Briefwisseling. Deel 5: 1649-1663
(1916)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend5644. Aan de hertogin van LotharingenGa naar voetnoot5). (K.A.)V.A. est si bonne, que j'estime qu'il n'est possible qu'elle prenne en mauvaise part la liberté dont je vay user, à luy faire recit du detail de nos nopces, histoire d'importance et de grande consideration au service de l'Estat. Ce certain jour donc du 20e Avril estant venu, et le soleil que le jour d'auparavant une rude tempeste avoit eclipsé, nous faisant la faveur de paroistre gay et luysant, ma petite fiancée fut chargée d'une couronne de diamants, dont les proprietaires m'eussent fait grand plaisir de ne redemander jamais les pieces, la cour et quantité de nos dames, tant parentes, qu'estrangeres, y ayant contribué ce qu'elles possedoyent de plus esclattant. Sur les neuf heures du matin Mons.r de St. Annelant, pere du fiancéGa naar voetnoot6), et mon illustre personne, pere de la femelle, menames le bon seigneurGa naar voetnoot7) dans un carosse ouvert de tous costez - de peur que les spectateurs, accourus en grande foule autour de ma maison, ne perdissent la vüe de sa belle teste frisée et poudrée à outrance - jusques dans la nouvelle eglise sur le canal de DelfGa naar voetnoot8), ou ayant pris place devant la chaire sur beaux parterres de tapis et autres ornements de haute lisseGa naar voetnoot9), vers la moitié du sermon entra la belle victime du sacrifice, menée par un jeune gentilhomme de qualité, paré comme un soleil à midy, et enfariné pour le moins de deux ou trois livres de poudre. Suivit Madame de St. AnnelantGa naar voetnoot10) menée par mon aisné, et Madame van DorpGa naar voetnoot11), tante de la fiancée, menée par mon second fils, deux vielles majestueuses, et qui | |
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au moyen de la bonne grace qui leur est naturelle firent les derniers efforts pour suppleer au defaut de ce que l'injure d'un aage d'environ six vingt ans pour les deux avoit ravi à leurs beautez, autrefois des plus esclattantes du siecle. Ce trio s'estant placé sur des beaux sieges de velours, entrerent trois pucelles, à sçavoir deux niepces de mon costé, et une cousine de l'autre, la premiere menée par mon troisiesme fils, la seconde et la troisieme, chacune par un des plus hupez de nos galants. Ces nymphes ayant pris place sur trois sieges à l'opposite dudit trio, faisoyent la petite bouche, et les beaux yeux en escharpe, autant que chascune l'avoit estudié à l'envi de sa compagne, et m'estoit advis que pas une des trois n'eust voulu refuser de tenir la place de la fiancée. Le sermon achevé, tout le peuple de l'eglise hazarda bras et jambes pour monter sur bancs et sieges, afin de contempler la formalité des benedictions du mariage, au bout desquelles les fiancez firent leur priere à genoux sur deux grands coussins de velour cramoisy, ou de couleur de feu, ou de nacqueratGa naar voetnoot1), ou de telle autre qu'il vous plaira. Au sortir de l'eglise, comme quand mes vaches vont aux champs, les premieres vont devant, le trio masculin r'entra le premier en carosse, le pere du marié tenant desormais la main droicte, comme pour entrer de la part de son fils en possession de la superiorité maritale, ceremonie de toute importance, et sans laquelle l'on tiendroit tout le potage gasté. Estrange metamorphose, catastrophe deplorable! qu'en un moment le serviteur, le valet, l'esclave devienne seigneur et maistre de la maistresse; maistresse cajolée, maistresse servie, maistresse honorée, maistresse adorée jusques à ce triste moment. V.A. me dira, que depuis quinze ou seize petits siecles en ça le beau sexe a bien trouvé l'invention de donner ordre à ceste corruptele et à se remetamorphoser; que prestres et ministres ont beau prosner, beau citer loix divines et humaines sur les devoirs de l'obeïssance feminine; que malgré rime et raison femmes sont femmes et maistresses demeurent maistresses, et maris marris, c'est â dire, beaux petits souverains imaginaires. A tout cela, Madame, je supplie V.A. de trouver bon que je ne