Oeuvres complètes. Tome XXI. Cosmologie
(1944)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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De la cause de la pesanteur.
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ajoûter que ces petits corps ne nagent pas dans la seule matiere liquide qui cause la pesanteur, mais, qu'outre celle-cy, il y a dans les espaces qui sont autour de nous encore d'autres matieres de differens degrez, dont quelques-unes sont composées de particules plus grossieres, qui estant differemment agitées & reflechies entre elles, mais ne suivant pas le mouvement rapide de nostre matiere, peuvent aussi empescher ces corpuscules de la suivre & d'en estre emportez. L'on sçait qu'il y a autour de la Terre premiérement les particules de l'air, lesquelles on fera voir un peu plus bas estre plus grossiéres que celles de la matiere liquide que nous avons supposée. On a de plus des raisons qui font croire qu'il y a encore une matiere dont les particules sont plus menuës que celles de l'air, mais d'un autre costé plus grossieres que celles de nostre matiere liquide. Car j'ay trouvé dans les experiences du vuide, outre la pesanteur de l'air, encore celle d'un autre corps invisible, qui fait sentir son poids là ou il n'y a point d'air, ayant veû, non sans étonnement, que ce poids soûtient l'eau suspenduë dans un tube renversé au dedans d'un vaisseau de verre dont l'air a esté tiré, & qu'il fait couler l'eau d'un siphon recourbé dans le vuide de mesme que dans l'air, pourvû que l'eau dans ces experiences ait esté purgée d'air, ce qui se fait en la laissant pendant quelques heures dans le vuide.
Voyez une discussion sur cette expérience de Huygens de 1673 aux p. 242-246 de notre T. XIX (Appendice à ‘la Machine Pneumatique’). On peut voir aussi aux p. 560, 563, 585 et 595 du même Tome qu'à un moment donné, antérieur à 1687, Huygens identifia l'‘air subtil’ qu'il croyait avoir découvert par cette expérience, avec l'éther luminifère. On remarquera que dans la présente Pièce il ne parle toutefois que d'‘un autre corps invisible’ sans dire que ce ‘corps’ serait identique avec l'éther. Cette identification ne lui paraissait sans doute pas bien certaine.
Il paroist par là premierement que les particules du corps pesant & invisible sont plus petites que celles de l'air, puis qu'elles passent au travers du verre qui exclut l'air, & qu'elles y font appercevoir leur pesanteur. Il paroist de plus qu'elles doivent estre plus grossiéres que les particules de la matiere fluide qui cause la pesanteur, afin que le corps qu'elles composent ne suive pas le mouvement de cette matiere, parce qu'en le suivant il ne seroit pas pesant. Il peut y avoir autour de nous encore d'autres sortes de matieres de differens degrez de tenuité, quoy que toutes plus grossieres que n'est la matiere qui cause la pesanteur; lesquelles contribuëront donc toutes à empescher les petits brins de poussiere d'estre emportez par le mouvement rapide de cette matiere, parce qu'elles ne suivent pas ce mouvement elles-mesmes. L'alinéa qui suit a été supprimé dans le Discours tel qu'il fut publié en 1690. Voyez la p. 432 qui suit sur la raison, assez évidente, de cette suppression. Et quoy que par là ces matieres doivent avoir de la pesanteur, suivant l'explication que nous en donnons, il n'est pas nécessaire toutesois de s'imaginer leurs particules comme estant entassées les unes sur les autres, puis que l'on sçait que l'air ne laisse pas de peser, bien que ses particules soient dispersées avec beaucoup d'autre matiere entre deux: car c'est ce que je pourrois prouver facilement; comme aussi qu'il suffit, pour produire l'effet de la pesanteur, que les particules d'une matiere pesante, quoy | |
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que separées les unes des autres, soient remuées en des sens differens, qu'elles s'entrechoquent, & qu'elles frappent contre les surfaces des corps qui leur sont exposez. Il ne faut pas au reste trouver étrange ces differens degrez de petits corpuscules, ni leur extrême petitesse. Car bien que nous ayons quelque penchant à croire que des corps à peine visibles sont déja presque aussi petits qu'ils peuvent l'estre, la raison pourtant nous dit que la mesme proportion qu'il y a d'une montagne à un grain de sable, ce grain la peut avoir à un autre petit corps, & celuy-cy encore à un autre; & cela autant de fois que l'on voudra. Cette extrême petitesse des parties de nostre matière fluide se doit encore supposer nécessairement à cause d'un effet considérable de la pesanteur, qui est que des corps pesans enfermez de tous costez dans un vaisseau de verre, de metail, ou de quelque autre matiére que ce soit, se trouvent peser toûjours également. De sorte qu'il faut que la matiére que nous avons dit causer la pesanteur, passe tres-librement au travers de tous les corps que nous estimons les plus solides, & avec la mesme facilité qu'à travers de l'air. Il s'ensuivroit aussi, s'il n'y avoit pas cette liberté de passage, qu'une bouteille de verre peseroit autant qu'un corps de verre solide de la mesme grandeur; & que tous les corps solides d'égal volume peseroient également, puis que, selon nous, la pesanteur de chaque corps est reglée par la quantité de la matiére fluide qui doit monter en sa place. Ce qui fait donc la difference de pesanteur entre les corps terrestres, comme les pierres, les métaux, &c. c'est que ceux qui sont plus pesans contiennent plus de parties qui empeschent le passage libre de la matiére fluide: car il n'y a que celles-là en la place desquelles cette matiére puisse monter. Mais comme l'on pourroit douter si ces parties doivent estre solides, parce qu'estant vuides elles devroient, par la raison que je viens de dire, faire le mesme effet; je demontreray icy, qu'elles sont nécessairement solides; & que par conséquent la pesanteur des corps suit précisément la proportion de la matiére qui les compose, & qui s'y tient arrestée. En quoy M. Descartes a esté d'un autre sentiment, aussi-bien qu'en ce qui regarde la liberté avec laquelle cette matiére traverse les corps qu'elle rend pesans. Nous examinerons cy-aprés ses raisons.
