Briefwisseling. Deel 4: 1644-1649
(1915)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend
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4140. Aan prinses Amalia van Oranje. (H.A.)*Depuis ma derniere du 30e de Lovendighem il n'a esté possible à qui que ce fust de faire passer aucun mot de lettre, parce que nous avons continuellement marché par le païs enemi, comme V.A. verra, s'il luy plaist, par la suitte de ceste histoire, que je n'escris encor que par provision, esperant que peut estre demain nous pourrons tant approcher du Sass, qu'il se pourra trouver quelque moyen d'adresse asseurée par là. Nous partismes donq de Lovendighem susdit et passames le canal de Bruges le Dimanche premier de ce mois, parce que c'estoit le jour que Mess.rs de Gassion et de Ranzau nous avoyent promis de se trouver sur le Lys. A quoy il ne se trouva aucune faulte, car comme vers le midy nous allions approchans de ladite riviere - par le plus froid et plus orageux temps qu'il pust faire - nous entendimes les coups de canon et de mousquet que M. de Gassion tiroit sur la vilette de Deinse, qu'il emporta d'emblée, aveq force butin que ses gens y trouverent, outre les personnes refugiées, parmi lesquelles les femmes ne furent pas mieux traictées qu'à l'ordinaire de ces gens là. S.A. alla apresdisner saluer ledit mareschal dans sa conqueste, pour ajuster le passage commun de ladite riviere; à l'effect de quoy on luy envoya la nuict un pont de nouvelle invention. Ce soir nous logeames à S.t Jans Liere, tout contre le chasteau d'Oodonck, qui est tres-beau, et fut totalement pillé par nos soldats, qui donnent mil benedictions à S.A. pour les avoir menez en un païs, où il est permis de prendre tout ce qu'on veoit. Le Lundi 2o à la pointe du jour, par un temps encor fort pluvieux, mais qui s'esclarcit vers le midy, nous passames le pont que nous avions faict de douze pontons sur le Lis, ou la Leije - qui est la mesme chose icy en bas - et marchames jusques à Zeverghem, village sur l'Opper-Schelde, où ne rencontrans point d'enemi - les François en avoyent mis la nuict quinze compagnies de dragons et deux ou trois regimens de Lamboy en routte - nous nous prevalumes aveq une promptitude incroyable d'un grand bateau ou pleite, qui se rencontra dans icelle riviere aveq un autre plus petit, et y adjoustans nostre pont de bateaux, passames encor la moitié de l'armée ceste apresdisnée, et demeurames aveq le reste au decà, comme firent aussi de leur costé les François au village d'Eecke, jusques à ce que la nuict apres il fut resolu de passer tout à faict dans le beau païs d'Alost, où il y a plus de soixante ans que les habitans ne sçavent que c'est de guerre ny de ravage. Le matin donq du 3e qui est aujourdhuy, au lever du soleil nous nous sommes trouvez sur le second Escault, qui est la Neer-Schelde, resortie de Gant, mais d'abord n'y avons pas rencontré un silence si paisible qu'aux autres rivieres. Le baron Beck, ayant pû juger de nostre dessein par nos routtes, s'y est trouvé aveq quinze ou seize compagnies de cavallerie, sept ou huict cens hommes de pied, et deux petites pieces de six livres de bale. Ensuitte sa cavallerie a paru en bon ordre, et l'infanterie qu'il logeoit vers le bord de la riviere nous a salué assez bien de mousquettades, meslées des coups de son canon. Mais quand une heure apres nous avons faict haster nos mousquettaires des gardes, qui estoyent encor loin, ils ont esté logés en des lieux avantageux, et aussi entre autres en une maison proche de la riviere, où tous s'estans preparez et ajustez, en | |
