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Pierre Nothomb
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L'Ame du purgatoire
Je suis au fond d'un trou vertigineux et sombre,
Et je roule perdue, au gré des souffles d'ombre,
Sans rien toucher, sans rien entendre, sans rien voir!
Qui je suis? où je vais? d'où je viens?
Je ne me connais pas dans la nuit inconnue:
Plus de sens, plus de corps, plus rien...
Je suis une âme toute nue...
J'ai dormi dans la chair comme en une prison,
Et la mort qui devait briser mon horizon,
Et me précipiter, éblouie, dans la Vie,
A fait de moi une chose inquiète
Sans but, sans cause, sans support,
Sans équilibre, inassouvie,
Et qui s'en va, cherchant son corps,
Ne trouvant rien, sourde, muette,
Je voyais, je parlais, j'aimais,
Répondez-moi! j'étais une flamme vivante!
Et non point comme désormais
Un songe sans raison errant dans l'Epouvante!
Répondez-moi! Du sang fluait, un coeur battait,
J'avais des bras, des mains pour saisir, un visage,
Il y avait un monde, un ciel et des nuages,
Et des êtres autour de moi que je heurtais...
Dans quelle nuit affreuse, ô Dieu, suis-je perdue?
Dans quelle inconsistante et flottante étendue
Suis-je entraînée, jetée, attirée comme si
Une ivresse inconcevable m'avait saisie?
Dans quel gouffre sans fin? et depuis quand y suis-je?
Et quelle vision brisera ce vertige?
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Je sais, je sais! je vois la vie!
Mes yeux s'ouvrent! Encor, encor!
C'est comme si j'avais un corps:
Je vois la vie, je vois la vie!
Dans le fantôme de mes chairs
Voici mes sens qui se réveillent,
Mes mains se tendent, mes oreilles
Perçoivent d'anciens mots si chers...
J'étais là. Dieu! quelle clarté!
Je vois des choses et des ètres...
Et là-bas, cette humble fenêtre,
C'est le foyer que j'ai quitté!
O Nature, vous êtes belle,
Il me semble que je vous vois
Pour la toute première fois,
Et je suis mort, ô Immortelle!
Vous déferlez, vous palpitez,
Vous rayonnez, arbres, nuages,
Fleuves, forêts, villes, visages,
Oh! tout cela qui m'est ôté!
J'y suis, je reconnais, j'approche:
Oh! les parfums de l'univers,
Et le murmure des bois verts,
Le son des cloches et des cloches!
L'Eté qui monte, le Printemps
Qui décroît sur l'autre versant
Le geste clair des bien-aimées!
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J'ai bien aimé, j'ai tant aimé:
O Jeunesse adorable et brève,
Premiers baisers et premiers rêves,
Silence des soirs embaumés,
Les défaillances, les étreintes,
La langueur des avrils nouveaux,
Et l'ivresse de nos cerveaux
Et la volupté de nos plaintes...
O mon enfant, est-ce bien toi
Qui m'apparais parmi les choses?
Musique de tes petits doigts
Enffeuillant le coeur d'une rose...
Tu es de ma chair, tu es né
Dans un matin d'aurore blonde,
Te souviens-tu? j'ai pris le monde,
Mon enfant, et te l'ai donné!
Bonheur de vivre! bonheur d'être!
Et de respirer la beauté,
Et de rêver, et de chanter,
Et d'assouvir, et de connaître!
Devant mes yeux, décor splendide,
Ville dorée, campagne humide,
Dôme profond du firmament!
Que jusqu'à l'éblouissement
Je me pénètre de vos rires,
De vos rayons, de vos délires,
De tout ce que je ne puis dire!
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Je n'eus jamais plus beau réveil
Ni extase plus enchantée!
Et je tends mes mains exaltées
Vers l'éternité du soleil!
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