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Uit het werk van Francis Jammes.
J'ai une pipe...
J'ai une pipe en bois, noire et ronde comme le sein
d'une petite négresse dont j'ai vu le dessin
dans un livre intéressant où elle était nue...
Cette pipe me fait songer que dans la rue
et dans les jardins publics pleins de moineaux,
de petits pains brisés dans la boue, de jets d'eau,
on rencontre de bonnes négresses en foulards jaunes.
Elles sont douces et tristes comme les mois de l'Automne.
Elles sont l'esclavage d'autrefois. L'esclavage...
Ce mot fait penser à de lointains parages,
aux colons de Saint-Domingue, à de la mélasse,
à des chairs noires et à du sang et à des faces
en dents blanches où rit la douleur. Douces négresses,
promenez-vous tout doucement dans les allées.
Au lieu de fers aux poignets, que des bracelets
y brillent comme les soleils de votre pays.
Vous vous arrêterez quelquefois, femmes au doux coeur,
devant les magasins des oiseleurs
où tout crie. Et vous penserez un peu,
mais pas trop, étant un peu abruties, à des soirs en feu,
à des jeux d'enfance ou brillaient des plumages
et à des crabes qui étaient sur la plage.
(De l'Angélus de l'Aube à l'Angélus du Soir).
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Il va neiger...
Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
de l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l'on m'avait demandé: qu'est-ce?
J'aurais dit: laissez-moi tranquille. Ce n'est rien.
J'ai bien réfléchi, l'année avant, dans ma chambre,
pendant que la neige lourde tombait dehors.
J'ai réfléchi pour rien. A présent comme alors
je fume une pipe en bois avec un bout d'ambre.
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Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j'étais bête parce que tant de choses.
ne pouvaient pas changer et que c'est une pose
de vouloir chasser les choses que nous savons.
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous? C'est drôle;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas
et cependant nous les comprenons, et les pas
d'un ami sont plus doux que de douces paroles.
On a baptisé les étoiles sans penser
qu'elles n'avaient pas besoin de nom, et les nombres
qui prouvent que les belles comètes dans l'ombre
passeront, ne les forceront pas à passer.
Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
de l'an dernier? A peine si je m'en souviens.
Je dirais: Laissez-moi tranquille, ce n'est rien,
si dans ma chambre on venait me demander: qu'est-ce?
(De l'Angélus de l'Aube à l'Angélus du Soir).
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Je pense a Jean-Jacques....
Je pense à Jean-Jacques Rousseau, aux matinées
de cerises mouillées, avec des jeunes filles.
Il était fantasque et aimant par les belles soirées,
au clair de lune, avec Madame d'Erneville(?)
Il disait à peu près des phrases comme ici:
Non! Je ne vis jamais gorge mieux faite...
C'est dans ce temps que je lus un nouveau poète...
Mes bas étant troués, elle m'en fit raillerie.
Où es-tu, vieux temps? Où es-tu, triste botaniste
qui cueillais dans les bois la mousse et la colchique?
Dans les Académies, on posait des principes.
On demandait raison au nom de la Justice.
O Jean-Jacques! Au fond des humides bois noirs,
sur le flanc des collines vertes, par les beaux dimanches,
tu causais avec l'Eternel et tu allais boire
à la source de la Vérité toute blanche.
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- Thérèse préparait la soupe. Pendant ce temps
tu répondais à d'injustes accusations,
ou bien à quelque amie pour qui ta passion
acheva de ruiner ta santé chancelante.
Je crois entendre encore claquer un clavecin.
Une avait un point noir tout au coin de la lèvre,
et un autre pareil sur le milieu du sein!...
La lune qui brillait augmentait votre fièvre.
Jamais tu n'aimas mieux que cette fois encore.
Des enfants qui jouaient abîmaient la pelouse.
Tu fus pressant. Mais elle, avec grâce jalouse,
ne te permit que ce que la bienséance accorde.
O Jean-Jacques! Ton singulier souvenir
est comme une vieille et jaune liasse
de lettres décachetées et couvertes de taches
d'encre et de pluie, triste à faire mourir.
(De l'Angélus de l'Aube à l'Angélus du Soir).
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Elegie.
Mon cher Samain, c'est à toi que j'écris encore.
C'est la première fois que j'envoie à la mort
ces lignes que t'apportera, demain, au ciel,
quelque vieux serviteur d'un hameau éternel.
Souris-moi pour que je ne pleure pas. Dis-moi:
‘Je ne suis pas si malade que tu le crois.’
Ouvre ma porte encore, ami. Passe mon seuil
et dis-moi en entrant: ‘Pourquoi es-tu en deuil?’
Viens encore. C'est Orthez où tu es. Bonheur est là.
Pose donc ton chapeau sur la chaise qui est là.
Tu as soif? Voici de l'eau de puits bleue et du vin.
Ma mère va descendre et te dire: ‘Samain...’
et ma chienne appuyer son museau sur ta main.
Je parle. Tu souris d'un sérieux sourire.
Le temps n'existe pas. Et tu me laisses dire.
Le soir vient. Nous marchons dans la lumière jaune
qui fait les fins du jour ressembler à l'Automne.
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Et nous longeons le gave. Une colombe rauque
gémit tout doucement dans un peuplier glauque.
Je bavarde. Tu souris encore. Bonheur se tait.
Voici la route obscure au déclin de l'Eté,
voici que nous rentrons sur les pauvres pavés,
voici l'ombre à genoux près des belles-de-nuit
qui ornent les seuils noirs où la fumée bleuit.
Ta mort ne change rien. L'ombre que tu aimais,
où tu vivais, où tu souffrais, où tu chantais,
c'est nous qui la quittons et c'est toi qui la gardes.
Ta lumière naquit de cette obscurité
qui nous pousse à genoux par ces beaux soirs d'Eté
où, flairant Dieu qui passe et fait vivre les blés,
sous les liserons noirs aboient les chiens de garde.
Je ne regrette pas ta mort. D'autres mettront
le laurier qui convient aux rides de ton front.
Moi j'aurais peur de te blesser, te connaissant.
Il ne faut pas cacher aux enfants de seize ans
qui suivront ton cercueil en pleurant sur ta lyre,
la gloire de ceux-là qui meurent le front libre.
Je ne regrette pas ta mort. Ta vie est là.
Comme la voix du vent qui berce les lilas
ne meurt point, mais revient après bien des années
dans les mêmes lilas qu'on avait cru fanés,
les chants, mon cher Samain, reviendront pour bercer
les enfants que déjà mûrissent nos pensées.
Sur ta tombe, pareil à quelque pâtre antique
dont pleure le troupeau sur la pauvre colline,
je chercherais en vain ce que je peux porter.
Le sel serait mangé par l'agneau des ravines
et le vin serait bu par ceux qui t'ont pillé.
Je songe à toi. Le jour baisse comme ce jour
où je te vis dans mon vieux salon de campagne.
Je songe à toi. Je songe aux montagnes natales.
Je songe à ce Versaille où tu me promenas,
où nous disions des vers, tristes et pas à pas.
Je songe à ton ami et je songe à ta mère.
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Je songe à ces moutons qui, au bord du lac bleu,
en attendant la mort bêlaient sur leurs clarines.
Je songe à toi. Je songe au vide pur des cieux.
Je songe à l'eau sans fin, à la clarté des feux.
