Briefwisseling. Deel 6: 1663-1687
(1917)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend6223. M. de NeuréGa naar voetnoot2). (K.A.)aant.Vous aurez sans doute apris que j'estois hier au soir fort tard chez vous, où j'estois allé pour m'acquitter de la promesse que je vous avois faitte de vous rendre conte en personne de la commission dont vous aviez voulu m'honorer vers Monsieur le premier president, en m'acquittant a mesme temps du remerciment qu'il m'avoit ordonné de vous faire de sa part. Il paroist, Monsieur, que vous avez fait preseut de vostre livre a beaucoup d'illustres personnes, mais je ne croy pas qu' aucune ait esté plus sensiblement touchée que cette derniere. Ce que vous reconnoistrez beaucoup mieux a vostre premiere entreveüe que par tout ce que je vous en pourrois dire. Et comme je desespere de vous la representer au point qu'elle est, je vous en demende la dispense, afin de passer tout d'un coup a la response de vostre lettre. Vous ne scauriez croire combien je me sens glorieux de ce que vous avez pu avoir la patience de lire la mienne, et mesme encore celle d'y respondre. Je n'en ay pu lire les termes obligeans sans une confusion extreme, laquelle j'ay senty redoubler en voyant que je vous avois donné sujet de me faire le reproche sus Minervam, quoyque j'aye de la peine a me souvenir de ce sujet qui ne m'aura donc sans doute eschappé qu'a cause que j'estois tout endormy. Je sçay bien que je vous ay declaré mes soubçons sur ce que nos François vous pourroient dire, touchant leur langue, mais c'estoit toujours sans prejudice de la grande connoissance que vous en avez, qui me fournit bien plus de matiere d'admiration que de critique. Et ne croyez pas que si la folie me prenoit de vous vouloir attaquer, je voulusse me contenter comme le singe de mettre ma jouë a couvert avec la main. Je ne la tiendrois mesme pas en seureté soubs un pat de fer. Il ne faut donc pas, s'il vous plaist, prendre ces petites croisades que vous avez trouvées, comme des notes de censure, mais seulement comme de simples marques de mes doutes, dont on pourroit se servir pour douter aussy de vostre observation, ce que je n'ay toujours fait qu'au nom des autres, et non point au mien, ne m'estant jamais picqué de puriste en nostre langue, comme font icy beaucoup de beaux espritz qui ne cessent d'y raffiner, et croyent que c'est assez pour acquerir la reputation de scavant. Pour moy qui ay d'autre goust, il me suffist de parler ou d'escrire | |
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naturellement, sans avoir egard aux superstitions des loix que prescrivent ces congrus, que je ne blasme point, toujours prest mesme a me soubmettre a leur censure, et avoüer ma faute s'il m'en arrive contre leur reigle. Ce que je ne puis assez admirer en vous, c'est qu'estant remply d'une infinité de belles connoissances, vous soyiez encore si bien versé en cellecy, que vous puissiez marcher de pair avec eux, et vous rendre aussi redoutable que si vous estiez né dans le pais comme eux, et que vous n'eussiez rien fait autre chose que travailler a la perfection de nostre langue. Or, Monsieur, voyez si ayant cette opinion de vous j'ay pu avoir la pensee de vouloir corriger vos escritz? Je vous asseure que je suis mesme ravy de voir que vous ayiez bien voulu me reprendre de mes fautes. Vous ne scauriez mesme croire combien il me deplaist d'avoir de quoy deffendre celle que vous avez remarquee au mot de recouvert. Je voudrois que celuy qui a fait Les remarques de la langue francoiseGa naar voetnoot1) fust pour vous, et contre moy. Et peut estre l'est il ainsy, parce qu'apres avoir bien prouvé que ce participe est contre la reigle et contre la raison, il conclud cependant ainsy: L'Vsage neanmoins a establi, recouvert, pour, recouvré, c'est pourquoy il n'y a point