Les quatre incarnations du Christ. Poésies volume 4
(1877)–André van Hasselt– Auteursrechtvrij
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Seconde partie.
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L'Établissement des chemins de fer en Belgique.Novus.....nascitur ordo. L'esprit de l'homme est grand. Il sonde toutes choses.
La nature pour lui n'a plus de pages closes,
Livre prodigieux dont les textes vivants
Nous parlent par la voix des forêts et des vents.
Pour son oeil clairvoyant Isis n'a plus de voiles
Il sait dans tous les cieux les orbes des étoiles,
Et quel travail se fait, oeuvre obscure des temps,
O Cybèle féconde, en tes flancs palpitants.
Il s'ouvre dans les airs des routes inconnues.
Il prend avec sa main la foudre dans les nues,
Ainsi qu'un oiseleur un oiseau dans ses rets.
De tout sphinx, comme OEdipe, il surprend les secrets.
Dans sa langue nouvelle, idiome électrique,
Il fait dialoguer l'Europe et l'Amérique,
Et, dans un même instant, ses signaux, faits d'éclairs,
Parlent, et sont compris au bout de l'univers.
Océan, pour franchir tes gouffres et tes lames,
Ses nefs n'ont plus besoin de voiles ni de rames;
Dans leur sein, pour donnor la vie à leur torpeur,
Comme un sang généreux, il verse la vapeur.
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Du fer, du feu, de l'eau rompant le long divorce,
Il associe en eux sa pensée à leur force.
Les éléments lui sont de dociles agents,
Des ouvriers soumis et presque intelligents.
C'est ainsi que, domptant par degrés la matière,
Il la vaincra, Seigneur, quelque jour tout entière;
Et si, devant toi seul, il demeure ébloui,
Dans ta création il est presque chez lui.
Mais c'est vous qui surtout, miracles de ses veilles,
Ouvrez à l'avenir une ère de merveilles,
O routes de métal, où, sur deux rails jumeaux,
Vont, comme les coursiers du songe de Pathmos,
Vos monstrueux chevaux de fer, zébrés de cuivre,
Dont lui-même notre oeil a de la peine à suivre.
Vers l'horizon, bordé de son cadre d'azur,
Le vol plus prompt qu'un dard lancé par un bras sûr.
Franchissant tour à tour montagnes et vallées,
Et fleuves mugissant dans leurs rives troublées,
Et vastes Saharas de sable et steppes verts,
Vous reliez entre eux les Océans divers.
Vous changez en détroits les isthmes que tourmente
Sans fin le double assaut de la vague écumante.
Pour vous rien n'est obstacle. Ici vous traversez
Les rochers de granit que la mine a percés.
Là, sur des bras de mer jetant vos ponts qui torment,
Vous courez par-dessus les vaisseaux qui s'étonnent
De voir passer plus haut que leurs mâts dans les airs
L'orage de vos trains fait de bruit et d'éclairs.
Vous rapprochez ainsi, les uns des autres, - races
Et peuples dont Babel n'a pu suivre les traces,
Et continênts déserts et continents vivants,
Tous les pays épars sur la rose des vents.
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Parmi vingt régions qu'on nomme ou qu'on ignore,
De l'aurore au couchant, du couchant à l'aurore,
De l'équateur au pôle et du Nord au Midi, -
Du globe plus étroit, mais pourtant agrandi,
Vous semez les trésors et faites le partage
De tout ce que produit le commun héritage.
Aux déserts, endormis dans leur stérilité,
Vous rendez l'abondance et la fertilité,
Comme vous dispensez la lumière et la vie
Aux nations dont l'âme, à leur corps asservie,
Oublie ou n'a jamais connu le vrai chemin
Où l'esprit da Seigneur conduit le genre humain.
Belgique, ce fut toi qui traças la première
Sur notre continent ce sentier de lumière,
Dont un bout touche au lit où dort le flot marin
Et dont l'autre à l'Escaut joint son frère le Rhin.
C'était le lendemain de ta grande victoire.
Tu venais de tirer du tombeau de l'histoire
Et de rendre à tes fils, longtemps déshérités,
Les titres de nos droits et de nos libertés.
Bruxelles de ses morts fermait les nobles tombes.
Anvers brûlait, battu d'une grêle de bombes,
Mais dévorait, brasier plein d'éclairs bruissants,
Le joug que ton épaule avait porté quinze ans.
Alors à la cité, glorieuse rebelle,
Tu dis: ‘Console-toi; tu renaîtras plus belle;
Car je veux voir un jour les trois fleuves du Nord.
L'Escaut, le Rhin, la Meuse, aborder dans ton portGa naar voetnoot(1);
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Et tu commenceras ce chemin qui prépare
Aux peuples que la haine ou l'intérét sépare,
En faisant un courant de leurs courants divers,
Cette fraternité que rêve l'univers.’
Et ce projet, ce fut ta dot, ta bienvenue,
Quand l'Europe unanime enfin t'eut reconnue,
Et que des nations la familie en chantant
T'eut saluée ainsi qu'une soeur qu'on attend.
Gloire à toi qui jamais ne restas en arrière,
Ni devant le progrès n'élevas de barrière,
Mais qui marches toujours, malgré l'ombre et le vent,
A travers tout obstacle, ô patrie, en avant,
Et dont lepied, depuis que l'aube au ciel s'apprête
Jusqu'à la nuit, chemine et va sans qu'il s'arrête,
Ainsi qu'un voyageur, bien avant dans le soir,
Presse encore le pas et ne veut point s'asseoir!
Gloire à toi! Car, avec nos jours les plus prospères,
Tu rends au coeur des fils le saint orgueil des pères,
Citoyens au forum et rois dans l'atelier,
Géants que rien jamais ne put faire plier,
Et qui, serfs anoblis du sol de l'industrie,
Surent faire ton nom si grand, ô ma patrie,
Qu'en son livre, où des temps souffle l'immense esprit,
L'histoire nous le montre à chaque page écrit.
Sur l'oeuvre d'avenir par tes mains commencée
Promène, après un quart de siècle, ta pensée.
A voir ce que le bras des nations a fait,
Notre esprit ébloui demeure stupéfait.
Le ruisseau devient fleuve, et le gland devient chêne,
Et dans l'ordre éternel des choses tout s'enchaîne.
A ton labeur chacun a voulu prendre part,
Et l'exemple fecond prêche de toute part.
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Ton rêve s'accomplit, et la route est frayée.
De ses lignes de fer vois l'Europe rayée.
Vois les waggons actifs rouler incessamment,
Traînés par leurs coursiers pleins d'un sourd grondement.
Là, vers le Sud joyeus où les mers d'Italie
Chantent leur chant de gloire au passé qu'on oublie;
Là, vers la zone morne où l'Ourse au fond des cieux
Fait dans l'ombre nocturne étinceler ses yeux.
D'un côté, les voici qui marchent vers l'aurore
D'où l'orbe du soleil monte dans l'air qu'il dore;
De l'autre, les voilà qui courent en grondant
Vers les bords où la nuit va chercher l'occident.
Regarde et bats des mains! Car la route féconde,
Sillon où germera l'esprit nouveau du monde,
Doit traverser un jour toutes les nations
Et faire un but unique aux générations.
A l'Europe l'Asie et l'Afrique liées
Ensemble reliront les pages oubliées
De leur commune histoire et des fastes lointains
Où la main éternelle a trace leurs destins.
On verra s'accomplir la parole prédite.
Plus de race opprimée ou de caste maudite;
Et, selon l'Évangile, enfin, l'humanité
Se recomposera dans sa vaste unité.
Au banquet du Seigneur chacun aura sa place.
De son rôle exécré la guerre sera lasse.
Tous ceux qui tireront le glaive serout mis
Au ban du monde entier comme ses ennemis.
Les hommes, oubliant leurs haines séculaires,
Ne se nommeront plus que du seul nom de frères.
Tous les coeurs sortiront de leur stérilité.
Le vrai trésor de tous sera la liberté;
Et les peuples, un jour - avenir magnifique! -
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Reprenant en commun leur labeur pacifique,
S'appliqueront, bannis rentrés dans leur Sion.
A défricher le champ de la création.
Car vous, produits, et vous, forces de la nature,
Que la bonté de Dieu livre à la créature,
Gaz qui vous élevez, pesanteur qui descends,
Fleuves qui vous tordez dans vos lits frémissants,
Torrents qui sillonnez les flancs de la colline,
Animaux que le joug ou le frein discipline,
Soufflés puissants du vent qui dans l'air bruissez,
Plantes qui vêtez l'homme ou qui le nourrissez,
Météores, saisons, astres, chaleur, lumière,
Soleil toujours brillant de ta beauté première,
Océans où l'oeil voit, comme dans un miroir,
Éclore chaque étoile aux approches du soir,
Gazons verts émaillés des diamants de l'aube,
Houille et métaux cachés dans les veines du globe,
Moissons dont les épis hérissent les guérets.