Je songe à la rosée qui brille sur les vignes.
Je songe à toi. Je songe à moi. Je songe à Dieu.
(Le Deuil des Primevères).
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Amsterdam.
Les maisons pointues ont l'air de pencher. On dirait
qu'elles tombent. Les mâts des vaisseaux qui s'embrouillent
dans le ciel sont penchés comme des branches sèches
au milieu de verdure, de rouge, de rouille,
de harengs saurs, de peaux de moutons et de houille.
Robinson Crusoë passa par Amsterdam,
(je crois, du moins, qu'il y passa), en revenant
de l'île ombreuse et verte aux noix de coco fraîches.
Quelle émotion il dut avoir quand il vit luire
les portes énormes, aux lourds marteaux, de cette ville!...
Regardait-il curieusement les entresols
où les commis écrivent des livres de comptes?
Eut-il envie de pleurer en resongeant
à son cher perroquet, à son lourd parasol
qui l'abritait dans l'île attristée et clémente?
‘O Eternel! soyez béni’, s'écriait-il
devant les coffres peinturlurés de tulipes.
Mais son coeur attristé par la joie du retour
regrettait son chevreau qui, aux vignes de l'île,
était resté tout seul et, peut-être, était mort.
Et j'ai pensé à ça devant les gros commerces
où l'on songe à des Juifs qui touchent des balances,
avec des doigts osseux noués de bagues vertes.
Vois! Amsterdam s'endort sous les cils de la neige
dans un parfum de brume et de charbon amer.
Hier soir les globes blancs des bouges allumés,
d'où l'on entend l'appel sifflé des femmes lourdes,
pendaient comme des fruits ressemblant à des gourdes
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Bleues, rouges, vertes, les affiches y luisaient.
L'amer picotement de la bière sucrée
m'y a râpé la langue et démangé au nez.
Et, dans les quartiers juifs où sont les détritus,
on sentait l'odeur crue et froide du poisson.
Sur les pavés gluants étaient des peaux d'oranges.
Une tête bouffie ouvrait des yeux tout larges,
un bras qui discutait agitait des oignons.
Rebecca, vous vendiez à de petites tables
quelques bonbons suants arrangés pauvrement...
Om eût dit que le ciel, ainsi qu'une mer sale,
versât dans les canaux des nuages de vagues.
Fumée qu'on ne voit pas, le calme commercial
montait des toits cossus en nappes imposantes,
et l'on respirait l'Inde au confort des maisons.
Ah! j'aurais voulu être un grand négociant,
de ceux qui autrefois s'en allaient d'Amsterdam
vers la Chine, confiant l'administration
de leur maison à de fidèles mandataires.
Ainsi que Robinson j'aurais devant notaire
signé pompeusement ma procuration.
Alors, ma probité aurait fait ma fortune.
Mon négoce eût fleuri comme un rayon de lune
sur l'impossante proue de mon vaisseau bombé.
J'aurais reçu chez moi les seigneurs de Bombay
qu'eût tentés mon épouse à la belle santé.
Un nègre aux anneaux d'or fût venu du Mogol
trafiquer, souriant, sous son grand parasol!
Il aurait enchanté de ses récits sauvages
ma mince fille aînée, à qui il eût offert
une robe en rubis filé par des esclaves.
J'aurais fait faire les portraits de ma famille
par quelque habile peintre au sort infortuné:
ma femme belle et lourde, aux blondes joues rosées,
mes fils, dont la beauté aurait charmé la ville,
et la grâce diverse et pure de mes filles.
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C'est ainsi qu'aujourd'hui, au lieu d'être moi-même,
j'aurais été un autre et j'aurais visité
l'imposante maison de ces siècles passés,
et que, rêveur, j'eusse laissé flotter mon âme
devant ces simples mots: là vécut Francis Jammes.
(Le Deuil des Primevères).
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Prière pour que les autres aient le bonheur.
Mon Dieu, puisque le monde fait si bien son devoir,
puisqu'au marché les vieux chevaux aux genoux lourds
et les boeufs inclinés se rendent tendrement:
bénissez la campagne et tous ses habitants.
Vous savez qu'étendus jusqu'à l'horizon bleu,
entre les bois luisants et le gave coureur,
sont des blés, des maïs et des vignes tordues.
Tout ça est là comme un grand océan de bonté
où tombent la lumière et la sérénité
et, de sentir leur sève au soleil clair de joie,
les feuilles chantent en remuant dans les bois.
Mon Dieu, puisque mon coeur, gonflé comme une grappe,
veut éclater d'amour et crève de douleur:
si c'est utile, mon Dieu, laissez souffrir mon coeur...
Mais que, sur le coteau, les vignes innocentes
mûrissent doucement sous votre Toute-Puissance.
Donnez à tous le bonheur que je n'ai pas,
et que les amoureux qui vont se parler bas
dans la rumeur des chars, des bêtes et des ventes,
se boivent des baisers, la hanche sur la hanche.
Que les bons chiens paysans, dans un coin de l'auberge,
trouvent la soupe bonne et s'endorment au frais,
et que les longs troupeaux des chèvres traînassantes
broutent le verjus clair aux vrilles transparentes.
Mon Dieu, voici: négligez-moi si vous voulez...
Mais... merci... Car j'entends, sous le ciel de bonté,
ces oiseaux qui devraient mourir de cette cage,
chanter de joie, mon Dieu, comme une pluie d'orage.
(Le Deuil des Primevères).
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Jean de Noarrieu.
Et maintenant les troupeaux revenaient,
fuyant l'ombre mystérieuse des neiges.
On entendait la plaine et la vallée
s'emplir du bourdonnement désolé
des clarines sombres qu'accompagnaient
les piétinements précipités.
Et les enfants qui allaient à l'école,
dans l'aigre vent de la tombée d'automne
voyaient venir sur la route monotone
l'âne au collier de bois et le chien jaune,
les parapluies et les bidons qui sonnent,
et le berger pensif et les moutons.
Sous le troupeau ennuagé du ciel,
il conduisait le troupeau de la terre.
D'un geste large et rond il étendait
son long bâton, comme s'il bénissait
les brebis donneuses de laine et de lait.
Et tout à coup, son chien, il le sifflait.
Et alors, l'être fidèle entre tous,
le chien, aux yeux fixes et pleins d'amour,
celui qui aime l'homme sans détour,
celui qui se nourrirait de cailloux
lorsqu'il a pour maître un mendiant des routes,
le chien, mordait les brebis en déroute.
On le voyait. Il dressait les oreilles.
Puis, immobile et les yeux pleins de braise,
prêt à bondir sur les retardataires,
il surveillait le troupeau de côté.
Et le troupeau passait, passait, passait.
Et sa rumeur divine se perdait.
Et c'est qu'ainsi un jour, vers la Toussaint,
Jean de Noarrieu, assis dans le jardin,
entendit s'ouvrir le portail qui grince.
Et le moutonnement des bruits d'airain.
Et les cris de la Lucie. Et les chiens
dans le ciel gris, avec, debout, Martin.
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Et Jean pleura. Et les brebis boiteuses
penchaient la tête, sous le souffle de Dieu,
dans l'âcre automne aux rivières brumeuses.
Et Médor flairait Bergère, la queue
au ventre. Et elle grommelait, hargneuse.
Et l'âne étalait ses oreilles creuses.
