'Les relations littéraires entre la France et les Pays-Bas au Moyen Age. Quelques observations sur la technique des traducteurs'
(1967)–W.P. Gerritsen– Auteursrechtelijk beschermd
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fournit le décor de plusieurs chansons de geste, et je peux me référer à mon maître M. Frappier pour dire que Chrétien, dans sa description du château d'Escavalon, a dû s'inspirer de l'activité fébrile de quelque ville flamande qu'il avait vue de ses propres yeuxGa naar voetnoot1. Mais les grands seigneurs qui règnent, dans les Pays-Bas méridionaux, sur un peuple de langue néerlandaise, commandent des oeuvres à des poètes français, ils écoutent des ménestrels et des jongleurs français, et c'est en français qu'ils se font composer leurs manuscrits littéraires. Pour tout ce qui relève de la culture et des belles lettres, il semble n'exister, pour eux, qu'une seule langue: le français. Il n'est pas surprenant qu'un historien comme Pirenne en soit venu à défendre la théorie selon laquelle l'élite aristocratique des Pays-Bas du XIIe et du XIIIe siècle aurait été, dans une large mesure, franciséeGa naar voetnoot2. Mais comment concilier cette théorie avec l'existence de ces dizaines d'adaptations moyen-néerlandaises de chansons de geste et de romans courtois? Comment expliquer le fait que des poètes néerlandais ont travaillé avec un succès remarquable dans le style de leurs maîtres français? La réponse à ces questions, donnée par un savant tel que Pirenne, fut aussi simple que catégorique: il n'y a que des traductions, et ‘Aucune de ces traductions ne se distingue ... par le moindre mériteGa naar voetnoot3’. Ce ne seraient que des calques incolores de leurs originaux français, confectionnés à la commande de riches bourgeois désireux d'imiter l'aristocratie. Selon cette théorie, il faut attendre le jour où le bourgeois des grandes villes flamandes prendra conscience de lui-même pour voir émerger, du fatras des imitations, une littérature vraiment néerlandaise. Mais ce sera alors une littérature où dominent les vertus bourgeoises. On n'y entend plus le trot des grands destriers, mais l'homme nouveau des villes y trouve de quoi satisfaire son désir d'instruction; il y trouve une édification pratique, et un amusement répondant à son goût pour l'humour narquois. C'est dans ce dernier genre que cette littérature bourgeoise atteint son apogée: dans la satire du Reynaert, inspiré il est vrai du Roman de Renart français, mais devenu, par la maîtrise de son auteur génial, l'incarnation même de l'esprit flamand. Une littérature secondaire, pour ne pas dire: de seconde main, ne présentant qu'une image affaiblie des oeuvres françaises qu'elle | |
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imite, et d'un esprit plutôt bourgeois qu'aristocratique - voilà la conception qui semble toujours dominer la pensée des rares savants qui se sont prononcés sur les chansons de geste et les romans courtois en moyen-néerlandais. Toutefois, pour avoir l'avantage de la simplicité, cette conception manque de nuances, voire de bien-fondé. Qu'on me permette de généraliser en indiquant quelques facteurs qui ont pris part à la formation de ce jugement sévère sur la littérature moyen-néerlandaise d'inspiration française. Il y a d'abord le fait que les recherches sur l'ancienne littérature des Pays-Bas n'ont jamais été exemptes d'un certain nationalisme. Les savants belges et néerlandais ont souvent eu de la peine à admettre que leur littérature médiévale ait été dans une si large mesure redevable à la littérature française. Il leur était difficile de considérer cette influence française autrement que comme un ‘envahissement par une culture étrangère’ qui aurait étouffé la littérature nationale. Les savants étrangers, pour leur part, se sont souvent tenus sur la défensive. Convaincus d'avance, semble-t-il, de l'absence de toute originalité chez les poètes néerlandais, une version inconnue d'une chanson de geste, un roman arthurien n'existant qu'en néerlandais, n'attesterait que l'existence d'une oeuvre française perdue, et n'en serait qu'une traduction fidèle et sans écarts. Puis, deuxième facteur qui a empêché, pendant longtemps, l'étude des adaptations moyen-néerlandaises de prendre son essor: le peu d'estime que les érudits des générations précédentes ont porté au travail des traducteurs du Moyen Age. A la recherche surtout de l'originalité de l'oeuvre médiévale en tant qu'expression du génie national, ils n'ont eu que peu d'attention pour ce qui pourrait être appelé ‘l'internationalisme’ de la littérature du Moyen Age. Ils avaient bien vu que, dans une grande partie de l'Europe médiévale, les mêmes contes et légendes, les mêmes épopées et romans, avaient été écoutés ou lus. Ils s'étaient bien rendu compte de l'existence d'un stock commun de littérature européenne. Mais, plus occupés par les problèmes des sources et des origines, ils ont souvent négligé de considérer les divers aspects de la technique littéraire. Et c'est surtout dans sa technique littéraire qu'il faut étudier l'oeuvre d'un adaptateur médiéval. Après avoir signalé ces sentiments et attitudes, revenons-en aux faits. Car c'est dans ce domaine-là qu'on trouve la raison la plus importante pour le peu d'intérêt qu'a soulevé la littérature épique et courtoise en moyen-néerlandais. Il faut alors constater que la tradition manuscrite de cette littérature est des plus défectueuses. | |
