IX
Le lendemain, le peuple ayant appris le fait par Ulenspiegel, dit que c'était
méchante raillerie de leur faire adorer comme saint un pleurard qui laissait
aller ses eaux sous lui.
Et beaucoup devinrent hérétiques. Et partant avec leurs biens, ils couraient
grossir l'armée du prince.
Ulenspiegel s'en retourna vers Liége.
Étant seul dans le bois s'assit & rêvassa. Regardant le ciel clair, il
dit:
‘La guerre, toujours la guerre, pour que l'ennemi espagnol tue le pauvre peuple,
pille nos biens, viole nos femmes & filles. Cependant notre bel argent
s'en va, & notre sang coule par ruisseaux sans profit pour personne,
sinon pour ce royal maroufle qui veut mettre un fleuron d'autorité de plus à sa
couronne. Fleuron qu'il croit glorieux, fleuron de sang, fleuron de fumée. Ah!
si je te pouvais fleuronner comme je le désire, il n'y aurait que les mouches
qui te voudraient tenir compagnie.’
Comme il pensait à ces choses, il vit passer devant lui tout une bande de cerfs.
Il y en avait de vieux & grands ayant encore leurs daimtiers &
portant fièrement leurs bois à neuf cors. De mignons broquarts, qui sont leurs
écuyers, trottinaient à côté d'eux semblant tout prêts à leur donner aide de
leurs bois pointus. Ulenspiegel ne savait où ils allaient, mais il jugea que
c'était à leur reposée.
- Ah! dit-il, vieux cerfs & broquarts mignons, vous allez, gais &
fiers, dans le parfond du bois à votre reposée, mangeant les jeunes pousses,
flairant les senteurs embaumées, heureux jusqu'à ce que vienne le
chasseur-bourreau. Ainsi de nous, vieux cerfs & broquarts!
Et les cendres de Claes battirent sur la poitrine d'Ulenspiegel.