Ulenspiegel la guettait. Quand elle fut loin, il entra dans la maison.
- Toi ici! dit la fillette; il ne brûle donc point là-bas?
- Là bas? non, répondit Ulenspiegel.
- Mais cette cloche qui sonne si lamentablement?
- Elle ne sait ce qu'elle fait, répondit Ulenspiegel.
- Et cette dolente trompette & tout ce peuple qui court?
- Le nombre des fous est infini.
- Qu'est-ce donc qui brûle? dit-elle.
- Tes yeux & mon coeur flambant, répondit Ulenspiegel.
Et il lui sauta à la bouche.
- Tu me manges, dit-elle.
- J'aime les cerises, dit-il.
Elle le regardait souriante & affligée. Soudain pleurant:
- Ne reviens plus ici, dit-elle. Tu es gueux ennemi du pape, ne reviens point...
- Ta mère! dit-il.
- Oui, dit-elle rougissant. Sais-tu où elle est à cette heure? Elle écoute là où
il brûle. Sais-tu où elle ira tantôt? Chez le Chien rouge, rapporter tout ce
qu'elle sait & préparer la besogne au duc qui va venir. Fuis,
Ulenspiegel, je te sauve, fuis. Encore un baiser, mais ne reviens plus; encore
un, tu es beau, je pleure, mais va-t'en.
- Brave fillette, dit Ulenspiegel la tenant embrassée.
- Je ne le fus point toujours, dit-elle. Moi aussi comme elle...
- Ces chants, dit-il, ces muets appels de beauté aux hommes amoureux?...
- Oui, dit-elle. Ma mère le voulait. Toi, je te sauve, t'aimant d'amour. Les
autres, je les sauverai en souvenir de toi, mon aimé. Quand tu seras loin, ton
coeur tirera-t-il vers la fille repentie? Baise-moi, mignon. Elle ne baillera
plus pour de l'argent des victimes au bûcher. Va-t'en; non, reste encore. Comme
ta main est douce! Tiens, je te baise la main, c'est signe d'esclavage; tu es
mon maître. Écoute, plus près, tais-toi. Des hommes belîtres & larrons,
&, parmi eux, un Italien, sont venus céans, cette nuit, l'un après
l'autre. Ma mère les fit entrer dans la salle où tu es, me commanda de sortir,
ferma la porte. J'entendis ces mots: ‘Crucifix de pierre, porte de Borgerhoet,
procession, Anvers, Notre-Dame, des rires étouffés & des florins qu'on
comptait sur la table... Fuis, les voici; fuis mon aimé. Garde-moi ta douce
souvenance; fuis...