Oeuvres complètes. Tome XVIII. L'horloge à pendule 1666-1695
(1934)–Christiaan Huygens– Auteursrecht onbekend
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Anecdota. | |
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Avertissement.Nous terminons ce Tome par la publication des ‘Anecdota’ déjà plusieurs fois cités dans les Tomes précédentsGa naar voetnoot1). Il faut bien que ce petit manuscrit soit publié quelque part intégralement et comme à peu près la moitié du texte se rapporte aux horloges, et qu'il y est aussi question de la chute des corps et de la force centrifuge par la considération de laquelle se termine l'‘Horologium oscillatorium’, c'est ici, nous semble-t-il, qu'il faut le placer. Les ‘Anecdota’ ou ‘pièces inédites’ datent d'une des dernières années de la vie de Huygens, puisqu'il y est question de ses manuscrits sur la relativité du mouvement (voir les p. 195 et 213-231 du T. XVI). Le titre ne se rapporte évidemment qu'à ce qui précède le paragraphe sur Saturne, puisque les travaux sur cette planète, ainsi que l'‘Horologium’ et l'‘Horologium oscillatorium’, avaient été publiés.
Nous ne ferons aucune observation générale sur la partie consacrée aux horloges ni sur ce que Huygens dit de ses ouvrages sur les corps flottants, la dioptrique, la théorie du choc et les phénomènes de Saturne. C'est exclusivement sur la relativité du mouvement et sur la force centrifuge, sujet qui s'y rattache, que nous dirons ici quelques mots. | |
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Le lecteur de ce TomeGa naar voetnoot1) a vu qu'en septembre ou octobre 1687, lorsque Huygens eut étudié le rapport de de Graaf sur le voyage de cette année du Cap de Bonne Espérance à Texel, ses doutes sur l'existence d'une force centrifuge provenant de la rotation de la terre s'évanouirent. La rotation journalière de la terre, avec une vitesse angulaire déterminée, devint par là pour lui une réalité incontestable. C'est ce qu'expriment p.e. l'avant-dernier alinéa de la p. 224 du T. XVI et divers passages du livre posthume, le ‘Cosmotheoros’Ga naar voetnoot2). À la p. 647 du T. II des ‘Opera mechanica etc.’ (éd. 's Gravesande de 1751) on lit (Lib. I du Cosmotheoros): ‘Atque erunt quidem, qui cum Geometriam aut Mathematicas nunquam attigerint, omnino vanum ac ridiculum hoc inceptum nostrum censebunt. Incredibile enim iis videtur, ut Siderum distantias, aut quae sit magnitudo eorum, metiri possimus. Tum vero motum huic Terrae aut falso adscribi existimant, aut nequaquam adhuc probatum esse [nous soulignons]’; à la p. 651, après avoir dit que la distance de l'étoile polaire au pôle est variable, Huygens continue: ‘Ut proinde caelum totum, si circumrotari dicatur, super alio atque alio axe id faciat necesse sit, quod est absurdissimum’. En écrivant: ‘Motum non alium quam relativum dari. etiam vertiginis motum relativum esse. contra Neutonum.’ Huygens ne veut donc pas dire qu'on pourrait raisonnablement parler d'une terre immobile. Ce qu'il soutient c'est que la rotation journalière doit être considérée comme une rotation de la terre sur elle mêmeGa naar voetnoot3), qu'il ne faut pas l'appeler rotation par rapport à l'espace: voyez les passages cités dans la note 5 de la p. 198 du T. XVI. Aucun mouvement selon lui n'est un mouvement par rapport à l'espace; tout mouvement est celui d'un corps par rapport à d'autres corps ou des parties d'un corps les unes par rapport aux autres. ‘Ut motus circularis sit relativus partium etc. An autem corpora duo inter se relative moveri possunt quorum eadem manet distantia? Ita sane etc.’. (T. XVI, p. 232). Il ne s'agit pas ici de discuter la question de savoir si cette opinion de Huygens est sensée ou non, mais seulement d'établir que telle était, dans les dernières années de sa vie, la manière de voir qu'il opposait à celle de Newton. Nous avons déjà dit dans le T. XVI (p. 198, note 5) que, tout en niant le mouvement par rapport à l'espace - ‘nullus est mutatio loci respectu spatij mundani’; ‘motus inter corpora | |
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relativus tantum est’ (T. XVI, p. 215 et 232) - Huygens semble néanmoins attribuer, si non aux directions des mouvements, du moins aux changements de ces directions, un caractère absolu.
