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Résumé Une histoire de la littérature surinamienne
Cette étude est une historiographie de la littérature surinamienne orale et
écrite, depuis les expressions les plus anciennes connues jusqu'à 1975, l'année
de l'indépendance. Vingtdeux langues sont utilisées au Surinam, certaines
d'entre elles dans des situations exclusivement non littéraires, par exemple,
lors de rituels religieux. Les trois principales langues littéraires sont le
néerlandais (ou le néerlandais surinamien), langue officielle du pays et, pour
de plus en plus de personnes, langue maternelle; la lingua franca: le
sranantongo ou sranan - langue des esclaves et de leurs descendants, mais parlée
aujourd'hui par la plupart des Surinamiens -, et le sarnami, langue du plus
grand groupe ethnique (les Indiens, immigrés d'Inde). En ce qui concerne la
prose, le néerlandais est, quantitativement, la première langue absolue; dans le
domaine de la poésie, le néerlandais et le sranantongo font du coude à coude,
tandis que le sarnami gagne en importance depuis 1977. Le javanais surinamien,
langue du troisième plus grand groupe ethnique, n'est utilisé sous forme écrite
que de façon sporadique; par ailleurs, les expressions littéraires orales dans
cette langue font, à l'heure actuelle, l'objet de fortes pressions, pour ne pas
dire qu'elles sont sur le point de disparaître. Pour ce qui est des autres
langues, leur portée se limite, au plus, à quelques milliers, voire quelques
centaines de personnes.
Dans la partie théorique (premier volume), sont abordés la recherche, la
description et le classement des sources, ainsi qu'une série d'autres problèmes
liés à l'historiographie littéraire. J'examine, entre autres, comment a été
décrite la littérature produite au sein de territoires comparables au Surinam,
de par leur constellation multiculturelle: Afrique du Sud, Inde, Caraïbes.
J'aborde ensuite une série de points de vue théoriques et scientifiques,
notamment les conceptions en vigueur au sein de la recherche sur les territoires
coloniaux et post-coloniaux. La position de l'historiographe, son idéologie, la
signification de l'historiographie littéraire nationale, la délimitation du
corpus, la place de la littérature coloniale et la transposition d'une matière
classifiée en narration historique, sont également passés en
revue. Sur base de cette analyse, je propose la définition suivante de la
littérature surinamienne:
La littérature surinamienne englobe tous les textes oraux et écrits et
autres expressions à caractère communicatif (interactions) comportant un aspect
de littérarité, produits dans une ou plusieurs langues utilisées par les groupes
ethniques du Surinam, et faisant partie du processus historique rétroactif de
contribution à l'une des traditions qui constituent l'identité nationale du
Surinam.
Je conclus la première partie par une proposition de modèle d'historiographie
littéraire. Résumé en quelques lignes, ce modèle se présente comme suit. Le
point de départ est qu'il existe différentes façons d'aborder la littérature
(d'un point de vue sociologique, structuraliste ou biographique, etc.), et que
toutes ces approches apportent leur lot d'informations. L'historiographie
littéraire, quant à elle, rassemble ces pièces d'informations, les classifie, et
leur accorde une place dans un récit analytique. De petits éléments constituent
les fondations du Profil, c'est-à-dire une série de caractéristiques qui,
ensemble, donnent lieu à une description cohérente de, par exemple, l'oeuvre
d'un écrivain ou l'activité littéraire d'une compagnie théâtrale. Sur base de
ces Profils, l'on | |
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peut dégager un Patron, c'est-à-dire les grandes
lignes de l'histoire littéraire. Il est également possible de ‘zoomer’ sur l'une
des fondations qui constituent les Profils: c'est ce que l'on appelle un
Close-up.
Le noyau de chaque Profil est constitué de quarre matériaux: la langue, le style,
la structure et le contenu d'un texte. Ces matériaux peuvent varier à l'infini:
la description adéquate des ces quatre éléments permet donc d'identifier un
texte comme une oeuvre d'art unique. Autour de ces éléments
gravitent d'autres matériaux qui soutiennent la description; ces éléments ne
font pas partie du noyau du texte, mais du contexte: le lien entre un écrivain
et d'autres auteurs, l'accueil réservé aux textes par le public ou la critique
littéraire, le type de production et de promotion adopté par les imprimeurs ou
les éditeurs, etc.
On ne peut comprendre une littérature, en particulier la littérature
surinamienne, qu'en la replaçant dans un large cadre historico-culturel
retraçant, dans les grandes lignes, les développements sociaux. Chaque chapitre
se présente donc comme suit: histoire générale (politique, économique, sociale
et mentale), histoire démographique, orientation et organisation culturelles du
peuple surinamien, politique linguistique et enseignement, développement du
secteur artistique et de celui du divertissement, et principales évolutions au
sein de la communauté des émigrés surinamiens aux Pays-Bas. Suit une description
de l'industrie littéraire de la période: imprimeries et maisons d'édition,
librairies, bibliothèques, journaux et périodiques, public lecteur et
associations de lecteurs, organisations d'écrivains et prix littéraires.
Cette histoire littéraire ne se veut pas seulement une collection de données
positives. L'objectif est également de placer les relations entre ces données
dans un rapport logique, ainsi que dans un rapport narratif. Ce qui nous amène
au constat inévitable que l'objectivité absolue n'existe pas, puisque des choix
doivent sans cesse être opérés. Je pense avoir trouvé un fondement à mon
approche dans le pluralisme philosophique de Procee, qui part de l'impossibilité
de fixer, une fois pour toutes, la dynamique infinie des interactions, et qui
recherche la qualité de ces interactions dans la possibilité de les prolonger.
Un équivalent littéraire théorique de cette approche est la théorie littéraire
interculturelle, point de départ permettant de déterminer, de la façon la plus
précise possible, la position occupée par le chercheur, son background et le
contexte culturel dans lequel il se trouve, sa façon de rassembler des
connaissances et les lacunes qui peuvent apparaître dans ce processus et, enfin,
son système de valeurs, c'est-à-dire ses propres limites dans la formulation de
son jugement.
Afin de mieux rendre justice à la littérature surinamienne, je tente de prendre
la région des Caraïbes comme point de départ, (Jack Corzani utilise, en
l'occurrence, le concept de recentrage). A cet effet, un
certain nombre de termes peuvent s'avérer utiles, pour autant qu'ils soient
dégagés de leur connotation occidentale: multilinguisme, multi-ethnicité,
multiculturalisme, position intermédiaire, créolité, racines (roots), oralité, résistance.
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Litterature orale
La littérature orale, à laquelle je consacre l'entièreté du deuxième volume,
a été et reste un domaine d'expression extrêmement vital, authentique et
essentiel. L'influence de la | |
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culture orale sur la littérature
écrite du Surinam est incontestable. On ne peut donc envisager de décrire la
littérature écrite de façon adéquate sans tenir compte de la littérature
orale. Ce rapport subtil entre littérature orale et littérature écrite est
abordé dans l'introduction générale du chapitre consacré à la littérature
orale.
Dans l'introduction de la deuxième partie, j'aborde d'abord la fonction
esthétique de la littérature orale. Il y est fait allusion au cadre
holistique dans lequel fonctionnent les textes oraux: la différence entre
textes sacrés et textes profanes, entre amusement et enseignement, y est
bien moins nette que dans les cultures occidentales. Le lien entre le statut
et la structure des textes oraux est extrêmement complexe, la façon dont les
textes sont lus, la ‘performance rituelle’, est très importante, et les
textes font presque toujours partie d'un ensemble plus large accompagné de
danses et de chants.
