E. du Perron
aan
Pedro Creixams
Brussel, 4 juli 1925
Brux. 4-7-25.
Mon cher Pedro,
Merci pour ta lettre, ta photo et pour m'avoir si tôt répondu. Mon père va de plus en plus mal; il veut maintenant consulter quelque célébrité en Hollande, peut-être devrons-nous l'y accompagner. C'est te dire que je vois de moins en moins la possibilité de me rendre à Orange; et pourtant rien ne me tente plus que cela.
C'est que tu es un vraîment bon type, mon vieux, que j'aime bien, qui m'intéresse, il y a même des etc. mais ceci suffit pleinement. Je suis content de t'avoir comme ami, je m'en rends compte surtout dans la situation où je me trouve actuellement, car les emmerdements sont pour moi multiples. Outre l'histoire de mon père, qui, elle aussi, pourrait suffire, j'ai le déplaisir d'avoir foutu un foetus à ma belle, ce qui est - je le constate maintenant - d'un côté assez satisfaisant, mais d'un autre peu confortable. J'ai dû m'occuper d'une sage-femme (que je n'ai pas encore trouvée), et trouver des mensonges pour expliquer certaines choses. Je dois, ensuite, jouer le rôle de ‘calmeur’, qui ne me va qu'à moitié. Bref, j'aimerais plus que jamais me trouver à côté de toi parmi tes peintures où les femmes ont tout ce qu'il faut et sont fertiles et stériles à la fois. - En tout cas, si par miracle je t'arrivais je serais, par réaction, très gai, et, par amitié, très heureux de tes résultats. Mais.... si je ne viens pas, ce qui est beaucoup plus probable, tiens ta promesse et envoie-moi encore des photos.
J'ai pour commencer étudié celle que tu m'as envoyée aujourd'hui, tu y es, je suppose, un peu Bacchus, mais je m'avoue déçu (quand même) parce que, sous la grappe de raisins, j'ai vainement cherché la carotte et les prunes. Par contre je te complimente pour la prospérité de tes nichons. N'est-ce d'ailleurs pas ainsi que tu as voulu sauver les apparences?
(Je regrette encore, mais ceci soit dit strictement entre nous deux, que Madeleine ne se soit pas trouvée, dans le même costume, à tes côtés.)
Et tes moustaches? ne te convenaient plus?
Dis-moi maintenant un peu tes projets. Si tu as été à Paris pour le requitter immédiatement, et même avec plaisir comme tu dis, c'est donc que tu as l'intention de ne pas y rentrer trop tôt? En ce cas se peut-il que je te trouve encore à Orange; c.à.d. qu'au commencement de Novembre, sans faute, je quitterai Bruxelles pour passer l'hiver dans le sud; et alors, c'est juré! sans plus tarder je me dirigerai vers Orange. Bonnel y serait aussi peut-être, quant aux autres, et particulièrement quant à Pia, je doute qu'il aimerait m'y retrouver. Tu sais que j'aime beaucoup Pia et je suis vraîment ennuyé qu'il me traite avec tant d'indifférence. J'ai trop peu d'amis pour ne pas tenir doublement à ceux que j'ai choisis, et Pia et toi étaient de ceux qui chez moi venaient en première place. Enfin, n'en parlons plus; toi tu me restes et comme j'ai déjà dit, j'en suis bien content.
Ecris-moi quand tu veux, et si je me déplace je te tiendrai au courant. Bien mes amitiés à Madeleine, et pour toi une solide poignée de main de ton
Eddy
Origineel: particuliere collectie