E. du Perron
aan
C.E.A. Petrucci
Brussel, 3 januari 1923
3 janvier, ? heures la nuit.
Ma chère Clairette,
Cette réponse est prompte mais ne vous étonnez pas si elle est abracadabrante. J'ai fait une longue promenade après le second acte du Freischütz où j'étais allé avec Coco; j'ai fait de mon mieux, j'ai même fait le plaisanteur, mais cela n'allait guère; j'ai prétendu être malade et je me suis mis à marcher - en rentrant je trouve votre lettre. Elle était toute seule dans la boîte, dans son enveloppe bleue. Merci, ma chère, chère Clairette. Pourquoi êtes-vous triste? à cause de moi? Voyons, vous savez que toute mon ‘affection’ est à vous, elle le restera, et nous resterons amis.
Seulement - c'est moi maintenant qui vous demande un délai: laissez-moi le temps. Tout à l'heure, près de vous, j'étais courageux, aussi je n'avais pas encore bien réalisé, peut-être. Cela est venu plus tard et oh ma chère Clairette, cela a été terrible! En cinq minutes (pas plus long) j'ai vu toute la situation, clairement si clairement et quoique ma logique vous donne raison - elle l'a fait depuis longtemps - il y a mille sentiments en moi qui crient, qui font un tapage infernal. J'en reste abruti complètement. Une_chose en résulte, je ne peux pas être votre ‘frère’ pour le moment; je ne le peux pas Clairette chérie, ce n'est pas que je ne le veux pas, cela m'est impossible, impossible! Vous ne savez pas ce que vous avez été pour moi; moi non plus peut-être, pas si bien qu'aujourd'hui en tout cas. Vous savez que je ne suis ni lâche ni dépourvu d'orgueil, eh bien, il faut que je sois aujourd'hui et l'un et l'autre puisque je vous écris tout ceci, puisque c'est presque une façon de mendier votre amour, un truc sinistre de me faire aimer en me faisant plaindre. Et pourtant, je ne peux vous dire que la vérité, n'est-ce pas Clairetty, eh bien ceci est la vérité, que je me sens sans force, sans courage, sans jeunesse, puisque Vous me manquez.
Les enfants gatés souffrent doublement quand ils ne reçoivent pas ce qu'ils veulent!!!
Pourtant je vous ai promis d'être votre ami-frère, et je ne reprends pas ma promesse. Seulement laissez-moi le temps. Demain je serai chez vous pendant une heure à peu près, puis: quittons-nous. Oh, pas pour toujours, vous devez savoir que cela m'est impossible, que fatalement (pour ainsi dire) je dois retourner à vous. Mais pour le moment, le premier temps à venir, il faut mieux que nous ne nous voyons plus, ni n'écrivons. Donnez-moi la chance d'effacer en moi la Clairette qui a été, d'en faire un ‘morceau du passé’, afin de retrouver en vous la Clairette-soeur que vous voulez être. Chérie (voilà, c'est la dernière fois!) c'est la seule méthode. Je ne peux pas autrement. Je suis venu pour vous le dire, mais je n'avais pas de chance.
Embrassez-moi en pensée encore une fois, voulez-vous? Et excusez mes phrases, vous avez tellement raison: c'est sinistre par moments de penser. Votre lettre m'a fait beaucoup de bien. Je vous apporte ceci, puis tâcherai de dormir.
A vous
Eddy
Merci encore mille fois pour votre lettre. Je l'ai trouvé à un moment où j'en avais tellement besoin.
Origineel: particuliere collectie