Dans la deuxième partie, j'examine les textes connus des différents groupes
ethniques surinamiens, ainsi que des expressions culturelles transmises par
la tradition orale. Vient ensuite une description synchronique de toutes les
formes de littérature orale existant, aujourd'hui encore, dans les deux
communautés surinamiennes: la communauté indigène de Galibi (Kari'na) et la
communauté des Marrons de Yaw-Yaw (Saamaka). Les résultats de cette analyse
sont ensuite confrontés à la littérature secondaire existante en la matière.
Pour ce qui est des autres groupes indigènes, je me réfère aux recherches
existantes, principalement le fruit du travail d'anthropologues culturels.
J'y dresse un état de choses historiographique et apporte quelques
découvertes réalisées sur base d'enregistrements sonores et de notes,
complétés d'informations nouvelles émanant de spécialistes.
Les plus vieux habitants du Surinam sont les Indiens, ou Indigènes. Les deux
principaux groupes d'Indiens sont les Kari'na (ou Caraïbes) et les Lokonon
(ou Arouhuacs) qui, tout comme la tribu plus petite des Warau, se sont
établis dans la région côtière. Les Tarëno (ou Trio), les Wayana et les
Akuriyo habitent tous à l'intérieur du pays, non loin de la frontière
brésilienne. Je dresse le portrait socio-culturel général de chacune de ces
peuplades. Viennent ensuite les différents genres narratifs, les différents
genres de chansons et les proverbes. Les récits et chansons dotés une force
magique particulière sont connus des pyjai, ces chamans
qui, au sein de chaque peuple, jouent un rôle tout à fait crucial. L'analyse
d'un récit arouhuac et d'un récit trio montre combien la nature, le
surnaturel, l'homme et l'animal forment, pour les Indigènes, une unité
indissoluble.
Les Afro-Surinamiens, descendants d'esclaves amenés d'Afrique, se distinguent
des nègres marrons ou Marrons (intérieur du pays) et des Créoles (villes et
régions côtières). Leur culture orale est fortement placée sous le signe du
Winti, religion et mode de vie afro-surinamiens. Des six peuplades de
Marrons, les Saamaka et les Ndyuka sont les plus importants, les plus petits
étant les Matawai, les Paamaka, les Aluku (ou Boni) et les Kwinti. Pour
chacun de ces groupes, je dresse l'inventaire des récits, chansons et
danses. Je décris aussi leur façon particulière de raconter des histoires et
de présenter chants et danses. Pour le groupe des Créoles également, les
différents genres sont passés en revue. Une attention toute particulière est
accordée aux Anansitoris, histoires héritées d'Afrique, mettant en scène
l'araignée Anansi qui, au plein coeur de l'esclavagisme, devint un
personnage d'identification particulièrement fort, et est restée très
populaire, sous différentes formes. Je dresse le portrait de deux
narrateurs, Aleks de Drie et Harry Jong Loy. Je décris le rituel de danse
sacré des Créoles, le Wintiprei (jeu de Winti, religion
afro-surinamienne), et explique ensuite le développement et la fonction de
différents jeux profanes, contenant tous les éléments de l'opposition créole
à l'oppresseur colonial. Le | |
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Du est un jeu dramatisé, mettant en scène des personnages
fixes; sà l'époque de l'esclavagisme, il se présente comme une grande
comédie musicale; les Lobisingi et les Laku datent d'une période ultérieure. Les groupes d'immigrés
ultérieurs apportent également leur propre héritage culturel, lui donnant,
au cours des années, un visage proprement surinamien. Dans la culture des
immigrés venus d'Inde, les vieilles croyances religieuses et les vieux
récits épiques tels que le Rāmāyana et le Mahābhārata continuent de jouer un rôle important. Les
représentations annuelles du Rāmlīlā, Jeu de Ram,
rencontrent un public très nombreux. La vie du temps du contrat et de
l'époque suivante, se retrouve dans une série de récits, de pièces de
théâtre et de chansons. Le Baithak gáná connaît un immense
succès: à l'origine une musique d'accompagnement lors de représentations
théâtrales, il se développe progressivement en tant que genre à part entière
accompagné de textes. A travers une histoire, on y explique comment les
travailleurs contractuels issus de Java donnent un visage surinamien à leurs
expressions culturelles. L'héritage culturel surinamien se manifeste, par
ailleurs, dans le chant, le Wayang (théâtre d'ombres), le
théâtre, le cabaret et la danse (le Jaran képang, danse
avec chevaux). Les autres groupes ethniques (Chinois, Libanais, Juifs) et
leurs manifestations culturelles propres, sont présents de façon moins
prononcée dans le spectre surinamien.
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Litterature ecrite
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16ème et 17ème siècles
Dès la fin du 18ème siècle, apparaît ce que l'on peut
considérer comme la première littérature surinamienne autochtone écrite. Cette historiographie littéraire se limite, en
premier lieu, aux textes produits au sein de l'industrie littéraire
surinamienne, ou qui ont eu une influence directe sur la situation
surinamienne (par exemple, dans le débat sur l'abolissement de
l'esclavage). Quelques textes néerlandais sont analysés: il s'agit de
textes ayant joué un rôle dans le débat littéraire du Surinam et qui, de
cette façon, éclairent le propre système de valeurs littéraires
surinamien.
Les premières rencontres avec les plus anciens habitants des Guyanes, les
Indiens, ont énormément contribué à l'imaginaire mythologique. Les
premiers récits de voyage ont, sans aucun doute, joué un rôle dans la
croyance au lac doré de Parima (Eldorado) et, de cette façon, ont attiré
de nombreux aventuriers dans la région. Vers la fin du 17ème siècle, les escarmouches continues entre les puissances
européennes connaissent une trêve, lors de la signature de la Paix à
Breda en 1667, date à laquelle le territoire correspondant au Surinam
actuel ainsi qu'une grande partie de la Guyane anglophone actuelle,
reviennent à la République des Pays-Bas Unis. Les contours - reposant
parfois sur des fabulations - du pays du Surinam se basent encore
uniquement sur des sources européennes, et principalement néerlandaises,
qui pour cette raison, font partie intégrante de la première phase de
l'histoire de la littérature surinamienne. On ne peut alors encore
parler de littérature ‘surinamienne’ écrite: il s'agit de toute une
série de récits, de journaux intimes, de pamphlets et de chansons de
marins, témoins textuels d'une civilisation coloniale en devenir. A
l'époque de la société esclavagiste, rien n'est remis en cause; la
lignée des Cham est, en effet, prédestinée à la soumission. De fiction,
il n'est donc | |
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aucunement question au cours de ces siècles.
Toutefois, un certain nombre de textes, comme, par exemple, le journal
d'Elisabeth van der Woude, datant de 1676, font montre de qualités
esthétiques indiscutables.
