E. du Perron
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C.E.A. Petrucci
Rotterdam, 25 november 1922
R'dam, 25 Novembre '22.
Ma chère Clairette,
J'ai bien reçu les livres et les feuilles de manuscrit; c'est bien gentil de votre part de me les avoir envoyés et je vous en remercie. J'ai reçu aussi votre lettre et une autre de ma mère, et je m'avoue touché par la conversation que vous m'avez vouée; seulement: je crois que ma mère aussi se trompe.... un peu. Et vous? est-ce vrai que vous ne comprenez pas pourquoi je suis parti? C'est pourtant simple. Ce n'est pas parce que je veux que vous me donnez une réponse, une décision concernant le ‘mariage’; je vous en ai parlé, Clairette, c'est ce qui compte en seconde place, croyez-moi! Le mariage, c'est pour moi: le droit de vous aimer, devant ‘les gens’ (que le diable les emporte!); car devant nous, je crois que j'avais ce droit-là et je l'ai - heureusement - encore. Mais je suis parti parce que j'ai senti, moi-même, que nous ne serons jamais l'un pour l'autre; autrefois c'était seulement vous qui doutiez; j'étais convaincu que tout irait bien; maintenant je doute avec vous. Mille petites choses ont contribué à cela; vos mécontentements de moi, avant et pendant votre séjour en Italie, et enfin, le terrible sentiment que j'ai eu d'être éloigné de vous, dès que nous étions en présence de quelques-uns de vos amis, même de Simone De Moor qui m'est pourtant si sympathique. J'ai fini par me sentir bien insignifiant, bien lourd, bien brute, en leur présence, sur leur terrain, si je peux m'exprimer ainsi, un être insociable, arrogant,
rude, peut-être pas trop mal en soi, mais complètement à mépriser comme votre ami. Si j'ai de l'orgueil, c'est aussi un peu pour vous.
Je ne peux pas souffrir même l'idée que vous auriez honte de moi; et je pense à vous (tout égoïste que je suis) quand je dis cela. Plus tard, quand on ne verra plus en moi qu'un de vos nombreux connaissances, que vous voyez de temps à autre, tout sera bien, et vous même vous me pardonnerez plus aisément mes ‘excentricités’. Maintenant je sens trop bien que vous me donnerez tort d'avance, dans chaque conflit avec ‘le monde’.
Je vous demande pardon si je vous cause du chagrin; malgré tout vous m'aimez; mais puisque vous savez que je vous aime aussi, ma Clairette chérie pas à moi, vous pouvez vous imaginer peut-être que moi aussi je ne me trouve pas gai? Vous étiez clémente (une fois!) quand vous écriviez que je vous ai quitté d'un ‘air préoccupé’; je vous ai plutôt offert (à votre maman et vous) la tête d'un cabotin martyrisé et pour cela je vous offre maintenant toutes mes excuses. C'était assez bon marché; et bête aussi. Mais je me console en évoquant l'air contrarié de votre amie Simone le jour qu'elle perdait sa réticule, et vous aussi vous l'avez tant compris. Eh bien, je perdais.... plus, quand même, savez vous, ce soir-là.
Et maintenant je ne sais plus ce que je dois faire, si je ne suis pas par trop ridicule, peut-être; je me sens hésitant, doutant de tous côtés, je l'avoue! Que voulez-vous? je n'ai pas de l'‘affection’ pour vous; c'est tout simplement de l'amour. Enfin, à force de me dire que je ne suis pas digne de vous, ça passera bien, avec le temps. Seulement, ne croyez-pas que je me plains à côté de Ferdy en lugubres doléances; car il ne fait que des efforts pour paraître ce qu'il n'est pas: un grand indifférent; et moi, je n'ai aucun reproche à vous faire. Vous rappelez-vous que je vous ai dit que vous étiez la plus gentille jeune fille du monde, au monde? Eh bien, je le soutiens.
Je reste tout à vous
Eddy
Origineel: particuliere collectie