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Estampe de H. Causé,
1. - ANVERS
L'Ancienne Bourse.
La Bourse, à Anvers, fut le premier bâtiment de ce genre en Europe. Construite d'après les plans de Dominique de Waghemakere et inaugurée en 1531, elle servit de modèle à celles d'Amsterdam et de Londres.
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Photo Van Neck.
2. - ANVERS
Le Roi Léopold II a la Bourse, lors des fêtes jubilaires de 1905.
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Anvers, Malines et Lierre
La Belgique historique est comme un musée: Bruges et Anvers tiennent les places d'honneur sur ses deux murs principaux qui se regardent. Gand est avant tout guerrier; Liège savant, Bruxelles officiel comme l'est toute ville de cour. Bruges et Anvers sont l'une au xve siècle, l'autre au xvie siècle, commerciaux et artistiques, Ils ramassent et serrent autour d'eux - comme on recueille telles choses précieuses entre les plis d'un grand manteau - l'or et le chef-d'oeuvre. Ils sont opulents et même ostentatoires. Tout au long de leur vie civique, ils ont voulu que des cortèges célébrassent leur gloire.
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Ils se sont donnés en spectacle certes au monde, mais surtout à eux-mêmes. Ils ont vécu pour être beaux.
Je veux déployer, ici, surtout l'orgueil d'Anvers, qui date du jour où Damme et Bruges, grâce à l'ensablement de leur fleuve, le Zwyn, furent séparés de la mer. Temps sombres pour la Flandre maritime! Les vaisseaux de Gênes, de Venise, de Marseille ne purent plus franchir la courte distance qui sépare Cadzand du port west-flamand. Celui-ci périclita, se vida, mourut. Anvers prit sa place avec ténacité.
Il prit même une place bien plus grande. L'Amérique venait d'être découverte par Christophe Colomb. Le centre des échanges n'était plus la Méditerranée mais l'Océan. Londres s'éveillait. Il était comme Anvers sur la route atlantique. Tout ce qui gagnait le Nord de l'Europe passait par ces deux ports. La ville des doges au fond de l'Adriatique était tenue à l'écart. Elle n'était même
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Photo Stouffs.
3. - ANVERS
Le goulet des Bassins.
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Photo Stouffs.
4. - ANVERS
Le ponton et l'embarcadère.
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plus la porte de l'Orient. Vasco de Gama avait découvert à son tour la route d'eau qui mène aux Indes, à la Chine, au Japon. Le déplacement de la civilisation du monde commence ainsi au xvie siècle; le Septentrion se substitue au Midi; la Méditerranée abdique au profit de l'Océan. Nous assistons encore à l'évolution de cet énorme fait d'histoire, et nous y assisterons jusques à quand? Anvers fut le premier port qui accrocha comme un clou la trame initiale de ce nouveau développement. Londres vint presqu'en même temps, Amsterdam plus tard; puis enfin Rotterdam et Hambourg.
Aucun grand port ne s'enfonce aussi profondément qu'Anvers dans les terres. De larges économies purent, grâce à cette situation, être réalisées. Le wagon est toujours plus dispendieux que le navire.
Il fallut attendre l'initiative de Napoléon pour que les premiers bassins fussent construits. Ceux-ci se multiplièrent. L'essor
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commercial de la Belgique progressa par bonds dès que l'affranchissement de l'Escaut fut obtenu ou plutôt conquis.
Anvers possède aujourd'hui vingt et un kilomètres de quais. Il en aura bientôt, si la Belgique ressuscite, soixante. Les projets sont adoptés.
Où que vous vous trouviez dans la ville, le vent ou l'air de l'Escaut vous poursuit de rue en rue. Certes, là-bas, près des chantiers et des docks, l'odeur du fleuve accentue sa puissance. Pourtant, place de Meir, dans les gares, parmi les parcs et les jardins, sur les boulevards, elle s'insinue encore avec persistance. Rien n'est d'ailleurs plus grisant, ni plus tonique. Résine, goudron, pétrole, bois des îles, safran, sucre, peaux, chanvre, cordages font l'énorme accord. On rêve de pays lointains. Toute la terre exalte l'imagination. Tous les peuples défilent sous les brumes, la pluie ou le soleil. A quoi bon les livres? On vit directement la vie dont
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5. - ANVERS
Vaisseau de guerre dans l'Escaut (1550).
