Souvenirs d'une promenade au mont Vesuve
(1841)–E.A. Classens de Jongste– Auteursrechtvrij
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O Vésuve!........... Au sein d'une nature qui étale touts les riches trésors de l'abondance, et sous des cieux toujours purs, le spectacle d'un volcan qui fume sans cesse, comme pour avertir que ses terribles feux destructeurs ne sont pas éteints dans les profondes entrailles de la terre, et surtout le souvenir lugubre de ses ravages passés; la vue de cet assemblage de ruines si silencieuses de Herculanum et de Poestum, de touts ces monuments de Pompéï échappés si étonnamment au vandalisme des barbares et aux ravages des siècles: tout cela donnerait une idée bien désolante des vicissitudes de ce monde et briserait, anéantirait sans doute le coeur de l'homme, si une philosophie saintement religieuse ne le nourrissait de ses consolations, et ne fécondait son esprit des plus sublimes inspirations à l'égard des mystérieux desseins de la Providence: tel est, dans notre opinion personnelle, l'ordre de réflexions de morale religieuse au quel on doit particulièrement se livrer en contemplant le | |
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Vésuve, et en reportant la pensée sur ses éruptions passées, aussi nombreuses qu'elles sont terribles.
L'étymologie du nom de Vésuve, de ce volcan fameux situé seulement à 5 milles au levant de Naples, provient, dit-on, de la configuration physique de ce mont. C'est Besbius que les habitants de l'antique Latium altérèrent en celui de Vesbius, ensuite Vesvius, d'où l'on forma Vesuvus, Vesuvius. Les Italiens l'appellent aujourd'hui dans leur langue Vesuvio, et la dénomination plus brève de Vesevo lui a seulement été donnée par les muses de la poétique Italie. Ce redoutable phénomène, qui jouit depuis long-temps de plus de célébrité que l'Etna en Sicile et que le mont Hécla de la froide Islande, n'en a cependant pas, comme montagne, des proportions aussi considérables, aussi cyclopéennes. Mais son centre d'action nourrit aujourd'hui bien plus d'activité volcanique; aussi, il s'est fait remarque par la fréquence de ses éruptions en même temps qu'il s'est rendu redoutable par la violence et la destruction qui les caractérisent presque toujours. Cependant, si la hauteur absolue de ce mont de feu ne frappe pas très-fort les regards, il ne laisse pas, contemplé à une certaine distance, que de surprendre la vue et de l'accabler en quelque sorte lorsque vous le comparez à vos proportions individuelles ou à quelque objet situé dans le voisinage. On satisfaira sans doute la curiosité en donnant ici un tableau des diverses mesures qui, à différentes époques, ont été géométriquement prises de la hauteur du Vésuve. | |
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En l'an 1749, Nolet lui trouva 595 toises de hauteur; mais l'opinion générale est que ce physicien s'est fourvoyé dans son opération mathématique. En 1794, Poli obtint 606 toises pour résultat En l'an 1816, le colonel Visconti lui trouva une élévation un peu plus considérable. Ses calculs lui donnèrent 622 toises. Le célèbre de Humboldt étant à Naples quelque temps après l'éruption de 1822 eut la curiosité de prendre la hauteur du Volcan; ce savant obtint 607 toises d'élévation. Enfin, il résulte des observations faites en 1831, que la hauteur du Vésuve avait alors pris de l'accroissement, puisque l'on trouva 618 toises; et c'est cette élévation qu'il a sans doute conservée jusqu'à présent. Ainsi l'on voit d'après ces données mathématiques combien toutes ces mesures sont loin de la hauteur, par exemple, de l'Hécla qui a cinq mille pieds de hauteur, au dessus du niveau de la mer. Les bases du Vésuve sont étendues; elles ont environ 24 milles ou douze lieues de contour. Ce mont est composé de deux parties distinctes éloignées l'une de l'autre de 500 toises. La première de ces divisions forme proprement le Vésuve: la seconde se compose des montagnes de Somma et d'Ottajano, qui ne vomissent point de feu et qui sont séparées du Vésuve par d'agréables et creuses vallées. Le cratère est renfermé dans le sommet du Vésuve; il forme un vaste bassin qui a, jusqu'à un certain point, cette forme ovale qu'affectionne la nature et que l'on retrouve généralement dans les objets de la création physique. | |
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Les tourmentes volcaniques de ce mont ont souvent été l'objet des travaux et des conjectures du monde savant. C'est ainsi qu'il y a des auteurs qui supposent qu'après l'éruption de la Solfatara de Pouzzole arrivée environ 1000 ans avant l'ère vulgaire, le Vésuve a vomi une quantité si considérable de matières que l'antique île de Sorrente, où les fictions mensongères de la fable et l'imagination des poètes placent le séjour enchanté de Circé, en acquit cette conformation péninsulaire qu'on lui voit aujourd'hui; mais si ce sentiment ne découle que d'un système de choses plus ou moins hypothétiques, il est au moins certain que les feux du Vésuve furent pendant bien des siècles regardés, par la commune opinion, comme éteints. Aussi, l'on cultivait dans les temps antiques jusqu'au sommet de cette montagne célèbre. La vigne y croissait à souhait; elle était couverte de grappes de raisin, qui donnaient ce délicieux vin de Falère, chanté par les antiques muses romaines. Cependant Diodore de Sicile et Strabon croyaient reconnaître dans ce mont les vestiges d'un volcan; mais ces historiens ignoraient s'il eut jamais brûlé à l'extérieur. Quant aux cavernes que renferme le Vésuve dans son sein, elles ont été praticables. C'est là, dit l'histoire, que le gladiateur Spartacus trouva un refuge lorsqu'il fut poursuivi par les légions de Claudius Pulcher, l'un des lieutenants de Crassus, envoyé par le Sénat à la poursuite du valeureux esclave, qui en profitant d'une heureuse issue entre les entrailles cachées du Vésuve, assura sa fuite avec 84 autres gla- | |
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diateurs sur le territoire de Nocera. Ainsi il recula les instants de cette mort malheureuse que ses mauvaises destinées lui réservaient quelques jours plus tard.
Aujourd'hui les mains laborieuses du cultivateur ne remuent plus le sol du Vésuve: aujourd'hui il est devenu un immense et terrible foyer de feu. Des exhalaisons méphitiques, une vapeur fortement sulfureuse se dégagent sans cesse du volcan: elles empestent l'air au loin. De noirs tourbillons de fumée lancés et vomis souvent avec du bitume, et une lave brûlante par la gueule horriblement ouverte du gouffre, d'où l'on entend un râlement sourd et infernal, rendent toujours la respiration dangereuse. Tout autour la végétation est anéantie. On dirait qu'un méchant démon y a exhalé son souffe et craché sa salive impure. La terre, aride et partout couverte de lapillo, semble être frappée de malédiction et de mort: c'est le champ malheureux de Caïn! Au milieu d'une mer de cendres et parmi des monceaux énormes de pierres fondues, il ne croit ni l'herbe de la prairie, ni les fleurs qui embellissent le riant empire de Flore. On n'y voit ni les grâces du printemps, ni les précieux présents de l'automne; car la vigne qui donne ce célèbre vin de Lacryma Christi, si parfumé, si exquis se trouve seulement dans les terres voisines, chaudes et sulfureuses, où la lave n'a point semé la stérilité et la mort. On sent dans ces lieux je ne sais qu'elle température ennemie de la nature et de l'humanité. Les oiseaux, pas même l'orfraie et le vautour ne se voient jamais sur la cime affreuse de l'abyme: ils ne pour- | |
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raiént trouver dans ces endroits aucun arbre, aucun mystérieux bocage pour se retirer. Des lieux moins défavorables, des cieux plus doux, les appellent à quelque distance: c'est là qu'ils vont construire leur nids, et chanter leurs innocentes amours. De cette bouche horriblement béante, prise par toute imagination un peu poétique pour l'entrée des enfers païens, s'échappe sans cesse des flots d'une fumée épaisse, méphitique, et souvent une lave infernale, qui ardente dans les ténèbres n'est que sombre sous l'éclat du soleil.
Qu'on ne croie pas que nous cherchions ici ǎ satisfaire les libres exigences de l'imagination et de la poésie orientale en fatiguant et en rebutant la raison par une continuité d'écarts désordonnés. Vous qui lentement avez gravi à pied le cône volcanìsé du Vésuve, vous qui êtes au bout du pénible et curieux pélérinage, évitez soigneusement les torrents de fumée vomis par le cratère souvent d'une manière aussi subite qu'inégale. Evitez-les: ils sont toujours dangereux, souvent funestes. Pas loin de ces lieux maudits habite un ermite. Interrogez-le: il vous dira mystérieusement comment moururent, il y a quelques années, ces trois seigneurs anglais qu'une imprudente curiosité amena sur les bords dangereux du gouffre. Interrogez encore le solitaire: si dans sa petite chapelle il a fini ses prières, il vous contera peut-être tou | |
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bas, et après vous avoir regardé fixement, l'histoire et le nom de cet autre Anglais, qui en l'an 1809 se précipita, avec un rire éclatant et moqueur, dans l'ouverture mugissante de l'abyme de feu, et d'où soudain une voix étrange, inconnue s'écria: Mystère!!!
Chose digne de toute l'attention du monde savant! Les révolutions du Vésuve ou de l'Etna en Sicile ont presque toujours eu de la coïncidence avec les agitations lointaines des volcans d'Islande. Ces faits ont surtout été remarqués en 1538, en 1554, en 1636, en 1717, en 1754, en 1755 et en 1766: cette année fut celle de la dernière grande révolte de l'Hécla. Ces phénomènes eurent lieu à ces diverses époques, tant, il est vrai qu'il est des harmonies inconnues, mystérieuces dont le systême existe aussi bien dans le ciel qu'au fond des entrailles de la terre! Harmonies grandes, terribles, sublimes, qu'on doit regretter de n'avoir point été dépeintes par les magnifiques et religieux pinceaux de B. de St. Pierre. Les ravages que le Vésuve a occasionnés sont aussi nombreux que terribles. Ou croit devoir donner ici un historique des guerres acharnées que ce mont a livrées à la nature et à l'humanité. Parmi les éruptions celles de 203 et de 472 sont mémorables; celle-ci transporta ses cendres jusqu'à Constantinople, où l'on prétend que l'empereur Léon fut si effrayé qu'il abandonna la ville. L'histoire a gardé un célèbre souvenir des éruptions | |
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de 572, de 685, de 993 et de 1036. On sait que cette dernière est la première des temps modernes qui ait vomi de la lave. Les années 1049, 1138, 1306, 1500 furent encore signalées par des éruptions violentes; mais la plus terrible après celle de 79 de l'ère vulgaire, arrivée sous la première année du règne de Titus, fut sans doute celle de 1631. Les auteurs du temps nous en donnent des descriptions dont le caractère est effrayant. D'autres éruptions marquèrent encore les années 1660, 1682, 1694 et 1698; mais elles n'ont pas été aussi fortes que celles dont on vient de parler. Dans l'éruption de 1730, qui toutefois ne fut pas l'une des plus grandes, la cime du Vésuve devint plus culminante. L'éruption du 15 mai 1737 fut fameuse; on a calculé que la lave égalait un cube de 113 toises. On en voit encore une forte quantité dans la Torre del Greco. Ensuite neuf autres anneés furent encore marquées par des éruptions plus ou moins violentes: ce sont celles de 1751, 1754, 1759, 1760, 1765, 1767, 1776, 1778 et 1779. Les éruptions de 1794, de 1810, de 1813, de 1822 et de 1834 sont présentes au souvenir de beaucoup de personnes. Mais de toutes les éruptions volcaniques la plus terrible après celle de 79 de l'ère chrétienne, qui détruisit Pompéï, Herculanum et tant d'autres villes, comme l'ouragan du Midi brûle et renverse le voyageur dans le désert, ce fut sans contredit celle de 15 juin 1794. | |
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Qu'on n'attende pas de notre part d'impossibles efforts pour la décrire avec une encre froide, pâle, une phraséologie sans couleurs, d'après ce que nous avons un jour ouï dire à des personnes âgées, témoins de cet effroyable désastre, et qui vivent encore aujourd'hui. Mais voici sur ce grand événement quelques faits généraux; on les lira sans doute avec intérêt. Vers dix heures du soir, on aperçut au haut du Vésuve un feu qui brilla tout-à-coup; puis un second, un troisième, puis cent feux, puis mille feux! Bientôt ils se confondirent en une immense colonne d'un sombre éclat qui s'élargit au point de remplir tout le périmêtre du bassin. Cette colonne de feu décrivit une parabole, et elle vomit sans relâche un torrent de laves brûlantes ayant deux tiers de mille. Tel qu'un serpent gigantesque, elle prit sa course en bondissant vers la Torre del Greco, et après avoir causé d'effroyables ravages, elle alla se jeter à la mer lugubrement rougie par les reflets du volcan. Cependant l'on voyait au dessus du cratère une innombrable quantité de foudres qui lançaient un affreux tourbillon de flammes: ces foudres se combinaient d'une manière aussi capricieuse que fantastique, tandis que d'horribles mugissements souterrains se faisaient entendre: ils précédaient toujours un épouvanable tremblement de terre. L'horizon fut pendant deux jours couvert d'un voile épais; et la mer, qui tout le temps de l'éruption était restée dans une effrayante immobilité, ne reprit que le lendemain son mouvement habituel. Enfin, après cette épouvantable scène de deuil, | |
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l'on vit à Somma un énorme typhon qui, en se crevant avec bruit, causa d'affreux désastres.
