- Mais ils sont deux, dit la dame.
- J'en soignerai un, repartit la coquassière.
- Madame, repartit Ulenspiegel, nous sommes deux, il est vrai, moi & mon
pauvre Lamme, qui ne peut porter cent livres sur le dos, mais en porte cinq
cents sur l'estomac en viandes & boissons, volontiers.
- Mon fils, dit Lamme, ne te gausse point de moi infortuné à qui sa bedaine coûte
si cher à remplir.
- Elle ne te coûtera pas un liard aujourd'hui, dit la dame. Entrez céans tous
deux.
- Mais, dit Lamme, il y a aussi deux baudets sur lesquels nous sommes.
- Les picotins, répondit la dame, ne manquent point en l'écurie de M. le comte de
Meghem.
La coquaffière quitta sa poêle & tira dans la cour Ulenspiegel &
Lamme sur leurs ânes, lesquels se mirent à braire incontinent.
- C'est, dit Ulenspiegel, la fanfare de prochaine nourriture. Ils claironnent
leur joie, les pauvres baudets!
En étant tous deux descendus, Ulenspiegel dit à la cuisinière:
- Si tu étais ânesse, voudrais-tu d'un âne comme moi?
- Si j'étais femme, répondit-elle, je voudrais d'un gars à la face joyeuse.
- Qu'es-tu donc, n'étant point femme ni ânesse? demanda Lamme.
- Je suis vierge; dit-elle, une vierge n'est point femme ni ânesse davantage:
comprends-tu, grosse bedaine?
Ulenspiegel dit à Lamme:
- Ne la crois point, c'est la moitié d'une folle-fille & le quart de deux
diablesses. Sa malice charnelle lui a déjà gardé en enfer une place sur un
matelas pour y choyer Belzébuth.
- Méchant gausseur, dit la cuisinière, si tes cheveux étaient de crin, je n'en
voudrais pas seulement pour marcher dessus.
- Moi, dit Ulenspiegel, je voudrais manger toutes tes chevelures.
- Langue dorée, lui dit la dame, te les faut-il toutes avoir?
- Non, répondit Ulenspiegel, mille me suffiraient fondues en une seule comme
vous.
La dame lui dit:
- Bois d'abord une pinte de bruinbier, mange un morceau de
jambon, taille à même dans ce gigot, éventre-moi ce pâté, hume-moi cette salade.
Ulenspiegel joignit les mains: