VII
Sur les houlques de Zélande, sur les boyers, croustèves, s'en va Thyl Claes
Ulenspiegel.
La mer libre porte les vaillants flibots sur lesquels sont huit, dix ou vingt
pièces toutes en fer: elles vomissent mort & massacre sur les traîtres
Espagnols.
Il est expert canonnier, Thyl Ulenspiegel, fils de Claes; il faut voir comme il
pointe juste, vise bien & troue comme un mur de beurre les carcasses des
bourreaux.
Il porte au feutre le croissant d'argent, avec cette inscription: Liever den Turc als den Paus. Plutôt servir le turc que le pape.
Les matelots qui le voient monter sur leurs navires, leste comme un chat, subtil
comme un écureuil, chantant quelque chanson, disant quelque joyeux propos,
l'interrogeaient curieux:
- D'où vient-il, petit homme, que tu aies l'air si jeunet, car on dit qu'il y a
longtemps que tu es né à Damme?
- Je ne suis point corps, mais esprit, dit-il, & Nele, m'amie, me
ressemble. Esprit de Flandre, Amour de Flandre, nous ne mourrons point.
- Toutefois, dirent-ils, quand on te coupe tu saignes.
- Vous n'en voyez que l'apparence, répondit Ulenspiegel; c'est du vin &
non du sang.
- Nous te mettrons une broche au ventre.
- Je serais seul à me vider, répondit Ulenspiegel.
- Tu te gausses de nous.