Voila seulement quelques lignes écrites à la hâte sur cet événement sinistre et à jamais mémorable. On s'eu formera sans doute une idée plus exacte en lisant, ou pour mieux dire, en méditant la page suivante, où l'auteur de la Poétique de la Musique peint à grands traits, avec autant de vérité que d'élégance et de richesses littéraires le tableau de l'éruption d'un volcan et de ses ravages. Ecoutons Lacépède, écoutons-le:
‘Tout-à-coup, au milieu du silence de la nuit, un bruit affreux retentit à leurs oreilles: ils entendent de loin la mer mugir, et rouler vers le rivage ses ondes amoncelées; les souterrains profonds sont frappés à coups redoublés; la terre tremble sous leurs pas; ils courent pleins d'effroi au milieu des ténèbres épaisses. Une montagne voisine, s'entr'ouvrant avec effort, lance au plus haut des airs une colonne ardente, qui répand au milieu de l'obscurité une lumière rougeâtre et lugubre; des rochers énormes volent de tous côtés; la foudre éclate et tombe; une mer de feu, s'avançant avec rapidité, inonde les campagnes; à son approche, les forêts s'embrasent; la terre n'offre plus que l'image d'un vaste incendie, qu'entretiennent des amas énormes de matières enflammées, et qu'animent des vents impétueux. Où fuyez-vous, mortels infortu- | |
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nés? De quelque cô'é que vous cherchiez un asile, comment éviterez-vous la mort qui vous menace? De nouveaux gouffres s'ouvrent sous vos pas; de nouveaux tourbillons de flamme, de pierres, de cendres et de fumée, volent vers vous du sommet des montagnes; et la mer écumeuse, rougie par l'éclat des foudres, surmonte son rivage, et s'avance pour vous engloutir. Cependant ces phénomènes terribles s'apaisent peu à peu; les feux s'amortissent; la mer, à demi calmée, retire en murmurant ses ondes bouillonnantes; la terre se raffermit; le bruit cesse, et le jour paraît. Quel triste et lugubre tableau présente la campagne ravagée! Elle n'offre plus que des monceaux de cendres, que des rochers énormes entassés sans ordre, que des torrens de lave ardente, que des bois qui brûlent encore, que de tristes restes des infortunés qui ont péri au milieu de ces désastres. Un ciel couvert de nuages n'envoie sur tous ces objets funèbres qu'une clarté pâle et terne: un calme sinistre règne dans l'air; des bruits lointains annoncent de nouveaux malheurs, et la mer répond par de sourds gémissemens au bruit lugubre que font entendre les profondes cavernes de la terre. Consternés, saisis d'effroi, pressés dans le seul espace où les flammes ne sont pas parvenues, les mains élevées vers le ciel qui seul peut les secourir, les hommes adressent alors leurs ardentes prières à celui qui commande à la mer et à la foudre. Leur prière est courte, mais touchante; ils la recommencent souvent, et chaque fois avec un ton plus pénétré; ils cherchent en quelque sorte à faire par venir leur voix jusqu'à l'Être dont ils implorent la | |
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clémence: tous les signes des passions qui les agitent, de l'effroi, de la vive inquiétude, de la désolation, se mêlent aux sons qu'ils profèrent et qu'ils soutiennent avec effort’.
Aujourd'hui les colères du redoutable phénomêne sont muettes..... Cependant le cratère laisse échapper des tourbillons de noire fumée. Souvent on y aperçoit des flammes dont la figure bizarre, brillante, vive éclaire surtout dans l'obscurité des ténèbres. N'est-ce point peut-être un mystérieux fanal établi par les mains de Dieu sur les bords fréquentés de ce beau golfe de Naples, où il brûle et laisse entre-voir au loin ses silencieuses clartés? Ses feux variés, qui serpentent à plaisir ça-et-là vers le ciel sont connus du nautonnier; ils l'avertissent des écueils cachés dans le sein des flots; ils préviennent son naufrage, et lui indiquent fidèlement sa route au milieu des ombres épaisses et incertaines des nuits.
Cependant sur le sommet solitaire du Vésuve, là où la nature réunit, pour la peinture et la poésie, tant de terreurs sublimes, tant de choses funèbres, il est aussi un langage passionné, une haute éloquence cachée qui plait au coeur de bien des hommes, et que la seule méditation peut comprendre. Il y a dans l'organisation morale de certains êtres un instinct secret qui les met en rapport avec les grandes scènes d'une nature au caractère sombre, irritée, terrible. C'est ainsi que le tableau riche de lugubres | |
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beautés de cet enfer qui, par son cratère, fume sans cesse, et dont la crête lance encore quelquefois vers le ciel de fantastiques serpents de flamme, a toujours renfermé des harmonies pleines de mystères, des convenances plus ou moins intimes avec la mélancolie de nos idées, l'indignation de nos colères profondes, et la tristesse, l'amertume sans égales d'une vie qu'une foule de nombreuses et pénibles infirmités physiques rendent sans illusions et privent même du sentiment vague de l'espérance.
Mais vous qui n'avez point le coeur flétri, vous qui ne l'avez point brisé, vous dont l'esprit et l'âme ne sont point noyés dans toutes les souffrances de l'existence, apprenez, apprenez par l'activité incessante du foyer volcanique, que le mouvement est l'une des lois éternelles du monde matériel, de la nature physique, comme il est la loi première de l'esprit humain. N'y a-t-il point encore d'autres enseignements à puiser dans le spectacle de cette grande montagne dévastatrice, symbole de la destruction, de la mort et du néant? Eh oui! Tout esprit sérieux et qui sait s'élever dans le domaine des saines méditations peut apprendre là combien toutes les choses de ce monde sublunaire sont fragiles, périssables; et que l'enivrement, la déception grossière des sens peuvent seuls faire accroire à l'homme que sa destinée d'un jour doit s'agiter dans le cercle étroit de la vie présente, en s'attachant uniquement au fantôme de ses faux biens et à touts ces plaisir[s] | |
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tumultueux ainsi qu'au torrent de ces jouissances vives, désordonnées, dont le charme trompeur, fugitif, éphémère est toujours suivi de l'aiguillon d'une douleur amère. Elégantes et curieuses touristes, aimables et belles voyageuses qui le coeur joyeux portez, après une ascension difficile et fatigante, vos pas légers au bord du gouffre, écoutez! Vos grâces, votre éclatante beauté, votre jeunesse si fraîche, si vive, si insouciante vont passer sous les outrages du temps qui s'envole. Hélas! elles passeront dans un instant avec la rapidité de la fumée qui s'échappe, qui s'évanouit sous vos yeux, et qui a desséché, fait mourir à jamais les herbes, les plantes et toutes les riantes fleurs qui voulaient embellir les alentours désolés de l'abyme. Ainsi hâtez-vous d'aimer et de prier: rien n'est si doux que l'amour, rien n'est si salutaire que la prière, rien n'est si beau que la femme, la femme faible qui prie Dieu! Et vous, esprits téméraires dont la logique est mon strueusement absurde, vous petits philosophes altiers, vous qui foulez aux pieds la cendre du cratère, animez-vous, en contemplant les choses de l'abyme, des sentiments consolateurs; faites-y des études religieuses et un retour sur vous-mêmes: c'est toujours à l'aspect des grandes scènes de la nature que la Providence parle avec une mystérieuse éloquence aux coeurs desséchés. Tel est l'ordre de quelques unes des réflexions morales que doit sans doute inspirer la contemplation du Vésuve. | |
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Cependant, combien de grandeur et de poésie enchanteresse et sublime dans le tableau, qui de toutes parts se voit et se déroule des hauteurs de ce volcan! Quel coup d'oeil pittoresque enchante les yeux de touts côtés! Quelle aimable, quelle riche variété dans cette fertile et belle terre de Naples, semblable à un Eden délicieux où la nature a répandu, à pleines mains, toute l'abondance de ses bienfaits! Ici, des villes riantes et pleines d'aménités; - là, des lieux célèbres qui rappellent agréablement les fictions ingénieuses de la fable, ou qui évoquent des souvenirs historiques remplis de charme ou d'un puissant intérêt; - ça-et-là, des villas délicieusement situées et où dans la douceur des plaisirs champêtres, plus d'un illustre voyageur, plus d'une sentimentale dame étrangère, plus d'une demoiselle élégante au coeur aimant et à l'esprit rêveur vont toujours modérer, oublier souvent l'amertume des choses du tourbillon du grand monde de Londres, de Vienne ou de Berlin, de S.t Pétersbourg ou de la capitale de la France; - là, des vertes prairies, de mystérieux et profonds vallons où bondissent innocemment de nombreux troupeaux dont la laine estimée fait l'objet d'un trafic étendu avec l'étranger; - là, des champs fertiles où les moissons jaunissent sous le plus beau soleil; - plus loin, des troupes de cultivateurs et de femmes accablés sous le fardeau de touts les fruits que se disputent, à l'envi, de joyeux enfants; - plus loin encore des pasteurs paisibles qui font mélancoliquement répéter les sons de la cornemuse à touts les mystérieux échos d'alentour; - enfin, plus d'un tendre amant qui se promène avec sa | |
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fiancée: il rêve, il soupire tandis que sa maîtresse baisse les regards sur le bouquet de fleurs qui orne son sein.
Voyez! A l'ouest de Naples les yeux ne peuvent se rassasier du tableau riant de cette montagne de Pausilippe embellie de bois remplis de superbes orangers et ornée d'autres arbres toujours verds!Ga naar eind(1)Ga naar voetnoot(*)
Près de cet endroit est un froid et silencieux tombeau; il est ombragé d'un chêne verd; touts les pieux visiteurs en respectent, en vénèrent le feuillage; car cet arbre végète tristement sur le Tombeau de Virgile!Ga naar eind(2)
Pas loin de là est un lieu sacré où le coeur de l'homme peut, par un lien sublime, s'élever et se consoler près de Dieu: c'est l'Église des Servites.Ga naar eind(3)
Derrière Pausilippe est l'îlot de Nisita. C'est là, dit l'histoire, que Brutus après avoir, dans le Sénat romain, fait tomber Jules-César sous ses poignards, s'embarqua précipitamment avec Cassius pour chercher un refuge sur les rivages de l'Afrique. | |
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Là est Pouzzoles où la vue contemple les restes superbes d'un temple consacré à Sérapis ou aux Nymphes païennes.Ga naar eind(4)
Là est le fameux lac Averne qu'a chanté le cygne de Mantoue.Ga naar eind(5)
Sur la rive opposée, au pied d'une colline et au milieu d'arbrisseaux, dont les branches et le feuillage forment une nuit épaisse, est l'entrée de la Grotte de la Sybille par où le pieux Enée descendit aux Enfers.Ga naar eind(6)
Vers l'ouest est Baïes où Marius et Sylla, Pompée et César et cet empereur Néron, qui rappelle de si cruels souvenirs, eurent de somptueux palais; Baïes où Octave, Antoine et Lépide formèrent leur célèbre triumvirat, et où l'empereur Adrien rendit les derniers soupirs.Ga naar eind(7)
Près de cette ville est le Cap Mysène où stationnaient ces redoutables flottes des Romains et qui maintenaient la sûreté des mers et du littoral, depuis le détroit de Messine jusqu'aux fameuses Colonnes d'Hercule.
Là est Cumes. Il y avait dans l'antiquité le tombeau de marbre de Tarquin-le-Superbe. A une lieue au nord on voit la tombe d'un illustre Romain, de Scipion l'Africain, sur laquelle la volonté dernière de ce grand homme fit graver pour épitaphe: | |
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Non, non, ingrate patrie, tu n'auras pas mes cendres!Ga naar eind(8)
Là est le village de Baccola (Bauli) près duquel est le port où Agrippine échappa, pour quelques instants, à la mort que lui avait jurée son fils dénaturé.Ga naar eind(9)
Près du lac Fusaro (l'Achéron des Anciens) qu'on voit là, se trouve le petit pays appellé Mercato del Sabbato où les poètes de l'antiquité placent les Champs Elysées.Ga naar eind(10)
Cette grande île qu'on aperçoit dans le lointain, c'est la volcanique Ischia, l'ancienne Pythécuse, désignée par Homère et le poète de Mantoue, sous le nom de Inarima. Cette île est surtout brûlée par les feux souterrains du volcan de S.t Nicolas (Mont Epomeo).Ga naar eind(11)
Entre Ischia et le célèbre cap Mysène est l'île de Procida (Prochyta); elle évoque de grands souvenirs historiques. C'est là, disent quelques écrivains que le fameux Jean de Procida conçut la pensée des Vêpres Siciliennes.Ga naar eind(12) Au sud dans le lointain est une île: c'est l'antique Caprée (Capri). Le sol y palpite partout des souvenirs de la grandeur des anciens Romains. Avec les signes de la magnificence des habitudes publiques, on y rencontre, à chaque pas, des vestiges du faste des moeurs privées. De touts côtés se révèlent des élégants détails de la mystérieuse vie domestique; et partout l'o[n] | |
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y remarque des traces d'un goût délicat sur lequel la société actuelle s'empresse encore de former le sien. Cependant l'île de Caprée est marquée du cachet de l'infamie. On ne sait que trop, d'après les anciens auteurs latins, Suétone et Tacite, dans quelles honteuses débauchès Tibère s'y vautra pendant sept années, tandis qu'il envoyait à Rome, du fond de son palais, tant d'ordres sanguinaires. Et qui le croira? La cité éternelle livrée aux monstrueux caprices de ce César de boue érigeait des autels impies à Tibère, Rome adorait tout haut les crimes horribles de Tibère; Rome, la ville du peuple-roi, trouvait dans les actes cruels de Tibère le modèle, le type d'un grand homme, et dans toutes ses honteuses dépravations les attributs sacrés de la Divinité! N'est-ce point ici qu'avec une vertueuse et douloureuse indignation il faut s'écrier comme l'orateur romain: O temps, ô moeurs!Ga naar eind(13)
L'antique Caprée inspire un profond dégoût: detournons la vue.