de difficulté qu'il est bon, car l'vsage est le Roy des langues, pour ne pas dire le tyranGa naar voetnoot2). Mais, comme vous dittes, laissons la ces pointilles, pour venir a vostre tres considerable observation. En verité je ne scay ce que j'y ay respondu tout endormy que j'estois. Il me souvient seulement que, ne pouvant comprendre ce nombre de piedz mis pour un autre, je m'efforcay inutilement a chercher dans le parallele de la prosodie ou poesie antiene quelque convenance pour trouver le nombre des syllabes de nos grands vers, afin qu'ilz fussent donc jambiques trimetres, ou de six piedz, ou bien trochaiques de mesme mesure, les uns acatalectes, scavoir les masculins, et les autres hypercatalectes, les feminins. Mais je ne pouvois trouver mon conte des syllabes en quatre jambes ou trochees qui n'en ont que deux, pour en faire douze, a moins de resoudre ces piedz en tribraques, qui sont les seuls en quoy ils pouvoient estre changes, ne le pouvant estre en dactyles ou anapestes, attendu que ceux ont quatre temps, et les autres n'en ont que trois. Mais comme selon vostre explication et dernier eclarcissement, la poesie moderne n'a point ce rapport avec cet art metrique des langues antienes, il ne s'y faut donc plus arrester, et ne considerer plus au lieu de la quantité du tems, que celle du ton, qui se nomme accent. Chez les Grecs ces deux quantitez estoient tout a fait differentes; la quantité du temps se consideroit comme des intervalles longs ou courtz, et celle du ton comme des degrés hautz ou bas. Or si celluy est seulement en usage dans la poesie des langues modernes, je ne sçay quand nos Francois pourront la remarquer dans la leur, les accens ne trouvant guerre de siege asseuré sur leurs motz, pour faire des tons qui marquent des pieds. Ils auront mesme de la peine a comprendre que parler soit un jambe, qui par la fermeté de ses deux syllabes paroistront plustost un spondee, et que parle devienne un trochée par la seule extenuation de sa derniere. J'avouë que j'en sens pourtant quelque chose, mais cela change si fort selon les diverses positions des motz dans le fil du discours, qu'il sera bien difficile d'en faire des regles pour la fabrique des vers. Neanmoins, comme je vous ay deja dit, je ne conteste point qu'enfin cela ne puisse arriver, et que la poesie n'estant qu'une oraison contrainte et gesnée, on ne puisse encore adjouster a la rigueur du nombre des syllabes et de quantité d'autres lois, celle de la quantité du temps ou du ton pour la rendre plus admirable. Voila, Monsieur, ce que j'en pense, mais je ne laisse pas toujours d'apprenhender que nos poetes ne refusent de reconnoistre ceste descouverte et qu'ils ne soutiennent que cela ne scauroit avoir lieu dans nostre langue. Les Italiens ont deja fait des vocabulaires seulement pour marquer leurs accens et en ont mesme donné des regles. Mais les Francois ne s'en sont point encore avisez, et peut estre ne manquera 't on pas de dire que c'est qu'il n'y en a point, au moins qui en vaille la peine, n'estant pas de grand usage. Cependant on ne doit pas laisser de vous avoir bien de l'obligation du louable effort que vous faittes pour monstrer qu'elle n'en est pas depourveüe, et qu'ils ont mesme un bel effet. Je veux bien moy vous en remercier par avance, et particulierement de la part qu'il vous a pleu de m'en vouloir faire. Si j'ay l'honneur de vous voir samedy avec Monsieur vostre filz, nous en pourrons dire plus d'un mot en bonne compagnie. | |
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Cependant je prie Dieu qu'il vous conserve et qu'il me fasse naistre quelque occasion dans laquelle je puisse vous tesmoiguer l'estime que j'ay de vostre vertu et que je suis veritablement ..... Ce Jeudy matinGa naar voetnoot1). |
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