Arbres, piliers vivants du temple des forêts,
Vous êtes le milieu, vous êtes le domaine
Que le Créateur fit pour la familie humaine,
L'atelier qui pour nous travaille jour et nuit
Et que l'esprit d'en haut seul dirige et conduit.
Mais l'avenir nous marque un but plus haut encore,
Et l'homme attend toujours sa véritable aurore.
De sa nuit, un matin, le vrai jour doit sortir,
Que Dieu, depuis Adam, nous a fait pressentir,
La foi, cette unité finale des croyances,
Dont tout sage, à travers les brumes des sciences,
A cru voir poindre l'aube à l'horizon des cieux,
Et qui doit éclairer à la fin tous les yeux;
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Car il faut bien, quand l'ombre autour de nous s'èfface.
Que la lumiere aussi dans les âmes se fasse.
Depuis Homère, issu d'Orphée et de Linus,
Cycliques moissonneurs de mythes inconnus,
En vain Platon medite, en vain Socrate songe
Mêlant la poésie aux rêves du mensonge;
En vain, l'un affirmant, et l'autre disaut: ‘Noli,’
Pythagore ébloui ferme l'oeil de Zénon;
Sur les monts de Chaldée en vain les Zoroastres
Diseutent dans la nuit le langage des astres
Et cherchent, feuilletant le livre ouvert du ciel,
Le problème du monde et celui du réel;
En vain Lucrèce, armé du flambeau d'Epicure,
Sonde les profondeurs de sa pensée obscure;
En vain Spinosa, plein da doute qui l'absout,
Sans trouver Dieu dans rien, croit l'entrcvoir dans tout
Et, songeur égarè, s'aveugle dans ses rêves,
Plus mobiles qu'au vent les sables sur les grèves.
Les siècles trop longtemps ont vu l'humanité
Avec des blocs d'erreurs bâtir sa vérité,
Architecte insensé dont la main indécise
Replâtre constamment cette tour mal assise,
Hélas! dont Dieu n'a pas pétri le fort ciment
Ni sur le dur granit posé le fondement.
Et les hommes disaient: ‘C'est la tour solennelle,
Le fanal d'où jaillit la lumière éternelie,
Le phare de clartés où tourne incessamment
Tout oeil, comme le fer, ô pôle, à ton aimant.’
Et, quand chacun de ceux qui vont marchant dans l'ombre
De cette autre Babel montait l'escalier sombre,
Et que son pied touchait le faîte aérien,
Il croyait voir bien loin, - mais il ne voyait rien.
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Seuls, interrogateurs des choses éternelles,
Les prophètes, voyants aux ardentes prunelles,
Savent tout ce qu'a dit le passé ténébreux
Et tout ce que parfois se révèlent entre eux
Les siècles qui s'en vont et les siècles qui viennent.
Leuvs yeux ayant tout vu, de tout ils se souviennent.
Et l'avenir profond, sondé par leur esprit.
Leur a montré partout le grand Exode écrit,
Le règne de Saturne annoncé par Virgile,
La promesse changée en fait par l'Évangile,
Où le Christ, rachetant la race des maudits,
Pit du noir Golgotha le seuil du paradis.
Or, les temps vont venir de bâtir d'autres pierres,
Vérité qui dois luire à toutes les paupières,
Ton palais éternel, où tout le genre humain,
Constructeur unanime, un jour mettra la main.
On verra chaque race, architecte ou manoeuvre,
Apporter son travail et concourir à l'oeuvre;
Chaque peuple, sculpteur que le Seigneur bénit,
Tailler son bloc de marbre ou son bloc de granit;
Et, pour mieux achever la tâche commencée,
L'un prodiguer son bras, et l'autre, sa pensée.
Ainsi, ce temple, avec l'esprit de Dieu construit,
Sera de ceux que rien dans les temps ne détruit;
Car toi, douce Espérance, et toi, Charité sainte,
O soeurs, vous en aurez trace l'auguste enceinte,
Et votre double nom sur la façade écrit,
Vous le couronnerez du nom de Jésus-Christ!
Janvier 1859.
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