(Estampe de F. Huys, d'après Breughel.)
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Photo Stouffs.
6. - ANVERS
Le ‘Steen’ près de l'Escaut.
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ceux-ci ne vous offrent que la beauté arrangée. L'existence retranchée et mesquine est impossible à Anvers. La sirène d'un bateau entendue vers le soir vous libère des préoccupations minimes, vous entraîne vers l'espace et les eaux magnifiques, vous libère de vous-même et fait entrer en votre âme, l'univers.
Et puis que de belles heures mélancoliques et sombres on y peut passer et que de songes d'art on y peut faire naître! Ceux qui aiment les tragédies des nuages d'automne ne les verront jamais plus funèbrement se développer que sur les immenses tanks blancs des bassins à pétrole. Cesénormes cloches de fer, isolées dans un lieu sinistre et gardées jour et nuit par des soldats, avec autour d'elles toute la désolation des nues, apparaissent comme des sortes de tombeaux circulaires pour des pensées et des désirs encore inconnus. Le fleuve avec ses digues peuplées de noyers difformes semble comme
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s'éloigner d'eux et laisser à leur sort inquiétant ces mystérieux réservoirs de l'incendie et des catastrophes.
Car Anvers est la cité des grands sinistres. Durant mon enfance quand sur mon village des bords de l'Escaut passait quelque grosse nuée, on regardait du côté de la ville et l'on en concluait qu'un de ses entrepôts était en flammes. Le sonneur montait à la tour et redescendait avec cette assurance que le feu sévissait soit au nord, soit au sud, soit à l'ouest ou à l'est. Peut-être n'avait-il rien pu voir, mais pour rien au monde il n'eût voulu manquer de donner un renseignement. Cette crainte du brasier tout à coup rouge donne à la vie du peuple anversois on ne sait quel caractère tragique. D'autant qu'à chaque heure, soit dans la cale d'un navire, soit au pied d'une grue, soit au fond d'un hangar, quelque déchargeur ou quelque matelot se blesse, s'estropie ou se tue. Les voitures ambulancières sil-
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Photo Van Neck.
7. - ANVERS
Les tanks a pétrole
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Photo Van Neck.
8. - ANVERS
Procession au Klapdorp.
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lonnent les ruelles et l'accident ou la mort viennent silencieusement visiter les ménages. Le mouvement du port, surtout l'aprèsmidi, ébranle et fait sonner d'un bruit concassant et continu les vieux pavés des quais Sainte-Aldegonde et Napoléon. Les chevaux massifs des compagnies de chargement et de déchargement traînent leurs camions sonores de hangar à hangar. Le sol est gras et huileux. Quelques débardeurs géants forment des groupes au coin des places, à l'angle des cabarets. Quand un navire de la Red Star Line aborde, ils le vident et le remplissent en quatre jours. Le travail ne s'interrompt ni jour, ni nuit. Les hommes ne se nourrissent que de viande et ne boivent que de l'alcool. L'effort ainsi dépensé est énorme. La paie est en proportion. Mais le navire repart ayant réduit au minimum ses frais d'atterrissage. Quelqu'un me disait: ‘Il n'y a qu'à Anvers qu'on puisse donner de tels coups de collier. Le vrai débardeur tra- | |
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vaille jusques à quarante ans. Après ce temps, il est usé; son fils le remplace; les générations succèdent aux générations s'adaptant de mieux en mieux à leurs tâches formidables; la prospérité flamande s'appuie sur leurs épaules d'Hercule.’