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Cela est dû à des causes dont on remarque les effets sans doute également dans l'histoire d'autres littératures, mais qui nulle part ailleurs ne semblent avoir été aussi désastreuses qu'aux Pays-Bas. Tout comme en France et en Allemagne, le niveau social du public qui s'intéressait à des contes médiévaux a graduellement baissé depuis les révolutions matérielles et spirituelles du XVIe siècle. Mais dans ces pays-là, les vieux manuscrits ont souvent été conservés dans la sûreté d'une bibliothèque princière ou comtale, où ils ont pu attendre le jour de leur redécouverte par les érudits d'un autre siècle. Aux Pays-Bas, par contre, où les grandes bibliothèques étaient presque toutes dispersées, l'oubli de la littérature médiévale a revêtu un caractère pernicieux. L'imprimerie a porté quelque intérêt aux manuscrits littéraires, en tant que textes, en vue de la production de livres populaires, dans lesquels les anciens récits du Moyen Age ont été lus jusqu'au début de notre siècle par un public peu cultivé. En revanche, son industrie annexe, la reliure, a porté préjudice aux manuscrits pour en avoir employé le parchemin à la fabrication de forte colle et de couvertures. Aussi, ce qui nous a été sauvé du naufrage du XVIe siècle, n'est-il pas plus que les débris, jetés par hasard sur la côte, d'une flotte à jamais disparue. On peut compter sur les doigts de deux mains les manuscrits littéraires moyen-néerlandais qui nous sont parvenus en entier; ils datent tous du XIVe siècle ou d'une époque plus tardive encore. Mais d'autre part, il y a des centaines de fragments, dont l'étendue varie des quelques vers lisibles sur une rognure détachée de la nervure d'un livre imprimé aux milliers de vers que contient une liasse de plusieurs cahiers. C'est à ces manuscrits et fragments qu'on en est réduit pour se former une idée de ce qu'a été la littérature écrite des Pays-Bas aux XIIe et XIIIe siècles. L'étude de ces fragments, par exemple de ceux qui ont été conservés de l'adaptation du Moniage Guillaume et qui ne comptent qu'environ 500 vers, ou des 195 vers qui nous sont parvenus du Girart de Vienne moyen-néerlandais, est souvent décourageante. On en viendrait à envier les médiévistes français qui, eux, travaillant sur des textes beaucoup mieux attestés, se sont souvent plaints de la difficulté d'établir le classement de manuscrits qui se comptent par dizaines... Et ceux d'entre vous qui ont travaillé sur des fragments de manuscrits savent bien que ces textes fragmentaires ont la fâcheuse habitude de ne commencer qu'après et de s'arrêter avant les endroits où le texte offre le plus d'intérêt. Cependant, il ne faut jamais oublier qu'un fragment, aussi court soit-il, peut éclairer toute une période, ou attester l'existence de rapports litté- | |
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raires à peine soupçonnés. Et à celui qui sait se contenter de l'état fragmentaire de la tradition manuscrite, la littérature moyen-néerlandaise réserve des terrains encore guère explorés, et qui l'invitent à d'intéressants examens. Avant d'aborder les questions relatives à l'art des traducteurs et des adaptateurs néerlandais, il faudrait que je dresse le bilan des oeuvres de ceux-ci. Mais comme l'énumération de tous les textes français dont il existe des versions moyen-néerlandaises serait longue et sans grande utilité, je me limite à un rapide aperçu dans lequel je ne relève que ce qui m'a l'air d'être représentatif. L'épopée française a connu, semble-t-il, une grande vogue aux Pays-Bas. Parmi les nombreuses adaptations de chansons de geste, je mentionne celles de la Chanson de Roland, d'Ogier le Danois, du Renaus de Montauban, de l'immense cycle des Lorrains, du Flovent et de l'Huon de Bordeaux. Le roman dit ‘antique’ est représenté avant tout par la célèbre traduction du Roman d'Eneas par Henri de Veldeke (bien que l'attribution de cette oeuvre à la littérature moyen-néerlandaise soit douteuse puisqu'elle n'existe qu'en allemand), et, ensuite, par les