Là, près des côtes de Caprée est cette mystérieuse Grotte d'Azur, si digne du pinceau de Backhuysen et de la plume magnifique de M. de Châteaubriand. Un lac aux eaux tranquilles et bleues y appelle aussi les chants mélodieux des Muses.Ga naar eind(14)
Un peu en deça, on distingue presque toute la péninsule de Sorrente, magique séjour de Circé, fille du Soleil. La fable antique murmure qu'une de ces | |
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trois Syrènes à la voix si enchanteresse a trouvé un tombeau près des murs de Sorrente. Sorrente! que ce nom résonne tristement! Il rappelle le souvenir du Tasse, qui y naquit le 11 mars 1544; du Tasse dont les destinées furent d'être aimé de la belle Eléonore d'Este: amours qui donnèrent naissance à cette noire envie qui fit condamner l'harmonieux chantre à la misère, à la persécution, aux horreurs de l'exil; maux qui s'accrurent de touts les orages d'une courte existence agitée, tourmentée, et par le torrent de ses vagues et immenses désirs, et par les passions haineuses des hommes au milieu desquels l'immortel poète eut le malheur de vivre. Ah! heureux, si le jour où il arriva le coeur brisé et noyé d'amertume aux côtés de sa soeur Cornélie, il eut formé le serment de ne la quitter jamais! Là, au sein des lieux si doux de sa naissance, sous un ciel pur et serein, dans une des plus ravissantes positions de la belle Italie, en face d'une nature pleine de délicieuses et de suaves beautés, sur le rivage de la mer loin de ses ennemis, le chantre de la Jérusalem délivrée eut sans doute goûté ces instants de calme et de bonheur qui, comme autant de songes vains, de trompeuses images, fuirent sans cesse loin de lui!Ga naar eind(15)
Près de Sorrente est Castellamare qui offre à la foule nombreuse des étrangers et aux seigneurs napolitains un refuge bienfaisant et plein de molles délices: c'est lorsque l'atmosphère de Naples est embrasée, pendant l'été, des feux ardents du soleil. | |
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Enfin, ici est cette Naples, ici est cette Naples toujours au pied du Vésuve, toujours au pouvoir des terribles feux du Volcan! Qui ne regarde point avec admiration la moderne Parthénope, semblable à un bosquet de rosiers qui, ayant été nourri par la rafraîchissante rosée de la nuit, sent dès l'aurore les rayons bienfaisants du soleil qui viennent le vivifier et l'embellir? Il croît, il entr'ouvre ses charmants boutons, il étend son feuillage verd, il épanouit ses fleurs tendres et parfumées, et qui brillent des plus douces couleurs. A chaque moment qu'on le voit, l'oeil y trouve des beautés nouvelles. Ainsi florit la capitale du royaume des Deux-Siciles, résidence d'un Monarque dont la noble sollicitude justifie, à tants d'égards, les belles et justes paroles du vieil Homère, par lesquelles ce poète définit un bon roi le pasteur du peuple.Ga naar eind(16) De toutes parts s'étend, à perte de vue, cette admirable nappe d'eau salée, ce Golfe de Naples dont l'humidité bienfaisante rafraîchit, pendant les jours de l'été, l'atmosphère embrâsée de Parthénope-la-neuve. Heureux amants! oui, c'est sur les bords de ce beau golfe que pendant les longues soirées de l'été votre bouche se confie les mystères d'un coeur en souffrance! Le silence de la nuit, le calme profond de la mer tyrrhénienne, les rayons pâles et incertains de la lune se réfléchissant sur la surface des ondes, les douces brises qui soufflent paisiblement, le sombre azur des cieux dont la voûte brille d'innombrables étoiles, tout vous dispose, tendres et heureux amants, à la mélancolie, tout enivre vos sens, tout prête du charme à | |
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vos douces amours, tout semble vous dire de vous adorer à jamais!Ga naar eind(17)
Voici cette petite ville, ce bourg de Portici, auquel une Muette, fille pauvre et malheureuse, a donné une illustration dramatique, un vif éclat de plus!
Vers ce côté au midi, apparaît à la vue l'antique Poestum. Aussi célèbre par l'éclatante beauté et l'odeur de ses bosquets de rosiers que par le caractère admirable de l'architecture simple et noble à-la-fois de ses temples et de touts ses monuments, Poestum est sorti éclatant de son sépulcre longtemps inconnu pour raconter surtout aux beaux-arts des choses dont l'histoire avait perdu la mémoire.
Poestum est couronné par les montagnes lointaines de la Calabre et reliées entr'elles par une pointe tristement poétique C'est la Pointe de Palinure, au pied de laquelle les flots amers de la mer jettèrent, après son naufrage, le corps mort du malheureux compagnon d'Enée.Ga naar eind(18)
Là près de Resina et des Deux-Tours on contemple dans le fond une cité éternellement silencieuse. Tout dans l'enceinte de ses murs est méditations, tout y est merveilles. On y voit la personnification fantastique d'un siècle qui n'est plus, qui appartient à la grande ère de l'éternité, mais qui s'est dévoilée à nos arts, à nos sciences, à nos moeurs, à notre moderne civilisa- | |
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tion, avec son diadême de grandeur antique et de richesses dignes de Rome. Cette cité, quelle est-elle? C'est Pompeï, qui fut ensevelie sous les matières de feu du Vésuve? C'est Pompéï! C'est Pompéï, la vestale chaste dont des mains profanes lèvent aujourd'hui avec mystère le voile sacré qui la couvre! Et sa voix murmure tout bas les choses cachées de la civilisation des temps de l'ancienne Rome. Ecoutez, jeune soldat, écoutez, car les nobles faits, les actions sublimes doivent se proclamer! C'est aux portes de Pompéï que les sentinelles romaines, les sentinelles du devoir ne désertèrent point le poste d'honneur. Ainsi, en observant religieusement leur consigne, elles donnèrent un grand exemple de cette discipline militaire dont les devoirs sont si rigoureux. Ainsi elles moururent avec gloire sous les coups enflammés d'un nouvel ennemi, mille fois plus redoutable que touts ceux contre lesquels elles luttèrent jamais! Hélas! Pompéï s'évanouit et disparut sous les cendres en feu du Vésuve, comme les trompeuses illusions du monde se dissipent à jamais aux approches de la mort! Oh! si Pompéï ensevelie n'est qu'une faible image des vanités de cette vie de déception et de larmes; si l'imagination se représente dans les tumultueuses agitations du Vésuve quelque chose des transports terribles et de la colère solennelle de l'Ange exterminateur, oh! l'aspect de Pompéï doit inspirer de bien graves, | |
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de bien hautes pensées, et élever, en abaissant leur fol orgueil, nos esprits et nos coeurs vers le Ciel!Ga naar eind(19)
Près de Pompéï l'on voit Herculanum O malheureuse cité, comme tu ressembles à une nymphe antique dont touts les sens glacés sont plongés dans le silence effrayant des tombeaux! Oui! tes vêtements de deuil sont étrangement marqués! Et le même doigt invisible qui, dans l'immense salle des festins et des orgies de Balthazar, écrivit de lugubres et fatales lettres de feu, a tracé sur ta robe les deux mots: Mort et Mystère!....Ga naar eind(20)
Cependant l'on admire ici, là, partout, le tableau des campagnes napolitaines C'est dans ces heureuses contrées que la nature, semblable à la magique Armide, fait naître, pour ainsi dire, de rien le séjour plein d'enchantement où elle entraîne ses nombreux adorateurs. Cette belle campagne réalise, en quelque sorte, les fabuleuses délices de l'âge d'or des poètes. C'est là que bien des illustres seigneurs, bien des illustres et élégantes voyageuses ont été engagés, comme ils le sont encore touts les jours, à dépouiller le mensonge des émotions factices éprouvées dans le bruit de la societé. Il y a dans l'aspect de touts ces beaux lieux quelque chose de calme, de doux, de philosophique, qui prépare l'âme à sortir du torrent des rapides et folles agitations de cette vie d'illusions trompeuses | |
