E. du Perron
aan
L. Guilloux
Parijs, 20 maart 1936
Paris, vendredi.
Mon cher ami,
Vous vous accusez si copieusement que je n'ai qu'à rentrer dans ma coquille. Non pas que je n'y trouve encore un peu d'amertume - je suis un peu ‘oriental ombrageux’ parfois - mais qu'importe, puisque nous ferons comme si tout était dissipé. Je n'ai qu'à me dire que l'amitié ne donne pas des droits, pas plus que l'amour. Et votre lettre était très gentille.
Je suis heureux d'apprendre que les Greshoff vous aient été, et vous sont sympathiques, et qu'il y a des rapports établis. Greshoff est un ‘coeur chaud’ et un ami sûr, c'est pour moi une affaire établie depuis 9 ans, et dans 9 ans vous le direz peut-être aussi.
Mon article était tout ce qu'il y a de superficiel, ou du moins d'extérieur. Il s'agissait de ne pas dépasser la limite de vette colonne et ½ et encore moins le niveau des lecteurs de vet hebdomadaire. Et j'étais fatigué et nullement inspiré. J'ai donc tâché de faire pour le mieux dans ce ‘cadre’. Je n'ai pas le courage de vous traduire cela, mais ici KeesGa naar voetnoot2. s'impose. Il connaît le hollandais et mieux le français que moi, et il sera probablement heureux de pouvoir vous rendre ce petit service. Envoyez-lui l'article. Mais je vous préviens que, pour tous les copains en Hollande, celui de Bep est 10 fois mieux et jusqu'ici de loin le meilleur article qui a paru sur Le S.N. en Hollande. Je le dis sans fierté de mari; plutôt humilié.
Reste maintenant la traduction. J'ai écrit à Greshoff,Ga naar voetnoot4. qui me répond que pour lui c'est chose impossible, vu tout le travail qu'il a déjà. Moi, je suis à votre disposition, comme je vous l'ai dit, et Bep aussi. Disons que nous le ferons ensemble et que ce n'en sera que mieux. J'écris par le même courrier au directeur du W.B., pour dire que vous disposez encore des droits, que vous n'avez rien cédé au Schoup et qu'il doit vous écrire.Ga naar voetnoot5.
À part cela, rien de neuf. On a assisté ici à de grands exposés sur le réalisme socialiste,Ga naar voetnoot6. d'où il est ressorti que ce réalisme particulier est exactement tout ce qu'on veut. C'est une bête avec une tête sociale, des pattes romantiques, un ventre plein de réalité et une queue lyrique; avec ça on n'a qu'à le monter. En apparence il ne se fera monter que par des écrivains de gauche, mais il ne faut jurer de rien et je ne jurerai pas que Mauriac et Maurois ne sont pas, à tout considérer, des réalistes puissamment socialistes. Aragon a été grotesque comme d'ordinaire, André fort cruel avec le public - qui vraiment tirait la langue à force de courir à travers tous les arts de tous les siècles - mais comme toujours consistant et brillant. J'ai regretté l'absence de Benda, car le reste n'était que des professeurs. Le niveau de la discussion était plus élevée, disait André; aussi avons nous remarqué qu'on dormait beaucoup dans la salle. Le pauvre BourotteGa naar voetnoot7. a dû s'embarquer le lendemain, n'ayant pas dormi du tout, lui, et pourtant encore chargé de tous ses doutes sur le réalisme en question.
Lundi prochain je partirai pour Lyon, ou je resterai une semaine environ pour essayer to start (comment dit-on en français) la traduction de men quasi-roman avec Pia. S'il y ‘entre’, il pourra faire le reste seul. Il est plein de bonne volonté, veut y consacrer 3 heures par jour, en dehors de son travail,Ga naar voetnoot8. et me remplit, moi, de remords.
Je ne pense pas que je pourrai aller au Roselier. Mais vous viendrez à Paris et peut-être qu'alors vous trouverez le chemin, du moins du téléphone. Parlons alors de votre roman futur.Ga naar voetnoot9. Je comprends tout à fait l'angoisse dont vous me parlez, et je ne suis toujours pas foutu moi-même de commencer mon futur,Ga naar voetnoot10. que pourtant je porte depuis longtemps sous mon coeur d'écrivain.
Amitiés entre nous 6, et bien à vous,
EduP.
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