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1700-1775
Une grande partie du 18ème siècle est marquée par des
attaques au cours desquelles des esclaves en fuite sapent l'autorité des
planteurs, ainsi que par les poursuites onéreuses organisées pour
retrouver les fuyards. Ces événements sont évoqués dans différents
tableaux historico-géographiques, mais la société esclave du Surinam est
principalement décrite par trois auteurs non néerlandais: Aphra Behn,
Voltaire et John Gabriël Stedman. Ce sont eux qui ont créé l'image du
Surinam en tant que colonie d'esclaves extrêmement cruelle, même s'il
n'est pas toujours facile de savoir s'ils ont exercé une influence
immédiate ou plus tardive, via les historiographies de Hartsinck, Van
Hoëvell ou Wolbers. Il faudra attendre le 20ème
siècle, par exemple, pour que Oroonoko, or The royal
slave, d'Aphra Behn - datant pourtant de 1688 - ne soit traduit. Il
n'empêche qu'à travers le noble esclave Oroonoko, l'auteur a créé
l'archétype de toute une série de variantes du noble esclave qui
apparaîtront dans la littérature ultérieure. A travers ses gravures
(‘photographies’ de l'époque), le récit de l'expédition du capitaine
écossais Stedman, Narrative of a five years' expedition
against the revolted Negroes of Surinam, datant de 1796, -
exerce également une influence, et non des moindres, sur l'imaginaire
esclavagiste d'un tas de récits en prose du 19ème
siècle.
Deux personnages coloniaux livrent des travaux remarquables sur la
colonie: le pasteur J.W. Kals et le gouverneur J.J. Mauricius. Tous deux
s'opposent, non pas à l'esclavage en tant que tel, mais au développement
de ce système et aux tractations douteuses des coteries de planteurs. A
travers sa pièce satirique Het Surinaamsche Leeven (La
vie au Surinam, 1771), un auteur se faisant appeler Don Experientia,
confirme l'image d'une société dominée par la racaille et par la
poursuite du gain.
La pensée des Lumières contribue progressivement au développement d'une
nouvelle image de la société des planteurs. Les nègres ne sont plus
exclusivement considérés comme des sauvages non civilisés. Le récit
anonyme Geschiedenis van een neger (Histoire d'un
nègre, vers 1770) crée le bon maître, personnage repris et développé par
Elisabeth Maria Post, dans son Reinhart (1791-1792);
ce roman épistolaire est le premier texte de fiction néerlandais où la
problématique coloniale est abordée en profondeur.
Dans aucun de ces textes, l'homme noir n'est le protagoniste. L'écrit
spectatorial De denker (Le penseur, 1774) introduit la
perspective noire, en donnant la parole à un Africain qui, de façon
subtile, critique le système esclavagiste. Il n'est pas improbable que
ce texte soit l'oeuvre d'un écrivain de race blanche. Un autre
personnage qui, lui, s'exprime probablement en son nom propre, est
Quassi van Timotibo, dont l'érudition suscite l'admiration de beaucoup.
De par sa collaboration avec le pouvoir colonial, il a longtemps été
considéré comme un personnage douteux, mais est, de plus en plus, perçu
comme l'incarnation d'une opposition aussi intelligente que brutale au
système qui tentait de l'asservir.
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1775-1800
Durant le siècle des Lumières, l'esclavagisme constitue un thème
important dans la littérature néerlandaise et, pour la première fois
également, dans les lettres produites au sein de la colonie elle-même.
Au cours des dernières décennies du 18ème siècle, le
trajet de la littérature écrite sur le Surinam connaît une bifurcation
importante. C'est durant cette période que les premières amorces d'une
littérature surinamienne autochtone voient le jour, même si les Pays-Bas
continuent d'être une référence importante dans l'imaginaire et la vie
culturelle.
Au cours du dernier quart du 18ème siècle, l'âge d'or
du Surinam en tant que territoire conquis est révolu. On peut néanmoins
parler de floraison culturelle, pour toute une série de raisons:
l'apparition d'une population permanente, l'augmentation des contacts
interraciaux, le contrôle solide de l'économie des plantages depuis
Paramaribo, et la très forte orientation vers l'Europe, où les Lumières
stimulent l'intérêt pour la vie intellectuelle. Ce dernier aspect se
fait particulièrement sentir dans la colonie où les Juifs, en
particulier, participent à la vie culturelle. Ils déplacent leur centre
culturel de la savanne juive vers Paramaribo, établissent leurs propres
organisations, tout en participant activement à toutes les sociétés de
poésie non juives. Les Juifs sont également à l'origine d'un texte
d'importance: l'Essai historique sur la colonie de
Surinam (1788) de David Nassy e.a.
Les premiers comptes rendus de représentations théâtrales datent du début
des années 70 du 18ème siècle. Chrétiens et Juifs
jouent, dans l'ensemble, les mêmes drames et comédies européens, mais
disposent de leur propre théâtre et de leurs propres compagnies, dont
l'illustre compagnie juive De Verreezene Phoenix (Le Phénix Ressuscité).
Des résultats linguistiques considérables sont accomplis au niveau des
langues indigènes et créoles mais, outre un texte écrit en
‘négro-anglais’ (sranan), tous ces textes ont un objectif missionnaire.
Sur base de publicités pour ventes publiques de livres, on peut déduire
que beaucoup de personnes appartenant aux classes supérieures, possèdent
des collections importantes de livres. Les possibilités d'enseignement
augmentent, même si cette augmentation n'est pas encore spectaculaire.
En 1772, W.J. Beeldsnyder Matroos lance la première imprimerie; deux
années plus tard, il publie le premier journal, le Weekelyksche Woensdaagsche Surinaamse Courant (Hebdomadaire
Surinamien du Mercredi). Il sera suivi d'autres journaux, tels que De Surinaamsche Nieuwsvertelder (Nouvelles du Surinam,
1785-1793), caractéristique par ses articles virulents et satiriques. Le
Surinaamsche Courant (Journal Surinamien), publié
la première fois en 1790, et qui paraît en diverses éditions, jusqu'en
1883. De véritables librairies il n'est pas encore question; la première
bibliothèque publique, quant à elle, est créée en 1783. La vie
associative est, plus que jamais, en plein essor: les loges de
francs-maçons poussent comme des champignons, divers ‘collèges’
scientifiques et associations littéraires sont créés, notamment De
Surinaamsche Lettervrinden (Les amis des lettres surinamiennes) qui
publient quatre recueils de Letterkundige
Uitspanningen (Récréations Littéraires). Au sein des cercles de
cette dernière association, l'on retrouve trois hommes marquants (les
femmes ne font pas partie de ce monde): Jacob Voegen van Engelen, qui
publie le périodique De Surinaamsche Artz (Le Docteur
Surinamien), Hendrik Schouten, à l'origine de quelques vers satiriques,
et l'auteur de l'oeuvre la plus considérable: Paul François Roos. Ces
textes sont, en partie du moins, encore tout à fait lisibles, fût-ce par
leur force satirique (Voegen van Engelen, Schouten), ou par leur talent
descriptif pétillant (Roos). D'un point de vue | |
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intellectuel, tous trois représentent une société coloniale dont les
fruits sont destinés à leur pays d'origine, les Pays-Bas. Néanmoins, ils
font, tous trois, preuve d'un attachement particulier à leur nouveau
pays, les deux premiers de façon plus critique que le dernier, dont les
images idéalisantes constituent sans aucun doute une caricature de la
réalité des esclaves. Ces trois auteurs choisirent de rester au Surinam;
c'est la qu'ils moururent. C'est grâce à leur contribution que, pour la
première fois dans l'histoire du Surinam, l'on peut parler d'une vie
littéraire active et d'un véritable circuit littéraire. Une vie
littéraire dont, pour l'instant, les non Blancs sont, certes, toujours
exclus.
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1800-1890
‘L'évolution littéraire’ est un concept peu utile à l'historien du
Surinam du 19ème siècle. Les Pays-Bas restent le
principal point d'orientation du Surinam culturel, mais aux Pays-Bas, le
Surinam n'est plus évalué que d'un point de vue économique; jusqu'à la
loi sur l'enseignement de 1876, la ‘mère patrie’ n'estime pas qu'elle a
une mission de civilisation à accomplir dans la colonie.