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que terminent tant d'hommes par l'amertume du chagrin, et souvent par les idées sombres du d ésespoir. On ne doit point attendre de nous l'impossibile effort de dépeindre les douces sensations que fait naître, la contemplation de la belle nature de Naples. Eh! comment communiquer avec des phrases pâles, décolorées, avec des mots secs, dans la pensée et l'âme des autres, le langage d'émotions vives, variées qui surprennent, qui étonnent, et que, par son organisation humaine, on ne croyait point d'éprouver jamais! Dans cette admirable campagne napolitaine, labyrinthe de beautés, où la vue s'égare et ue quitte un enchantement que pour retomber dans un autre enchantement, nous avons plus d'une fois agréablement souri à ces vignes qu'on remarque sur la colline de Pausilippe et en mille autres lieux: l'heureuse abondance y rappelle les souvenirs si doux de la patrie francaise! Elles s'enlacent avec plaisir, et courent capricieusement en élégants festons parmi les figuiers dont l'aspect reporte encore les pensées du coeur vers la Provence et Marseille. C'est toujours la France! Le capricieux pampre verd s'élance aussi au tronc de touts les autres arbres; il monte comme une tige vagabonde de lierre; il s'élargit en élégant chapiteau; et puis chargé sous le poids d'un raisin aussi doux qu'éclatant, il va retomber quelques instants, ensuite court parmi des groupes d'arbrisseaux couverts de toute sorte de fleurs; et il finit par les entourer de vertes guirlandes, festonnées comme de légères broderies. | |
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Mais parmi les beaux végétaux qui embellissent la contrée, rien n'est sans doute plus magnifique que touts les orangers, et qu'une élégante et gracieuse périphrase du cygne de Cambrai appelle ces arbres touffus qui portent des pommes d'or, et dont la fleur, qui se renouvelle dans toutes les saisons, répand le plus doux de touts les parfums. Le pommier de Nocera avec ses roses carminées qui transporte la pensée dans les pittoresques vergers de la Normandie; - le châtaignier, le pin qu'on voit surtout sur les hauteurs de Capodimonte, le prunier et le poirier qui se plait à Massa; - le laurier des poètes; - le cérisier si connu au village du Vomero; - les pêchers couverts d'un fruit plus succulent que celui des jardins de Montrueil près de Paris; - le thym et le serpolet odorants dont le lapin fait ses innocentes délices; - la violette qui, sous un épais feuillage, cache modestement ses fleurs douces et odoriférantes; - le melon rouge cultivé avec tant de succès à Castellamare, le melon blanc qui aime à croítre à Capoue; - les myrtes si chers à Vénus et aux amours; - le citronnier avec le limonnier qui croissent avec plaisir dans le proche voisinage du mélancolique olivier cultivé à souhait à Castellamare et sur la colline de Sorrente; - les rosiers de toute espèce et beaux comme les célèbres rosiers de Poestum ou comme ceux qui embellissent les champs de Grasse en Provence; - les tendres amandiers, aussi fleuris que les amandiers épanouis sous le soleil du Languedoc; - enfin touts les autres arbres, les plantes et les fleurs de toute nuance des meilleurs pays de l'Europe: telle | |
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est la belle, la riche végétation qui couvre avec orgueil et embellit partout ce sol de Naples éclairé des cieux les plus doux. Oui! tout cela réuni, forme un tableau parfait, où l'âme émue, agitée, passionnée finit par se transporter avec ravissement, et dont l'éloquente beauté parle à la tête et au coeur de touts les hommes! Eden délicieux, imposant, solennel, aussi plein de grâce que de majesté et d'enchantement, et qui étonne, surprend tout-à-coup la pensée, l'élève, l'agrandit, et ravit touts les sens, comme les attraits d'une belle femme fascinent les regards du jeune homme qui l'admire en silence!
Il serait impossible de jamais dire la tristesse qu'éprouva notre âme, et tout ce qu'il lui fallut d'efforts sur elle - même pour nous arracher à touts ces lieux enchanteurs, lorsque notre vue les eut contemplés pour la première fois, en arrivant, il y a quelques mois, du Midi de la France. Que nos regrets furent grands, qu'ils furent cruels quand il fallut quitter ces beaux jardins, où règne une fraîcheur si bienfaisante alorsqu'à Naples le ciel est en feu; - ce feuillage épais que les rayons du soleil pénètrent à peine; - ces bosquets mystérieux où touts les oiseaux font entendre leur doux chant: - ces labyrinthes merveilleusement boisés et touffus, refuge de mille essaims d'abeilles, et où fourmillent le nids d'oiseaux qui arrêtent les enfants à chaque pas; - ces humides cascades dont l'eau jaillit et retombe e[n] | |
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bouillons écumeux sur la nappe verte et brillante des prairies. Les sentiments d'amertume qui, en abandonnant lentement ces beaux lieux, nous saisirent ne découlèrent-ils point peut - être des réminiscences qui vinrent soudain assaillir notre esprit et notre coeur des choses si vives, si chères de la patrie? Les fibres les plus délicates, les plus secrètes de notre organisation n'étaient-elles point agitées, émues, fortement impressionnées par l'amour de la terre natale, par cet amour, le plus beau, le plus noble, le plus moral de touts les amours, et l'instinct que la sagesse de la Providence a le plus spécialement affecté à la nature humaine? A la vue de cette immense campagne de Naples, semée de tant de merveilles, nous n'avons pu nous empêcher de nous écrier: O collines et montagnes couvertes d'un pampre verd qui pend en charmants-festons! O cités riches de tant de souvenirs de l'histoire et de la fable antique! O vertes, riantes et heureuses prairies! O cascades au doux murmure, et vous, champs féconds au sein desquels notre coeur désirerait être né si notre pays n'existait pas! O villas agréable ment situées, jardins délicieux, campagnes bénies de la Providence! O creux vallons où bondissent les troupeaux et d'où [l']on entend les sons agrestes de la cornemuse! O mer Méditerranée dont les ondes légèrement irritées ont porté [l]e rapide bateau-à-vapeur sur le pont duquel étant couché [l]es nuits d'été notre esprit rêveur a mollement rêvé en nous éloignant des rivages de Marse ille! Oui, vous nous | |
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reverrez encore! Oui, oui, nos regards viendront souvent vous contempler! Et si à présent il faut partir pour la moderne Parthénope: Adieu, riantes, belles ou mélancoliques cités aux si puissantes inspirations! Adieu, superbes tapis verds qui brillez au loin de l'émail de mille belles fleurs! Adieu, mystérieux vallons où les pasteurs et les enfants sont couchés près des troupeaux! Adieu, champs paisibles et vous, collines charmantes! Adieu, montagnes qui vons élevez vers les nues et dont l'aspect fantastique fait le charme des yeux! Adieu, purs et limpides ruisseaux qui vous jouez dans la campagne! Adieu, rivières qui roulez des eaux claires et paisibles où se baignent les bergers et les innocents enfants! Adieu, immenses jardins, ornés de toutes les plantes, de toutes les fleurs et couverts de touts les arbres! Adieu, golfe de Naples dont les ondes brillent de toutes parts, sous les rayons ardents du soleil d'Italie, de myriades d'éclatants diamants et de larges et scintillantes paillettes! Adieu, adieu, ô tableaux enchanteurs! Adieu! Nous partons à l instant, mais nous revenons demain.
Le Vésuve en attachant un intérêt plein de curiosité et de terreur à cette Naples, où l'air imprégné de voluptés a déjà une si puissante vertu attractive, y appelle surtout une foule d'étrangers de toute condition. | |
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Le beau monde y vient pour ainsi dire de touts les points de l'Europe et de la terre civilisée; et la science et les arts, les lettres et la poésie trouvent daus l'enceinte de Naples, comme sur le sommet de sa célèbre montagne de feu, de vastes, de hauts sujets d'études et de sublimes inspirations, Les muses françaises particulièrement ont trouvé sous le beau ciel de cette cité et surtout à la vue inspiratrice du mont terrible qui la menace sans cesse de mort le secret de brillantes, d'énergiques et d'harmonieuses couleurs.