Huygens eût aussi pu s'exprimer comme suit: ‘Je démontrerai que la pesanteur des corps suit précisément la proportion de la matière qui les compose [c'est ce qu'il savait déjà en 1668; voyez les p. 625 et 627 du T. XIX]; par conséquent elles (c.à.d. les parties ou particules qui composent les corps) sont nécessairement solides’. Nous avons dit à la p. 316 du T. XIX que la matière chez Huygens est ‘plus ou moins semblable à une collection de petites billes pleines ou creuses et de petites poutres [ou polyèdresGa naar voetnoot6)] de formes | |
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diverses, ou plutôt à une série de collections de ce genre’. Il paraît maintenant que, en tout cas depuis 1668, les particules creuses doivent être exclues, du moins celles qui enfermeraient de toute parts des espaces vides; mais celles que nous avons désignées par l'expression particules-squelette (T. XIX, p. 4; voyez aussi les p. 386 et 685 du même Tome) ne sont nullement exclues.
Pour prouver ce que je viens de dire, je feray remarquer icy ce qui arrive dans le choc de deux corps quand ils se rencontrent d'un mouvement horizontal. Il est certain que la résistance que font les corps à estre meûs horizontalement, comme seroit une boule posée sur une table bien unie, n'est pas causée par leur poids vers la terre, puis que le mouvement lateral ne tend pas à les éloigner de la terre, & qu'ainsi il n'est nullement contraire à l'action de la pesanteur qui les pousse en bas. Il n'y a donc rien que la quantité de la matiére attachée ensemble que chaque corps contient, qui produise cette résistance; de sorte que si deux corps en contiennent autant l'un que l'autre, ils reflechiront également, ou demeureront tous deux sans mouvement, selon qu'ils seront durs ou mols. Or l'expérience montre que toutes les fois que deux corps refléchissent ainsi également, estant venus à se rencontrer avec d'égales vitesses, ces corps sont d'égale pesanteur. Il s'ensuit donc que ceux qui sont composez d'égale quantité de matiére sont aussi d'égale pesanteur; ce qu'il falloit démontrer. J'ay dit que M. Descartes estoit en cecy d'un autre sentiment, comme encore en ce qui regarde le passage libre de la matière qui cause la pesanteur, au travers des corps sur lesquels elle agit. Cela paroist, pour ce qui est de ce dernier point, de ce qu'il veut que cette matiére fluide soit empeschée par la rencontre de la Terre, de continuër ses mouvements en ligne droite, & que pour cela elle s'en éloigne autant qu'elle peut [comparez sur ces lignes et les suivantes la Pièce de Huygens ‘De Gravitate’ de 1668, p. 625-627 du T. XIX, que nous avons déjà citée plus haut]. En quoy il semble n'avoir pas pensé à cette propriété de la pesanteur que j'ay fait remarquer un peu plus haut. Car si le mouvement de cette matiére est empesché par la Terre, elle ne penetrera non plus librement les corps des métaux ni du verre. D'où il s'ensuivroit que du plomb enfermé dans une phiole perdroit son poids, ou que du moins, ce poids seroit diminué. De plus, en portant un corps pesant au fonds d'un puits, ou de quelque mine profonde, il y devroit perdre de sa pesanteur; ce qui ne se trouve point par expérience. Quant à l'autre point, M. Descartes prétend que quoy-qu'une masse d'or soit, par exemple, vingt fois plus pesante qu'une portion d'eau de mesme grandeur ... Etc. Voyez la l. 15 de la p. 638 du T. XIX. |
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