Dans la première moitié du siècle, la civilisation, fortement dominée par
la censure coloniale, n'offre pas de terreau propice aux initiatives
d'envergure, même si quelques individus donnent, de façon périodique,
une impulsion à la vie littéraire. Ainsi, H.C. Focke est, plus que
probablement, l'auteur du remarquable ‘Proeve van Neger-Engelsche Poëzy’
(Essai de poésie négro-anglaise), portant le titre Njoe-jaari-singi Voe Cesaari (Chanson de nouvel an pour
César), et datant du milieu des années 30. Focke est également l'un des
membres les plus actifs de la Maatschappij tot Nut van 't Algemeen
(Société à L'usage Générale) qui, durant la première moitié du siècle,
est le principal moteur de l'activité intellectuelle, et l'auteur du
premier dictionnaire négro-anglais imprimé (1855). Entre 1838 et 1839,
J.J. Engelbrecht publie le mensuel culturel et social De
kolonist (Le colon) dont les quinze numéros proposent une série
de pièces contemplatives dignes d'intérêt. E.A. Jellico van Gogh et E.
Soesman estiment que la colonie doit, elle aussi, posséder son
association littéraire; en 1853, ils fondent Oefening Kweekt Kennis
(L'exercice Engendre la Connaissance); en 1856, celle-ci publie un Jaarboekje (Almanach), contenant un texte de prose de
l'hôte de passage Christina van Gogh, clairement au service de la morale
chrétienne, ainsi que des contributions de Soesman et Van Gogh (dont la
nouvelle De gouden sleutel (La clé d'or) - première
nouvelle de l'histoire littéraire du Surinam - a pour décor la colonie).
Le pasteur Cornelis van Schaick, qui réside au Surinam entre 1852 et
1861, se montre un publiciste énergique, notamment à travers des
morceaux qui paraissent dans quelques journaux surinamiens, à travers
son Dichtbundeltje voor de Surinaamsche jeugd (Petit
recueil de poésie à l'usage de la jeunesse surinamienne) et à travers
son roman De manja (La mangue), remarquable par ses
idées progressistes. Van Schaick et Focke font partie des fondateurs de
West-Indië (L'Inde Occidentale, 1854-1858), qui
s'avère être un successeur honorable au mensuel De
kolonist. On n'y trouve pas de prises de position programmatiques
sur la littérature, tandis que l'absence d'une réflexion sur ce qui
s'écrit tout au cours du 19ème siècle témoigne d'un
vide imposant. Ch. Landré et F.A.C. Dumontier, tous deux rédacteurs de
West-Indië, fondent, en 1857, la Surinaamsche
Koloniale Bibliotheek (Bibliothèque coloniale surinamienne) qui, un
siècle durant, demeurera la principale bibliothèque du Surinam.
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On trouve, dans les contributions de Van Gogh et de Soesman au Jaarboekje de 1856, une adhésion tardive au
romantisme; toutefois, les grands courants littéraires internationaux
n'ont, semble-t-il, jamais été suffisamment puissants pour, atteindre le
Surinam, à contre-courant de l'Amazonie. Tandis que les conceptions
littéraires changent de façon drastique au cours du 19ème siècle, tandis que la personnalité individuelle de l'écrivain
acquiert un poids totalement neuf, le Surinam ne se rend apparemment
compte de rien. Il y existe, certes, quelques compagnies de bienfaisance
et quelques loges, mais aucune chambre de rhétorique qui soit capable de
récupérer et relancer le débat international.
La scène théâtrale connaît, elle, une activité remarquable, et cela
durant le siècle presque tout entier. Au cours des premières décennies,
l'offre théâtrale est assurée par les compagnies Oeffening Kweekt Kunst
(L'exercice engendre l'art) et De Verreezene Phoenix. De cette dernière
naît un groupe qui poursuit ses activités sous le nom de Theatre Graave
Straat. Après une période de trouble dans les années 30, la compagnie
Thalia ouvre, en 1840, les portes de son nouveau théâtre. La troupe,
principalement juive, entame une histoire célèbre qui, dès 1853, serait
marquée par de perpétuels remous autour de la dégradation et de la
restauration de son bâtiment. La programmation est presque toujours
d'influence européenne. Le théâtre écrit d'origine
surinamienne du 19ème siècle se caractérise
largement par sa discontinuité. Une poignée de textes originaux célèbres
côtoie un nombre restreint d'adaptations de pièces européennes.
Au Pays-Bas, le débat sur l'abolitionnisme bat son plein dès le début du
19ème siècle. Si l'on se penche sur la première
moitié du siècle, cependant, on constate qu'aucun texte majeur n'est
consacré à l'esclavagisme au Suriname. Aucun livre important qui attire
l'attention du grand public sur la situation intolérable que connaissent
les colonies d'Inde Occidentale. Aucun texte qui ait influencé l'opinion
publique. Ce n'est qu'en 1854, lorsque W.R. baron van Hoëvell publie son
Slaven en vrijen onder de Nederlandsche wet
(Esclaves et hommes libres sous la législation néerlandaise) qu'un
public plus large prend connaissance d'une situation qui, dans les
territoires d'outre-mer de la plupart des autres puissances coloniales,
appartiennent au passé depuis longtemps déjà.
L'abolition de l'esclavage en 1863 engendre d'abord une renaissance
journalistique. La plus grande victoire du siècle est l'élargissement de
l'enseignement: alors qu'au début, on ne dénombre que de rares écoles
privées destinées aux blancs issus des classes supérieures, en 1876, les
écoles sont nettement plus nombreuses; à cette date, apparaît une loi
sur l'enseignement qui impose à tous le devoir d'apprentissage.
Dans les années qui suivent l'abolissement de l'esclavage également,
apparaissent quelques écrivains singuliers. Kwamina (ps. de W.
Lionarons) écrit des romans remarquables dont l'action se situe au début
du siècle. Jetta (1869) et Nanni of
Vruchten van het vooroordeel (Nanni ou Les Fruits du préjugé,
1881) se déroulent dans un décor de plantages en déclin et dans une
colonie orientée vers un autre système économique. Kwamina introduit
dans la littérature surinamienne un personnage connu de la littérature
des Caraïbes: la mulâtresse. Il plaide pour des conditions d'existence
humaines pour les travailleurs, mais sa vision du monde n'est pas
fondamentalement différente de celle des écrivains néerlandais coloniaux
qui l'ont précédé. Néanmoins, Kwamina est un Surinamien autochtone
descendant d'une lignée surinamienne très ancienne, et son oeuvre -
écrite en néerlandais agrémenté de dialogues en ‘négro-anglais’ - fait
assurément partie de la littérature surinamienne, tout comme celle du
Marron Johannes King. Ce dernier nous a lé- | |
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gué des milliers
de pages de prose écrite en sranan, dont quelques visions
spectaculaires. Dans ses récits de voyage et ses journaux intimes, King
fait preuve d'une âme d'évangéliste aussi forte que la plupart des
écrivains de son siècle.
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1890-1923
La partie de la colonie que l'on peut assimiler à la culture urbaine
lettrée, connaît, après 1890, à un essor culturel qu'elle n'avait plus
connu depuis un siècle. Mais, bien que les réjouissances se déroulent
essentiellement à l'intérieur des frontières de Paramaribo, la ‘classe
aisée’ n'est plus exclusivement de race blanche. Elle prend, en outre,
énormément d'expansion. Jusqu'à nouvel ordre, cependant, les nouveaux
groupes d'immigrés venus des Indes Britanniques en demeurent exclus.