C'était si beau que, au seuil de la grange,
Jean de Noarrieu s'arrêta un instant,
la gorge serrée, et le coeur battant
comme les cloches du troupeau traînassant.
Et la Lucie, joyeuse et rougissante,
criait: ‘Martin est là! Ouvrez la grange!’
L'ombre s'ouvrit. Une à une les bêtes
se pressaient, galopantes, vers les crèches.
Sous leurs cils blancs luisaient leurs yeux dorés.
Et des agneaux nés en route suivaient.
L'un, trop jeune encore pour pouvoir marcher,
comme une loque, au flanc de l'âne, pendait.
Les poules gloussaient, la tête mobile,
ouvrant leurs yeux ronds de côté, craintives.
L'une sur son dos portait un petit.
Et Jean de Noarrieu voyait la Lucie
trembler de joie près du pâtre immobile
qui regardait au loin vers les collines.
Elle haletait un peu, les joues rouges
comme une grenade ou de la farouche,
levant vers lui ses yeux, son nez, sa bouche.
Ses dents riaient, elle frissonnait toute.
Et elle était comme après une course,
quand, le coeur plein d'air trop vif, on étouffe.
Jean de Noarrieu soudain sentit en lui
passer toute la beauté de la vie.
Dans ses cheveux un souffle froid frémit.
Il s'approcha de Martin et sourit.
Il se sentait comme un roi pacifique
régnant enfin sur l'empire conquis.
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‘Bonjour, Martin!’ L'autre dit: ‘Bonjour, maître!’
Il prit la main calleuse du berger.
Et puis il dit: ‘Lucie, viens embrasser
‘celui à qui je veux te marier.’
La douce vie emplissait le verger
où des moineaux, vers l'hiver, pépiaient.
Ainsi fut fait. Et quand vers le vieux puits,
Jean de Noarrieu se retourna, il vit,
la bouche rouge et riante, une fille.
- Tiens, se dit-il, comme Jeanne a grandi!
Et il fixait avec des yeux surpris
une enfant brune et tendue comme un fruit.
C'était la fille aînée d'un métayer.
Elle portait sa cruche sur la tête,
un sein dressé par l'effort qui haussait
son frais bras courbe à la cruche glacée.
Ses mollets ronds et fermes se touchaient,
et, hardiment, elle lui souriait.
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En Dieu.
‘...Là-haut où je te vois, mon cher Maurice, où tu m'attends, où tu me dis: ‘Eugénie, viens ici, avec Dieu, où l'on est heuroux.’
Eugénie de Guérin.
Douce année à venir de la Vie éternelle:
Primevères qui ne vous fanerez plus... Ailes
d'oiseau jamais fermées... Iris... Et gaies ombrelles...
Gaies ombrelles d'enfants, et rires d'un Jeudi
qui ne finera plus... Silence de Midi...
Joie calme qui s'étend aux champs du Paradis...
J'ai faim de toi, ô Joie sans ombre! faim de Dieu.
Lorsque je serai mort, fermez-moi bien les yeux.
pour qu'au dedans je voie enfin s'ouvrir les Cieux.
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Absence de tout mal... O jour d'un jour doré!
où, sans nuit à son âme, on verra s'étaler
les ailes de métal de l'azur sur les blés.
Je veux voir, car je suis plongé dans ce mensonge
qu'est la vie qui n'est pas la Vie. Que Dieu me plonge
dans Ce Qui Est. Pleurez, ma chercheuse d'oronges.
Mon amie dont la voix perçait le coeur des bois:
si douce qu'elle fût, il me faut une voix
plus douce, et une Amour plus douce encor que toi...
Choses, je ne vous ai pas vues encore... Roses,
comment donc êtes-vous au Ciel où est éclose
la Rose de mon Dieu où mon Dieu se repose?
Voir un Jour dans le Ciel ceci: cette maison
d'où je reviens et où tu fus. C'est la saison
de la neige, après-midi d'Annonciation.
Chère Eugénie, sur cette neige il y avait
des empreintes de pieds d'oiseau, et j'ai posé
mes pas sur ces pas délicatement tracés.
O toi qui vois du Ciel comment ces choses sont:
que je puisse les voir plus tard à l'unisson
de ton coeur, en l'Eté des Résurrections!
... Sont-ce des colibris verts là où l'Indienne
- ta belle-soeur et ses amies rient sous les chênes,
vers le ruisseau? O pauvres rideaux d'indienne!
Salut, grande âme, ô soeur au front droit comme Dieu,
amère et sainte! Réponds-moi du haut des cieux?
Que vois-tu que je n'aperçoive en ces doux lieux?
Cette eau est plus courante encor que dans la vie,
l'eau aux yeux bleus comme toi-même. Et la prairie
majestueuse ne s'éteint plus. Il est Midi.
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Et le brasier de l'herbe en fleurs chante en dormant.
Et les lourds papillons du nouveau Firmament
vont et viennent à la lueur du Tout-Puissant.
Annonciation de l'âme en ce Dimanche...
- Mon frère, que vois-tu? - Je vois les fumées blanches
que font à l'horizon les chemins qui serpentent.
- Que vois-tu? Que vois-tu? - Cette tapisserie
où ma prière et ma pensée anéantie
se brisaient, cette tapisserie si flétrie...
cette tapisserie de ta chambre glacée,
cette tapisserie humide où finissait
le monde - ainsi pour moi! - alors que tu vivais...
Comment la vois-tu dans cette chambrette austère
où ta désolation grande comme la Terre
s'épandait ardemment en muettes prières?
C'est donc là que tu as appelé mon Dieu,
avec des mots si purs qu'ils formèrent ce creux
où le croyant qui meurt entre enfin dans les Cieux?
Cayla! Cayla! Les jeunes filles vagabondes
sont venues. Elles ont noué leurs tresses blondes
aux tresses qu'en courant le soleil fait à l'onde...
Le chat noir, quel est-il dans la noire cuisine?
La giroflée sanglante au perron en ruine
comment est-elle donc dans la Cité divine?
L'enclos est éternel, le bosquet éternel,
Maurice est éternel, le salon solennel
est éternel... Ma soeur, vois-moi du haut du Ciel?
Ton misérable lit de servante du Ciel,
je sais que je ne l'ai pas vu tel qu'il est, te!
qu'en ce jour d'Annonciation Gabriel
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le jonchait de perce-neige. Car il est dit,
car il est dit, ô vierge amère, à l'introït:
‘Des choeurs de vierges près du Roi sont introduits.’
Béatitude, haies de roses, Juins dorés,
baumes, sombres verdeurs des torrides forêts,
l'Amour vous frappera de son éternité.
De même que tandis qu'à l'autel villageois
le Sacrifice a lieu, il a lieu à la fois
sur l'Autel élevé par la divine Joie:
de même notre vie qui se passe sur Terre
passe dans l'Infini par le même Mystère,
préparée par chacun, à jamais sombre ou claire.
Les cieux d'Avril veinés comme une agate bleue
par les branches à nu des platanes rugueux
éclateront laissant enfin voir les vrais Cieux.
Rentrer en soi, à la Face du Dieu vivant,
telle est la Loi. Rien n'est omis, ni le Printemps,
papillon bleu emprisonné par des enfants,
ni le baiser léger d'une enfant scrupuleuse,
ni la plaie de mon coeur, ni la jacinthe heureuse
qui rougit au parfum d'une gorge peureuse.
