Briefwisseling. Deel 5: 1649-1663
(1916)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend
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5043. P. CorneilleGa naar voetnoot1). (B.M.)Voules vous bien recevoir la meme excuse deux fois, et que je vous die encore que je vous aurois plustost fait response, si j'avois pù me resoudre a me presenter devant vous les mains vuides? Vous series quitte de mes importunites a trop bon marche, si je ne vous persecutois que par les civilites d'une lettre, et par les remerciments que je vous doibs de la part que vous me donnés en vostre estime et en vostre bienveillance. Quoyque tous vos moments soient precieux, permettes que j'en derobbe quelques uns a vos grands emplois pour vous delasser en la lecture d'une comedie que je vous envoyeGa naar voetnoot2). C'est une nouveauté qui pourra sembler monstrueuse et donnera lieu de soustenir que faire une comedie entre des personnes illustres n'est autre chose que Humano capiti cervicem iungere equinamGa naar voetnoot3). Je suis pourtant asses hardy pour la vouloir justifier aupres de vous, ou du moins pour en faire les mines. Car, a ne rien desguiser, je scay bien que je parle le langage d'Aristote dans le mauvais discours que je vous en fais, mais je ne scay pas, si je l'entens bien, ny si les consequences que j'en tire sont justes. Dans cette incertitude j'ay voulu seulement esblouïr les peuples par l'authorite de vostre nom, et comme ils scavent qu'on ne vous peut surprendre, j'ay creu qu'ils se persuaderont aisement que toutes mes raisons sont de mise, quand ils verront que j'ose vous en faire le juge. Vous m'apprendres, quand il vous plaira, si j'ay bien rencontré, et je seray aussi prest a executer ce que vous en ordonneres, que vous me voyes l'estre touchant les argumentz que vous demandes a nos poëmes. Nous nous en sommes dispenses depuis quelque temps, et avons creu que nous ne devions pas davantage aux lecteurs qu'aux spectateurs que nous convions a leur representation sans leur en donner aucune lumiere. Ce n'est pas qu'il n'y aye des pieces d'une espece si intriquée qu'il eschappe beaucoup de choses à la premiere representation et à la premiere lecture, faute d'un tel secours, mais nous avons estimé cela avantageux pour ceux qui les voyent et pour ceux qui les lisent, puisqu'il est cause que l'ouvrage a pour eux la grace de la nouveauté plus d'une fois, leur laissant a la premiere le plaisir entier de la surprise que font les evenements, et reservant pour l'autre celuy que leur donne l'intelligence de ce qu'ils n'ont pas bien compris a l'abord. Vous me dires qu'il ne les faudra donc voir ou lire tout au plus que ces deux fis, et j'en suis d'accord avec vous pour les poemes dont toute la grace consiste en cette nouveauté et en cette surprise; mais pour ceux qui ont quelque chose de plus solide, il est a presumer qu'ils donneront la mesme satisfaction a toutes les lectures qu'on en voudra faire, qu'ils auroient données a la premiere, ou l'on auroit este preparé par un argument. J'advoue que nous en voyons presque au devant de tous ceux que nous ont laissé nos anciens, mais je m'imagine que nous en avons l'obligation a leurs interpretes ou à leurs scoliastes plustost qu'a eux mesmes. Parmy les Grecs il y en a quelques uns dont Aristophane le grammairienGa naar voetnoot4) est nommé l'auteur, quelques uns tires de la Bibliotheque d'Apollodorus, la pluspart mesme des comedies d'Aristophane n'en ont que de latins. Ceux de Plaute paroissent estre de son style, mais j'ay toutefois bien de la peine a croire qu'ils soient de luy, et ses prologues semblent m'authoriser a ce doute. Il ne les introduit que pour conter le sujet de sa comedie et le leur fait dire souvent en termes expres: Nunc argumentum eloquar huius comoediaeGa naar voetnoot5). Pourquoy donc auroit il encor fait des argumentz dont il n'avoit pas besoin, et qui souvent sont si obscurs que des espritz mediocres ont besoin de lire toute la comedie pour les entendre, au lieu qu'ils devroient faire entendre la comedie? Au regard de Terence, je n'en voy que dans | |
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ses commentaires, ou le nom de leurs autheurs ne manque jamais, et dans les impressions de PlantinGa naar voetnoot1) je n'y en trouve aucun. Les tragedies de Seneque ne me convainquent pas davantage; on en voit presque autant de differentz argumentz que de differentes editions, et s'il y en a quelques uns de sa façon dans une diversité si grande, je n'ay encor sceu le deviner. Voila, Monsieur, sur quoy nous nous estions enhardis a les retrancher et a prendre cette maxime, qu'une piece de theatre est fort mal faite, quand elle ne porte point toutes ses lumieres elle mesme et qu'elle a besoin d'un faux jour qui vienne d'ailleurs. Depuis quelque temps j'ay jetté au devant des miennes le texte des autheurs dont j'en ay tiré les sujetz, mais ce n'a esté que pour faire demesler l'histoire d'avec la fable, et si j'advertis quelquefois de quelques circonstances de mon invention, ce n'est que pour conduire mes lecteurs jusqu'au premier vers sans leur donner la cognoissance des episodes. C'est ainsy que d'ordinaire en use Plaute et y adjouste quelquefois l'evenement par ou sa fable se termine. J'en ay fait de mesme en cette comedie et pour vous satisfaire davantage, j'ay rappelé le nom d'argument que nous avions bannyGa naar voetnoot2). Je n'ay pas cité mon autheur, et si vous me presses la dessus, je vous diray ingenuement que je l'ay pris d'un vieil manuscrit espagnol que personne n'a jamais veu, et dont je ne scaurois rien moy mesme, si le dieu de la poesie ne me l'avoit revelé. Mais insensiblement en vous rendant conte de nostre usage touchant les argumentz de nos poëmes j'oublie a vous demander pardon d'avoir abusé de l'honneur de vostre amitié dont j'ay fait parada en public. C'est un sentiment de vanité que vous trouveres juste, quand vous considererés que je n'en pouvois faire un secret sans me priver du plus grand avantage que les Muses m'ayent fait recevoir, puisqu'elles ne m'ont encore rien procure de plus glorieux que le droit de me pouvoir dire avec vostre adveu ..... A Rouen, ce 28 de May 1650. |
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