E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci
Brussel, 4 februari 1923
Bruxelles
dimanche soir.
Ma chère Clairetty
chérie,
bien-aimée,
adorée,
admirée,
etc. etc. etc.
Je suis rentré presque sans penser à vous. Est-ce possible? C'est par la métamorphose soudaine à laquelle j'ai assisté. J'ai vu une femme fatiguée, aux traits tirées, aux cheveux en (demi-) désordre et plus ou moins..... aimante; et.... souffrante (pardonnez-moi, Clairetty, tout le mal que je vous ai fait!) - puis, après une absence de 10 minutes j'ai vu une silhouette calmante, élégante, mondaine, souriante et...... superficielle. Et dire que 10 minutes auparavant nous avons tellement souffert ensemble!
Comprenez-vous cela?
Il y a dans ces comédies de quoi rire follement,- comme je me suis amusé auprès de vous de ma propre situation ‘trop drôle’.
Et pourtant; je vous le répète: vous avez été épatante, et je vous remercie, Clairetty, pour tout ce que vous avez bien daigné me donner. Je vous comprends mieux que vous ne le croyez; seulement, vous avez raison: je suis un égoïste et un bas jaloux. Pourtant, ce serait injuste de croire que je ne pense qu'à moi-même; je pense bien à vous, chérie, et je suis persuadé que le mal aigu que je vous cause en vous quittant n'est rien à côté du mal chronique, rongeant que nous éprouverons si je devais rester l'ami de ma (?) Clairette mariée. Et puis, que voulez-vous? ce mariage.... croyez-vous qu'on puisse inventer une punition plus cruelle pour moi? Oh, chérie, l'horreur de ne plus pouvoir me vous imaginer seule, d'avoir toujours cette silhouette d'un inconnu - que je m'imaginais beau que je m'imagine laid maintenant - à côté de vous. Pourquoi suis-je impuissant tel que je le suis?
Voyons, laissez-moi vous faire rire encore. Puisque je n'avais pas mangé à midi, je me suis aperçu en rentrant que j'avais une faim épouvantable et je viens d'avaler une abondance de choux à la crême, cakes, tartines, etc. avec 3 tasses de thé. Cela après vous avoir quitté.
Et ce soir, non, dans quelques minutes je serai retombé dans ces réflexions dont je vous ai donné la synthèse:
Ma chère Clairette chérie je vous aime tellement;
mes pensées ne vous quittent pas un instant;
et je me sens si malheureux sans vous.
E.
Origineel: particuliere collectie