Triple cri de la haute alouette enrouée,
jacassements dans les sapins, qui éveilliez
de blonds sommeils épanouis sur l'oreiller...
Que seront, que seront ces rires et ces cris,
quand Dieu, levant le store bleu de l'Infini,
illuminera tous ces nids et tous ces lits?
Tout ce que l'on peut voir, il faut que l'on le voie,
que l'on entende aussi parler toutes les voix,
et que l'on touche et que l'on sente les lilas.
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qui, dans le parc, au seuil de cet autre Univers,
fondent à ce Soleil le feu de leurs coeurs clairs,
ô Cayla! leurs coeurs plus transparents que l'air...
Je vous reporterai, ô choses du Passé
à qui ma poésie prêta tant de beauté,
je vous reporterai où il faut que vous soyez!
Je vous reporterai au Futur où vous êtes.
Je me trompais quand je pensais, fraîches coudrettes,
qu'aucun vers ne logeait au creux de vos noisettes.
Ce que j'imaginais dans sa suprême essence,
ce dont je faisais une ancienne romance,
c'étaient les visions du Ciel qui nous devancent:
O jambes nues dans l'eau tiédie par le solstice!
O robes chastement serrées entre les cuisses!
O racine où se réfugient les écrevisses!
Vous vivez de votre splendeur spirituelle,
vous existez encor, vous êtes encore réelles,
vous existez, car la beauté est immortelle.
Eugénie, Eugénie, tu me parles tout bas.
Nous savons que sur la terrasse où tu rêvas,
tu revis. Mais, hélas! nous ne te voyons pas.
Mais l'ange familier des choses invisibles,
mais les saints voient encor sur ton chapeau flexible
les iris qui l'ornaient renaître incorruptibles.
Eugénie, c'est au mois de Mai que vous mourûtes,
au blanc mois de Marie. On entendait la flûte
d'un enfant se mêler au bruit d'eau de la chute.
Et puis tout fut. Eugénie, vous vous en allâtes.
On entendit glisser à peine les savates
de la servante. Et le chien mit entre ses pattes
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son museau plein de terre. Et Dieu vous accueillit.
Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.
Ainsi soit-il. Votre ange vous avait suivie.
Dans l'ineffable ardeur de l'Amour spirituel,
il était à genoux, offrant à l'Eternel
cinq ou six giroflées du perron paternel.
Et Dieu, dans la simplicité de sa grandeur,
prenait, ô Eugénie! ces misérables fleurs
qui rayonnaient alors d'être dans sa Lueur.
Et, dans le plus profond de votre âme éclairée,
amie qui m'entendez, à jamais s'étendait
l'équateur des Pays de la Sérénité.
... La flûte d'aulne frais qui mêlait son soupir
au vôtre, à ce moment où vous alliez mourir,
chantait encor sans que semblât que dût finir
cette humble pastorale enfin divinisée.
Et vers les véritables prés ce chant montait,
calme. Et calme, l'Agneau de Dieu là reposait...
Cependant que, le long du ruisseau, la Colombe
se promenait, ardente, et couvrait de son ombre,
en passant devant lui, le Lys miré par l'onde.
Que grande et douce fut votre béatitude,
quand vous revîtes, mais exempt de décrépitude,
l'arbre sous qui vous vous asseyiez d'habitude,
Maurice et vous, afin de mieux croire et rêver!
Maurice, il était là. Vous êtes arrivée.
Il a ouvert les bras. Il vous a dit: Ave!
Vous vous êtes assis tous deux comme autrefois,
comme attendant encor cette heure du repas
qu'indiquaient les constellations sur les bois.
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Eugénie, ‘dans ce Ciel qui ne passera pas,’
(c'est vous qui, une nuit, écrivîtes cela),
avez-vous prié Dieu pour le ciel du Cayla?
... Orion s'élevait, uni à la cadence
des mondes et planant dans le mortel silence
où l'âme, déployant ses ailes, se balance.
Je viens à vous, ô morts! Vers vous va ma prière.
Mon Dieu aux pieds blessés entre dans ma chaumière.
Comment le recevoir? Je suis dans la misère.
C'est lui que vous voyiez jadis au Cayla,
lorsque le voyageur sous la modeste Croix
s'agenouillait au carrefour blanc qui poudroie.
O Eugénie, ô Maurice, vous êtes là!
La matinée mouillée est lourde de lilas.
Que ne suis-je avec vous dans cet autre Cayla?
O mon âme, mon âme, ô mon âme liée
à mon Dieu, entends-tu parmi les peupliers
du Ciel les rossignols aux chants multipliés?
Que je sois avec vous, puisque vous me parlez,
puisque mon Dieu en moi vibre comme le blé
aux respirations des siestes de l'Eté.
Je t'aime, Esprit! Mon âme est celle du Cantique.
Elle est ta fiancée gracieuse et rustique,
Sous les poiriers de la Saint-Jean mélancoliques.
Qu'elle aille donc entre Maurice et Eugénie!
Qu'elle aille à Toi avec les fleurs qu'elle a cueillies
au Cayla, dans une éternelle prairie,
et qu'elle soit plongée toute nue dans la Vie.
(Clairières dans le Ciel).
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Le poète n'est plus jeune...
Le poète n'est plus jeune comme autrefois.
Il a dit à son chien: chien, il est d'autres bois
que ceux où nous chassions dans le fumeux automne;
il est d'autres ajoncs et il est d'autres chaumes:
il y a les fougeraies des ténèbres de Dieu,
les fourrés qui le soir respirent dans les Cieux.
Mais le poète, bien qu'amer devant la vie
qu'il avait tant aimée, et qui l'avait trahi,
le poète savait sourire aux jeunes filles
dont les joues sont les pommes rouges des charmilles.
Il faut que, sans savoir pourquoi, ces enfants rient.
Il faut laisser jaser les sources de la prairie.
A mesure que le poète allait à Dieu
et que, de plus en plus, se faisait raboteux
le chemin où l'on est forcé de s'engager,
son coeur paisible, bien que déçu, souriait
aux échos des baisers dans les vacances lourdes.
Son âme ardente et triste et tendrement amère,
à genoux maintenant devant chaque Mystère
devenait l'humble soeur de l'humble coquelourde
qui orne la pauvreté du buis presbytéral...
D'autres jardins s'ouvraient, mais si beaux et si sombres
que leurs feuilles gênaient celui qui voulait voir;
et la beauté suprême était ce large noir
où se risquait son coeur comme un homme qui plonge.
(Clairières dans le Ciel).
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Les géorgiques chrétiennes, Chant VII (fragment).
Le pauvre dans la neige. - Les visions de la Noël céleste. - Le village natal. - L'exil. - Les moissons stériles. - Les terres sans saisons. - Le retour au pays. - Le mauvais accueil. - La vie errante. - Les contrées divines. - La mort.
Le pauvre que l'on vit paraître dans deux chants
Par la nuit de Noël arriva sur un champ.
Sur un champ, mais que dis-je? Il n'était champ ni vigne
Car la neige imposait à tous les plans sa ligne.
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Il regarda autour de soi, puis s'étendit
Sur ce qui devait être enfin son dernier lit.
L'autre année il avait encore d'un pas ferme
Dans cette nuit divine atteint la bonne ferme.
Il ne le pouvait plus maintenant fatigué
D'avoir passé trop de coteaux et trop de gués.