Je ne puis m'engager, en ces lignes écrites en l'honneur de la métropole belge, à conduire mon lecteur de rue en rue ni de monument en monument. Que la Bourse, l'église de Saint-Charles-Borromée, le Steen, la Citadelle, le Palais royal, l'église de Saint-Jacques pourtant si belle, l'église des Augustins et de Saint-Paul soient écartées de notre itinéraire. La cathédrale, le Musée Plantin, le Musée du Folklore, le Musée des tableaux, l'Hôtel de Ville et les maisons des Corporations retiendront seules notre attention sollicitée.
Dès que l'on débarque à Anvers par la grande gare, au bout de l'avenue de Keyser, au-dessus des cènt toits rouges et bleus des maisons et des coupoles dorées des maga-
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9 - ANVERS
La Cathédrale.
Construite d'après les plans des plus célèbres architectes des Pays-Bas (les Appelmans et les Waghemaker), cette merveille de l'architecture gothique dans nos contrées ne put être exécutée entièrement sur le même plan. Elle fut commencée en 1352 et ce n'est qu'au début du xvie siècle que la tour, d'une hauteur de 123 mètres, fut achevée.
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10. - ANVERS
Intérieur de la Cathédrale.
Tableau de Pierre Neefs le Vieux, maître anversois, mort vers 1655.
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sins, s'aperçoit la flèche ardente, parée, audacieuse et légère de l'église de Notre-Dame. On marche vers elle, tandis que les façades de l'énorme rue moderne s'alignent comme pour lui faire honneur. Bientôt la place de Meir qui n'est qu'une voie urbaine énormément élargie succède à l'avenue de Keyser et voici la place verte où la statue de Rubens vous accueille et semble ne se présenter là que comme le délégué du monumental chef-d'oeuvre qui se dresse derrière lui. On a l'honneur de causer avec lui, quelques instants. Il pourrait certes vous parler des tableaux signés de sa main que renferme l'église, mais ne préfère-t-il pas provoquer votre émerveillement en insistant sur la beauté du chef-d'oeuvre de Jean Apelmans et de son fils Pierre, architectes modestes mais admirables, qui érigèrent avec Rombout Keldermann la merveilleuse tour d'Anvers. Les différents styles gothiques s'y allient pour réaliser non pas une unité rigide et
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pédagogique, mais une unité profonde, libre, charmante, faite de surprise et de bonheur. On dirait d'un tabernacle de pierre qui garderait en soi l'âme même de la cité.
La vie de la cathédrale a rempli et charmé mainte heure de mes jours d'enfance. Dans u ne des maisons qui l'entouraient et la serraient de tout près, j'étais le bienvenu dés que j'y apparaissais avec mes jeux et mes caprices. Celui qui m'y accueillait était un prêtre, vivant là, avec une servante vieille, inusable et fidèle. Leur existence était monotone et grise. La salle à manger avec sa natte ronde sous la table et ses chaises revêtues de housses, et son service à café recouvert d'un tulle léger pour que les mouches ne pussent l'atteindre, et son fauteuil précédé d'un petit banc, et sa cheminée peinte en marbre jaune, et sa pendule représentant sous un palmier en filigrane la fuite en Égypte ne m'attristaient guère. Je me réfugiais dans la cuisine où la propreté la plus
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claire était installée. La table en bois blanc, les casseroles de cuivre pareilles à des disques suspendus, le fourneau fourbi comme une armure, l'évier aussi net que la table, le carrelage qui me semblait être l'habit de mon arlequin étendu sur le sol me donnaient du coeur au jeu et puis j'y écoutais, quatre fois par heure, le carillon. C'est par lui que je fis connaissance avec la cathédrale. J'étais encore trop jeune pour qu'on m'y conduisît aux offices. Un jour, j'y pénétrai quand même comme en maraude et je fus ébloui. Grâce aux vitraux, je me semblais être quelque part où luisait un autre soleil et où régnaient d'autres ombres. Plus tard, quand il me fut donné de lier à ma vie de coeur et d'esprit toute la liturgie catholique, et que l'orgue m'émut chaque jour, et que les textes chantés me semblaient être les plus belles paroles qu'on pût dire au monde, je ne fis que confirmer en moi mon impression première. Toujours ce
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temple m'est demeuré comme un lieu surnaturel. C'est avec des regards ravis et exaltés que j'ai visité l'admirable tombeau de princesse qu'il contient; que j'ai exalté sa chaire de vérité et ses stalles, et surtout ses deux tableaux illustres, la Descente de la Croix et l'Érection de la Croix, par Pierre-Paul Rubens. Ces deux toiles-là ont peuplé la mémoire de mes yeux, depuis qu'ils comprennent la force et la beauté. L'Érection de la Croix avec son formidable tumulte de dos arqués, de bras tendus, de torses ployés, de jarrets fermes et de mains crispées autour de cordes, me faisait l'effet d'une bataille. C'était la lutte du bien contre le mal et le triomphe de celui-ci. Un des bourreaux avec son oreille pointue de satyre me paraissait être Lucifer lui-même, tandis que la Descente de la Croix, toute de mélancolie et de tristesse, me donnait la vision nette de la pitié et de la tendresse humaines. Avec quel amour la belle Madeleine tend
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11. - ANVERS
La Citadelle (d'après une estampe de H. Bol, 1534-1593).
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Photo Stouffs.
12. - ANVERS
Coupole de la Citadelle du Nord.
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ses deux bras vers le Christ! Avec quelle pénétrante douleur la Vierge en deuil bleu assiste-t-elle à la fin du drame divin. Saint Jean, beau gas flamand, revêtu d'une robe rouge, se rend utile et en oublie un instant ses larmes, tandis que Nicodème et Joseph d'Arimathie descendent, avec précaution mais habileté, comme s'ils étaient vraiment des manoeuvres du port voisin, le corps exsangue et affalé de leur Dieu. Mais ce qu'il importe d'admirer surtout c'est la composition de l'oeuvre. Elle est conçue en cercle, le Christ en formant le milieu. Elle est d'un équilibre et d'une mesure toute latine. Ce ne sera que plus tard que Rubens débridera son génie et refusera obstinément de se restreindre et de se diminuer par sagesse.
Parler de ces deux toiles célèbres me pousse à prolonger mes réflexions sur l'art. Passons donc le seuil du Musée de tableaux, bâti, là-bas, du côté du port, voici quelque vingt ans.
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Son grand trésor est sa collection de tàbleaux gothiques. Avant que la peinture du moyen âge fût reconnue admirable, M. van Ertborn, notable d'Anvers, lui rendait honneur, en sa maison tranquille, et s'entourait de cent merveilles. Elles renseignent sur son goût sûr et attentif; elles sont signées Mabuse, Memling, van Eyck, van der Weyden, Clouet; elles se trouvent aujourd'hui au musée de la ville, grâce à la donation qu'il en fit. Toutes mériteraient une analyse se terminant par une louange. Les portraits de Mabuse sont graves, aigus, nets et fermes comme un texte; ceux de Memling sont d'un dessin impeccable et d'une psychologie investigatrice et infaillible. C'est par des oeuvres presque de miniaturiste que van Eyck s'affirme, tandis que van der Weyden et Clouet imposent une peinture à sujet religieux où le drame et l'hiératisme éclatent tour à tour. Pourtant le chef-d'oeuvre dominant tous ces chefs-d'oeuvre
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13. - ANVERS
Carnaval sur la glace (vers 1620).
Tableau de Sébastien Vrancx, peintre anversois.
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14. - ANVERS
Vue de la Place de Meir.
Ce tableau donne la physionomie de la Place de Meir à Anvers, un jour de marché, dans la seconde moitié du xvie siècle.
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est le triptyque miraculeux que Quentin Metsys intitule la Mise au Tombeau. Ici la scène tragique est condensée en quelques attitudes et en un sanglot dont la gorge de Madeleine se gonfle et va se délivrer. Tout est silencieux et luxueux à la fois. De belles étoffes charment les regards. On pourrait croire qu'elles distraient l'attention. Il n'en est rien. La douleur répandue et en même temps contenue est trop forte. L'angoisse, la pitié, la souffrance, la désolation sont tour à tour montrées et imposées. Le désir de peindre de belles choses n'a pas nui un seul instant à la volonté de peindre des choses profondes.
En traversant les autres salles - ou malheureusement les inscriptions rédigées uniquement en flamand renseignent de manière insuffisante sur les oeuvres - on rencontre un Titien de belle qualité, un Rembrandt de haut intérêt, un Hals magnifique, un Simon de Vos exquis et surtout quelques
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Jordaens, plusieurs Van Dyck et de nombreux et inoubliables Rubens. L'Adoration des Mages de ce maître est conçu comme une sorte de brasier dont les personnages seraient les flammes, Ils montent du centre, jaunes, verts, rouges, bleus, suivant un dessin onduleux et brusque; ils montent et montent jusqu'aux personnages du second plan, qui se relient à leur tour aux corps et aux têtes des chameliers aperçus dans le troisième plan de l'oeuvre. Tout n'est que courbes et serpentements dans une même direction; tout n'est que montée zigzaguante et multiple. L'Adoration des Mages est de goût douteux, mais quelle preuve indiscutable de force spontanée et géniale!
C'est encore Rubens que l'on retrouve au Musée Plantin. Ici, l'on se peut promener de salle en salle, en un séjour de travail et d'activité où quelque grand bourgeois, imprimeur et artiste, a mis sa marque. Il venait de Tours. Il s'établit à Anvers à cause
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15. - ANVERS
L'ancien Hôtel de Ville (estampe de H. Causé, d'après un tableau de Mostaert).
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16. - ANVERS
L'Hôtel de Ville.
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de la vitalité cosmopolite de la ville. Il s'entoura d'hommes de talent et même de génie. Rubens fut le familier de la maison quand elle fut passée aux mains des Moretus, successeurs du fondateur français. Il y fit les portraits de toute la famille, avec Pourbus, Corneille de Vos et Govaerts. On reconnaît d'emblée les oeuvres du maître. Pourtant celles de Corneille de Vos ne leur sont guère inférieures. Ce peintre dont la renommée n'a point sacré le nom - on le confond souvent avec Martin de Vos ou Simon de Vos - peut prendre rang comme portraitiste soit à côté du grand Pierre-Paul, soit à côté d'Antoine Van Dyck.
La maison plantinienne est un lieu d'observation, d'instruction et d'évocation délicieux. Ses fenêtres intérieures donnent toutes sur une cour silencieuse qu'une vigne séculaire festonne avec ténacité. Quelques parterres aux plantes basses que bordent de petits arbres taillés en boule y réalisent un
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bariolage floral entre des chemins étroits et régulièrement pavés. Quelques bustes apparaissent en des niches à rocailles, tout au long des murs. La paix des vieilles demeures ne se goûte nulle part au monde avec plus de pénétrance et d'émotion qu'en ce quadrilatère de fleurs, de feuilles et de fruits que dore et qu'illumine l'automne. On le peut voir de partout: de la salle d'imprimerie, de l'atelier, des chambres à coucher, des pièces de travail. Il n'y a que de la toute étroite boutique donnant sur la toute étroite rue latérale que la vue de la cour est voilée. C'est par cette rue latérale que s'en venaient les clients. Ils achetaient les livres rares et précieux reliés en parchemin, et les gravures exécutées sous la direction de Rubens, et les bibles dont les pages avec leurs en-têtes et leurs culs-de-lampe étaient traitées et disposées comme des architectures. C'était vers le soir que le grand Pierre-Paul ornait de sa présence un tel décor. Après sa promenade
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17. - ANVERS
Proclamation de la paix de Munster devant l'Hôtel de Ville, le 5 juin 1648.
Gravure de F. van Wijngaerde, d'après W. Hollar.
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Photo Van Neck.