textes néerlandais qui dérivent du Roman de Troie. En ce qui concerne la ‘matière de Bretagne’, qui, aux Pays-Bas, a donné lieu à une véritable floraison littéraire, je relève les traductions du Perceval de Chrétien de Troyes (accompagné de la Première Continuation), du Fergus et de la Vengeance Raguidel. Des romans arthuriens en prose, le cycle Joseph d'Arimathie-Merlin a été traduit en vers, ainsi que le cycle Lancelot-Queste del Saint Graal-Mort Artu. Mais il y a plus: outre cette dernière traduction en vers du Lancelot en prose, qui fait partie de la vaste Compilation de Lancelot moyen-néerlandaise, il en a été fait une deuxième, elle aussi en vers, et une troisième, celle-là en prose. Et d'après certaines indications, deux versions allemandes du Lancelot en prose seraient traduites en allemand par l'intermédiaire de deux autres traductions moyens-néerlandaises - ce qui porterait à cinq le nombre des traductions indépendantes de ce romanGa naar voetnoot1! Ce phénomène, l'existence de plusieurs adaptations moyen-néerlandaises du même ouvrage, n'est pas unique: il en est de même pour des oeuvres aussi différentes que la chanson d'Aiol et le Roman de la Rose. De chacun de ces textes, il existe deux versions | |
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moyen-néerlandaises, qui marquent des étapes dans l'évolution de la technique d'adaptation. Limité à quelques genres seulement, ce petit tableau suffira-t-il, malgré ses omissions volontaires, à montrer dans quelle mesure la littérature moyen-néerlandaise reflète la littérature française? Pourra-t-il mettre en relief l'existence de ce que je voudrais appeler, en empruntant un terme à M. André de MandachGa naar voetnoot1, un ‘couloir épique et romanesque’ qui passe par les Pays-Bas? Ce ‘couloir’ se prolonge vers l'Allemagne: vers la Rhénanie d'abord, ensuite, en s'élargissant, à travers une partie considérable des territoires bas- et haut-allemands. Là, il n'y avait pas de véritable barrière linguistique à franchir: il suffisait souvent de retouches dialectales pour qu'un texte flamand, brabançon ou limbourgeois pût être compris d'un public allemand. Un nombre assez important de nos textes moyen-néerlandais nous est parvenu dans une forme légèrement germanisée; de plusieurs autres il existe des traductions allemandes. Des savants finlandais ont récemment repris l'hypothèse que certains romans courtois français auraient été traduits en allemand par l'intermédiaire de traductions moyen-néerlandaisesGa naar voetnoot2. Sans doute, dans le domaine des relations littéraires entre les Pays-Bas et l'Allemagne, reste-t-il encore beaucoup de travail à faire avant qu'on ne puisse aboutir à des résultats certains. Pour ma part, je dois me contenter de vous signaler l'existence de ces rapports littéraires, et d'exprimer ma conviction que beaucoup des problèmes qu'ils posent ne seront élucidés qu'au moyen d'une étude approfondie des techniques qu'ont appliquées les traducteurs moyen-néerlandais d'oeuvres françaises. Il me paraît utile de faire précéder la discussion de ces techniques d'une remarque d'ordre terminologique. Pour établir les relations entre les textes français et néerlandais, il faut pouvoir disposer d'une terminologie sans équivoque qui permette de distinguer entre les divers types de ‘traduction’. Or, dans les travaux des médiévistes, l'usage de termes comme ‘traduction’, ‘adaptation’ et ‘remaniement’, la distinction entre ‘rédaction’ et ‘version’ étrangères, ne semblent pas s'appuyer sur des définitions générale- | |
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ment acceptées. J'avoue que ce n'est pas sans hésitation que je vous propose les définitions suivantes. Elles sont sujettes à discussion, mais elles peuvent servir à mon but. L'auteur d'une traduction proprement dite a l'intention de rendre le texte de son original aussi fidèlement que le lui permettent les données linguistiques et la poétique de la langue dans laquelle il traduit. Son oeuvre peut être considérée comme une rédaction en langue étrangère. Si, par contre, en traduisant, il s'écarte intentionnellement du texte de son original, le résultat de son travail peut être appelé une version étrangère. C'est ici que je voudrais faire une distinction. J'entends par adaptation le type de version étrangère dont l'auteur a abrégé, amplifié ou altéré, dans le dessein d'y mettre ses propres accents, le texte de son original, aussi longtemps qu'il s'en tient, dans ses écarts, à la ‘fable’ de cet original. Je réserve le terme de remaniement à la version étrangère dans laquelle la ‘fable’, elle aussi, est modifiée. Un remaniement en langue étrangère peut être un véritable ‘rifacimento’ de l'oeuvre originale. Il va sans dire que les distinctions