Oeuvres complètes. Tome VI. Correspondance 1666-1669

[p. 290]

N^o 1673.
Christiaan Huygens à Lodewijk Huygens.
16 novembre 1668.

La lettre se trouve à Leiden, coll. Huygens.

A Paris ce 16 Novembre 1668.

Selon ce que vous m'avez escrit touchant le jour de vostre depart pour Zulichem et le temps que vous y deviez faire sejour je pense que cellecy viendra encore assez a temps pour vous informer des modes ainsi que vous souhaitez.

Escoutez donc l'oracle qui s'expliquera en peu de paroles. L'on porte a la Cour beaucoup de drap noir avec des dentelles. Le Roy en avoit dernierement un habit dont le haut de chausse en estoit presque tout couvert, et sans rubans au costez ni a la ceinture, mais peu l'imitent en ce dernier point. L'on porte aussi force justaucorps de velour noir avec des boutons d'orfevrerie facon de filigrane. Les Ringraves et culottes sont receues indifferemment. comme aussi les camisolles et pourpoints. Les droguets rayez se portent aussi beaucoup et encore les draps unis. et il faut bien qu'on aie icy des differentes estoffes pour s'habiller parce que sans cela il y auroit trop de monde a la Cour et par tout ailleurs habillez de mesme. mais maintenant ils sont si fertiles en invention que malaisement l'on en trouve deux qui soient couverts de mesme.

Vos diablotins sont tresjolis et j'ay bien fait rire des gens en les faisant jouer. ce que je crois entendre aussi bien que l'inventeur ou inventrice elle mesme. Mais ils scavent bien des sortes de dances, et quelquesunes que nos huysarmen¹⁾ de ceans n'osent pas leur faire dancer.

L'on m'a parlè icy de grands changements²⁾ que Monsieur le Prince alloit faire dans sa maison, qu'il a offert a Beverning³⁾ la surintendance du tout mais qu'il ne l'a pas acceptée, que le conseil seroit cassè ou reformè. Mandez moy s'il vous plait ce que vous en scavez.

Je seray bien aise aussi que vous me donniez avis du succes bon ou mauvais qu'auront ces nouvelles machines roulantes⁴⁾. Si ce n'est pourtant que pour faire

1) Traduction: pauvres honteux.

2) Le 25 octobre 1668, Amalia van Solms avait communiqué aux Etats Généraux qu'elle avait transmis à son petit-fils Willem III, la gestion de ses propres affaires, domaines &c., à l'occasion de son 19me anniversaire, le 14 novembre 1668. Il ne paraît pas cependant que le Prince ait pour le moment usé de cette liberté.

3) Hieronymus van Beverning n'occupait alors aucun emploi fixe, à cause de son dévouement au prince, mais il fut beaucoup employé comme ambassadeur extraordinaire.

4) Consultez la Lettre N^o. 1655.

[p. 291]

tourner plus aisement les roues, ce sera la mesme chose qu'on a commencée icy, et que l'on pratique facilement et en sorte que les inventeurs ne scauroient le decouvrir en voiant les carioles. Mais ce n'est enfin que pour oster l'empeschement du frottement, qui est peu considerable aupres de celuy qui vient des mauvais chemins, ou mesme de l'inegalitè du pavè des ruës.

Boreel⁵⁾ et mademoiselle sa soeur⁶⁾ avec Vlaerdingen⁷⁾ partent la semaine qui vient, et mardy⁸⁾ a ce qu'ils disent. J'y fus hier et vis ce Signor Fratello pour la premiere fois, qui me sembloit un peu froid du commencement, mais apres quelque peu de conversation cela se passa et il me dit qu'il me viendroit voir. Cela est bien estrange que ni mon Pere ni personne ne scait pourquoy il est faschè. J'ay tousjours oubliè a vous dire que la damoiselle n'estoit point satisfaite de vous, de ce que vous ne luy avez point escrit de compliment sur la mort du bon homme⁹⁾, et elle s'en souvint encore hier. Je la trouvay qui se faisoit peindre par une damoiselle¹⁰⁾ qui en fait mestier et ne reussit pas mal. Je vous prie de dire a ma soeur que je luy envoieray sa soie et autres emplettes par cette caravane. adieu.

A Monsieur

Monsieur Louis Huygens de Zulichem

A

la Haye.

12

5) Johan Boreel (Consultez la Lettre N^o. 1193, note 28).

6) Mademoiselle Boreel était la fille de l'ambassadeur W. Boreel.

7) Jan van Ruytenburg.

8) Le 10 novembre 1668.

9) L'ambassadeur W. Boreel, qui mourut le 29 septembre 1668.

10) Probablement:
a) Elisabeth Sophie Cheron, née à Paris le 3 octobre 1648, et morte dans la mème ville le 3 septembre 1711. Fort recherchée pour la peinture de portraits, elle était aussi artiste graveur, et bonne musicienne, joueuse de luth. En 1672 elle devint membre de l'Académie de peinture.
Ou sa soeur
b) Marie Anna Cheron, née le 22 juillet 1649 à Paris, où elle mourut en 1718. Elle était surtout peintre en miniature.