Les techniques modernes font leur entrée dans la capitale, grâce à
l'éclairage public électrique, les lignes télégraphiques et les premiers
films. La qualité de l'impression s'améliore; en grande partie sous
l'égide de l'imprimeur/éditeur H.B. Heyde qui publie toute une série de
livres majeurs. Les bibliothèques se multiplient, la vie journalistique
se développe, principalement selon trois voies: la voie évangéliste, la
voie catholique et la voie neutre. De nombreux journaux paraissent et
permettent la mise un place d'un débat; le Nieuwe
Surinaamsche Courant (Le Nouveau Journal Surinamien) publie, la
plupart du temps, une page entière d'informations sur le Surinam dans
des rubriques telles que ‘Stadsnieuws’ (Nouvelles urbaines) et ‘Kunst-
en letternieuws’ (Nouvelles artistiques et littéraires). Les contours
d'une critique théâtrale et littéraire de qualité se dessinent,
proposant notamment quelques échanges d'idées sur la fonction de la
critique, discussion à laquelle participe également Kennis Adelt (La
Connaissance Anoblit), une des nombreuses nouvelles associations
littéraires. Quasiment tous les journaux, quelle que soit leur
dénomination, appliquent au texte une norme éthique, combinée à un
jugement artistique sur le jeu d'acteur. La référence en la matière
vient toujours des Pays-Bas. Les personnes soucieuses de maintenir un
lien actif avec les Pays-Bas, se réunissent au sein du groupe Suriname
van het Algemeen Nederlandsch Verbond (Surinam de l'Union Générale
Néerlandaise).
Entre-temps, le Surinam a, plus que jamais, glissé vers la périphérie du
Royaume des Pays-Bas. Même si, dans son court et remarquable roman De geschiedenis van een kankantrieboom (L'histoire
d'un coton géant, 1891), J. de Liefde en finit une fois pour toutes avec
l'approche stéréotypée de l'histoire coloniale du Surinam, les
représentations du Surinam et des Surinamiens dans la littérature
néerlandaise - en particulier dans la littérature des missionnaires -
s'accrochent aux vieilles schématisations, pour ne pas dire aux clichés
racistes.
Ces textes n'ont assurément pas contribué à corriger l'image qu'avaient
d'eux-mêmes les Surinamiens lettrés qui se reconnaissent dans le miroir
de cette lecture. La politique culturelle très néerlandocentrique
d'après 1876 ne fait rien pour arranger les choses.
Durant les premières années du 20ème siècle, face au
déclin des plantations, quelques textes, jètent un regard nostalgique
sur le 19ème siècle. Dans les ‘mémoires’ de J.G.
Spalburg, E.J. Bartelink, A.W. Marcus et Jacq. Samuels, le déclin de la
colonie agricole est l'occasion de lamentations sur le ‘bon vieux
temps’.
On observe toutefois quelques signes d'une réorientation mentale
progressive. Suite au | |
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comportement peu diplomatique du
gouverneur De Savornin Lohman, un sentiment national nouveau se
manifeste dans une série de poèmes de circonstance. L'histoire du
Surinam et la vie populaire surinamienne constituent les sources
d'inspiration d'un nouvel imaginaire, à caractère plutôt réaliste. Trois
personnalités apportent leur contribution à la vie littéraire. G.G.T.
Rustwijk publie, avec Matrozenrozen (Roses de marins,
1915), le premier recueil écrit par un poète né au Surinam. J.G.
Spalburg écrit le premier recueil surinamien de textes de prose, Bruine Mina de koto-missi (Mina brune, la koto-missi,
1913). Een Beschavingswerk (Une oeuvre de
civilisation, 1923), publié par Richard O'Ferrall sous le pseudonyme
d'Ultimus, constitue le premier roman à clef; le caractère satirique du
texte en fait un livre remarquable pour son époque. L'oeuvre de ces
trois auteurs comporte encore de nombreuses réminiscences de l'époque de
l'esclavagisme et de l'économie agricole; cependant, tous trois vont
plus loin. En tant que représentants de la rationalité et de la
modernité, il contribuent à la vie intellectuelle renouvelée de leur
époque.
L'orientation vers les Pays-Bas est rejetée avec force dans l'oeuvre de
cinq Surinamiens dont les ouvrages paraissent après 1900. F.H. Rikken
publie, dans De Surinamer, trois grands romans
historiques extrêmement populaires, sous la forme de feuilleton, et se
profile, en tant que tel, comme l'écrivain le plus talentueux de son
temps. Jacques Samuels écrit une série de textes de prose dont le
recueil ne paraît qu'en 1946, sous le titre de Schetsen en
typen uit Suriname (Esquisses et types du Surinam). Johann F.
Heymans et son roman historique Suriname als ballingsoord
of Wat een vrouw vermag (Le Surinam comme terre d'exil ou Ce
que femme peut, 1911), E.J. Bartelink et ses souvenirs de planteur, A.W.
Marcus et sa poésie et ses discours, ainsi que quelques auteurs
d'esquisses naturalistes publiées dans De Surinamer,
ont tous laissé une production littéraire qui porte clairement une
estampille surinamienne. Leurs ouvrages constituent également les
premières expérimentations avec la langue surinamo-néerlandaise, ce qui
n'est pas apprécié de tous. Dans la figure colorée du chanteur de rue
Goedoe Goedoe Thijm, littérature orale et littérature écrite se
rejoignent: il est le chantre de l'actualité des premières décennies du
20ème siècle, et fait imprimer ses chansons sous
forme de pamphlets.
Les traductions de la Bible et les chansons du pasteur C.P. Rier, écrites
en ‘négro-anglais’, constituent des textes de haute valeur. Si le sranan
fait quelques apparitions dans un poème ou un texte de cabaret, les
textes écrits dans une des autres langues populaires restent, en dehors
de la vie cléricale et de la littérature orale, extrêmement rares.
Après 1890, la vie théâtrale connaît une organisation et une structure
nettement moins développée qu'au siècle précédent. Thalia entre dans une
période mouvementée. La compagnie continue à jouer principalement un
théâtre de répertoire, mais supprime les séries d'abonnements. La
nouveauté en matière de théâtre se trouve ailleurs, dans des compagnies
telles que Oefening Baart Kennis (L'exercice Engendre la Connaissance)
et de nombreuses autres, qui connaissent une vie de très courte durée.
Les premières pièces de théâtre surinamiennes sont écrites et jouées:
Lucij de R.A.P.C. O'Ferrall, en 1896, Te laat of De wraak van een' Boer (Trop tard ou La revanche
d'un Fermier) de Jacques Samuels en 1900, et l'opéra wagnérien mythique
Het pand der goden (Le gage des dieux) de J.N.
Helstone, en 1906. Dans sa pièce, également parue sous forme imprimée,
Deugd en belooning of Hoogmoed komt voor den val
(Vertu et récompense ou L'arrogance tombe en disgrâce), Joh. C. Marcus
montre combien le théâtre néerlandais sert encore toujours d'exemple,
même en 1910: la pièce ne contient aucune allusion au Surinam et n'est
rien | |
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de plus qu'une variante des nombreuses pièces du
19ème siècle abordant le motif du père/juge.
L'ambiance houleuse qui entoure les représentations de la pièce montre
qu'il n'est franchement pas recommandé d'être un dramaturge du terroir.