entre ces trois types ne sont pas nettes: la traduction peut frôler l'adaptation, tandis qu'une adaptation peut présenter des parties remaniées. J'espère pouvoir vous montrer qu'il y a néanmoins une certaine corrélation entre le genre littéraire auquel appartient une oeuvre française, et la technique - de traduction, d'adaptation ou de remaniement - qu'a appliquée son adaptateur néerlandais. Quels sont les rapports entre les chansons de geste françaises et les textes moyen-néerlandais? Ces derniers sont-ils des traductions, des adaptations ou bien des remaniements d'épopées françaises? Exception faite de quelques traductions, les divergences de contenu que présentent les versions néerlandaises par rapport aux chansons de geste françaises sont si profondes qu'il semble, à première vue, justifié de les considérer comme des remaniements. Mais c'est ici que se pose un problème qui a préoccupé depuis longtemps les néerlandistes. Si l'on ne retrouve la source des divergences de contenu ni celle des différences de détail dans aucune des versions françaises, faut-il alors supposer l'existence d'une version française perdue, qui aurait été traduite fidèlement, ou s'agit-il au contraire de l'oeuvre originale d'un poète néerlandais qui aurait refondu la matière de la chanson française? Vous vous rendez compte des conséquences de cette alternative: d'après la première hypothèse le remaniement néerlandais n'aurait, comme traduction, qu'une importance secondaire: il serait une pièce à verser dans le dossier de l'évolution | |
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de l'épopée française. D'après la seconde, il attesterait l'activité créatrice d'un poète néerlandais, et porterait témoignage en faveur du caractère propre de la littérature médiévale des Pays-Bas. Jusqu'à présent, c'est l'hypothèse de l'original français perdu que les savants ont retenue le plus souvent. Sans aucun doute, cette hypothèse est-elle justifiée dans beaucoup de cas. Personne ne saurait contester que la tradition manuscrite des chansons de geste françaises ne représente qu'un faible reflet de la richesse et de la diversité de l'épopée vivante du Moyen Age. Toutefois, je pense que le temps est venu d'une remise en question de certains résultats acquis pendant la période précédente. Il y a, en particulier, un certain schématisme dans l'application de l'hypothèse qui me paraît sujet à caution. Pourquoi serait-ce toujours à un remanieur français que reviendrait le mérite d'avoir conçu une autre version, le poète néerlandais n'étant jamais plus qu'un simple traducteur? On sait que, dans le domaine des chansons de geste, le phénomène de la traduction littérale est relativement rare. Pour ma part, je suis convaincu que l'état des choses peut être infiniment plus compliqué que ne laisse supposer l'hypothèse de l'original français perdu, dont la version moyen-néerlandaise serait une traduction. Il se peut notamment qu'il s'agisse non seulement d'une version française différente de celles qu'on connaît, mais en plus d'un remaniement de cette version-là par un poète néerlandais. Cependant, quelle que soit la langue dans laquelle le remaniement a été conçu, ce qui importe, c'est qu'il nous soit parvenu en moyen-néerlandais, qu'il représente l'une des formes de la tradition épique, et qu'il pose le problème de savoir pourquoi et comment il a été réalisé. Les intermédiaires hypothétiques ne doivent jamais nous dispenser de l'étude comparative des textes existants. Il est certainement trop tôt pour anticiper sur les résultats de ces études, mais il semble permis de formuler quelques impressions provisoires. La première est celle-ci: dans certains cas, par exemple dans celui de l'Ogier le Danois, les divergences entre les textes français et néerlandais sont si profondes qu'il semble impossible de les interpréter comme le résultat d'une modification, toute rigoureuse qu'elle soit, d'un texte écrit. Il s'agit d'une transformation totale de l'oeuvre. Je me demande si cet état des choses ne pourrait pas s'expliquer par l'hypothèse que le remanieur n'a pas travaillé d'après une copie manuscrite de la chanson française, mais d'après ses souvenirs de la récitation par un jongleur français. Ce qu'il aurait retenu de cette audition, ce serait la trame de l'histoire, et, peut-être, certains passages ou quelques vers signi- | |
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ficatifs qui lui étaient restés en mémoire. En se basant sur ces réminiscences, mais non sans y ajouter des éléments de sa propre invention ou empruntés à d'autres sources, il aurait conçu une version moyen-néerlandaise qui peut être considérée comme une refonte complète de la chanson française. Dans quel milieu doit-on chercher les poètes qui auraient appliqué cette méthode mnémotechnique en remaniant des chansons de geste françaises? La réponse à cette question semble s'imposer. On a l'impression qu'il s'agit ici d'une technique typiquement jongleresque. Est-il concevable que des jongleurs flamands ou brabançons aient eu des contacts, peut-être même des contacts professionnels, avec leurs collègues français? Dans une culture essentiellement bilingue comme celle des Pays-Bas méridionaux, on peut en effet s'attendre à des échanges littéraires de ce genre. Mais n'oublions pas que la théorie du remaniement mnémotechnique est encore loin d'être prouvée! A côté de la technique dont je viens de vous indiquer le principe, il semble en avoir existé une autre. Il s'agit là d'un type de remaniement qui présente par rapport aux textes français des écarts moins importants et plus facilement explicables. C'est de nouveau une supposition si j'attribue ce type de remaniement à l'activité de clercs, ou, plus prudemment, à une méthode d'adaptation qui ne présuppose pas la transmission orale de l'oeuvre. Les différences entre les versions françaises et néerlandaises y paraissent d'un caractère plus conventionnel: on y constate, par exemple, l'alourdissement de certains effets narratifs, l'élaboration du discours direct, l'intensification du dialogue, l'embellissement des descriptions - bref: on dirait que le remanieur a cherché à faire ressortir les couleurs de son original. Plus caractéristique encore de cette technique d'adaptation: le désir apparent du remanieur d'éliminer les éléments disparates de son original, et d'expliquer, en prenant des précautions plus ou moins heureuses, les contingences de l'histoire. Je peux éclaircir le caractère de ce dernier procédé à l'aide d'un exemple que fournit le remaniement moyen-néerlandais de la chanson d'Aiol. Dans l'épopée française de ce nom, la scène suivante se passe. Aiol et sa femme Mirabel sont, à Lausanne, prisonniers du traître Makaire. Dans la geôle, Mirabel accouche de jumeaux; Makaire s'empare des nouveau-nés pour s'en défaire. Tard dans la nuit, il va sur le pont du Rhône pour les jeter à l'eau. ‘Cele nuit’, dit le poète, ‘i fist dieus uertu aperchue’: il se trouve qu'il y a, sous le pont, un pêcheur, nommé Tierris, qui aperçoit les enfants | |
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que le courant emporte, les sauve, et parvient à les mettre en sûretéGa naar voetnoot1. Qu'est devenue cette scène émouvante dans les adaptations néerlandaises? Notons d'abord que l'auteur du premier Aiol moyen-néerlandais, dans son adaptation qui date de la fin du XIIe siècle, a suivi d'assez près le texte français. Cependant, au début du XIIIe siècle, il a été fait une deuxième adaptation, ou plutôt: un remaniement. Le remanieur de ce second Aiol moyen-néerlandais a fait précéder son récit du sauvetage des enfants d'Aiol d'une longue scène, dans laquelle Dieu, voulant prévenir les perfides intentions de Makaire, envoie un ange qui ordonne au pêcheur de s'embarquer pour sauver les jumeaux. L'éditeur du second Aiol n'a pas manqué de formuler l'hypothèse traditionnelle: le texte moyen-néerlandais serait une traduction d'après une autre version française que celle qu'on connaîtGa naar voetnoot2. Je ne peux pas partager son opinion: à mon avis, l'hypothèse de l'original perdu ne s'impose nullement. Il est clair que le remanieur a inséré la scène de l'annonciation par l'ange en vue de préparer la présence miraculeuse du pêcheur sous le pont, pour éviter que son public ne se heurte à l'apparition trop imprévue du sauveur sur les lieux du crime. Je ne prétends pas que le remaniement présente les mêmes qualités littéraires que l'original: c'est une oeuvre conçue dans un style différent, qui répond à un autre goût. Mais ce qui importe, c'est que nous soyons en présence, ici, de la genèse d'une nouvelle version, d'une métamorphose de l'épopée originale, au moyen d'une technique bien établie et qui se retrouve dans d'autres remaniements moyen-néerlandais. Si nos connaissances de la technique des remanieurs néerlandais de chansons de geste françaises sont encore plus qu'imparfaites, nous croyons voir un peu plus clair dans les méthodes qu'ont employées les adaptateurs de romans courtois et d'aventures. Dans ce genre, les traductions pour ainsi dire littérales sont moins rares. On en trouve de toutes sortes: des traductions faibles ou maladroites, d'autres habiles, adéquates ou même de virtuoses. On y voit les traducteurs se plier avec plus ou moins de succès | |