Citera-t-on ici touts les prosateurs et les poètes de la France jouissant d'une réputation littéraire pleine d'éclat qui ont chanté la moderne Parthénope et le Vésuve? On ne croit-pas devoir entreprendre cette tâche. Mais outre l'auteur de la Poétique de la Musique, qui a déjà fourni à ce faible tableau une page étincelante de beautés aussi terribles que sublimes, on fera encore connaître ici le nom de la plume célèbre qui a écrit Corinne, brillante épopée créée pour la gloire de l'Italie, cette terre classique des beaux-arts et de la poésie. Voici la magnifique composition de Madame de Staël:
‘Au pied du Vésuve, la campagne est la plus fertile et la mieux cultivée que l'on puisse trouver dans le royaume de Naples, c'est-à-dire dans la contrée de l'Europe la plus favorisée du ciel. La vigne célèbre, dont le vin est appelé Lacryma Christi se trouve dans cet endroit, et tout à côté des terres dévastées par la lave. On dirait que la nature a fait un dernier effort en ce lieu voisin du volcan, et s'est parée de ses plus | |
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beaux dons avant de périr. A mesure que l'on s'élève, on découvre, en se retournant, Naples et l'admirable pays qui l'environne; les rayons du soleil font scintiller la mer comme des pierres précieuses; mais toute la splendeur de la création s'éteint par degrés jusqu'à la terre de cendre et de fumée, qui annonce d'avance l'approche du volcan. Les laves ferrugineuses des années précédentes tracent sur le sol leur large et noir sillon, et tout est aride autour d'elles. A une certaine hauteur, les oiseaux ne volent plus; à telle autre, les plantes deviennent très-rares; puis les insectes mêmes ne trouvent plus rien pour subsister dans cette nature consumée. Enfin, tout ce qui a vie, disparaît; vous entrez dans l'empire de la mort, et la cendre de cette terre pulvérisée roule seule sous vos pieds mal affermis:
Nè greggi nè armenti
Guida bifolco mai, guida pastore.
Jamais le berger ni le pasteur ne conduisent en ce lieu ni leurs brebis ni leurs troupeaux. Un ermite habite là sur les confins de la vie et de la mort. Un arbre, le dernier adieu de la végétation, est devant sa porte; et c'est à l'ombrage de son pâle feuillage que les voyageurs ont coutume d'attendre que la nuit vienne pour continuer leur route. Car, pendant le jour, les feux du Vésuve ne s'aperçoivent que comme un nuage de fumée, et la lave, si ardente de nuìt, n'est que sombre à la clarté du soleil. Cette métamorphose elle-même est un beau spectacle, qui renou- | |
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velle chaque soir l'étonnement que la continuité du même aspect pourrait affaiblir’.
Après ce morceau de prose, où règnent cette élégance, cette richesse de langage qui caractérisent toutes les productions del'illustre fille de Necker, on lira sans doute avec un égal intérêt ces autres lignes du même écrivain, pleines de magnificence et d'énergiques pensées. Ces lignes complettent la page qu'on vient de méditer, et elles en sont le digne pendant.
‘Le feu du torrent est d'une couleur funèbre; néanmoins, quand il brûle les vignes ou les arbres, on en voit sortir une flamme claire et brillante; mais la lave même est sombre, telle qu'on se représente un fleuve de l'Enfer; elle roule lentement comme un sable noir de jour, et rouge de nuit. Ou entend, quand elle approche, un petit bruit d'étincelles, qui fait d'autant plus de peur qu'il est léger, et que la ruse semble se joindre à la force: le tigre royal arrive lentement, secrètement, à pas comptés. Cette lave avance, avance, sans jamais se hâter, et sans perdre un instant; si elle rencontre un mur élevé, un édifice quelconque qui s'oppose à son passage, elle s'arrête, elle amoncelle devant l'obstacle ses torrents noirs et bitumineux, et l'ensevelit enfin sous ses vagues brûlantes. Sa marche n'est point assez rapide pour que les hommes ne puissent pas fuir devant elle; mais elle atteint, comme le Temps, les imprudents et les vieillards qui, la voyant venir lourdement et silencieusement, s'imaginent qu'il est aisé de lui échapper. Son éclat est si | |
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ardent, que, pour la première fois, la terre se réfléchit dans le ciel, et lui donne l'apparence d'un éclair continuel; ce ciel, à son tour, se reflète dans la mer, et la nature est embrasée par cette triple image de feu. Le vent se fait entendre et se fait voir par des tourbillons de flamme dans les gouffres d'où sort la lave. On a peur de ce qui se passe au sein de la terre, et l'on sent que d'étranges fureurs la font trembler sous nos pas. Les rochers qui entourent la source de la lave sont couverts de soufre, de bitume, dont les couleurs ont quelque chose d'infernal. Un vert livide, un jaune brun, un rouge sombre forment comme une dissonnance pour les yeux et tourmentent la vue. Tout ce qui entoure le volcan rappelle l'Enfer, et les descriptions des poètes sont sans doute empruntées de ces lieux. C'est là que l'on conçoit comment les hommes ont cru à l'existence d'un génie malfaisant qui contrariait les desseins de la Providence. On a dû se demander, en contemplant un tel séjour, si la bonté seule présidait aux phénomènes de la création, ou bien si quelque principe caché forçait la nature, comme l'homme, à la férocité’.
Ecoutez maintenant ces beaux vers sortis de la plume de Castel, de ce littérateur aimable, de ce poète élégant, qui fut long-temps cher à notre France, le favori des Muses, et dont le nom sera toujours un éloge pour les Belles-Lettres: ‘Le Vésuve en courroux, sous ses monts caverneux;
Recommence à mugir avec un bruit affreux,
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Et déchaîne, en poussant une épais se fumée,
Sur son gouffre tonnant la tempête enflammée.
Elle échappe soudain, et des sommets ouverts
En colonne de feu s'élance dans les airs.
Des foudres souterrains et des roches fondues
La suivent jusqu'au ciel, et retombent des nues.
Le bitume et le soufre, épandus en torrens,
Roulent sur la montagne, en sillonnent les flancs,
Et, dans les creux vallons se traçant un passage,
Des fleuves infernaux offrent l'horrible image.
L'incendie a gagné les antiques forêts.
Les animaux, fuyant dans les sentiers secrets,
Vingt fois, pour s'échapper, retournent sur leur trace;
Partout la mort en feu les repousse et les chasse.
On voit, loin du volcan et de leurs toits brûlans,
Errer de toutes parts les pâles habitans;
Et l'époux qui soutient sa moitié défaillante,
Et du vieillard courbé la marche chancelante,
Et la mère qui croit dérober au trépas
Son fils, unique espoir, qu'elle tient dans ses bras.
Inutiles efforts! les vagues irritées
Franchissent en grondant leurs rives dévastées;
L'Apennin a tremblé jusqu'en ses fondemens;
La terre ouvre en tous lieux ses abîmes fumans,
Des plus fermes cités ébranle les murailles,
Et les ensevelit au fond de ses entrailles.
Un jour peut-être, un jour nos neveux attendris
Découvriront enfin, sous de profonds débris,
Ces villes, ces palais, ces temples, ces portiques,
De nos arts florissans monumens authentiques.
