Archives ou correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau (première série). Tome IV 1572-1574
(1837)–G. Groen van Prinsterer– Auteursrechtvrij62.
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Ga naar margenoot+naguières retourné vers luy, et entendu bien amplement par ses propos, que S.M. voulloit le tout interpréter comme si on luy voulloit donner loy en son royaulme; cependant l'intencion du dit Seigneur Conte n'estoit telle, ains de franchement et rondement monstrer à S.M. les seuls moyens qu'il cognoissoit y avoir pour parvenir à ce qu'il prétendoit, sçavoir à contracter une ferme amitié et bonne intelligence avec les Princes Protestans, pour faire perdre et évanour le maulvais bruit qui court par tout de sa dite M., tant en devis ordinaires, peintures, que livres diffamatoires, et à ce qu'elle se peult asseurer d'une bonne assistance contre le Roy d'Espaigne, duquel elle descouvre tous les jours beaucoup de maulvaises vouluntez en son endroict; et d'autant que ceste interprétation faict que le Seigneur Conte craint que on n'ayt faict entendre à S.M. ce qu'il désire qu'elle sache et qu'il juge en saine conscience ce qui est convenable pour parvenir au bien où S.M. tend, il luy a despesché le Seigneur ChastelierGa naar voetnoot(1), pour l'informer bien particulièrement de sa conception et de ce qu'il voit expédient pour obtenir ce qu'elle veult; supliant S.M. de croire que ce n'est d'aulcune | |
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Ga naar margenoot+passion particulière ou affection qu'il ayt à aultre chose que la voir en meilleure réputation qu'elle n'est entre les Princes et potentats estrangiers, et l'eslongner de la ruyne qui la menace de si près. Ces moyens estoient que S.M., pour venir au dessus de ses fins avec les dicts Seigneurs Princes Protestans de recouvrir la réputation dont les exces passez l'ont des pouillé, cessast en premier lieu de faire la guerre à ses subjectz de la religion, qui est le vray et seul fondement sur lequel elle peult rebastir de nouveau sa réputation et tout ce qu'elle voudra avec les dicts Princes; car aultrement il n'est possible de rien avoir. Ils fondent tous leurs comportemens sur cela, car ilz ne pourront jamais espérer ferme amitié et alliance avec S.M., pendant qu'elle [se] monstrera tant contre eulx en ce poinct principal de la religion, qui a tant de commandementz sur les actions des hommes, partant qu'il est nécessaire, pour donner le blancGa naar voetnoot1 où S.M. a les yeulx fichez, qu'elle laisse premièrement ses subjectz de la religion en paix. Et, affin que S.M. pense que ce ne sont point discours en l'air, le Seigneur Conte le supplie de se souvenir que çà esté la source de la réputation qu'elle avoit, et d'avoir mémoire de ce qu'il luy dict le premier jour qu'il arriva aprèsGa naar voetnoot2 LoysGa naar voetnoot(1) au soir, et plusieurs fois encoires pendant le traicté du mariage du Roy de Navarre, que, pour ce que S.M. avoit tant tra- | |
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Ga naar margenoot+vaillé à mettre paix entre ses subjetz et libéralement permis à iceulx l'exercisse de la religion, les dicts Seigneurs Princes désirant estre tousjours conservez en semblable liberté, luy portoient si bonne affection que, dévisans quelque fois entre eulx, ilz soubhaitoient l'avoir pour Seigneur, le cas advenant qu'on en deust faire élection. Désiroient [unanimement] S.M. soubhaitans son advénement en grandeur, n'ayans rien plus ordinaire en leurs bouches que ses louanges, parquoy le dict Seigneur Conte dict lors à S.M. qu'il espéroit ung jour luy voir la couronne impérialle sur la teste. Que S.M. croye que cela ne venoit point de luy, mais de ceulx qui en ont l'authorité et la puissance; qui, le voyans tellement résolu à la conservation de son Edict de pacification, faysoient leur compte de l'eslire Roy des Romains, en quoy S.M. eust eu cest adventaige d'estre appellée en si grande dignité que les aultres Princes ont accoustemé de briguer et pourchasser par tous moyens, et proposer à ceste fin toutes les plus avantaigeuses conditions qu'ilz peuvent: comme mesme l'Empereur, qui est à présent beau-père de S.M., n'eust jamais esté esleu sans une curieuse solicitude et promesses solemnelles qu'il fist; entre plusieurs aultres il jura de maintenir chascun en la liberté de sa conscience et exercisse de la relligion. C'estoit la mesme raison pour quoy ceulx du Pais-Bas, voyant leur Prince se départir des promesses qu'il leur avoit faictes et des conditions auxquelles il estoit obligé, et que S.M. traictoit si humainement ses subjectz, le souhaitoient de tout leur coeur souverain Seigneur et se jectoient entre ses bras, affin d'avoir la liberté de leur conscience et l'exercisse de la | |
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Ga naar margenoot+religion, et en général jouir de mesme bénéfice que faisoient alors les subjectz de S.M. par sa permission. C'estoit la mesme et principalle raison [qui] meuGa naar voetnoot1 la Royne d'Angleterre de faire alliance avec S.M. peu avant le massacre. Qu'aujourd'huy au contraire sa dicte M. est proche de sa ruyne, son Estat [abbayeGa naar voetnoot2] de toutes pars, et que abandonné en proye à qui s'en vouldra investir; d'aultant que, pour avoir, par l'excez dernier et les guerres faictes auparavant, voullu forcer les consciences de ses subjectz, il est tellement destitué de noblesse et de gens de guerre, voire de la plus fort colomne de sa couronne, qui est l'amour et bienvueillance de ses subjectz, qu'elle resemble à ung viel bastiment qu'on appuye tous les jours de quelques pillotis, mais enfin on ne le peult empescher de tomber. Que S.M. voit l'Espagnol, son ennemy mortel, faire ses choux grasGa naar voetnoot3 de la désolation de ses affaires, se rire à gorge ouverte de ses malheurs, et employer toute son industrie et estude à entretenir les troubles en son royaulme; s'asseurant avec bonne raison que c'est le seul moyen de parvenir à ses fins sans coup frapper, veu que desjà, tant les guerres passées que par le dernier massacre et troubles présens, l'Espagnol a plus affoibli S.M. que s'il eust faict la guerre trente ans. Que l'Espagnol en oultre se sert de l'excez dernier, partout où il peult, contre S.M., comme il a naguières faict en Pologne, ainsi que S.M. l'a assés entendu, et que çà esté la seulle cause de la courtoisie et fidélité dont le Duc d'Albe a ussé envers le Conte à la prinse de la ville de Monts; comme il a depuis dict à plusieurs que c'estoit | |
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Ga naar margenoot+pour monstrer qu'il ne vouldroit point avoir faict ung si meschant acte qu'avoit faict le Roy de France, et qu'il n'estoit point marry de ce qui estoit advenu à feu Monsieur l'Admiral, parcequ'il estoit ennemy capital de son Roy, mais aymeroit mieulx avoir perdu les deulx mains que l'avoir faict. Que S.M. continuat à faire la guerre à ceulx de la religion et ne les point endurer en son royaulme, le Conte le peult asseurer que Monsieur son frère, le laissant en cest estat pour aller en Pllogne, n'y sera jamais le bienvenu, ains ceulx du pais estimans qu'il arrive là pour brouiller les afaires, et que les dicts Sieurs Princes pour semblable occasion, au lieu d'aller au devant par tous les endroictz de son chemin pour luy faire honneur, s'en reculeront de dix lieues loing de peur de le voir; et, [si] au contraire, devant que partir, il se rend moyenneur d'une bonne paix en France, il sera receu, aymé et honnoré autant qu'on pourroit estimer, et les dicts Sieurs Princes l'atendront au passage, pour luy faire tout l'honeur et honneste réception dont ils se pourront adviser. Que S.M. demourant en sa résolution où elle est aujourd'huy, le Sieur Conte ne voit pas qu'il y aye à propos que l'Electeur Palatin envoye vers la Royne d'Anglèterre pour le parachévement du mariage de Monseigneur le Duc et d'elle, et encores moings que ce soit jamais du consentement du dict Sieur Electeur que le Prince Casimir son fils entre au service de S.M., comme le dict Sieur Conte de sa part s'asseure qu'il ne proffiteroit pas beaucoup de l'en solliciter, et ne le pourroit faire aussi en saine conscience, pendant que S.M. sera bandée contre ceulx de la religion. Que S.M. a toutes les honnestes occasions qu'elle | |
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Ga naar margenoot+pourroit soubhaiter pour retirer le bras armé de ses subjectz et cesser de leur faire la guerre, sur ce qu'estant Monseigneur son frère esleu Roy de Pollogne, et désirant y estre bien receu et avec une asseurance de tous ceulx du pais qu'il sera non pas pour les molester au faict de leur conscience, mais pour les entretenir en la liberté où il les aura trouvé, il peult aussi luy-mesme, comme aussi Monseigneur le Duc son frère pour semblable occasion, moyenner envers S.M. qu'elle cesse de tourmenter ses subjetz de la religion; que si aultrement Messieurs ses frères partent, l'ung pour aller en Pollogne et l'aultre en Angleterre, oultre que cela leur viendroit mal à propos pour les occasions susdicts, ils laisseront S.M. avec une guerre sur ses bras, de tant plus difficille et dangereuse, qu'elle auroit encores moings de soullagement beaucoup, et qui pis est, n'auroit personne à qui elle se peust fier de la conduicte de son armée, estans aulcuns très serviteurs affectionez et pensionaires du Roy d'Espaigne, et S.M. se deffiant des aultres à cause des choses passées. Davantaige le Conte ne peult oublier d'advertir S.M. qu'on comence par deçà à se fascher et ennuyer de façons dont on use en France pour négocier, descouvrant qu'on ne procède point rondement et ne se sert-on que de dissimulation, comme ung hameçon; ainsi que naguières avec la Royne d'Angleterre, au traictement du mariage de Monsieur le Duc, on a envoyé soubz main des vaysseaulx de guerre en Escoce pour s'y jecter et entretenir des troubles, et les faire eslargir peu à peu jusques en Angleterre. Que l'on apperçoit ès lettres et parolles de S.M. tant de faintes qu'on ne se peult fier que de bonne sorte; | |
