E. du Perron
aan
Pedro Creixams
Brussel, 10 november 1923
Bruxelles, X Novembre (dimanche).
Mon bon vieux,
Que faut-il t'écrire? Je n'ai fait qu'une chose après ma rentrée: trouver les vers cochons de Verlaine, les oeuvres libres, publiées sous le nom de Pablo de Herlagnez, soi-disant licencié à Ségovie; le célèbre recueil tant recommandé par Pia; contenant AMIES, FEMMES et HOMBRES. Je te copie le ‘Tableau Populaire’ dans la seconde partie, qui me semble particulièrement digne d'être illustrée par toi. Attention!
L'apprenti point trop maigrelet, quinze ans, pas beau,
Gentil dans sa rudesse un peu molle, la peau
Mate, l'oeil vif et creux, sort de sa cotte bleue,
Fringante et raide au point, sa déjà grosse queue
Et pine la patronne, une grosse encore bien,
Pamée au bord du lit dans quel maintien vaurien,
Jambes en l'air et seins du clair, avec un geste!
à voir le gars serrer les fesses sous sa veste
Et les fréquents pas en avant que ses pieds font,
Il appert qu'il n'a pas peur de planter profond
Ni d'enceinter la bonne dame qui s'en fiche,
(Son cocu n'est-il pas là confiant et riche?) -
Aussi bien, arrivée au suprême moment,
Elle s'écrie en un subit ravissement:
‘Tu m'as fait un enfant, je le sens, et t'en aime
D'autant plus’ - ‘Et voilà les bonbons du baptême!
Dit-elle, après la chose; et tendre à croppetons,
Lui soupèse et pelote et baise les roustons.
Le morceau te plaît? - t'inspire? à la tienne! Il y en a d'autres (sans parler du ‘Sonnet du Trou du Cul’, fait par Verlaine et Rimbaud en collaboration) il y à dans HOMBRES par ex. un acte de foi qui commence ainsi:
Un peu de merde et de fromage
Ne sont pas pour effaroucher
Mon nez, ma bouche et mon courage
Dans l'amour de gamahucher.
Etc. etc. - Je me tais, craignant trop t'exciter! Parlons de moi et de ma ‘chaumière’. J'ai fait quelques changements, à cause du frio; la mansarde est inhabitable, j'ai donc descendu tous les tableaux et exilé tous les sous-verres. Mon bureau et mon salon sont chauffés par deux poêles; j'ai exigé un poêle ordinaire, avec un trou en haut, tu sais un poêle qui pourrait servir comme four (ou Dieu sait comment ces trucs-là s'appellent) - où l'on pourra faire la cuisine enfin, comme chez toi: quand l'odeur devient forte et ma tante fout le camp! On ne sait jamais: est-ce impossible que ma solitude se décore d'une ‘ménagère’? Mort aux ‘Muses’, vive les ‘ménagères'! - J'ai, en écrivant, dans le dos la femme au pomme et le portrait de Cendrars, à gauche: ton portrait, les deux têtes de femmes qui datent d'un de nos premiers rencontres, et la tête ‘nègre’, signée Pedro Creixams; en face: le gosse et mon portrait. Ton paysage est dans le salon; tes dessins sont dans la chambre à coucher. La mansarde est à peu près dévastée; je n'y ai laissé que les livres) et la moitié du mobilier. Et voilà tout, je crois, mon bon. Ecris-moi, racontes un peu ta veine ou ta misère, les boires ou déboires de ma tante. Embrasse la pour moi. Je te serre la main.
Eddy
Origineel: