Briefwisseling. Deel 2: 1634-1639
(1913)–Constantijn Huygens– Auteursrecht onbekend
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1281. Aan J.L. Guez de BalzacGa naar voetnoot1). (K.A.)Je n'iray pas si avant que vous, mais je commenceray de bien plus loin. Car, au pas que nous tenons, il y a plus d'icy en France qu'aux Molucques, et j'ay à vous rendre compte de trois de voz pacquets, qui en ont faict le chemin en un an et beaucoup de moiz. Le premier arriva sans date et muet, mais trois PrincesGa naar voetnoot2) ont parlé pour luy aux Sieurs van der Mijle, Heinsius et moy; suiviz de trois mains vuides de grand papier, comme d'une livrée blanche, hyeroglyphe, dont le mystere me demeure incognu jusqu'à present. Le second supplea largement au default et m'apporta l'ample censure qu'il vous a prins envie de donner à l'Infanticide de nostre amiGa naar voetnoot3), mais tout cela en aage de sept ou huit moiz. La troisiesme depesche, presque autant vielle que les autres, me fut rendue à l'armée dans deux jours apres la perte du fort de SchenckGa naar voetnoot4); d'où il est à propos que j'entame la justification de mon silence sur ce que vous pouvez imaginer des occupations de ma charge en des tourbillons d'estat de tant de consideration. Je revins pourtant à moy et de ce degré à vous, Monsieur, dans quelque temps apres, et m'estant esgayé dans la lecture des illustres Poesies de Mons.r FavereauGa naar voetnoot5), m'en deschargeay, selon la clause fideïcommissaire de vostre derniere volonté, sur Monsieur Heinsius, de qui je receus bien la response dont ce pacquet ne sera que l'enveloppe. Ce fut sept semaines depuis la date de ce que je luy en avoy escrit. A toute periode il fault que je vous ennuye de ce calcul, car il m'importe que vous ayez cognoissance d'une infinité de traverses, que je ne sçay, quel demon, Juif, ou payen, ou neutre, et hors de controverse, va fourrant parmi le peu d'intervalle qu'il y pourroit avoir entre noz conferences. Mais en effect vous trouverez les causes de ceste derniere longueur dans la calamité publique de nostre Academie, d'où la contagion desmesurée ayant enfin faict desloger M. Heinsius, qui s'y estoit par trop hazardé, j'estime que mon pacquet, adressé au lieu de sa demeure ordinaire, y aura croupi un temps soubs la negligence de quelque valet et puis aura cerché le maistre en vain, avant que de sa proumenade il ayt esté establi en ceste retraicte, d'où il vous escrit, et qui vous semblera, comme à moy, nimium vicina CremonaeGa naar voetnoot6), quand la carte du païs vous dira, qu'il n'est qu'à une grosse heure de la miserable Leiden, où il ne restera tantost que les morts pour enterrer les mortsGa naar voetnoot7). Mais vous attendez, Monsieur, une histoire de plus d'importance sur le subject de vostre discours, et vous tarde asseurement de sçavoir, pourquoy on a tant mis à y respondre. Je vous puis dire là dessus, que si vous sçaviez, combien peu d'heure il y a esté employé, ce seroit le premier subject de vostre estonnement. Et certes, dans les grandes occupations que se donne M. Heinsius et que luy donnent de loin tous les grands personnages de la Chrestienté, c'est chose assez incroyable, comme il a achevé cest escrit, tost apres que je l'avoy encor sceu dans la deliberation, s'il y debvoit mettre la main ou point. Car il a branslé la dessus, et je vous en diray la raison tantost, si mon loisir et vostre patience le souffrent. Icy faut il que je revienne aux embaraz, aux desastres, aux puissances de l'air, que j'ay dit voltiger entre vous et moy. Je prins a charge de faire transcrire la minute de l'amy, qu'une apresdinée nous avions leuë en carosse, comme à ma longue instance il s'estoit venu esgayer quelques jours chez moy. J'eus de la peine à trouver un homme qui s'en peust acquitter à mon gré. Trouvé qu'il fut et en oeuvre, on m'advisa, qu'un enfant luy mouroit de la peste, que l'affliction le destournoit de ma besoigne, pressée, à cause du departement de l'armée que je sçauray estre proche. Aussitost je la luy fay oster et tout en mesme temps nouvelles vienent de la marche effective de l'armée françoise vers le Luxembourg. De là d'autres divertissements et bien esloignez des combats en papier; tout le monde à cheval et moy en presse d'affaires, à l'ordinaire de noz sorties en campagne. Le meilleur expedient me sembla de faire porter quant et moy mon depost, si peut estre au loisir de quelque siege un honest' homme se trouveroit, qui me prestast sa plume assez sçavante à copier ceste diversité de langages. Mais de cela point de nouvelles en tous les coings | |
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d'armée que j'ay faict fouïller, et de vray, Monsieur, comment n'avons nous pas roullé l'esté passé? Quelle est la sepmaine de noz gazettes, que vous avez trouvé compatible aveq le seul souvenir des Muses? Quelle furie de Jeruzalem ou de Rome esgale à celles des trois fleaux de Dieu, qui nous exercent jusques à present? Enfin rejetté aveq ces trouppes dans noz terres, apres avoir un peu respiré de la calamité, qui nous a oblige de les veoir ruiner, la plus proche ville du camp m'a fourny à peine la main que vous voyez, n'estant plus resté d'apparence d'en envoyer cercher en Hollande, où dorenavant tout escrivain est en soupçon d'empoisonner son lecteur. C'est le recit, Monsieur, que j'ay pensé debvoir à votre satisfaction, à l'honneur de M. Heinsius et à mon innocence dans ce grand delay, que Mons. d'AiguebelleGa naar voetnoot1) me promet d'abreger par la seureté de ses adresses. Pour ce qui est du reste, un personnage plus versé en Hebreu que je ne suis et qu'il semble que vous ne voudriez l'estre, a suppleé le peu de mots de ceste langue que vous trouverez icy. La reveuë du Grec et du Latin, où mon escrivain avoit beaucoup faict de violence à l'exacte curiosité de l'auteur, a esté de ma tasche. Et en somme me voyci à l'entrée de ma lettre, que je debvoy commencer, en vous disant, que voyci la duplique de M. Heinsius sur les doubtes que vous avez meuz d'abord et soustenuz depuis. Si je n'y adjouste rien de mon sentiment, souvenez-vous, que je n'ay point esté appelé à seoir comme juge de la lice, mais à tenir ferme, comme le faquin, sur qui vous rompiez voz lances de part et d'autre. Le reste seera mieux à ces grandes ames de M. l'archevesque de ThoulouseGa naar voetnoot2) et M. l'evesque de Nantes, dont je revere les portraicts de vostre main, non pas sans doubte toutefois, si, en vostre endroit, leur arrest n'approchera de l'opinion de l'orateur ancien: Eum, qui declamationem parat, scribere non ut vincat, sed ut placeat; cupere enim se approbari, non causam. Car vostre grand adversaire me commande de croire qu'il y a plus de gayeté que de bon escient en vostre plaidoyé. Je me licentieray un peu seulement et la piece de bois parlera, pour vous prier tous deux, que les aigreurs soyent tousjours loing de la dispute. J'en ay fort requis M. Heinsius, mais il s'est plaint d'abord, qu'à son regret extreme on l'agaçoit au contraire et que voz roses piquoyent plus qu'il n'avoit merité, ni les gens du mestier accoustumé de souffrir sans ressentiment, chose que j'ay veu luy desplaire d'autant plus, qu'elle luy rendoit ambigues les offres de vostre amitié. Et c'est de ces reflexions que partoit le doubte, dont j'ay parlé, s'il debvoit respondre ou couper broche à des amertumes, naissants de la douceur de ces exercices. Quoyque c'en soit, Monsieur, vous me pardonnerez bien d'avoir tousjours maintenu la candeur de voz intentions contre ce qu'il a pensé avoir subject d'en imaginer, et trouverez bon, s'il vous plaist, que je persiste à vous tenir uniz, sauve la dissention de lettres, tant que' ne m'en donnerez autre ordre. Je le veux ainsi de mes propres mouvements et seray bien trompé, si vous venez à m'en desadvouër. - Il reste de vous satisfaire sur les questions que vous proposez touchant d'autres circonstances de ce grand personnage. Le