LXXVII
Le poissonnier ne dut payer que la moitié du prix d'achat, l'autre moitié devant
servir à lui payer sa dénonciation jusqu'à ce que l'on retrouvât les sept cents
carolus qui l'avaient poussé à vilenie.
Soetkin passait les nuits à pleurer & le jour à faire oeuvre de ménagère.
Souvent Ulenspiegel l'entendait parlant toute seule & disant:
- S'il hérite, je me ferai mourir.
Comprenant qu'elle le ferait comme elle le disait, Nele et lui firent de leur
mieux pour engager Soetkin à se retirer en Walcheren, où elle avait des parents.
Soetkin ne le voulut point, disant qu'elle n'avait pas besoin de s'éloigner des
vers qui bientôt mangeraient ses os de veuve.
Dans l'entre-temps, le poissonnier était allé derechef chez le bailli &
lui avait dit que le défunt avait hérité depuis quelques mois seulement de sept
cents carolus, qu'il était homme chichard & vivant de peu, &
n'avait donc pas dépensé cette grosse somme, cachée sans doute en quelque coin.
Le bailli lui demanda quel mal lui avaient fait Ulenspiegel & Soetkin
pour qu'ayant pris à l'un son père, à l'autre son homme, il s'ingéniât encore à
les poursuivre cruellement?
Le poissonnier répondit qu'étant haut bourgeois de Damme, il voulait faire respecter les lois de l'empire & mériter
ainsi la clémence de Sa Majesté.
Ce qu'ayant dit, il laissa entre les mains du bailli une accusation écrite
& produisit des témoins qui, parlant en toute vérité, certifièrent
malgré eux que le poissonnier ne mentait point.
Messieurs de la Chambre échevinale, ayant ouï les témoignages, décla-