Il arrêta ses pas: et de même la source
Par ce froid violent interrompait sa course.
Tout de son long couché sous les brillants essieux
Du ciel il contempla la face de son Dieu.
Autour de la très douce et la très sainte Enfance
Les mondes qu'Elle avait créés nouaient leurs danses.
Et ce n'était que joie et bénédiction
Dans le pur tournoiement des constellations.
Devant l'inénarrable Gloire la paupière
De l'errant s'attachait au Fils et à la Mère.
Mais dans l'ombre soudain il vit le Charpentier
Dont Dieu à Nazareth apprendrait le métier.
Cet homme aux saintes mains par le marteau noircies
Prouvait l'humble grandeur d'une pénible vie.
Et le pauvre couché dans les flocons crut voir
Quelque ancien compagnon se reposant le soir.
Sous le dais constellé de la nocturne Fête
Se déroula la voix d'une lente musette.
On entendit alors toutes les Légions
Répondre par leurs chants et leurs psaltérions.
On distinguait qui se rapprochait de la Terre
Tout un monde en extase obscurci de lumière.
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La mort de plus en plus s'infiltrait cependant
A travers les tissus bleuis du mendiant.
Mais à mesure qu'il s'éloignait de la vie
Son âme plus légère était d'autant ravie.
N'était-ce pas le blé germant des Livres saints
Ou la pâte qui lève au contact du levain?
La vision semblait de plus en plus réelle.
Il put se redresser et il marcha vers elle.
Le Paradis arda comme un essaim qui bout
Lorsque le pauvre errant de nouveau fut debout.
Quand ils virent saigner ses pieds évangéliques
Les choeurs firent sonner plus haut l'Hymne angélique.
Et l'Enfant qui buvait à l'ineffable sein,
Se retournant, tendit au disciple les mains.
Alors se résolvait le sublime problème
Où les mots confondus n'en formaient plus qu'un: aime!
Le moribond voyait mais immatériels
Les instants d'ici-bas se refléter au Ciel:
Ceux qu'il avait vécus dans la maison natale
Et sur une vallée comme une mer étale:
Avec le jour naissait et mourait le labeur;
La soupe parfumait l'ombre des travailleurs.
Il était une place avec quelques platanes
Au tronc desquels parfois on attachait des ânes.
Et l'enfant qui jamais n'avait quitté ces lieux
Les trouvait suffisants pour y loger son Dieu.
Y avait-il, y avait-il d'autres contrées
Hors ce village avec son linge sur les haies?
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Les saisons qui roulaient et leur quatre splendeurs
Ne duraient-elles pas ici autant qu'ailleurs?
Et la bonté que lui montraient ses père et mère
Eût-elle été plus grande en de plus vastes terres?
Mais plus tard, tel qu'un aigle' un agneau, le destin
Ravit l'adolescent pour l'emporter au loin.
Il avait demeuré longtemps en Amérique.
Son âge mûr vécut de dures géorgiques.
Il avait vu jaillir des braises d'ateliers
D'éblouissants épis mais creux et pas liés.
Les animaux de fer qu'animaient des courroies
Ne lui rappelaient point les doux boeufs qu'un joug ploie.
La moisson jaune là n'était qu'un or brutal
Qu'on entassait au fond de coffres de métal.
Sa vue avait subi au coeur d'étranges serres
La flore incandescente et mortelle du verre.
Coquelicots des Pyrénées où étiez-vous
Dont les feux comme ceux des roses sont si doux?
Combien il effectua de pénibles descentes
Aux mines d'où, horreur! la saison est absente!
Lors, comprenant que rien sans amour n'a de prix,
Par son pays natal il fut au loin repris.
Son travail ne reçut aucune récompense.
Il revint pauvre et fier dans notre vieille France.
Il revivait tout cet ancien retour. D'abord
Les cloches s'élevant peu à peu sur le port.
Puis l'arrivée à pied sur la terre natale
Et tout à coup d'en haut la vallée qui s'étale.
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Rien ne semble changé dans ce pays herbeux
Qui tremble, car le pauvre a les larmes aux yeux.
C'est le même horizon et la même rivière
Et le même sentier avec les mêmes pierres.
Et c'est la même place aux platanes si beaux
Où j'ai dit qu'on liait parfois des animaux.
Ses parents sont-ils morts? Il resta sans écrire.
Ne s'enrichissant pas il n'osait le leur dire.
Où donc es-tu, bon chien qui accours au-devant
Du voyageur? Hélas! Tu es mort, lui absent.
Sinon pareil au chien d'Ulysse dans Homère
Tu frémirais de joie, ta queue battrait la terre.
Ton maître hébergera ce fils de ton pays
Qui fut probe et vaillant mais que le sort trahit.
Il y aura toujours quelqu'un à la chaumière;
Si ce n'est pas les vieux ce sera quelque frère.
Mais le frère lui dit: je ne te connais pas;
Va-t-en chercher ailleurs ta couche et ton repas.
Il s'en alla pleurant bien moins sur sa disgrâce
Que sur la dureté d'un homme de sa race.
Il n'avait plus le coeur solide à travailler
Et dès lors il ne put que prier et mendier.
Un jour après de chauds et nombreux kilomètres
Il atteignit les champs du père de mon maître.
J' ai dit plus haut comment sur l'ordre de ce vieux
Une enfant lui donna du pain et fut à Dieu.
Dès lors il s'en revint deux fois à chaque année
Bénir cette famille austère et fortunée.
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Il prenait à la joie de tous place au foyer,
Tutoyant les enfants et par eux tutoyé.
Il venait au moment de la moisson profonde
Quand les puits altérés voient décroître leur onde.
Il arrivait encore par la neige et le gel
Et comme cette même nuit à la Noël.
S'étant donc relevé, de son âme ravie
Il embrassait l'amour de l'éternelle Vie.
Et ses souffrances s'enfuyaient au loin tandis
Que peu à peu se rapprochait le Paradis.
La croyance du peuple est qu'à la dernière heure
Nos défunts revenus autour de nous demeurent.
Or tandis qu'il priait Dieu, la Vierge et Joseph,
L'agonisant crut voir son père humble et doux chef.
Ce père conduisait des boeufs dans une plaine
Que l'émail de l'azur rendait toute sereine.
Une femme apporta à boire au travailleur
Dont le front rayonnait d'une sainte lueur.
L'indigent comprenait que son père et sa mère
Quoiqu'il les reconnût vivaient hors de la Terre.
Ils étaient près des morts de la ferme où toujours
On accueillait dans l'allégresse son retour.
L' aïeul était assis dans ce site paisible
Avec des vieillards beaux comme ceux de la Bible.
Et la fière servante en allée au Printemps
Haute, marchait vers eux et semait en chantant.
De la beauté déjà c'était la prescience....
Et la neige accueillant le pauvre fit silence.
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Réflexion sur la matière.
Au moment que Dieu la créa, la matière n'était si belle que pour servir de support à la vie sans péché. Dès que celui-ci se fut introduit dans l'âme, la chair en pâtit jusqu'à la maladie et la mort, et cette déchéance retentit au delà de l'homme, dans les animaux, les végétaux et les minéraux.
La Terre, comme un fruit énorme et parfait, ne connaissait, au moment que le Seigneur se reposa, ni le ver ni un autre détriment à sa beauté depuis inconnaissable.
