Charles Péguy(1919)–Jan van Nijlen– Auteursrecht onbekend Vorige Volgende [pagina 112] [p. 112] Uit: Eve I Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre. Heureux ceux qui sont morts pour quatre coins de terre. Heureux ceux qui sont morts d'une mort solennelle. Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles, Couchés dessus le sol à la face de Dieu. Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu, Parmi tout l'appareil des grandes funérailles. Heureux ceux qui sont morts pour des cités charnelles. Car elles sont le corps de la cité de Dieu. Heureux ceux qui sont morts pour leur âtre et leur feu, Et les pauvres honneurs des maisons paternelles. Car elles sont l'image et le commencement Et le corps et l'essai de la maison de Dieu. Heureux ceux qui sont morts dans cet embrassement, Dans l'étreinte d'honneur et le terrestre aveu. Car cet aveu d'honneur est le commencement Et le premier essai d'un éternel aveu. Heureux ceux qui sont morts dans cet écrasement, Dans l'accomplissement de ce terrestre voeu. Car ce voeu de la terre est le commencement Et le premier essai d'une fidélité. Heureux ceux qui sont morts dans ce couronnement Et cette obéissance et cette humilité. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première argile et la première terre. Heureux ceux qui sont morts dans une juste guerre. Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. [pagina 113] [p. 113] Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première terre et l'argile plastique. Heureux ceux qui sont morts dans une guerre antique. Heureux les vases purs, et les rois couronnés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première terre et dans la discipline. Ils sont redevenus la pauvre figuline. Ils sont redevenus des vases façonnés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans leur première forme et fidèle figure, Ils sont redevenus ces objets de nature Que le pouce d'un Dieu lui-même a façonnés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première terre et la première argile. Ils se sont remoulés dans le moule fragile D'où le pouce d'un Dieu les avait démoulés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans la première terre et le premier limon. Ils sont redescendus dans le premier sillon D'où le pouce de Dieu les avait défournés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans ce même limon d'où Dieu les réveilla. Ils se sont rendormis dans cet alléluia Qu'ils avaient désappris devant que d'être nés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont revenus Dans la demeure antique et la vieille maison. Ils sont redescendus dans la jeune saison D'où Dieu les suscita misérables et nus. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans cette grasse argile où Dieu les modela, Et dans ce réservoir d'où Dieu les appela. Heureux les grands vaincus, les rois découronnés. [pagina 114] [p. 114] Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans ce premier terroir d'où Dieu les révoqua, Et dans ce reposoir d'où Dieu les convoqua. Heureux les grands vaincus, les rois dépossédés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans cette grasse terre où Dieu les façonna. Ils se sont recouchés dedans ce hosanna Qu'ils avaient désappris devant que d'être nés. Heureux ceux qui sont morts, car ils sont retournés Dans ce premier terreau nourri de leur dépouille, Dans ce premier caveau, dans la tourbe et la houille. Heureux les grands vaincus, les rois désabusés. II Et Jésus est le fruit d'un ventre maternel Fructus ventris tui, le jeune nourrisson S'endormit dans la paille et la balle et le son, Ses deux genoux pliés sous son ventre charnel. Et ses beaux yeux fermés sous l'arceau des paupières Ne considéraient plus son immense royaume. Et les bergers venus par des chemins de pierres Le regardaient dormir dans la paille et le chaume. Et ses beaux yeux fermés sur nos ingratitudes Ne considéraient plus qu'un rêve intérieur. Ses jeunes yeux fermés sur nos décrépitudes Ne considéraient plus qu'un âge antérieur. Et la lourde toison de ses cheveux bouclés Retombait sur sa nuque en décuple cascade. Et son poing volontaire et ses bras potelés Supportaient tout le poids de cette colonnade. Ses beaux cheveux tombaient en mouvante torsade Et faisaient sur sa nuque une ombre creuse et blonde. [pagina 115] [p. 115] Les rois de l'Orient, venus en ambassade, Le regardaient dormir comme le roi du monde. Et sa tête portait dans le creux de son coude Comme un beau bâtiment porte dans son berceau. Il n'était pas froncé comme un enfant qui boude. Il était détendu comme un jeune roseau. Et sa tempe battait d'un sang si généreux Que sa tête sonnait comme un jeune tambour. Et son coeur se gonflait d'un sang si chaleureux Que tout son corps tremblait de ce nouvel amour. Un pli du bras portait l'impérissable tête. Et c'est ce pli du bras qu'on nomme la saignée. Il admirait tout bas quelque invisible fête. Il était comme une aube éclatante et baignée. Juste le pli du bras portait la tête blonde. Les membres détendus formaient comme un recueil. Tout était jeune alors, et le sauveur du monde Etait un jeune enfant qui jouait sur un seuil. Dans le creux de ce pli roulait la tête ronde. (La même qui fut mise en un pauvre cercueil). Tout s'appesantissait dans cette nuit profonde, La même qui tomba sur un suprême deuil. Tout en lui reposait et ses lèvres lactées Riaient et s'entr'ouvraient comme une fleur éclose. Et le sang nouveau né sur ses lèvres de rose Courait dans le réseau des veines ajourées. Tout en lui reposait. Sur ses lèvres lactées Quelques gouttes tremblaient vaguement négligentes. Quelques gouttes perlaient vainement engageantes, Comme la sève perle au bord des fleurs coupées. Vorige Volgende