responde qu'en haussant les espaules, la verité par trop notoire me fermant la bouche, au moins pour ce qui regarde quelques mediocres parties de l'univers, comme vous pourriez dire l'Europe, l'Asie, l'Afrique et, s'il plaist a Dieu, l'Amerique, car de ce costé occidental je suis encor en attente de quelqu'advis authentique sur ce mesme subject. Pour revenir à nos moutons; la mariée et son train ayant repassé avec peine au travers d'une estrange presse de monde, qui faillit à souslever son carosse, au sortir d'iceluy elle fut accueillie du Seign.r marié avec honneur et reverence tres humble, et menée au logis, hors des fenestres duquel il fut fait largesse de sucre en telle abondance, que vous eussiez dit d'un orage de gresle, ou l'on vit coups de poing donnez pour le butin, femmes decoiffées, filles culbutées, et autres bouleversemens estranges, le sexe à cotillon ne se souciant pas de ce qu'on luy faisoit, pourveu qu'il attrappast quelque poignée de sucre. Ce bruit de rue estant passé, et la famille ayant reprins ses esprits et son haleine, ce fut à se feliciter à la foule, à coups de baiser francs et bien appuyez, enfin, baisers apostoliques et de bonne foy, qui firent un bruict dans la sale comparable à celuy que les char[re]tons d'Anvers et de Bruxelle font avec leurs foüets, quand quelque douzaine de charrettes enfile les premieres rues. De là les soings du chef de cette famille - personnage peu capable de plus grand employ, mais tousjours glorieux du tiltre de tres humble serviteur de V.A. - se porterent à visiter la sale du festin, la table en demie potence, la propreté du linge, les couverts et leurs utensiles à trencher, à piquer, et à puiser potage, le buffet et sa vaisselle, et enfin certain theatre de beau bois blanc - afin que V.A. ne croye qu'il fut d'ebene ou d'yvoire - pour une douzaine de violonsGa naar voetnoot2). Toutes ces belles choses s'estant trouvées en ordre raisonnable, on eust soing d'envoyer advertir les conviez de se vouloir trouver au rendez-vous sur les trois heures apres midy, pour disner à quatre, qui semble chose un peu discordante d'avec les bonnes horologes de la ville; mais, Madame, la raison en est si fondée, qu'asseurément V.A. en approuvera le mystere. C'est qu'un festin de souper retarde trop le coucher de la mariée, et un disner à heure deue pourroit l'avancer en sorte, qu'a moin[s] que de durer sept ou huict heures à table, la pauvre creature se pourroit veoir menée au supplice en plein jour, qui fust trouvé chose indecente, lorsque le bon boiteux Vulcan print la peine de faire rire les dieux à la feste de son cocuage. A peine les trois heures eurent sonné, que multitude de carosses parut autour de l'hostel nuptial, et en veit on descendre dix paires de personnes tant vefues que mariees - l'un portant l'autre - et onze couples de belle canaille | |
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à marier. Dans le premier rang du premier escadron se trouva Mons. l'ambassadeur de FranceGa naar voetnoot1), qui malgré l'excellence de l'ambassade, eut ia bonté de se laisser considerer comme le plus proche voisin d'un costé pour la journée. En mesme consideration y parurent Mons. de BavoyGa naar voetnoot2) et Mad. sa femmeGa naar voetnoot3), et le tousjours vert et tousjours jeune Mons.r d'llauterive, logé, comme il doibt, chez l'AmoureuxGa naar voetnoot4). Le reste consistoit en parens et parentes, de ce qu'il y avoit de plus proche à la Haye; dans la salle vers le jardin se fit l'assemblce de l'host(?); dans celle qui regarde sur la rue la viande estant portée, l'ambassadeur menant la mariée, et chaque galant homme sa dame, on y trouva un premier service que la bienveillance des conviez voulut juger raisonnable, comme ensuitte le second et le dessert, ces Messieurs de France faisant l'honneur à nostre illustre maistre JacquesGa naar voetnoot5), de le declarer aussi entendu en son mestier que les plus habiles tournebroches de Paris. Quoy qu'il en soit, ceste tablée de 42 personnes eut la patience de s'entretenir cinq heures d'arrache pied, et quoyque la chanson à boire n'y sonna point, comme j'ay sçeu de bonne part que des belles duchesses et princesses l'ont chantée avec les grands roix, les sommetiesGa naar voetnoot6) d'Hollande y ont esté pratiquez incessamment, ce que les belles duchesses et princesses n'ont pas fait avec les grands roix. Durant ce glorieux repas, sale plus glorieuse fut mise en ordre et parfumée et esclairée d'environ cinq à six milleGa naar voetnoot7) flambeaux, pour servir à la gambade des jeusnes gens, et apres nosdites cinq heures passées à manger, à boire, et à baiser, tout le monde fut bien ayse de s'y sauver de la senteur des viandes et de la chaleur d'une presse qui avoit tant duré. Ensuitte, apres quelque entretien pour se degourdir le jarret, Mons.r l'ambassadeur et le reste des gens d'aage ayans pris place, la dance s'entama, et de toutes celles qui suivirent apres les bransles, celle qui se nomme la duchesse se trouva la plus belle; ce qui me fit croire que c'estoit de celle de Lorraine qu'elle avoit emprunté le nom. A peine cet exercice eut duré deux heures, que certain galant homme parent de l'espoux amusant l'espousée à je ne sçay quel tour de courante, à l'impourveue nous la ravit, et suivi de toute la nopce, l'entraisna jusqu'à dans sa chambre, où nonobstant certaines petites gouttes de larmes virginales, soit de despit ou de joye - aux lecteurs et lectrices en soit le jugement - grande violence arriva pour la decouronner, pour voler rubans, jarretieres, cordons de souliers, et enfin pour la plumer, comme fait maistre Jacques à ses pauvres oiseaux qu'on va embrocher. La parure de la chambre, le lict, les toilettes et semblables ravauderies ayant passé par la censure des plus curieux, et la pauvre condamnée eschoué[e par] tout ce que chacun voulut produire ou pour la railler, ou pour la consoler, tout fut adoucy par une nouvelle pluye d'hypocras, et comme apres force reverences et souhaits des serieux, les serieuses firent paroistre quelque repugnance à parlir, l'espoux ayant pris son bonnet de nuict, et s'estant fait couvrir de sa robbe de chambre tout habillé, et les filles se doubtant qu'il ne le fut pas, cela les chassa en un moment, en sorte qu'on eust dit que le tonnerre et le diable s'escrimoyent sur l'escalier, et ceste tempeste venant à se fondre de plus belle, dans la sale du bal le baladinage y fut continué jusqu'à quatre heures du matin, sans qu'on y vist aucune de ces filles en peine du pitoyable estat où elles avoyent laissé et abandonné laschement la triste espousée. Au retour de la chambre nuptiale, Messieurs de Thou, d'Hauterive et d'ArminvilliersGa naar voetnoot8), aussy meschans danseurs que moy, s'aviserent sagement et avec beaucoup | |
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de prudence de prendre congè de l'hoste, avec temoignage de trop de satisfaction du peu de bonne chere qu'on leur avoit faict; et à leur exemple ledit S.r hoste eut bien l'esprit de preferer son pauvre petit lict bleu à tant de juppes clinquantées, qui peut estre danseroyent encore, si les moins folles les eussent laissé faire. Le lendemain, Madame, j'observay soigneusement la demarche de l'espousée, et ne trouvant pas qu'elle boistast d'un ou d'autre costé, comme on ne trouve pas dans la Bible que fist dame Eve, nostre bonne ayeule, je sentis mon ame retourner en son repos, comme elle est encor à present en attente de ce qui nous pourra arriver de nouveau dans quelque demie douzaine et demie de mois lunaires. Je ne m'excuse pas de la longueur de ceste lettre; V.A. nous a voulu faire l'honneur de se souhaitter presente à ces entrefaites. Je l'y ay menée par tous les passages que ma meschante memoire m'a pû representer. Si elle se plaint du mauvais entretien qu'elle a receu, elle fera moins de violence à la verité que ceux qui ont pris la peine de s'en louër, car tout plein de defauts et de foiblesse que je suis, je n'ay pas celle de les ignorer, non plus que de mecognoistre la grace que j'espere que vous me continuez de me croire ..... A la Haye, ce 22e d'Avril 1660. |
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