Cette splendeur passée de la matière nous la retrouvons dans une bien infime mesure, il est vrai, chez des poètes qui n'ont point cessé, même au milieu du paganisme, d'aspirer, d'une façon plus ou moins large, à cet état plus élevé dont je parle.
L'esprit de l'homme conçoit naturellement la logique d'une matière au début sans défaut, mais non point dans la suite, ce qui fut l'erreur orgueilleuse et profonde de Rousseau et de ses disciples. Et que cette perfection, absente désormais, soit envisagée au point de vue spirituel ou matériel, cela revient au même. Et la seule raison eût dû, par une très simple méthode comparée, réduire à néant non seulement les adeptes du Contrat social, mais encore les positivistes qui n'avaient qu'à regarder autour d'eux pour se convaincre de leur peu d'exigence.
Je dis cependant que de la splendeur primitive de la matière la flamme est loin d'être éteinte, encore qu'elle ait baissé. J'en veux pour preuve cet horizon où règne l'azur solide des Pyrénées; ce gave; ces feux de laboureurs; cette grâce de la jeune fille; cette belle force de la femme; cette souplesse de l'adolescent et cette majesté du vieillard; ces rochers et ces bois; ces moissons et ces jardins; ces chevaux et ces boeufs; et ces poissons que l'on voit nager entre deux eaux et qui brillent comme ces notes de la lumière que le Tout-Puissant fit connaître à Noé.
Respecter la matière, l'aimer dans la mesure où Dieu le veut, mesure qui dut trouver son parfait équilibre au commencement: tel est le devoir du chrétien et telle est la permission qui lui est accordée. Et que fait le saint qui se flagelle dans sa cellule, sinon de châtier, non pas la matière, mais les imperfections de celle-ci? Et par cela de la respecter et de l'aimer?
Il est remarquable que ce soit aux époques de vie spiri- | |
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tuelle intense que l'homme rende à la matière la culte qui lui est dû. La recherche d'une pierre et d'un bois solides pour la construction d'une cathédrale ne marque-t-elle pas qu'à l'adoration constante du Christ il faut que l'homme dédie ce qu'il possède de plus durable: ce marbre et ce chêne? Dans quelle matière de choix ne fut pas inscrite la parole de Jéhovah? Dans quels papyrus tenaces celle des Prophètes? Dans quels parchemins indéchirables et enluminées la vie des saints?
Je me suis laissé dire que pendant la lente conception d'un tableau et avant que de le réaliser, les vieux maîtres ne trouvaient jamais assez de soin et d'amour du coeur pour les matières qui devaient concourir à la confection de l'oeuvre. Ils s'en allaient dans les forêts surprendre les écureuils dont les poils assouplis devenaient des pinceaux. Et, s'adressant aux plus bruts des minéraux, ils les broyaient avec science sur leurs solides palettes pour les étendre sur un cuivre, un verre, un bois ou une toile précieux. Et quel hommage plus grand eussent-ils décerné au Créateur que de lui rendre la Création dans la mesure la plus large où l'homme ne l'a point contrariée?
Et l'Église elle-même n'exige-t-elle pas que l'eau, que le pain et le vin, que l'huile et que la cire qui la servent ne soient point adultérés?
Je méditais sur le choix de la matière au sujet d'une de ces horloges peinturlurées que l'on voit dans nos fermes. Cette horloge était de la fabrication la plus moderne. Et l'on ressentait qu'il n'eût fallu que la poussée du poing pour en crever les planchettess si légères qu'on les aurait dites de carton. Et j'opposais ce meuble, dans ma mémoire, à d'antiques pendules conservées dans les mêmes milieux, mais enchâssées dans un coffre de chêne aux cellules ramassées, chêne d'un âge respectable, longtemps séché, longtemps destiné à cet usagé. Et que dire de certains violons qui simulent l'indéfectibilité de la matière lorsqu'ils laissent, après des siècles, leur écorce rententir encore du bruit de la brise dans leurs feuilles absentes et du chant de l'oiseau sur leurs branches élaguées?
On songe, la tristesse dans l'âme, à ces édifices religieux construits avec je ne sais quelle purée de carton et bien faits pour renfermr une foi qui ne soulève plus la belle pierre;
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aux pieuses inscriptions imprimées à la hâte sur une banderolle de mauvais calicot; à ces papiers tissus de ce qu'il y a de plus inconsistant dans le domaine végétal et sur quoi des dramaturges et des journalistes contemporains laissent justement baver leur encre falsifiée; à ces toiles que corrodent d'étranges maladies que la science provoque chez les minéraux et végétaux, maladies qu'elle nomme: couleurs.
Il semble qu'avec de tels produits, indignes du nom de matières, les monuments religieux cèdent à l'avance aux mains sacrilèges qui en forcent les portes; que le verset biblique soit plus vite oublié et déchiré; que le contrat soit plus vite violé; que le paysage représenté soit plus vite décimé, comme le site que l'on déboise pour en distiller les essences. Et il apparaît, devant l'horloge de bois fragile, que l'homme n'a plus souci du temps qui mesure pourtant sa destinée.
Il existe une malhonnêteté, celle qui usurpe sur la matière et qui est la surproduction forcée, le dol vis-à-vis des choses créées, une sorte d'abatage de la poule aux oeufs d'or, la mainmise cupide de l'homme sur ce que la nature ne lui a pas encore livré, une captation prématurée d'éléments encore en réfection, le triomphe du nombre sur la valeur: c'est-à-dire une certaine faillite provoquée frauduleusement et exploitée aux dépens de l'esprit. C'est, en viticulture, le forcement du plant par une reconstitution artificielle du sol et, plus tard, l'introduction dans le vin, de remplaçants dont l'ensemble forme le truquage; c'est, dans l'élevage, l'épuisement de la race par celui de l'étalon, phénomène analogue à celui de la débauche; c'est, dans la tannerie, le remplacement de l'écorce du chêne par la drogue; c'est, en sériciculture, l'apparition de la soie en papier; c'est, dans la beurrerie, l'innombrable margarine; et, en joaillerie la galvanoplastie qui usurpe sur la profondeur de l'or, et l'écaille d'ablette qui trompe sur l'orient de la lente sécrétion de la perle.
La matière est telle qu'elle ne correspond qu'à un nombre déterminé d'usages. D'où: chaque chose qui n'est pas au point est défectueuse, que ce soit par l'un ou l'autre de ces moyens dont j'ai fourni les exemples: le forcement (vigne); l'illusion (galvanoplastie); l'inversion (la perle fausse).
Qu'il me fût permis de faire un voyage dans la lune, comme l'un des héros de Jules Verne ou de Wells, et qu'elle fût habitée... et que mon temps, limité, ne me permît qu'une
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brève investigation... Je ne me mettrais point en peine, pour rédiger un rapport de mon voyage, d'apprendre la langue des Sélénites, mais d'obtenir d'eux:
Un fragment de la pierre dont ils construisent leurs temples.
La reliure d'un de leurs livres.
Un des fruits dont ils se nourrissent.
Et par là je connaîtrais facilement de leur foi, de leur littérature et de leur agronomie.
Mais quoi, m'objecterez-vous, est-ce que d'être écrit sur un parchemin un poème a plus de beauté?
Certes! vous répondrai-je, un auteur réfléchit longuement avant de se décider à gâter la peau d'un âne.
(Pensée des Jardins).
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Méditation sur une goutte de rosée.