L'offre théâtrale se distingue par trois sortes de représentations: les
‘soirées variées’ (soirées de cabaret proposant un programme mixte), les
opérettes pour enfants, et les représentations d'opérettes. Ces trois
genres permettent au théâtre d'accueillir un public toujours plus
nombreux. Les associations de danse ou sportives proposent des numéros
de cabaret, des farces, des sketches et parfois aussi des drames courts.
Elles rendent, elles aussi, les temples du théâtre plus accessibles au
grand public. Même si les classes sociales ‘inférieures’ sont toujours
exclues de la vie culturelle, l'évolution de l'art de la représentation
dans la première partie du 20ème siècle, constitue
un pas décisif vers la transformation de la culture populaire orale en
un théâtre populaire, qui se produira dans la seconde moitié du
siècle.
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1923-1957
Avec la parution, en 1923, du recueil de poésie De glorende
dag (Le jour qui se lève), de Lodewijk Lichtveld - qui
deviendra célèbre sous le nom d'Albert Helman -, on assiste à un nouveau
phénomène. D'autres livres écrits par des auteurs surinamiens sont parus
aux Pays-Bas auparavant. Mais 1923 marque le début d'une tendance,
pratiquée par de nombreux écrivains, à se fixer aux Pays-Bas. La
littérature immigrée surinamienne est née; une littérature qui a
beaucoup de points communs avec celle du Surinam, mais qui se distingue,
sous de nombreux aspects, de la littérature écrite dans la mère patrie.
De par leur position complètement différente dans le jeu de forces
littéraires et dans le monde en général, les écrivains jouissent d'une
perspective entièrement nouvelle; ce changement de réalité et de
perspective apporte son lot de nouveaux thèmes qui, à leur tour,
réclament souvent un forme différente. L'ouvrage Zuid-Zuid-West (Sud-sud-ouest, 1926) d'Albert Helman, est un
roman nostalgique classique. Toutefois, les vrais motifs d'immigration
ne sont pas encore présents de façon très prononcée dans les textes de
cette première génération d'immigrés, et devront attendre la grosse
vague de migrations des années 60, pour se généraliser dans les écrits
des auteurs immigrés. Une explication possible à ce phénomène est que
les premiers écrivains qui s'installent aux Pays-Bas - Albert Helman,
Rudie van Lier, Hugo Pos - appartiennent déjà à la couche supérieure de
personnes assimilées de la civilisation surinamienne et se retrouvent,
par conséquent, pleinement dans les associations littéraires
néerlandaises. Anton de Kom occupe une position particulière. Il se
joint au périodique marxiste Links Richten (Aligner à
Gauche) et s'attèle, dans son long essai Wij slaven van
Suriname (Nous, esclaves du Surinam, 1934) à la réécriture de
l'histoire du Surinam comme la dénonciation du colonialisme néerlandais.
L'exode qui commence avec Helman - l'auteur qui, tant par l'envergure que
par la qualité de ses écrits, a produit l'oeuvre la plus importante -
met fin, pour un bon bout de temps, à la production de textes
néerlandais au Surinam même. Jusque 1950 environ, la vie culturelle suit
les chemins balisés par les différentes factions religieuses:
catholique, évangéliste, juive et, de plus en plus, hindouiste et
islamique. Si les plumes produisent davantage de flagorneries
traditionnelles que de textes audacieux de signature personnelle, | |
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c'est surtout à travers la sensibilisation au mot et à la
forme littéraire que les églises influencent les jeunes écrivains qui
feront, plus tard, parler d'eux. Les journaux de l'entre-deux-guerres
constituent, pour ainsi dire, le seul moyen pour les écrivains de
publier leurs textes. A travers des poèmes sur la famille royale des
Pays-Bas, des feuilletons de facture néerlandaise et des rubriques d'art
qui traitent encore à 98% de théâtre et littérature néerlandais, ils
renforcent l'orientation des classes supérieure et moyenne vers la
soi-disant ‘mère patrie’.
La Deuxième Guerre Mondiale joue un rôle déterminant sur la vie sociale
et culturelle de la période 1923-1957. Le cantonnement des troupes
américaines et l'isolement des Pays-Bas entraînent une prise de
conscience par les Surinamiens de leur propre potentiel et de la
possibilité d'une position indépendante au sein du Royaume des Pays-Bas
(qui deviendra réalité en 1954). L'influence nord-américaine est
manifeste à de nombreux niveaux. Ce serait aller trop loin que d'imputer
l'élan d'après-guerre à cette influence, mais elle a sans aucun doute
joué un rôle.
Le bastion d'après-guerre de l'orientation vers les Pays-Bas est la
Stichting voor Culturele Samenwerking (Fondation pour la Collaboration
Culturelle), ou Sticusa, dont le siège se trouve aux Pays-Bas, mais qui
dispose un organe exécutif à Paramaribo: le Centre Culturel du Surinam.
Le CCS qui, progressivement, acquiert une signification grandissante
dans la surinamisation de l'offre culturelle.
Dans les années 50, différentes opportunités d'enseignement apparaissent.
Le développement des librairies montre que le livre attire un groupe
ethnique et social d'intéressés de plus en plus important. Le
développement des collections, du nombre de filiales et du nombre
d'emprunts de la bibliothèque du CCS montre également qu'un public
lecteur très large s'est développé. Diverses activités médiatiques ont
lieu, qui contribuent sans aucun doute à l'épanouissement culturel des
différentes populations et, de cette façon, au renforcement de
l'identité de ces groupes. Le monde de l'art plastique subit une
transformation identique à celle de la musique et du théâtre: d'un
traditionnalisme modéré dans l'entredeux-guerres, à la recherche
effrenée après la Deuxième Guerre Mondiale et l'activité fiévreuse des
années 60.
Le retour de quelques écrivains après la Deuxième Guerre Mondiale, donne
à la vie littéraire de langue néerlandaise une impulsion considérable.
Albert Helman - actif dans de nombreux domaines, contesté dans de
nombreux domaines - écrit quelques uns de ses principaux romans et
pièces de théâtre au Surinam. Hugo Pos et Wim Salm apportent du sang
neuf dans la vie théâtrale. Les journaux les suivent au pied de la
lettre, accordent une place toujours plus importante au monde
littéraire, et partent, prudemment, à la reconnaissance de leur propre
région. Les revues littéraires sont absentes durant la période
1923-1957, mais deux périodiques assument, dans une certaine mesure, la
fonction de revues littéraires: Spectrum (Spectre) et
Opbouw (Construction). De loin le périodique
culturel en langue néerlandaise le plus important, De
West-Indische Gids (Le Guide d'Inde Occidentale), paraît entre
1919 et 1960.
L'évolution majeure au sein du Surinam des années 1923-1957 se produit au
niveau des langues du peuple, en particulier du sranantongo, et dans une
moindre mesure, du néerlandais surinamien. Dans un pays où
l'enseignement est façonné par le modèle néerlandais et où les médias -
les journaux et, à partir de 1935, la radio Avros -
respectent la norme de l'Algemeen Beschaafd Nederlands (néerlandais
standard), c'est faire preuve de courage que d'utiliser la variante
surinamienne du néerlandais. Un | |
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courage que l'on retrouve
néanmoins chez un certain nombre d'écrivains. Quelques événements
marquent le recours de plus en plus prononcé au néerlandais surinamien:
la pièce Woeker (Usure) de Wim Bos Verschuur en 1936,
les histoires de Peter Schüngel, qui paraissent dans le mensuel Suriname-Zending (Mission Surinamienne) entre 1942 et
1946, le roman Viottoe de Kees Neer en 1948, la
traduction par Albert Helman, en 1954, de Green
pastures de Connelly, sous le titre Grazige
weiden (Verts pâturages), la représentation de Sjinnie de Wim Salm en 1956, et les souvenirs de M.Th. Hijlaard,
Zij en ik (Elle et moi, qui ne sera publié qu'en
1978).