Ainsi dans les remparts qu'Hercule avait bâtis,
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Par un malheur semblable autrefois engloutis,
Nous allons admirer de superbes ruines,
Et de l'antiquité fouiller les doctes mines.
Quel sera le destin de tant de malheureux
Echappés par hasard à ce désastre affreux?
De cendres, de cailloux une pluie enflammée
Couvre tout le pays de feux et de fumée.
Le laboureur a vu les trésors des sillons
Sortir de ses greniers en brûlans tourbillons.
En vain il cherche encor dans les arides plaines
Ses buffles vigoureux, compagnons de ses peines;
Ils ne reviendront plus d'un pas obéissant
Sur ce sol calciné traîner le soc pesant.
Nul secours, nul espoir ne s'offre à sa misère.
Comment nourrir, hélas! ses enfans et leur mère?
Ira-t-il secouer le gland dans les forêts?
Mais l'orage partout a fait tomber ses traits;
Et les chênes, séchés jusque dans leurs racines,
De ces lieux désolés ont accru les ruines.
Alors parmi les feux, les laves, les tombeaux,
La famine apparaît, et, traînant ses lambeaux,
Traverse les cités, rôde dans les villages,
D'abord sous l'humble toit exerce ses ravages.
Puis, des palais pompeux franchissant les degrés,
Entre avec le Besoin sous les lambris dorés.
Dans l'air en même temps les sombres Euménid
Soufflent de toutes parts leurs poisons homicides.
Une fréquente toux, de longs étouffemens,
Sont du premier accès les signes alarmans.
Dès la seconde aurore une brûlante haleine
Du poumon embrasé ne s'échappe qu'à peine.
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La toux du corps entier fait crier les ressorts,
Et l'humeur, sans sortir, résiste à ses efforts.
Un feu séditieux étincelle au visage;
Le pouls du sang à peine annonce le passage;
La plus légère étoffe est un pesant fardeau;
Une barre d'acier traverse le cerveau,
Et le mal, redoublant sa fureur intestine,
Comme un affreux vautour déchire la poitrine.
Après la triste nuit qu'alonge la douleur,
La langue se noircit, le teint perd sa couleur;
Le malade aux abois porte sur le visage
De sa prochaine mort l'infaillible présage.
Douce espérance, alors tu quittes ses lambris!
Il n'entend plus sa femme, il ne voit plus ses fils;
Son esprit égaré, que la fièvre tourmente,
Erre sur le sommet d'une montagne ardente,
Croit rouler dans un gouffre, et frémit de terreur
En regardant au loin l'immense profondeur.
A ce transport succède une stupeur mortelle:
Le sang glacé s'arrête, et la faible prunelle
Sous les doigts du trépas se fermant sans retour,
Il meurt avant la fin du quatrième jour.
Dieux! qui reconnaîtrait ces campagnes fertiles?
Des hameaux fortunés et d'opulentes villes,
Des maisons qu'entouraient des bocages fleuris,
Charmaient à chaque pas le voyageur surpris.
Deux fois sur les coteaux les brebis étaient pleines
Et les moissons deux fois jaunissaient dans les pla[ines]
La manne y distillait; les humains trop heureux
Y ployaient sous les fruits qui renaissaient pour e[ux]
L'amour et le plaisir, enfans de l'abondance,
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Présidaient les concerts, animaient à la danse;
Echo ne répétait que les chants des bergers;
Des vignes s'élevaient dans le sein des rochers;
Le laurier, le jasmin, s'arrondissant en voûtes,
De leur ombre odorante embellissaient les routes.
C'était un grand jardin où de nombreux canaux
Portaient de toutes parts la fraîcheur de leurs eaux.
Quel désastre imprévu! quelles terribles scènes!
Des torrens sulfureux, de brûlantes arènes,
Tous les feux des enfers, tous les fléaux des cieux,
En un vaste cercueil ont changé ces beaux lieux!’
Enfin, voici une autre page de poésie: on la doit aux nobles inspirations de C. Chênedollé. Cette page est digne de sa plume et de la France, digne de l'Italie, digne de Naples et de son Vésuve! Mais vers ces bords rians Parthénope m'appelle.
Là se présente aux yeux une scène nouvelle;
Là je vois rassemblés, dans de vastes tableaux,
Tous les effets du ciel et des feux et des eaux.
Combien de souvenirs consacrés par l'histoire!
Combien d'illusions chères à la mémoire,
Dans ce premier berceau de la gloire et des arts,
Viennent au coeur ému s'offrir de toutes parts!
Eh! quel lieu fut jamais en grands noms plus fertile?
Ici naquit le Tasse, et là mourut Virgile.
C'est là, c'est dans ces champs qu'Hésiode à la main,
Epris de leurs beautés, le poete romain
Chantait dans le repos ses douces Géorgiques;
C'est là qu'il exhalait les plaintes énergiques
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Où vivra de Didon l'éternelle douleur.
Mais d'un sol vigoureux qui peindra la couleur,
Et le pampre accablé sous sa grappe opulente,
Et des volcans noircis la flamme étincelante,
Et l'île au triple front, et ce ciel enchanté,
Et d'une double mer la double immensité?
O vieux géant! ô toi dont la bouche embrasée,
Sur ces bords qu'embellit l'éclat de l'Elysée,
Épanche trop souvent les laves des enfers,
Vésuve! tu rugis, tes flancs se sont ouverts:
L'onde qui bat tes pieds a fait fumer ta cime;
La mer dans tes fourneaux, que sa fureur anime,
Se roule, et les torrens s'échappent à grand bruit.
Mille langues de feu se croisent dans la nuit.
Mais le fleuve enflammé, plus bruyant que l'orage,
Se plonge dans la mer qui nourrissait sa rage:
La mer, en frémissant, le reçoit dans son sein.
Oh! quel combat alors ébranle son bassin!
Le volcan à la mer vient rendre sa secousse,
Et heurte avec fracas les ondes qu'il repousse.
Ainsi, lorsque Vulcain, près de ces mêmes lieux,
Forge, aux flancs de l'Etna, des foudres pour les d[ieux]
Dans la mer frémissante il trempe le tonnerre,
Et des deux élémens renouvelle la guerre.
Cependant l'eau bouillonne, et d'immenses vapeurs
Enveloppent les cieux de leurs voiles trompeurs;
Et le soleil, qui sort de la mer enflammée,
Parmi les flots, rougis d'une ardente fumée,
De son disque agrandi montre les bords sanglans,
Et d'un oeil effrayé voit ces gouffres brûlans.
Enfin, quand Amphitrite à pas lents se retire,
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Le noir Typhon s'apaise et son courroux expire,
Et Vulcain fatigué meurt faute d'aliment.
Mais le monde alarmé te revoit rarement,
O Vésuve! ô fléau! qui, par de longs ravages,
Signales ton retour dans les fastes des âges;
Et des tours et des murs, en ton sein foudroyés,
Entretiens si long-temps les peuples effrayés!
Les peuples cependant près de toi se rallient;
A tes pieds embrasés les fleurs se multiplient;
Tu redoubles la vie et la fertilité!
Des conquêtes du feu, quand le temps irrité
Aura mêlé, pétri cette cendre féconde,
Sur un monde détruit va naître un nouveau monde.
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