C'était une adorable vieille fille qui est morte dans un petit castel qui eût plu à Jean-Jacques Rousseau. Un torrent frissonne au bas de la tourelle fleurie de roses jaunes, et, non loin, la digue d'un moulin abandonné poétise encore ce site ombragé de bosquets.
Ça et là, des champs fertiles. Au coin de l'un d'eux, je vis naguère un vieillard assis sur une borne, au déclin de la journée. Il tenait une canne à bec de corbin. Du lieu où il était, il surveillait doucement la moisson. J'envie cet âge où le regard ne se reporte plus qu'avec lenteur aux choses familières. Peut-être le passé devient-il alors le présent?
Ce vieillard paisible, qui me fit songer à cet autre vieillard qui figure noblement dans Paul et Virginie, évoquait peutêtre, en observant les belles moissonneuses, l'époque suggérée par les lectures de sa jeunesse... Peut-être Ruth lui appéraissait-elle couronnée de bluets et d'épis, ou bien Chloë parfumée de myrthe et donnant du sel à ses chrevreaux?
Déjà, depuis longtemps, lorsque j'entrevis dans la sérénité du jour qui va finir le patriarche de ces champs, la vieille fille était morte.
Elle avait vécu là toute sa jeunesse et, plus tard, ne cessa guère non plus d'y habiter, car, devenue orpheline, ses soins allèrent à une soeur maniaque. Ses seules absences avaient été quelques séjours annuels à Paris. Et, lorsque je pense la revoir telle que je l'ai connue, octogénaire, avec ses bandeaux
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neigeux qu'ornaient des violettes de Parme, avec son grand nez, son menton de galoche et ses yeux ardents, il ne m'est pas trop difficile de l'évoquer à dix-huit ans, coiffée de quelque vaste chapeau flexible orné de fleurs des moissons, vêtue de quelque robe de mousseline gonflée par les révérences et nouée de rubans couleur de colibri.
Dans ce château, ces jours derniers, j'ai feuilleté avec tendresse, avec lenteur, sentant monter en moi l'indicible nostalgie du passé, l'album où Mlle Sophie F. de B. a laissé déborder son coeur....
Durant qu'elle était à Paris, c'était vers 1840, elle prenait des leçons de botanique au Jardin des Plantes! Oh! de quel charme ne la vois-je pas entourée alors? Qui sait de quelle âme ardemment élégante cette jeune provinciale accueillit ces couleurs qui s'irradiaient, ces parfums qui s'exhalaient de ces nouvelles ombellifères que les Laurent et Adrien de Jussieu rapportaient des îles sauvages! Je crois voir cette ancienne adolescente, dans quelque allée de ce Jardin botanique, se haussant sur la pointe d'une bottine lilas afin d'examiner la gorge de quelque campanule velue.
Son coeur, elle l'a confié à cet album où elle a patiemment dessiné, peint, verni d'admirables gerbes. Je dis admirables, je ne veux certes point affirmer qu'elle a possédé ce génie qui, dans le tissu des corolles, enferme le mystère des sèves, mais je veux exprimer qu'en dehors de toute prétention à l'art, cette peinture rococo porte l'empreinte d'une âme si haute et si pure qu'aucune oeuvre célèbre ne saurait me toucher davantage.
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Il faudrait évoquer une à une les journées durant lesquelles cette âme tendre et contrainte mit dans chacun de ces calices un peu de son éternité. Ce que l'on dit, ce que l'on disait alors à son fiancé, elle ne se maria point par dévouement à cette soeur dont j'ai parlé, elle l'a confessé à ces brûlantes corolles. Il est des roses qui semblent éclater, jaillir de leurs vertes gaines ainsi que des coeurs d'adolescentes dans l'exaltation des soirs de Mai. L'une de ces roses entre autres m'a douloureusement parlé. Je suis bien sûr qu'elle la peignit dans une matinée limpide où elle demanda grâce à Dieu. Aucun mot ne saurait rendre la pureté passionnée de ces pétales
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jaunes d'où, lentement, coule une larme de rosée. Ah! que je l'ai comprise, cette larme!
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O jeune fille du siècle passé! Te doutais-tu, lorsque dans le salon toujours ombreux tu laissas tomber cette larme, que je l'honorerais un jour? Elle a été recueillie et rien n'a altéré son eau précieuse. Cette pierre brillante de ton coeur - sois en paix dans le sein de Dieu! - a été déposée par des mains dignes et pieuses dans le coffre chinois du grand salon. Je la redemanderai parfois aux amis qui la conservent, ô toi qui as souffert peut-être de ce même mal dont je suis atteint, de cette impossible et muette passion que seules comprendraient tes contemporaines dans leur grâce éteinte et leur farouche pureté.
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Que de calvaires se sont dressés, que de chemins de croix ont été suivis que nous ignorons. Lorsque, parmi les dés, les ciseaux, les fragments de broderie, les déchets de soie, les petits miroirs, les boucles de cheveux, les dents enfantines, les fleurs artificielles, les flacons, les bijoux démodés, nous posons les doigts sur quelque vieille Imitation de Jésus-Christ, il semble que ce parfum de renfermé qui imprègne ses pages ne possède qu'une infinie douceur...
Eh! pourtant... Que de mains, jeunes ou pas, ont dû trembler d'attente et de douleur tandis qu'elles tenaient ce livre!... A l'aube de son destin, cette adolescente n'entr' ouvrait ces pages qu'avec le secret espoir que l'amertume n'est point répartie entre tous et que, peut-être, la destinée l'épargnerait. Ce n'était donc qu'avec une piété charmante qu'au réveil elle étendait vers l' Imitation son bras déjà robuste. Plus tard, dans le milieu de l'existence, elle reprit le livre. Les pommiers chargés de fruits n'étaient plus gais comme autrefois... Une joie les avait quittés, je ne sais laquelle. Et puis jamais elle n'avait revu sur la pelouse ce papillon si coloré qui s'était éployé devant elle dans la torride splendeur d'un jour de grandes vacances....
Et l'âge s'avançait. Et voici qu'au déclin de la Destinée elle n'interrompit guère plus sa lecture. Il neigeait au dehors.
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Il était sept heures du soir. La glace, éclairée par la lampe dont chaque pleur battait la mesure au silence, renvoyait à la vieille fille l'image troublée des métamorphoses humaines. Plus de cheveux de miel qu'en se jouant jadis elle enroulait à la grâce de son poignet fragile... Mais deux bandeaux sévères qui évoquaient ces autres bandeaux qui servent à ensevelir les morts... Plus de sourires clair comme un jardin d'avril sur la joue épanouie, mais le sillon que forme peu à peu l'amère coulée des larmes.
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Que la paix de Dieu descende sur ces existences anciennes qui ont pour moi la jeunesse encore de cette rose où ruisselle un pleur si pur que l'on hésité entre la goutte de rosée et la larme d'une enfant confuse de son premier émoi!
Que l'on est bien, ici, pour vénérer les morts et se les remémorer quotidiennement! Pas une averse bruissant sur les dômes des bois, pas un arc en ciel qui se voûte sur le village assombri, pas une clarine pastorale perdue dans le vent d'automne qui ne livre à mon esprit un sujet de méditation.