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Ga naar margenoot+comme après les lettres que S.M. escrivit au dit Seigneur Prince despuis la blessure de Monsieur l'Admiral, luy faisant entendre l'extrême desplaisir qu'elle avoit receu d'ung tel accident et qu'elle en feroit une si exemplaire justice qu'il en seroit mémoire à jamais; à deux jours delà, elle la [fist] assez mal. Au surplus tant d'asseurance que S.M. a donné despuis la mort du dict Sr Admiral, en tous les lieux et endroictz de son obéisance, qu'elle ne vouloit, ni entendoit qu'on altérast aulcunement son Edict de Pacification, ne se peult accorder avec la guerre qu'elle faict à ses subjectz de la relligion, et mesmes encoires à ce qu'elle dict ne pouvoir endurer aultre religion en son royaulme que la sienne. Que pour ceste résolution Monseigneur le Prince d'Orange ne peult penser que ce soit d'ung coeur ouvert que S.M. dit qu'elle le veult secourir, à ce qu'elle a faict proposer au Sr Conte sans aulcune condition, et crainton que cela soit sorti d'une mesme [bourque] que les choses précédentes; d'aultant que les lettres de l'Ambassadeur d'Espaigne, lesquelles puis naguières on esté surprinses venant de France au Duc d'Alve, on voit que la Royne-Mère a tenu ce langage; disant le dict Ambassadeur: je ne puis penser que ces tant Chrestiens veullent faire accord avec ces héréticques; parlant ainsi du dict Seigneur Prince à son desavantaige, tant s'en fault qu'on ayt si bonne affection à l'avancement de ses afaires comme l'on dict. Le Conte suplie encores S.M. de se remettre devant les yeulx ce qu'il luy a par plusieurs fois dict du Cardinal de Lorrayne, que ses actions estoient tellement suspectes de tous costés pour la grande intelligence qu'il | |
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Ga naar margenoot+a avec l'Espagnol que, tant que l'on verroit qu'il auroit crédit envers S.M. et manieroit ses afaires, on n'estimeroit qu'elle feist et négociast quelque chose rondement et sincèrement; mesme encoires que le bruict est qu'il a faict offre à S.M. d'une grande somme de deniers pour les employer contre ceulx de la relligion. Supplie davantage le Comte S.M. qu'elle ayt souvenance de ce qu'elle luy a plusieurs fois dit, que, recognoissant bien les maulx qui l'avoient assailli de toutes partz et y ayant, par la grâce de Dieu, remédié par la paix qu'elle avoit eu tant de paine à faire, elle se donneroit bien garde d'y retomber; que toutesfois y estan à ceste heure plus que jamais, par le conseil de ceulx qui, soubs ombre de luy rendre suspects ceulx qu'ilz disent chefs de part, [la solicitent] de s'en défaire par quelque moyen que ce fust, comme elle a faict par le massacre dernier, S.M. le peult bien voir que ce n'estoit pas pour se contenter de cela, mais pour le faire, plus que devant, baigner au sang de ses subjestz, affin d'avancer de tant plus sa ruyne qu'ilz ont pourjettée de longue main; laquelle ruyne S.M. peult toutesfois guérir en faisant une bonne paix en son royaulme, et cessant de tourmenter ses pouvres subjectz de la relligion. Finallement que le Conte désire que S.M. recognust ce point que, encores qu'elle eust reprins toutes les villes que tienent tous ceulx de la religion en son royaulme, il n'auroit pas pourtant exterminé la religion, et considérer que le feu Empereur Charles le quint print non seullement toutes les villes, mais eust entre ses mains ceulx qui s'opposoient à ses desseins, se [saisit] de leur paid d'Allemaigne, d'aultant que c'est une affection enracinée ès coeurs des hommes, qu'on ne peult arracher | |
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Ga naar margenoot+avec les armes. Parquoi le Conte supplie très humblement S.M. que, prenant ses raisons d'aussi bonne part que, sans passion ni afection particulière, mais en rondeur de vérité et saine conscience, il commande au dit Sieur du Chastellier les luy faire entendre, elle les poise et considère de bien près, ne se laissant ainsi flater par ceulx qui font comme les maulvais médecins, ne disans pas aux malades la plus petite partie de leur mal, dont en ensuit la ruyne, mais plustost ceulx qui ne cherchent que son advancement et grandeur. S'il fait cela, les afaires luy succèderont à souhaict, sinon, continuans en ses déportemens, tout ne luy peult réusir qu'à mal et à bander encores davantaige Dieu et les hommes contre luy.
Faict à SichenGa naar voetnoot1, ce premier jour de juing 1573.
Louis de Nassau. |
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