18. - ANVERS
Maison des Serments a la Grand' Place
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équestre au long des remparts, sa curiosité du document, de l'effigie ou de la médaille l'y conduisait. Certes sa maison à l'italienne, là-bas, près de la Bourse et de la place de Meir, le requérait aussi; il y trouvait l'aise et le bonheur, et ses yeux y étaient satisfaits grâce à la beauté de mille objets choisis et rassemblés. Pourtant, chez Moretus, l'odeur de l'encre fraîche, la vue du papier vierge, le mystère du livre qui naît et se parachève, la conversation entre amis, le conseil à donner, l'amitié déférente qui s'offre devaient plus encore l'attirer et le charmer.
Voici l'Hôtel de Ville. Il fut rebâti en 1581. Son architecte fut Corneille de Vriendt. Il est d'une ordonnance sobre, régulière, un peu froide. Il s'oppose - mais, tout au profit de ces dernières - aux maisons des Corporations qui l'avoisinent et met en évidence leur élancement, leur grâce et leur pureté de lignes.
Il renferme quelques fresques de prix,
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bien qu'elles soient modernes. Henri Leys, le seul peintre d'histoire que la Belgique ait produit depuis mil huit cent trente, y peignit certains portraits hiératiques, dont celui de Philippe le Beau s'impose avant tout autre. Des scènes civiques ou guerrières décorent les grands murs de la salle du conseil. Elles sont traitées dans la manière archaïque que le maître affectionnait. Elles sont austères, graves, précises. Elles produisent une impression de réalité aiguë et juste. Toute exagération romantique en est bannie. Elles ne donnent pas le mouvement des choses; elles ne font que le faire pressentir ou elles n'en donnent que le résultat.
Leys - et ceci ne peut être dit assez fermement - fut le maître et l'ami de Madox Brown, le premier peintre préraphaélite anglais. Je sais des dessins de ce dernier qui sont inspirés directement par ceux du maître belge. Si l'on veut bien admettre que l'influence de Madox Brown fut dominante sur
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19. - ANVERS
Façade de l'Eglise Saint-Charles-Borromée
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20. - ANVERS
Ancien Hôtel Van Susteren, aujourd'hui Palais Royal.
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Holman Hunt, Gabriel Rossetti et Milais, on peut mesurer jusqu'où s'étendit l'influence, onde après onde, de Henri Leys. Sa place dans l'art contemporain n'est point encore fixée. Quand l'heure viendra de reviser les cadres et d'établir les vraies valeurs, les fresques de l'Hôtel de Ville d'Anvers apparaîtront soudain nimbées de gloire.
Je voudrais m'attarder encore à célébrer Anvers. Mais voici Malines et Lierre qui attirent également ma louange. Entre ces deux villes, Anvers apparaît comme une planète entourée de satellites. Dans le ciel de l'histoire, sa lumière est certes prépondérante. II ne faut point oublier pourtant que l'art habite également Lierre et Malines, et qu'aujourd'hui le malheur et la ruine qui se sont abattus sur elles nous les rendent, plus même qu'Anvers, chères et vénérables.
Lierre est entouré de remparts verdoyants. On s'y promène, le dimanche, avec quelque
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cérémonie. Pendant la semaine tout y est désert et le monument élevé au bel écrivain flamand Tony Bergman n'est guère visité. C'est du haut des remparts que l'on entend le babil sonore des cloches et des clochettes de la ville. Les tours des églises s'élèvent par-dessus les toits rouges. On dirait un jeu de quilles dépareillé. Seul le clocher massif et court de Saint-Gommaire semble une grosse quille décapitée.
La Nèthe, rivière modeste, circule autour des maisons. De vieux pignons ceinturent la grande place. L'Hôtel de Ville est imposant et lourd. Le commerce et l'industrie ne trépident quasi nulle part. Lierre sommeille, et dans ses églises et sur ses places, et parmi ses quais, et surtout dans son béguinage. Celui-ci semble s'ouvrir au bout du monde. Nulle part la derélection est plus entière. A Gand, à Bruges, à Courtrai, à Dixmude, le béguinage est séparé de la ville; il est un enclos; un quartier. A Lierre il fait partie
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21. - ANVERS
Le puits dit de Quentin Metsys.