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un instant toutes ces fenestres ont esté ouvertes, et a on faict pleuvoir sur les enemis une si belle gresle de mousquettades, qu'ils en ont esté merveilleusement surprins, et tellement escartez et esloignez qu'il y avoit grand plaisir à en veoir le passetemps. Sur quoy s'opiniastrans encor à tirailler cà et là, six petites pieces de nostre canon arrivées ont esté plantées si à propos sur le cimetierre de ce village - nommé Melle - que par peu de volées la cavallerie n'a pu s'empescher la retraicte au galop, et l'infanterie suivant apres, tout s'est soudainement perdu de veuë, à la grande honte, ce nous semble, de ce general, tant fameux guerrier. Incontinent apres nostre pont est venu, et a esté mis sur la riviere sans difficulté. Là dessus toute l'armée a passé tost apres midy, dans ce cher païs de Waes, auquel on a faict l'amour tant d'années de suitte. Ainsi marchans en diligence nous ne faisons qu'arriver icy au soleil couchant, et l'arrieregarde ne pourra estre venue qu'apres minuict. Ce nonobstant la resolution est de marcher encor demain au matin à quatre heures, pour gaigner temps et terre, et nous prevaloir tousjours du desordre et de la consternation des enemis, qui est estrange. Dans ces joyeux progrez S.A. prend peu de plaisir aux pillages et autres outrages qui arrivent partout en ceste marche, quoyqu'il ne soit pas raisonnable de l'empescher tout à faict aux soldats. Mais S.A. cependant y exerce la douceur de sa charité, et aujourdhuy a envoyé vers Gant pres de 300 povres femmes et filles despouïllées, et retirées d'entre les mains du soldat. Dans le païs d'Alost semblable desastre est arrivé à une Madame de la RiviereGa naar voetnoot1), soeur de feu la belle baronne Suijs, qui ne sachant ce qu'est devenu son mary, a veu piller tout son chasteau, se despouïller elle et ses belles filles, et ainsi trainer à pied par le païs; un cavalier toutefois de M. le prince de TalmontGa naar voetnoot2) plustost que de partager à aucun butin, qui fut grand dans la maison, a eu soin de sauver la vie et l'honneur à ces dames, jusques à ce qu'elles sont tombées entre les mains de M. le RhingraveGa naar voetnoot3), qui les a traictées de toute civilité dans son logis. Apres quoy S.A., qui a autrefois cognu ceste dame à la Haye, les a faict accommoder de son propre carosse, et apres les y avoir veuës et entretenues deux ou trois fois ceste nuict sur la marche, et au matin à l'occasion du dernier passage, enfin aveq ce mesme carosse et un trompette les a envoyées vers Gant, extremement sensibles de si hautes faveurs. Ceste pauvre femme en mesme temps a prins le passeport de S.A. pour se retirer aux Provinces Unies, où elle a des terres tout contre Zuijlichem, pretendant de s'y aller nourrir de son revenu, tout luy ayant esté osté icy. - Mess.rs les mareschaulx de France vienent de prendre congé de S.A. pour s'en retourner vers leurs conquestes, apres avoir aussi mis, par forme, quelques parties de leur armée dans ce païs de Waes, où ils volent en beaux diables. Le premier concert portoit que ces messieurs entreroyent icy tout à faict aveq nous, mais ils s'en sont un peu desdits, quoyque sur d'assez bonnes raisons. S'il plaist à Dieu, nous nous y maintiendrons sans leur ayde, et V.A. sçaura de temps en temps ce qui se passera. Je la supplie d'excuser ceste mauvaise lettre; je l'escris sur mon genoüil, dans une estable, | |
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et les yeux chargez de sommeil et autre incommodité qui m'a affligé depuis quelque temps. S.A. se porte des mieux en toutes ces fatigues. Nous louons Dieu de ces glorieux succés, arrivez le mesme 3e d'Octobre que Leiden et Berghe fut secourruGa naar voetnoot1), chose assez remarquable, où le pere et deux fils ont chascun leur part esgale. - M. Beck a si bien fuy qu'il nous a laissé l'une de ses pieces de canon. Nous luy avons tué cinq ou six hommes, et en avons en deux de blessez senlement. Au camp à Berveld Capelle, au païs de Waes, le 3e d'Octobre 1645. |
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