E. du Perron
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C.E.A. Petrucci
Parijs, 29 juni 1922
Paris, 29 juin '22.
Ma chère Clairette,
ma pauvre Clairette, quelle vie vous menez! Avez-vous besoin d'un Moïse pour vous libérer de ce fléau de sauterelles? Je me tiens à votre disposition. On a vraiment trop souvent trop d'amis ou trop de ses amis; moi aussi, je m'en rends compte. Seulement ma vie ne se passe pas en déjeuners et diners, la photo que je vous envoie vous donnera quelqu'idée de mes occupations. C'est une vraie assemblée de nations, vous y voyez un anglais, un suisse, un espagnol, un grec et un hollandais; on avait encore un français - Gen Paul - mais il s'est sauvé quand cette photo fût faite, sa jambe artificielle ne lui permettant pas d'y jouer plus qu'un rôle de figurant! - comme je ne l'aime guère je ne me suis pas opposé. Derrière l'appareil un anglais, Stanley, cause de ma bouche contractée qui crie: ‘right!’- Cachez ceci derrière 3 serrures, chère Clairette, votre maman en voyant cette représentation dira avec une telle conviction: - ‘oh, le gosse, le gosse, le gosse’ - et pourtant elle pourra parler au pluriel. Hélas le plus agé de nous a 28 ans (Creixams), et c'est peut-être toujours trop peu!
Puis: - ce que vous n'avez pas en tout cas - c'est la présence continuelle d'une personne qui vous accompagne dans la rue, les bistros et la chambre à coucher avec le même.... dévouement. Mon ami Anton réclame vraiment trop mon attention pour ne pas m'irriter, vous savez combien j'ai besoin de mes pensées et comment elles aiment à se précipiter dans une direction spéciale, puis, arrivés là où elles se trouvent toutes contentes, elles s'y promènent, le plus lentement et longuement possibles, s'arrêtant chaque moment devant une très belle chose, comme dans un très beau musée. Et au lieu de cela c'est maintenant tout le jour et une partie assez considérable de la nuit, l'adorable indécision de mon ami Anton que je dois goûter, et cet expression de son visage qui semble implorer continuellement: - ‘Dis-moi ce qu'il faut faire.’ - Il est très, trop fin; je suis assez grossier; et c'est comme toujours quand nous sommes ensemble: quoique je l'aime bien et considère toutes ses qualités, il finit par m'ennuyer profondément surtout dans mes circonstances actuelles. - Je vous le présenterai, lundi. Il se peut aussi très bien que nous serons déjà dimanche à Bruxelles, car notre argent disparait rapidement; comme on ne peut pas manger pour 7 lires à Paris je prévois une fin très proche. Figurez-vous que c'est moi qui économise maintenant, et qui le gronde quand il dépense 10 frs à des livres. Nous sommes inséparables, - très touchant. Une fois je l'ai confié à Duboux pour une promenade à la tour Eiffel, etc. - Ils se sont perdus en route!
Je ne travaille plus, ou très peu. Anton m'occupe complètement (j'ai presque écrit: ‘obsède’). Il veut voir Paris en 8 jour comme le plus banal touriste. Ici il se sent assez mal à son aise, quoiqu'il en dise. Soyez gentille envers lui, lundi, il aura besoin d'être rassuré, j'en suis sûr; faites-lui voir que le monde n'est pas si grossier que ça! - et qu'on trouve de temps en temps certains cagibis qui renferment des trésors,..... ‘schatten’, vous vous rappelez? D'ailleurs ce sont les meilleurs champs où tombent les sauterelles!! A votre place je deviendrai fou. Aussi je vous plains de tout mon coeur. Vous ne voulez pas fuir? Je serai volontiers votre guide n'importe où vous voulez aller.
A lundi donc! Nous irons demain au Quartier Latin; après le Louvre et le Luxembourg qu'Anton va étudier en un jour, presqu'à la fois! Je vous trouverai tout ce que vous m'avez demandé. Quand admirerai-je vos ‘tableaux mondains’? - ce ne sont certes pas de paysages que vous ferez à Br., n'est-ce pas? Je m'y réjouis tout-de-même d'avance. ‘Frottement de personnalités’ - Je prends congé de vous avec un baiser qui renferme toutes mes condoléances.
Votre Eddy
Mes stylos semblent s'opposer à la banalité de ma lettre. Le mien, puis celui d'Anton refuse de continuer.
Origineel: particuliere collectie