Ce superbe puits en fer forgé date de la fin du xve siècle, est attribué au peintre forgeron Quentin Metsys.
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22. - LIERRE
Jubé de l'Église Saint-Gommaire.
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de la cité. Il ne sert qu'à accentuer le silence et le repos répandus partout. Il est quelque chose de symbolique et d'essentiel. Quant à la cathédrale, elle possède des vitraux remarquables. Elle fut construite en 1425 sur les ruines d'une église beaucoup plus ancienne. L'empereur Maximilien l'orna. Outre un tableau mi-gothique mi-renaissance qu'il est permis d'attribuer à quelque élève de Mabuse, deux toiles de Rubens, Saint François recevant les stigmates et Sainte Claire la désignent à l'attention des artistes. Elle est d'un style solide et fort; le gothique tertiaire lui imprima un caractère de sévérité et de puissance; elle règne sur Lierre comme la forteresse de la dévotion, de la croyance et du sacrifice. Ce fut elle qui en 1797 présida à la farouche et mystérieuse guerre des paysans.
Malines porte un nom souple et frêle comme une dentelle. Le seul archevêché de Belgique y tient son siège; des séminaires
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et des collèges alignent çà et là leurs longues façades au front de ses rues. Tout autant qu'à Louvain la science théologique y est en honneur. Malines est le rempart de l'organisation catholique en Belgique: tous les Congrès pieux s'y tiennent. On y entendait jadis parler Montalembert. Aujourd'hui on y écoute la voix héroïque du cardinal Mercier.
Oh! les quais de la Dyle avec le vieux pont gothique à quatre arches et la maison du Saumon ouvragée comme un devant de châsse, et la maison d'Adam et d'Ève, et d'autres encore! Toute la vie ancienne et aristocratique de la ville se lit sur telle ou telle façade, et dès qu'on débouche sur la place c'est la poétique histoire qui vous accueille. Là s'élève, en effet, la demeure de Marguerite d'Autriche, tante de Charles-Quint, qui fut l'âme de la cité, au xvie siècle. Elle y tint une cour opulente, nombreuse et raffinée. Elle y rassembla des peintres, des
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23. - LIERRE
Église et coin du Béguinage.
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24. - MALINES
Cathédrale Saint-Rombaut.
Commencée à la fin du xiiie siècle et achevée au commencement du siècle suivant, cette église a été considérablement modifiée après un incendie (1342) pendant les xive et xve siècles.
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musiciens, des humanistes et des poètes. Erasme y discoura, Van Orley y peignit, Jean Lemaire des Belges y composa ses poèmes. Marguerite elle-même y rima mainte odelette, et cette princesse, qui fut destinée au dauphin Charles VIII, qui jamais ne monta sur le trône, qui en prit ombrage et haine, ne put résister pourtant à la douceur du langage français et sacrifia aux Muses d'un pays qu'elle n'aimait point, mais qu'elle servit quand même, comme malgré elle.
L'ancien parlement renseigne sur l'importance politique de la ville sous les ducs de Bourgogne. Tous les monuments princiers de Malines voisinent les uns avec les autres, si bien que leurs différentes présences rassemblées évoquent à chaque instant Philippe le Bon, Charles le Téméraire, Marguerite de Hongrie et Charles V.
La tour de Saint-Rombaut se voit de cinq lieues à la ronde. Elle règne sur l'immense
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pays plat du petit Brabant. Ses quatre quadrans semblent quatre bouquets d'or, tendant à l'est, à l'ouest, au sud, au nord, les fleurs de fer de leurs douze heures. Je ne sache pas de monument plus triomphant. Les jours d'été, quand le soleil le recouvre de haut en bas, il est d'une beauté à la fois si une et si variée, si forte et si frêle, si massive et si ajourée, que quelles que soient les louanges qu'on lui voue elles n'arrivent jamais à sa hauteur. A ses pieds, l'église, sous ses grands toits ployée, renferme des sculptures admirables. Le banc de communion est l'oeuvre d'Arnold Quellyn et la chaire de vérité celle de Boeckstuyns. Tout ce que le bois travaillé peut donner d'imprévu, de souple, de contourné, de fou, se retrouve en ce dernier chef-d'oeuvre. Ce sont des saints, des saintes, des anges, des branches, des fleuves, des rocs; c'est un mélange ardent non pas de lignes, mais de masses compactes et de serpentements légers; c'est
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25. - MALINES
Maisons du quai aux avoines.