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aux exigences du vers moyen-néerlandais, ce vers rythmique à trois ou quatre accents et à la rime plate, tout en essayant de rendre le ton de leurs originaux. Mais très souvent, ils ne s'en sont pas tenus à la traduction littérale. Pour bien vous montrer le principe de leurs altérations, je me permets de vous rappelerGa naar voetnoot1 que dans les écoles du Moyen Age, l'‘ars poetica’ était enseignée comme l'une des branches de la rhétorique. Développement de l'ancienne rhétorique, la doctrine des Arts poétiques médiévaux comportait des règles pour la mise en pratique de deux techniques littéraires, l'‘amplificatio’ et l'‘abbreviatio’ qui étaient, à l'école, l'objet d'exercices pratiques. L'amplification, c'était l'art d'allonger un texte donné, ou d'élaborer un sujet, par l'application de divers moyens: l'‘interpretatio’ ou ‘expolitio’, la description, la digression, la périphrase, l'apostrophe et la comparaison. L'abréviation, par contre, pour laquelle les préceptes sont moins détaillés, apprenait à réduire un texte à l'essentiel. C'est à Edmond Faral que nous devons l'édition des Arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècle; c'est lui aussi (et, sur ses traces, des savants tel Ernest-Robert Curtius) qui a démontré clairement l'influence déterminante de l'enseignement latin des Arts poétiques sur les littératures vernaculaires. Clercs, c'est-à-dire: versés dans la pratique scolaire de l'amplification et de l'abréviation, les poètes médiévaux n'ont pas manqué d'en appliquer les principes à leurs oeuvres en langue vulgaire. Qu'en est-il des traducteurs néerlandais de romans français? Eh bien, il paraît que, pour eux, la traduction pouvait s'accompagner d'un processus d'amplificationGa naar voetnoot2, de sorte que l'adaptation moyen-néerlandaise pouvait résulter en une version amplifiée de l'original français. Ce sont surtout les passages et les scènes traditionnels qui se prêtaient à une amplification par le traducteur. La description d'une personne, d'un paysage idéal (le locus amoenus), d'une ville ou d'un château - tous ces éléments pour ainsi dire ‘topiques’ se retrouvent amplifiés dans les adaptations moyen-néerlandaises. Mais aussi quand ils peignaient les sentiments de leurs personnages, ou en rendaient les propos et les conversations, les adapta- | |
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teurs ont étoffé, suivant les règles des Arts poétiques, les données que leur offrait l'original français. Le temps me manque pour vous donner plus d'un seul exemple de la technique de l'amplification appliquée par un adaptateur néerlandais. Dans son Roman de la Rose, Guillaume de Lorris raconte brièvement l'histoire ovidienne de Narcisse; il décrit, en un passage de neuf vers, comment le jeune homme, fatigué par la chasse, vient à la fontaine où l'attend la punition d'ÉchoGa naar voetnoot1. Dans la plus ancienne des deux adaptations moyen-néerlandaises de la Rose, texte fragmentaire qu'on a pris coutume d'appeler ‘la seconde Rose’, ces neuf vers en sont devenus vingt: le poète y donne d'abord une description de la chasse, puis de la fatigue et de la chaleur dont souffre Narcisse. D'où vient cette amplification? Geoffroi de Vinsauf en a donné le modèle dans son Documentum de Arte versificandi. Si l'on veut amplifier, dit-il (et je traduis), la phrase que voici: ‘Actéon fut fatigué de la chasse et vint reprendre haleine près d'une fontaine délectableGa naar voetnoot2’, il faut qu'on s'attarde d'abord à la fatigue d'Actéon, causée par la chasse, puis à la fontaine, laquelle peut être l'objet d'une digression descriptive, pour n'en venir qu'en dernier lieu à dire qu'Actéon vint là pour reprendre haleine. Nous ne réussirons probablement pas à établir la preuve irréfutable que les adaptateurs néerlandais ont disposé d'une connaissance directe des Arts poétiques: il reste toujours possible que l'influence de la Poetria Nova se soit exercée indirectement, à travers une tradition du métier poétique. Mais ceci n'empêche pas que les techniques littéraires dont on trouve la codification dans les Arts poétiques du XIIe et du XIIIe siècle sont d'une importance capitale pour l'étude des adaptations en moyen-néerlandais. Si l'amplification du texte français était, avant tout, un procédé relatif à la forme, les adaptations de certains romans français présentent, en outre, des différences d'esprit par rapport à leurs originaux. Il peut s'agir alors d'une adaptation dans un sens courtois, et même: selon les conceptions de la fin' amor. C'est ainsi qu'une partie du Roman de Troie a été adapté, dans la première moitié du XIIIe siècle, par le poète Segher Diergotgaf. Avec les | |
