E. du Perron
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Julia Duboux
Nice, 1 januari 1925
Nice, 1-1-'25
Ma Dame,
Ce qu'il y a de désagréable dans les photos de professionnels, c'est qu'il faut toujours en commander plusieurs. Une fois qu'on ait reçu la demi-douzaine, on ne sait trop comment s'en débarrasser. Je me permets de vous offrir encore celles-ci.
L'une, comme marquée ‘sur place’: en guise d'opérette, et cela s'intitule: Ninon (Hongrois: Anna, traduisez en Français: Ninon) et son Saint. Depuis hier soir, Mme de S. est devenue presque agressive. Elle a commencé ainsi:
- Me permettez-vous de vous dire des grossièretés?
Et quand je n'y voyais pas d'inconvénient:
- Vous devriez vous faire saint. Je ne comprends pas comment on peut être si phlegmatique. Vous êtes un veillard peut-être? Pauvre vieillard!
En ce moment (c'était à table) une servante mettait devant moi des gateaux, tout en oubliant Mme de S.
- Vous voyez: elle vous préfère à moi, mais c'est simplement parce que vous portez des habits d'homme. Elle ne sait pas encore. Vraiment, je ne demande pas beaucoup à un homme, mais les hommes sans tempérament, ça m'agace.
Si vous faites lire ceci à Jacques, il se verra obligé de partir d'un rire bruyant et de s'exclamer: - Pauvre Eddy, ce qu'il a attrapé!
Je vous assure que les compliments de Mme de S. ne m'ont nullement atteint. Même ça m'était indifférent de la laisser ‘attendre’. Aucune joie secrète; je me rendais seulement compte qu'elle m'ennuyait de plus en plus. Elle voulait se griser; je lui ai versé beaucoup de vin. Elle voulait voir le réveillon à Nice; nous sommes sortis ensemble. Dans la rue elle m'appelait Saint Edgar. Devant le Négresco c'étaient les larmes qui revenaient. Elle voulait y entrer, faire du tapage, du ‘réveillon’, parmi le beau monde, - sans avoir le sou. Elle se sentait attirée par tout ce luxe comme une pauvre poule de province qui n'a jamais vu cela de trop près. - Dès que j'aurai mon argent ici, je m'installe au Négresco. Et une fois là je ne voudrai connaître que des gens très chics et très riches.
Son capitaine, l'homme qui, pensait-elle, allait l'introduire dans le meilleur monde niçois, n'était en fin de compte qu'un ancien officier, pour l'instant marchand de savon ou d'autre chose. Et v'là! Manqué son réveillon! parlons du mal du capitaine. - Moi qui avais cru qu'un homme auquel m'a recommandée le commandant Huard.... - Oui, enfin, votre capitaine est un ballot. Ne vous le cachez pas. Un ballot.
- Oh oui! - Et c'était le commencement d'une série de plaintes. Puis elle voulait des cigarettes; des cigarettes au moins! Et elle était si fatiguée qu'elle ne pouvait plus marcher. - Alors, conseillez-moi, E-dy, donnez-moi un bon conseil, je vous prie. Faut-il aller au Négresco? Ou faut-il aller à Paris? Je suis si malheureuse!....
Ma Dame, je suis si content, moi, vous n'en avez pas idée, de quitter bientôt ce très-embêtant personnage! Si par un crime - de saint - j'aurais pu (mystiquement) la remplacer par Vous, je l'aurais jetée à la mer: nous deux, nous aurions su nous ficher autrement d'un réveillon mondain niçois, j'espère. Quelle insupportable promenade, avec cette femme qui par des miauleries d'enfant gâtée essayait de me tirez des mots doux.
- Ecoutez, E-dy, cette fois-ci je voudrais vous parler très sérieusement. - Très. - Non, vous vous moquez: tout à fait sérieusement. - Je vous écoute, Madame. - Non, vous ne m'écoutez pas, on ne peut pas parler sérieusement avec vous, vous n'êtes qu'un farceur (maintenant je suis tout à fait grossière, n'est-ce pas?) - Pas tant que ça; que vouliez-vous dire? - Oh, E-dy, donnez-moi un bon conseil!.... - Eh bien, allez à Paris, Madame.
Je n'attendrai pas cela. Je lui ai promis depuis longtemps hélas! de l'accompagner à Cannes; nous irons demain. Du reste, elle me sert à faire des photos. Après-demain soir, adieu belle Ninon! Si j'avais eu encore envie de rester ici, cette personne m'aurait mis en fuite; mais vous savez, je ne tiens particulièrement à aucun endroit, et aujourd'hui m'arrivent, comme ‘étrennes’, - 1000 frs. de ma mère. Une lettre de remercîment (je l'écrirai après celle-ci), et samedi, c'est après-demain soir, je serai sur le bateau qui part une fois par semaine en Corse. Je compte arriver le lendemain, vers 7 heures du matin, à Bastia. Suivez-moi en pensée si vous voulez, my only dear. De Bastia je prendrai probablement le train pour Ajaccio; et là....? Si je m'ennuie j'irai en Sardaigne, et de là à Naples probablement. Ou directement à Naples.
Vous êtes mise au courant; je vous écrirai de là-bas, sans doute. Vous ne savez pas combien j'aurais voulu votre tête aux cheveux lourds à côté de la mienne, à bord. Et en Corse qui doit être, pour un monsieur seul, malgré tout, un pays ennuyeux. Enfin, ce sera certainement moins mort que Pallanza. Je vous embrasse avec passion, comme le marin quittant sa fiancée. Vous n'aimez pas être, un peu quand même, ma fiancée? Alors - le baiser sans rien de plus, sans phrase.
E.
P.S. - Vous ne pourriez pas avoir de mes photos, disiez-vous, mais Jacques peut les avoir pour vous.
Origineel: Den Haag, Letterkundig Museum