Ils sortirent ensemble & ils vinrent au bûcher.
La nuit était noire, sauf quand les nuages chassés par l'aigre vent du Nord
& courant comme des cerfs dans le ciel, laissaient brillante la face de
l'astre.
Un sergent de la commune se promenait gardant le bûcher. Ulenspiegel &
Soetkin entendaient, sur la terre durcie, le bruit de ses pas & la voix
d'un corbeau en appelant d'autres sans doute, car de loin lui répondaient des
croassements.
Ulenspiegel & Soetkin s'étant approchés du bûcher, le corbeau descendit
sur les épaules de Claes, ils entendirent ses coups de bec sur le corps,
& bientôt d'autres corbeaux vinrent.
Ulenspiegel voulut se lancer sur le bûcher & frapper ces corbeaux; le
sergent lui dit:
- Sorcier, cherches-tu des mains de gloire? Sache que les mains de brûlé ne
rendent point invisible, mais seulement les mains de pendu comme tu le seras
quelque jour.
- Messire sergent, répondit Ulenspiegel, je ne suis point sorcier, mais le sils
orphelin de celui qui est attaché là, & cette femme est sa veuve. Nous
ne voulons que le baiser encore & avoir un peu de ses cendres en mémoire
de lui. Permettez-le-nous, messire, qui n'êtes point soudard étranger, mais bien
fils de ces pays.
- Qu'il en soit fait comme tu le veux, répondit le sergent.
L'orphelin & la veuve, marchant sur le bois brûlé, vinrent au corps; tous
deux baisèrent le visage de Claes avec larmes.
Ulenspiegel prit à la place du coeur, là où la flamme avait creusé un grand trou,
un peu des cendres du mort. Puis, s'agenouillant, Soetkin & lui,
prièrent. Quand l'aube parut blémissante au ciel, ils étaient encore là tous
deux; mais le sergent les chassa de peur d'être puni à cause de son bon vouloir.
En rentrant, Soetkin prit un morceau de soie rouge & un morceau de soie
noire; elle en fit un sachet, puis elle y mit les cendres; & au sachet,
elle mit deux rubans, afin qu'Ulenspiegel le pût toujours porter au cou. En lui
mettant le sachet, elle lui dit:
- Que ces cendres qui sont le coeur de mon homme, ce rouge qui est son sang, ce
noir qui est notre deuil, soient toujours sur ta poitrine, comme le feu de
vengeance contre les bourreaux.
- Je le veux, dit Ulenspiegel.
Et la veuve embrassa l'orphelin, & le soleil se leva.