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romans d'Eneas et de Thèbes, le Roman de Troie marque une évolution importante de la littérature occidentale. On y trouve, peut-être pour la première fois, l'union de l'héroïsme et de l'amour qui sera la conception déterminante de la littérature romanesque des siècles à venir. Les faits d'armes abondent dans le Roman de Troie, et l'amour y joue un rôle important. Mais si les héros troyens y sont représentés comme des exemples de courtoisie, cela ne revient pas à dire qu'ils sont peints comme de parfaits amants courtois. En faisant cette distinctionGa naar voetnoot1, on peut dire que la courtoisie occupe une place prédominante dans l'oeuvre de Benoit de Sainte-Maure, mais que l'amour courtois n'y est présent qu'en germe. Quelques décades plus tard, le Flamand Segher Diergotgaf traduit deux longues scènes du Roman de Troie: l'entrevue d'Achille et d'Hector, et la grande bataille qui s'ensuit. Mais il ne se contente pas de ces deux scènes qui mettaient en valeur la prouesse de ses héros, il veut aussi les montrer en amants courtois. Voilà pourquoi il a fait précéder les deux parties empruntées au Roman de Troie d'une scène galanteGa naar voetnoot2, à coup sûr de sa propre invention, où il introduit les grandes dames de Troie et leurs admirateurs dévoués. Dans un entourage idyllique, on y trouve la belle Hélène, accompagnée non pas de son mari Paris, mais de Polidamas; on y trouve aussi Polyxéna, soeur cadette d'Hector, pour laquelle le roi des alliés Memnon éprouve une passion également sans espoir, et Andromaque, l'épouse d'Hector. Pour cette dernière, le poète a dû inventer un amant courtois qu'il a baptisé d'un nom qui sonne plus français que troyen: Monfloers. Avec beaucoup de finesse, Segher a su donner des touches d'un humour joueur à son récit des déclarations d'amour des trois seigneurs et de la grâce souriante avec laquelle ils sont éconduits par les dames. Certes, leur amour est sans espoir, mais cela n'a rien de vraiment tragique: c'est au contraire une passion ennoblissante qui ne devait pas manquer à la vie du parfait chevalier. Voilà un bel exemple de ce que pouvait devenir, sous les mains d'un poète de génie, l'adaptation d'une oeuvre française en moyen-néerlandais. C'est un témoignage aussi bien de la force inspiratrice de la matière française que de l'art créateur du poète-adaptateur. | |
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J'en viens à mes conclusions. Me plaçant d'abord au point de vue de la littérature néerlandaise, je crois pouvoir dire que celle-ci, en ce qui concerne les genres épique et romanesque, doit presque toutes ses impulsions à la littérature française. Même les oeuvres originales portent la marque de cette influence. Mais cela ne veut pas dire que les adaptations du français soient toutes de banales imitations. Il y a toujours eu des adaptateurs à la hauteur de leur sujet, et un public de langue néerlandaise d'un niveau comparable à celui du public des poètes français. Du point de vue de la littérature comparée, les adaptations moyen-néerlandaises présentent l'un des aspects d'un phénomène européen, celui du rayonnement, en toutes les directions, de la culture française à partir du XIIe siècle. Ce phénomène, on ne pourra l'étudier dans son ensemble que si l'on peut s'appuyer sur les résultats d'une quantité de recherches de détail. Le sud des Pays-Bas, région en partie bilingue et, par sa situation géographique et politique, très ouverte aux influences de l'étranger, est l'une des portes par lesquelles est passée la littérature française pour se répandre dans les pays de langue germanique. Là où les cultures se rencontrent, le traducteur joue un rôle décisif dans le processus de la transmission littéraire. Ce sont ses méthodes de travail, les principes de son métier, qu'il faut étudier pour se former une idée de la nature des relations littéraires entre la France et les Pays-Bas au Moyen Age.
W.P. Gerritsen. Université d'Utrecht. | |
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I A: Aiol, vv. 9198-9213:Makaires li traitre de rien ne s'aseure,
De Losane trespasse toutes les maistres rues,
9200[regelnummer]
Vient sor le pont del Rosne, dedens l'aighe les rue.
Cele nuit i fist dieus uertu aperchue.
Li Rones qui ert rades les enfans ne remue;
Terris ert sous le pont, qui pescoit a la lune,
Ch'estoit .i.gentiex hon, de mal faire n'ot cure;
9205[regelnummer]
Bien a oi Makaire uenir parmi la rue,
Il uoit les .ii. enfans qui flotent sans aiue,
A ses .ii. mains les prent, belement les remue,
Dedens la nef les met, si lor fait tel aiue,
Sa cape et ses dras oste, de ses dras se desnue,
9210[regelnummer]
Dedens met les enfans, si naga a droiture,
Ne uieut pas que la noise soit d'aucuns entendue;
Ancois s'en est tornes, de rien ne s'aseure,
A sa maison s'en ua, d'autre rien n'a il cure.
[Texte d'après: Aiol et Mirabel und Elie de Saint Gille, éd. W. Foerster, Heilbronn 1876-1882, 2 vol.; t. I, p. 264.]