Le sranan et la culture populaire créole reçoivent une solide impulsion
du Comité Pohama, fondé en 1944, et qui organise des ‘Sranannetie’:
soirées culturelles agrémentées de chansons et de déclamations en
sranan. Entre 1946 et 1956, le comité publie Foetoe-boi (Coursier), un mensuel qui accorde une attention
systématique à toute une série d'aspects de la culture créole. Il s'agit
de la première revue culturelle générale écrite en sranan, réalisée par
des ‘kleine luyden’ (petites gens), et qui construit une espèce de digue
contre l'orientation néerlandocentrique des classes supérieures. Le
moteur derrière ces activités est l'enseignant J.G.A. Koenders. Il
plaide, dans une série d'essais, de petits livres de langue et de
chansons, pour la renaissance du ‘surinamien’ et pour une transformation
radicale du système d'enseignement, toujours colonialiste, qui ‘a
désemparé notre psyché et a desséché notre intelligence’.
Wie Eegie Sanie (Nos Propres Choses) est le principal héritier de
Koenders. Ce groupe d'étudiants et d'ouvriers regroupés autour du
charismatique Eddy Bruma, voit le jour aux Pays-Bas en 1950, et se
déplace au Surinam quelques années plus tard, où il insufle une nouvelle
énergie aux ‘Sranannetie’, à travers des pièces de théâtre de Bruma et
Ané Doorson, entre autres, qui mettent en scène l'histoire de
l'esclavage et son héritage. Wie Eegie Sanie contribue largement au
changement de climat culturel et à la prise de conscience historique, en
premier lieu par les Créoles.
Au niveau du sranan, des résultats impressionnants sont accomplis en
théâtre. Grâce à ses pièces instructives, Sophie Redmond se taille une
place prépondérante dans la transition de la culture orale créole vers
une culture écrite et ‘formelle’. Par ailleurs, la traduction, par Paula
Velder, de Songe d'une nuit d'été de Shakespeare,
représente un moment important de l'émancipation du sranan littéraire.
L'univers théâtral témoigne le mieux de l'évolution de la vie culturelle
surinamienne vers une réalité pluriforme, de la transformation de la
culture orale en culture écrite, de la réévaluation du choix de la
langue, du rôle de l'héritage culturel historique national dans
l'imaginaire théâtral, et de la surinamisation des troupes d'acteurs.
La compagnie théâtrale Thalia connaît un nouvel essor après la guerre.
Sous la direction d'Hugo Pos, les portes s'ouvrent également aux acteurs
non juifs et non blancs; on y joue des pièces régionales, ainsi que les
oeuvres d'auteurs surinamiens, ou des pièces étrangères traduites et
adaptées au public surinamien. La majorité des oeuvres sont, néanmoins,
toujours d'origine européenne et nord-américaine.
Progressivement, cependant, les théâtres accueillent de plus en plus
d'oeuvres autres que celles du ‘Théâtre Thalia’ et, de cette façon,
attirent un public issu d'autres couches de la population. Dans la
première partie du siècle, le cabaretier Johannes Kruisland propose,
dans ses ‘one-man-shows’, des numéros en ‘négro-anglais’. Les Bonte
Avonden (Soirées Hétéroclites) connaissent un franc succès et, dans les
années 20 et 30, de courtes scènes en sranan font leur apparition,
écrites par Albertina Rijssel. C'est ainsi que naît un | |
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théâtre populaire créole, inscrit dans la tradition orale de Banya, Du, Laku et Lobisingi, mais
qui prend une forme différente une fois sur les planches. En 1927 déjà,
Excelsior, compagnie entièrement constituée de femmes noires, proposait,
sous la direction de J. Vriese, chef de file de la Neger Vereeniging
(Association Nègre) au Surinam, des représentations dans la petite ville
de Moengo. De Echo (L'écho), autre compagnie de femmes noires, propose
en 1929, des représentations au Thalia, qui provoquent beaucoup de
remous auprès d'un public avide de scandales. Après la Deuxième Guerre
Mondiale, les jeunes troupes attirent un public toujours plus nombreux
issu des classes populaires. Ils créent un nouveau genre: le théâtre
populaire créole, principalement joué en sranan, avec quelques bribes de
néerlandais surinamien. Ce théâtre repose sur un mélange de tragédie et
d'humour, un compte-rendu réaliste de problèmes quotidiens, agrémenté
d'effets comiques. Comme il existe rarement une version écrite du texte,
improvisation et allusions à l'actualité sont fréquentes. Les journaux
qui, après la guerre, paraissent chaque jour, contribuent, avec leurs
rubriques régulières de critique théâtrale, à l'intérêt croissant pour
le théâtre auprès du grand public.
Le théâtre hindu se joue encore à 99% dans les districts. Dans les années
20, les premières pièces historiques sont jouées, basées sur des oeuvres
dramatiques d'Indiens, adaptées aux circonstances locales par des
auteurs surinamiens. L'hindi est la principale langue de théâtre (Rahman
Khān, premier poète indien, utilise également l'hindi et les autres
langues indiennes). Les vieux drames indiens, aux thèmes principalement
religieux, restent majoritaires, mais au fil du temps, les textes se
simplifient, le sarnami est utilisé de plus en plus souvent et des
textes au contenu actuel et réaliste sont également joués.
En 1950, un groupe de Marrons joue, au théâtre Bellevue, ce qui peut être
considéré comme un moment important dans la théâtralisation et dans la
sécularisation de la culture des Marrons. La contribution de ces
derniers au théâtre, ainsi que des Javanais, des Chinois et des groupes
indigènes, reste, par ailleurs, extrêmement modeste. Au cours de la
période 1923-1957, l'organisation socio-culturelle de pratiquement tous
les groupes ethniques subit des transformations majeures.
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1957-1975
Jamais la recherche de réorientation n'a été aussi large et jamais
l'identité propre n'a été l'objet de l'imaginaire littéraire de façon
aussi insistante, que dans les années postérieures à 1957. Des éléments
issus des traditions orales sont replacés, par différents auteurs, dans
un contexte nouveau de textes écrits. Néanmoins, ces traditions orales
ne constituent pas un bouclier aussi puissant contre l'influence de la
culture européenne, que ne le sont d'autres éléments, de la même époque,
dans la littérature écrite des Antilles. Une explication possible est
qu'au Surinam, les traditions orales sont encore très vivantes au sein
des différents groupes ethniques et n'ont donc pas besoin de renaître,
comme c'est le cas de la littérature orale des Antilles, qui a
pratiquement complètement disparu.
Le recueil Trotji (Amorce), de Trefossa, est en quelque
sorte le détonateur de toute une série d'activités littéraires. Nombreux
sont les poètes qui témoignent de l'inspiration que dégage sa poésie.
Toutefois, un grand nombre de facteurs seront, par une interaction et un
renforcement mutuel complexes, déterminants pour la dynamique
exceptionnelle de la littérature. Vers 1950, le système d'enseignement
est remis en question. Ce renouveau | |
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commence à porter ses
fruits. Les bibliothèques se multiplient et desservent des dizaines de
milliers de lecteurs dans la ville et dans les districts. Paramaribo
compte plus d'imprimeries que jamais auparavant, ce qui constitue une
donnée importante pour la production littéraire à compte d'auteur (les
maisons d'éditions ne jouent qu'un rôle secondaire). Sticusa et le CCS
disposent de moyens pour soutenir les écrivains: bourses de voyage ou
d'étude, acquisitions d'ouvrages et prix littéraires. Les journaux
accordent une place jamais vue aux critiques qui suivent, de façon
assidue, les évolutions culturelles. Une série de débats littéraires
très animés - où le poète Corly Verlooghen joue souvent le rôle
principal - remplissent les colonnes de ces journaux.