... Ici, pensé-je, dans cette petite caverne tapissée de fougères, de violettes, ils durent se réfugier parfois pour laisser passer la frémissante ondée... Et c'est alors que flotta dans le dernier ruissellement de l'orage l'écharpe diaprée d'Iris... Là, me dis-je encore, dans ce coin isolé du parc, la jeune fille rêva peut-être de celui qui, dans la grotte, lui avait paru le plus charmant. Et, tandis qu'elle interrogeait sa mélancolie, voici que la cloche d'un agneau perdu lui répondit....
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Comme chaque détail devient un monde si, dans ce détail, l'on poursuit non pas un jeu poétique, mais l'empreinte de Dieu sur les moindres événements quotidiens. Ah! pense-t-on que cela ne soit pas d'une grande importance que, plutôt à telle heure qu'à telle autre, tel jour que tel jour, une enfant ait cueilli des fraises dans un bois?
N'est-ce rien que, dans une matinée que j'ignore, une ancienne jeune fille ait enfermé, à son insu, dans une goutte de rosée qu'elle fit briller sur une rose, le motif de ma rêverie qui s'achève?
(Pensée des Jardins).
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Notes sur quelques arbres.
Les carrières du ciel d'hiver s'éboulent et les nuages descendent sur la terre pour se fixer aux branches nues et laissent le vide bleu s'installer à leur place. Ici des nuages blancs et roses font un fruitier; là des nuages lilas, mauves et couleur de chair, font un jardin d'agrément; ici des nuages noirs font une forêt; là des nuages de pur soleil font une bande d'ajoncs.
Je veux écrire l'éloge de quelques arbres. Premièrement, du pêcher. - Il est pareil à un essaim d'abeilles qui seraient roses et aussi parfumées que leurs rayons. C'est pourquoi son fruit, velu comme l'abeille, a la couleur du miel.
Deuxièmement, du pommier. - Il est rond. Son fruit est rond et rose et blanc comme est blanche, rose et ronde la joue de ce petit enfant maraudeur qui saute le mur du verger.
Troisièmement, de l'amandier. - Les doigts de Dieu ont aplati l'amande et laissé sur l'écorce un peu d'encens et dans la coque un peu de lait caillé.
Quatrièmement, du poirier. - Il est comme un pélerin vêtu d'une robe conique, appuyé sur un bâton noueux, et qui assiste à ce miracle que ses gourdes puisent leur eau fraîche dans le feu du soleil.
Cinquièmement, du prunier. - La peau de ses fruits est si fine, que lorsqu'on la détache, elle forme des lanières transparentes. Et la chair mise à vif est toute saignante de soleil.
Sixièmement, du cerisier. - Le cerisier est le corail de la mer céleste. Et un rameau chargé de cerises est plus lourd qu'on ne pourrait croire.
Septièmement, du néflier. - Ses fleurs sont des églantines blanches. La peau de son fruit rond, creusé au sommet en couronne, est lisse, rousse et parfois argentée comme la jeune branche de chêne; la chair acide et douce, couleur de tan, contient plusieurs noyaux osseux. La nèfle ne se mange que décomposée, en décembre. On dirait d'une crême de feuilles mortes, et elle porte la bure parce qu'elle demeure solitaire dans le verger.
Huitièmement, du lilas. - L'azur s'enflamme au bout de ses branches et la jeune fille qui tient ces torches parfumées sur son coeur qu'elles dévorent pense que tout le ciel brûle aussi.
Neuvièmement, du marronnier d'Inde. - Ses mains d'om- | |
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bre ridées entourent mille thyrses saumon ou blancs tachés de rose. Ses boules vertes puis brunes, hérissées comme des masses d'armes, tombent et s'ouvrent en laissant échapper d'une peau blanche et glissante les marrons rebondissants, vernis comme de vieux meubles.
Dixièmement, du citronnier. - Sa canne veinée comme une noix muscade, s'élève d'un caisse verte et carrée. Feuilles et fleurs sont roides, et ces dernières si parfumées que l'on dirait des grains d'encens que le soleil liquéfie et qui s'égouttent dans l'allée. Le fruit, d'un jaune clair, si on le coupe transversalement, a la forme et la transparence d'une rosace d'église.
Onzièmement, de l'acacia-boule. - Sa forme est celle d'un grand bilboquet. Il n'indique que la présence d'une administration des ponts et chaussées. Il ne fleurit jamais. Planté au bord des routes, il se sent assimilé à une borne kilométrique.
Douzièmement, du peuplier. - Quand Sully, qui les fit planter au long des avenues de France, encourageait les travaux des campagnes, les fuseaux des fileuses aimaient les quenouilles des peupliers. Ensemble ils chantaient ou ronflaient. Ici le fil avait un noeud, et là le feuillage un nid d'oiseau. Les fuseaux et les peupliers tombent sans que personne les relève.
Treizièmement, de l'ormeau. - C'est la fête du village. Sur la place quatre ménétriers font danser des couples. Une bouteille de limonade luit sur la table devant l'auberge. Les branches des ormeaux, qui sont tordues comme des éclairs, retiennent un tel amas de feuillage que l'on dirait des blocs de nuit en plein jour.
Quatorzièmement, du saule pleureur. - C'est une averse de verdure.
Quinzièmement, du bouleau. - Les feuilles triangulaires et très mobiles du bouleau font un bruit de pluie. Le tronc, qui pèle finement, a la blancheur de la chaux avec, çà et là, des cicatrices noires qui ressemblent à des yeux d'après des méthodes de dessin.
Seizièmement, du charme. - Il ne faut le considérer que taillé; creusé, dirigé. Les amoureux ne s'enfoncent pas dans ses couloirs, faits de petits coeurs plissés, sans une secrète angoisse. La jeune fille qui, avant d'y pénétrer, est pâle comme la moitié d'une cerise, est souvent, lorsqu'elle en sort, rouge comme l'autre moitié.
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Dix-septièmement, du platane. - Son écorce qui s'enlève par plaques, donne au tronc l'aspect d'un serpent moucheté. Ce tronc, à l'endroit où il se ramifie, représente souvent un torse humain dont la peau se plisse dans un effort. La feuille est trilobée, à pans aigus, parcheminée, large, plane, et les chatons forment des pompons de bourre tondue. Aux jours des fortes chaleurs le mendiant bénit l'avenue de platanes. Elle donne beaucoup d'ombre et promet quelque belle fontaine dont l'eau lumineuse jaillit gaîment. Une allée de platanes ne se rencontre guère que dans une ville bien entretenue.
Dix-huitièmement, du figuier. - La feuille trilobée, à pans arrondis, d'un vert profond, donne aux doigts l'impression d'une joue rasée. Et, détachée de la branche très flexible dont elle couronne l'extrémité de ses frais bouquets, elle laisse perler un âcre lait. La figue mûre est, à l'extérieur verte ou vineuse selon l'espèce; à l'intérieur, plus ou moins couleur de chair et de miel. Elle a l'air d'un petit animal obèse dont la tête et les pattes se seraient atrophiées jusqu'à disparaître.
Dix-neuvièmement, du noisetier. - Il y a des nids d'oiseaux, des nids de fleurs et des nids de fruits. On surprend les nids de noisettes au bord des eaux, sur quelque branche flexible, et soudées entre elles par la base de leurs collerettes vertes et acides. Dépouillée de sa collerette, la coque de bois clair de la noisette a la forme et la grosseur d'un oeuf de petit oiseau.
(Feuilles dans le Vent).
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