La plus ancienne de ces maisons, celle du milieu, a une façade presque entièrement en bois, et remonte au xve siècle. La maison de droite, dont la partie supérieure a été abîmée, date du xvie siècle; la maison de gauche est un type d'habitation du xviie siècle.
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26. - MALINES
Le Palais de Marguerite d'Autriche.
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tout le goût flamand de l'exubérance et de la solidité avec on ne sait quoi de tumultueux et de charmant.
A l'église de Notre-Dame s'impose la Pêche miraculeuse de Rubens. Tableau rustique et populaire s'il en fût! Les débardeurs d'Anvers, les pêcheurs de Rupelmonde ou de Cruybecke peuvent se reconnaître en ces merveilleux travailleurs, aux larges dos, aux mains puissantes, aux torses d'Hercule qui manoeuvrent les filets surchargés de marée. L'odeur de l'eau se respire en cette toile. L'Escaut y est visible, bien plus que la mer de Judée. Cette oeuvre est de chez nous, comme sont de chez nous nos moeurs et nos coutumes. Est-ce pour ce motif que, s'il faut en croire les nouvelles reçues, la rage de nos envahisseurs s'est dirigée contre elle?
Hélas! en vous parlant des monuments de Lierre et de Malines, que de frontons, de façades, de tourelles, de coupoles, de murs
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et de pierres ont été lacérés et fendus. Même Saint-Rombaut fut troué d'obus et sa tour admirable fut frappée avec fureur. Ne peutelle point figurer la colonne géante où la Belgique - comme jadis le Dieu lié au poteau et entouré et fouetté et ensanglanté de lanières et de verges - fut attachée et martyrisée. Pour évoquer une telle image, il suffit de se représenter la Patrie pitoyable et la tour la plus droite et la plus visible au loin, que nos architectes aient construite.
Et de même que les obus prussiens n'ont pu réussir, malgré leur acharnement, à renverser l'immense colonne de pierre, de même la haine teutonne n'a pu réduire ni tuer le pays. Il vit et continue à vivre. Il souffre par les mille blessures, par les mille brèches qu'on a faites dans ses richesses, ses réserves et ses ressources, mais il reste vaillant, patient, volontaire, tenace. Vaincu pour une heure, il sait que l'heure suivante lui
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27. - MALINES
Ancienne maison échevinale.
Cet édifice, appelé jadis Schepenhuis, a été bâti au xive siècle; la petite dépendance à gauche remonte cependant au xiiie siècle. De 1474 à 1618, la maison échevinale servit de local au Grand Conseil de Malines et prit alors le nom de Vieux Palais.
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28. - MALINES
Hôtel, rue de l'Écoutéte.
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appartient et il la cueillera, de sa main encore sanglante, parmi le bouquet d'heures dorées que continue à tendre au nord, au sud, à l'est et à l'ouest la tour mutilée mais formidable de Saint-Rombaut.
Emile Verhaeren.
Pour compléter et rehausser ces notes écrites en l'honneur d'Anvers, nous croyons opportun d'y joindre deux poèmes.
L'un est consacré à Rubens, - le grand peintre, - qui apparaît comme un héros prodigieux et foudroyant; l'autre est consacré à l'Escaut, - le grand fleuve, - qui apparaît à son tour comme un héros sombre, violent et magnifique.
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29. - MALINES
En ville flamande (d'après un tableau de V. Gilsoul).
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30. - EN CAMPINE
La rentrée du Berger (d'après un tableau de Heymans).
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