Les journaux littéraires Tongoni, Soela, Moetete et Kolibri offrent, aux auteurs émergeants, une
plate-forme, tout comme la page littéraire bihebdomadaire du quotidien
Suriname, qui paraît entre 1967 et 1969, et, aux
Pays-Bas, le périodique Mamjo. Exception faite de Kolibri et Mamjo, qui se dressent
contre la modération d'un nationalisme littéraire précuit, tous les
périodiques se présentent comme des anthologies exemptes de fondements
programmatiques bien définis. Les contributions aux périodiques ne font
pas preuve d'une grande continuité: si l'on en fait l'inventaire, on
arrive à un total de 72 auteurs. Seuls deux ont contribué à plus de deux
périodiques: Shrinivási et Slory - entretemps devenus poètes canoniques,
dont l'oeuvre combine éléments politiques et personnels. Une continuité
qui fait d'ailleurs également défaut dans les revues en tant que telles:
Soela, avec ses sept numéros, connaît l'existence
la plus longue.
Vers 1970, de jeunes metteurs en scène apportent un souffle nouveau et
puissant dans les théâtres. Henk Tjon, par exemple, collabore avec
fruit, avec l'écrivaine Thea Doelwijt, dans le cadre de la groupe
Théâtre Doe. Par ailleurs, le théâtre populaire, avec des groupes tels
que le Naks d'Eugène Drenthe et Jagritie de
Goeroedath Kallasingh, attire, de loin, le plus de spectateurs.
Des années durant, Avros domine la scène théâtrale,
jusqu'à l'arrivée d'une série de stations de radio dont les
programmations font la part belle aux langues du peuple et créent de
l'espace pour les pièces radiophoniques et les programmes culturels. En
1965, le Surinam acquiert sa propre station de télévision; de
productions dramatiques télévisées à grande échelle, cependant, il n'est
pas question.
La chute du dernier cabinet Pengel en 1969, constitue le début d'une
période politique très secouée. Ce sont essentiellement des poètes qui,
à travers leur poésie de combat, de signature authentique, et
s'adressant au grand public, se feront les porte-parole du malaise
social et de l'aspiration à l'indépendance politique du Surinam. Dès le
milieu des années 60, R. Dobru propose une forme textuelle sur laquelle
se baseront de nombreux poètes engagés. Son poème ‘Wan bon’ (Un arbre)
constitue la confession de foi la plus célèbre du désir d'unité de la
population surinamienne.
Etonnament - et contrairement à cette foi en l'unité, caractéristique de
ces années - la production littéraire se limite presque toujours à des
oeuvres écrites en néerlandais (Verlooghen, Shrinivási, Ashetu) ou en
sranan (Rellum, Schouten-Elsenhout, Slory). Shrinivási est, certes, le
premier auteur de poèmes en Sarnami, Akanamba, le premier auteur de
poésie en Saamaka et André Pakosie, de poésie en Ndyuka; toutefois,
aucun recueil complet n'est consacré à l'une de ces langues. Le sarnami
devient progressivement une langue de théâtre importante; Goeroedath
Kallasingh, le principal dramaturge indien, réclame naturellement plus
d'attention pour l'héritage culturel indien, en tant que partie
intégrante du patrimoine national.
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Trefossa introduit également des motifs d'immigration dans sa poésie, et
il n'est pas le seul. De nombreux auteurs de la période 1957-1975 ont
vécu pendant des années à l'étranger et ont subi l'influence de ce
séjour outre-mer. Ainsi, le roman Proefkonijn (Cobaye,
1985), de Paul Marlee, s'inscrit dans la tradition moderniste
internationale, et peut se lire comme un tissu d'allusions
intertextuelles. Aux Pays-Bas, on rencontre des auteurs surinamiens
autour de la revue estudiantine Mamjo (dont la plume
acérée de John Leefmans et Rudi Kross), autour de l'association Ons
Suriname (Notre Surinam) et sa publication annuelle Fri (Liberté), et autour de l'Union Surinamienne et son bimensuel
Djogo (Bouteille). Après 1968, Leo Ferrier et Bea
Vianen donnent au roman engagé socialement, mais de facture
psychologique, sa plus belle expression depuis les livres d'Albert
Helman. Ce dernier reste d'ailleurs très présent, à travers son oeuvre
propre et toute une série d'activités, mais est sérieusement critiqué
par la jeune génération d'écrivains, comme étant quelqu'un qui louche
trop en direction du modèle néerlandais.
Divers poètes surinamiens construisent une oeuvre d'envergure et se
voient récompensés par des prix littéraires. La prose, en particulier la
nouvelle, connaît un renouveau, même si, au bout du compte, peu
d'auteurs de prose, répondent réellement aux attentes. Après un premier
recueil, Spanhoek (nom d'une place de Paramaribo),
Coen Ooft ne produit plus rien. Nel Bradley, Benny Ooft, Thea Doelwijt,
Ruud Mungroo, Rodney Russel ne publient plus grand-chose après leur
premiers textes de prose, ou passent - comme Doelwijt - à d'autres
genres. L'entrée fulgurante dans l'univers des lettres de Leo Ferrier et
de son Ātman, connaît une fin abrupte après la
parution de son court roman El sisilobi. Seule Bea
Vianen, et ses cinq romans, reste présente pendant une décennie, en tant
que critique de l'effritement du Surinam. Il faudra attendre 1975, pour
que les grands créateurs littéraires après Helman, se hissent sur les
marches du podium.
Le développement remarquable de poètes talentueux dans un pays qui,
jusque-là, n'avait connu que des faiseurs de vers, a toutefois un
revers. Par manque d'infrastructure littéraire de qualité, même les
meilleurs écrivains publient leur oeuvre à compte d'auteur. En
conséquence, des ouvrages mûrs en côtoient de moins mûrs sur les rayons
des librairies. En 1975, il ne se passe pratiquement pas une semaine
sans qu'un nouveau recueil de poèmes ne paraisse. Le marché frôle la
saturation.
Phénomène inquiétant: au sein des écrivains immigrés, quelques cas
sérieux de psychose apparaissent, sans doute favorisés par un mélange de
facteurs socio-culturels et psychologiques, comme ‘l'appartenance à
plusieurs cultures’ et l'identification problématique de l'homme noir à
l'image qui lui est rendue par l'homme blanc.
D'un tout autre ordre, enfin, est la question de savoir dans quelle
mesure l'oeuvre politiquement engagée des années 60 et du début des
années 70 a fait avancer les choses. Il existe, dans le Surinam de
l'époque, un certain sentiment d'unité, comme en témoignent les textes
littéraires qui abordent le sujet. Toutefois, en jetant un regard vers
le Surinam d'avant 1975, plus d'un écrivain émettra un avis sceptique.
Deux des représentants de la nouvelle génération avaient déjà fait leurs
débuts vers 1970: Edgar Cairo et Astrid Roemer. Or, ils marqueront
tellement de leur empreinte la littérature surinamienne des Pays-Bas des
années 80 et 90, que leur oeuvre fait, en fait, partie de la littérature
immigrée d'après l'indépendance.
Traduit par Annick Capelle
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