la loi, et un juge qui ne comprendrait pas cette langue.
En l'absence de décret, doit-on, comme l'enseigne M. Halewyck (Charte Coloniale, p. 116 et 117), s'en référer à l'article Ier de l'ordonnance du 14 mai 1886, approuvée par le décret du 12 novembre 1886, et suivre les coutumes locales. Indubitablement oui, car cet article est resté debout au milieu des débris de l'ancienne législation.
Mais l'usage ne reste debout que pour autant qu'il y ait absence de la loi; et, à ce moment de son raisonnement M. Halewyck conclut d'une manière trop absolue, p. 117: ‘Pour déroger à une tradition aussi solidement établie, il faudrait un ordre exprès du pouvoir législatif’. A notre avis, le voeu impératif, du paragraphe 2 de l'article 3, joint au fait de la reprise par la Belgique, pays bilingue, font un devoir au juge de réaliser, dans la mesure du possible, la garantie que l'article 3 a voulu assurer aux Belges. Dès lors donc que les difficultés d'ordre pratique ne s'y opposent pas, il y a devoir pour le magistrat à rompre avec l'usage pour réaliser le voeu impératif émis.
Dans le cas cité plus haut à titre d'exemple, il y aurait lieu de mettre le flamand sur le même pied que l'anglais, que l'italien, en lui donnant un interprète.
LE TRIBUNAL, sur l'emploi de la langue flamande, se prononce comme suit:
Attendu que le ministère public et le représentant de la partie civile requièrent le tribunal de prononcer le jugement en flamand, à raison de ce que c'est la seule que le prévenu comprenne; si l'usage ininterrompu de la langue française dans la colonie, pendant environ un quart de siècle, devait être considéré commne étant devenu une règle obligatoire, ainsi que le pense le commentateur de la loi coloniale (Halewyck, Charte Coloniale, No 52 in fine, p. 117, et No 57 in fine, p. 123), cependant, le tribunal est d'avis que la loi fondamentale du 18 octobre 1908, article 3, a aboli la valeur obligatoire de cet usage en ce qu'elle a rendu libre l'emploi d'autres langues que le français dans l'intérêt des Belges et des Congolais; certainement, une loi spéciale serait nécessaire pour prescrire, dans certains cas, l'usage de la langue flamande notamment, mais il paraît tout aussi certain que les mots de l'article 3 de la loi: ‘L'usage des langues est facultatif’, ont pour effet d'abolir toute règle obligatoire existant antérieurement en matière d'emploi des langues, et il est indubitablement conforme à l'intention apparente du législateur d'étendre, dans la mesure des possibilités locales sur le territoire de la colonie, les droits garantis aux Belges dans la métropole; dans l'espèce, il n'y a aucune impossibilité d'employer la langue flamande; au contraire, le fait que le prévenu comparant ne possède que la langue flamande, que divers témoins furent interrogés et le réquisitoire du ministère public prononcé en cette langue, font, au tribunal, selon son avis, un devoir moral, bien que pas légal, de faire exception à l'usage de la langue française.
...etc.
(Juge suppléant, M.V. Gelders; ministère public, M. Van Tomme).