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I B: Adaptation moyen-néerlandaise de l' Aiol (fin du XIIe s.), vv. 454-476:Dès qu'il commença à faire nuit, [Makaire] le traître, le félon, prit les beaux enfants. Il traversa toute la ville, et s'arrêta sur le pont, à l'endroit où il vit que le [courant du] Rhône était le plus fort: là il jeta les enfants à l'eau. | |
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beau: sous le pont il se trouva un homme que je peux bien nommer: c'était Tierri, qui pêchait au clair de lune. Il aperçut les jolis enfants qui passaient en flottant près de lui dans le fleuve agité; en cinglant, il s'approcha rapidement d'eux, les sortit de l'eau, et les enveloppa tout de suite doucement dans ses vêtements. Alors il s'en alla en naviguant, furtivement, de sorte que personne ne s'aperçut qu'il y était pour quelque chose. Tierri emporta les enfants et rentra chez lui avec eux. | |
I C: Remaniement moyen-néerlandais de l'Aiol (début du XIIIe s?), vv. 651-707:Le bon Dieu voulut bien se souvenir d'eux [c.-à-d.: des enfants d'Aiol]: Ses yeux sont toujours ouverts. Il voulut porter aide aux enfants. Il envoya Son ange au pêcheur de la ville de Losanen. Ce pêcheur s'appelait Tierri; depuis longtemps il était pêcheur dans le fleuve. Il était [au lit] auprès de sa bonne épouse; l'ange lui commanda d'apprêter sa nacelle et son filet, et de naviguer sous les murs du château: | |
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doutait. Lui retourne dans la salle; le pêcheur Tierri s'en alla en ramant vers sa maison. | |
II A: Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, vv. 1468-1482:1468[regelnummer]
E por ce la fist Deus estable;
Que Narcisus par aventure
A la fontaine clere e pure
Se vint soz le pin ombreier,
1472[regelnummer]
Un jor qu'il venoit de chacier,
Qu'il avoit sofert grant traval
De corre e amont e aval,
Tant qu'il ot soif, por l'aspreté
1476[regelnummer]
Dou chaut, e por la lasseté,
Qui li ot tolue l'aleine.
E quant il vint a la fontaine,
Que li pins de ses rains covroit,
1480[regelnummer]
Iluec pensa que il bevroit:
Sor la fontaine toz adenz
Se mist lors por boivre dedenz,
[Texte d'après l'édition d'Ernest Langlois, Paris 1914-1924, 5 vol., SATF; t. II, pp. 76-77.]
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II B: Traduction moyen-néerlandaise du Roman de la Rose par Heinric van Aken (fin du XIIIe s.; ± 1280?), vv. 1365-1377:Peu de temps après, Narcisus fut à la chasse dans une forêt. Il arriva près d'une fontaine et descendit de cheval, car, étant échauffé et très fatigué de la chasse, il avait très soif. Traversant un paysage riant, il se dirigea alors vers la belle fontaine, qui se trouvait en cet endroit: ce fut là qu'il fut puni de son crime. Il s'allongea en se penchant sur la fontaine qu'il vit belle, claire et pure, et voulut boire un peu d'eau. | |
II C: Adaptation moyen-néerlandaise du Roman de la Rose (fin du XIIIe s.), fragment Ab 2, vv. 51-72:Plus tard, il arriva un jour (je ne saurais le préciser) que ce Narcysus, amant infidèle, partit pour la chasse, en cette région, comme il avait accoutumé de le faire, accompagné de ses chiens. [Il alla] si | |
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loin que les braques trouvèrent un sanglier fort et audacieux. Ils le poursuivirent jusqu'après midi sans qu'il pût l'abattre. Il sonna du cor de chasse, il cria, il chevaucha à grande allure, si loin que, par hasard, il arriva à l'endroit où il trouva la fontaine. Aussitôt, il descendit de cheval, et vint se reposer à l'ombre de l'aubépine [?] aux feuilles vertes. Le temps était beau, clair et chaud. Il sentait son coeur éclater dans sa poitrine; la sueur lui coulait le long du corps à cause de la grande chaleur. Assoiffé il alla à la source, et mit la tête dans la fontaine qui était claire et propre et pure. | |
III: Segher Diergotgaf, ‘Roman de Troie’ (première moitié du XIIIe s.), vv. 3115-3217 (fragment du ‘Jardin de Troie’, scène originale qui précède deux parties traduites d'après le Roman de Troie de Benoit de Sainte Maure):Polidamas se trouvait auprès d'Hélène, et sa peur n'était pas petite d'entreprendre une affaire si importante. Amour lui commandait de parler, son coeur lui conseillait d'y renoncer. Alors il trembla et gémit, et baissa la tête. Puis, s'étant repris, il la regarda d'un air si soucieux que, pour Hélène, il ne fit pas de doute qu'il était amoureux, mais de qui, cela elle ne le savait pas bien. Il prit courage, et dit entre ses dents, de sorte qu'elle l'entendit à peine: | |
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aime plus que toute femme au monde. Que Dieu ne me donne jamais d'autre passion, ni d'autre sentiment, soit à mon profit, soit à mon désavantage... |
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