Cette négation du mouvement par rapport à l'espace est d'ailleurs chez Huygens antérieure à l'apparition (en 1687) des ‘Principia’ de Newton; il serait par conséquent impossible de l'attribuer simplement au désir de contredire l'illustre anglais. En août 1669 Huygens écrivait (T. VI, p. 481): ‘Selon moy le repos et le mouuement ne peuvent estre considerez que relativement, et le même corps qu'on dit estre en repos a l'egard de quelques uns, peut estre dit se mouuoir à l'egard d'autres corps, et mesme il n'y a pas plus de realitè de mouuement dans l'un que dans l'autre [nous soulignons]’, et probablement vers le même temps (T. VI, p. 327) ‘que le mouvement d'un corps peut estre en mesme temps veritablement egal et veritablement accelerè selon qu'on raporte son mouvement a d'autres differents corps’Ga naar voetnoot4). Il ne s'agit donc pas seulement de la relativité des mouvements uniformes, mais aussi de la relativité des mouvements accélérés. D'ailleurs cette dernière relativité fait son apparition déjà en 1659: dans le Traité sur la Force Centrifuge le petit corps qui se détache du bord de la roue tournant uniformément (le pesanteur étant exclue) - T. XVI, p. 260-267 - possède un mouvement uniforme par rapport au milieu dans lequel la roue tourne, et un mouvement accéléré par rapport à un observateur attaché à la roue; la tendance à prendre ce mouvement accéléré relatif fait que le petit corps exerce sur la main de l'observateur nommé qui le retient une force réelle. Comparez sur la conception relativiste les l. 3-2 d'en bas de la p. 518 qui précède.
Nous avons déjà observé dans le T. XVI que l'expression Princip der relativen Bewegung se trouve, pour la première fois croyons-nous, dans la préface de l'édition allemande de 1903 du Traité sur la Force Centrifuge et nous avons remarqué dans un article récentGa naar voetnoot5) que les paroles citées de Huygens sur le mouvement véritablement | |
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égal et en même temps véritablement accéléré ont une certaine ressemblance avec la question posée par Einstein: ‘Wenn dem Begriffe der Geschwindigkeit nur ein relativer Sinn zugeschrieben werden kann, soll man trotzdem daran festhalten, die Beschleunigung als absoluten Begriff festzuhalten?Ga naar voetnoot1)’. Ce parallélisme ne manque pas d'intérêt, et mérite sans doute d'être mis en lumière, puisque nous vivons à une époque où, en Angleterre comme ailleurs, grâce surtout a Einstein, on n'attribue plus aux idées de Newton la valeur absolue que bien des personnes leur attribuaient jadis.
Si Huygens avait vécu plus longtemps, il est possible qu'il aurait fait un effort pour établir comment le principe de la non-existence du mouvement absolu doit s'accorder avec le principe de la conservation des forces (p. 477). Pour LeibnizGa naar voetnoot2) la difficulté était moins grande, puisqu'il admettait l'existence d'un mouvement absolu tout en jugeant le physicien incapable de le constaterGa naar voetnoot3).
Pour faire voir que la notion du mouvement d'un corps par rapport à l'espace immatériel n'est pas claire, Huygens se sert de l'argument philosophique suivant (T. XVI, p. 225): ‘Cum Ideam motus non aliunde habeamus quam ex mutatione positus corporis alicujus vel partium ejus (ut in motu circulari) ad alia corpora, nullum idcirco motum imaginari possumus quin istam positus mutationem contingere concipiamus, quoniam non potest motus concipi cui non conveniat idea motus’. Quoiqu'en parlant de l'‘idea motus’Ga naar voetnoot4) Huygens puisse avoir songé à quelqu' endroit de Platon - comparez la note 11 de la p. 31 qui précède -, il est fort possible qu'il n'aurait pas fait cette réflexion, s'il n'avait pas été en possession de l'‘Essay concerning the human understanding’ de 1690 de John Locke: comparez la note 4 de la p. 659. | |
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En 1689 il avait rencontré en Angleterre non seulement Newton mais aussi Locke; en 1691 (T. X, p. 212) il écrit être fâché de n'avoir pas assez connu ce dernierGa naar voetnoot5), qui lui avait envoyé en mars 1690 son livre qu'il dit lire ‘avec beaucoup de plaisir, y trouvant une grande netteté d'esprit, avec un style clair et agréable’ (T. IX, p. 393)Ga naar voetnoot6). Or, Locke parle constamment de la nature et de la valeur de nos ‘ideas’. Notons que d'après lui ‘our idea of space is ... distinct from that of body’ (Livre II, Ch. XIII, § 27; comparez la p. 199 et les deux dernières lignes de la p. 231 de notre T. XVI). Toutefois Locke ne se demande pas si l'on peut raisonnablement parler d'une vitesse déterminée d'une particule matérielle par rapport à l'espace. Le philosophème de Huygens doit, paraît-il, être considéré comme plus ou moins originalGa naar voetnoot7). |
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