catalogue de ses oeuvres, dont je feray joindre la copie à ce pacquet, vuidera le premier article; l'original est de sa main et de là cher aux mienes, qui manient tout ce qui vient de luy avec reverence, ὡς ὑπερϕνὲς τὸ χρῆμα καὶ δαιμόνιον. Je ne sçay quels de ces livres vous aurez veuz. S'il vous en manque en France, j'y suppleeray d'icy, selon la liste que vous m'en envoyerez, esperant qu'en cest intervalle la communication des librairies de Leiden, où maintenant il n'y a point d'acces imaginable, se rouvrira. Pour ce qui est de son aage, s'il n'a passé les 50 ans, il en est à la veilleGa naar voetnoot3). Mais sur de ses effigies et ailleurs cela se trouve plus exactement. Sur l'enqueste de la personne et qualitez de feu le S.r RutgersiusGa naar voetnoot4), son beaufrereGa naar voetnoot5), il m'escrivit un jour ces mots: Rutgersium, affinem meum, si e plurimorum scriptis, etiam quae eius nomini inscripta sunt, non didicit, Gustavi Magni regium consiliarium fuisse et in tota fere Germania, Dania ac Belgio ad tempus oratorem, obiter moneri poterit. Tel l'avons nous cognu, personnage celebre et pro- | |
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prement magnae ac variae eruditionis, de quoy en sa jeunesse AdversariaGa naar voetnoot1), qu'il a faict imprimer en assez gros volume, ont faict foy au monde. De la soeur de cestuy ci, tres honeste femme - qui le laissa veuf il y a pres d'un an - il y a un fils, qui reussit grandement aux estudesGa naar voetnoot2), et je ne sçay quels autres enfants. Les appointements qu'il tire de la Republique sont mediocres, mais plusieurs: en qualité d'historiographe de l'Estat, charge, dont aussi le feu Roy de Suede l'a honoré aveq tiltre de conseiller et quelque emolument. Celuy de chevalier luy a esté porté de Venise, non brigué, ni mendié, mais receu des mains de l'ambassadeur de ceste republique, soubs une jolie protestation en forme de petite harangue, nerveuse et masle, qui se trouve dans quelqu'une de ses oeuvres. Tel est l'exterieur, Monsieur, de ce rare esprit, que je m'asseure que vous estimez. Je vous en depeins l'escorce, parce que l'avez desiré. Sans vostre curiosité tout cela n'est pas digne d'estre nommé en mesme page aveq Heinsius, tant cheri pour autre chose, tant cognu, tant admiré, tant recerché jusqu'à Rome et partout ailleurs, soubs conditions avantageuses et promesse d'entiere liberté de conscience, dans le mesme Vatican. Ay-je pas bonne grace de vous avoir protesté d'entrée, que je n'alloy gueres loing, et de m'estre proumené jusqu'à ce quatriesme fueillet? Mais c'a esté en vous suivant; vous n'y trouverez que ma promptitude à redire, et passe donc pour ce coup; une autre fois vous pourrez m'examiner aveq plus de retenue et ma response en suivra les mesures. Et d'abord je me hasteray vers la fin, comme j'ay bien envie de faire icy, mais apres deux questions que je vous doibs en eschange: où est ce volume de voz discours et cest autre de voz lettres, que vous nous promettez de devant 18 moizGa naar voetnoot3), et puis, quelle interpretation nous debvons à ce papier blanc, dont j'ay parlé. S'il a servi à me sommer d'escrire, voyci de quoy le remplir à peu pres. Si à autre intention de vostre service, obligez moy de m'en esclarcir. Je sers mieux que je devine, et ne tiendra jamais qu'à vous que je ne soye trouvé à toute espreuve..... Panderen, le 3 de Novembre 1635. Sur le point de fermer ce pacquet je reçoy de M. Heinsius la belle anatomie que vous luy avez representée de M. Favereau, et ce sçavoir aussi universel que le nom de la vertu me ravit hors de moy, mais non pas sans confusion, de ce que vous l'ayez voulu forcer à descendre de son throne pour recercher mon amitié. Elle luy seroit açquise, s'il y avoit de la relation supportable entre nous. Maintenant tout ce que je luy offre de plus familier que l'admiration, profane la reverence que je luy doibs et defereray tousjours..... |
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