Certainement cet équilibre est très rare et ce n'est que chez l'artiste doué et cultivé, vrai ‘architecte de la sensibilité’, selon l'expression de Cocteau, qu'il peut se vérifier.
Nous sommes cependant sur le chemin de le réaliser le plus possible, d'amalgamer ce que Max Jacob appelle spirituellement ‘le côté coeur et le côté jardin’, c'est-à-dire l'instinct et la raison.
La sensibilité et l'intelligence ne sont pas, au fond, deux éléments si incompatibles, et on les retrouve, dans des mesures différentes, dans l'oeuvre de chaque artiste.
Au sujet de l'instinct, Matisse me disait un jour: ‘Il faut le contrarier; il est comme un arbre dont on coupe les branches pour qu'il pousse plus beau’.
D'autre part, Guyau écrit que tout instinct qui tend à devenir conscient se détruit; mais il ajoute: ‘L'instinct ne disparaît que devant une forme d'activité mentale qui le remplace en faisant mieux’.
Si cette forme ‘d'activité mentale’ est une synthèse du côté conscient et du côté inconscient de l'individu, c'est-à-dire de toutes ses facultés physiques et psychiques, maîtrisons l'instinct, car elle me paraît réaliser cet équilibre dont l'artiste a besoin pour atteindre la perfection dans l'oevre d'art.
Sur ces bases, générales, il est permis d'appeler l'oevre d'art subjective, et qualitative, et, pour ces raisons, faire un tableau est à la fois une chose très ‘bêêête’, comme dit Picasso, et une chose très difficile.
Nous n'avons pas la prétention d'établir des idées fixes réglant la construction de nos tableaux, car cela aussi est une question de qualité; cependant des accords, des affinités existent dans nos oeuvres, et c'est sur ces affinités que je baserai la démonstration générale de nos moyens constructifs.
Mesuration de l'espace et 4e dimension. - L'espace étant amorphe, nous ne pouvons le définir que par la géométrie, convention créée par notre esprit afin de pouvoir représenter l'équivalent des corps solides.
Pour situer un corps dans l'espace, la géométrie est le seul ‘moyen’ employé, d'ailleurs, d'une façon plus ou moins apparente, par les peintres de toutes les époques.
Le temps est amorphe aussi, c'est-à-dire relatif aux instruments qui peuvent le mesurer.
L'espace et le temps sont donc relatifs et c'est le rôle de l'artiste de les rendre absolus.
Le géomètre a besoin d'instruments de plus en plus parfaits pour mesurer l'espace et le temps; ces instruments ne servent à rien à un peintre; son organisme possède au plus haut degré le sens de l'espace. Il l'exprime en créant des formes, en mettant des couleurs, qui le définissent, le matérialisent, d'une façon plus complète que le géomètre.
L'espace ordinaire de celui-ci se base en général sur la convention inamovible des 3 dimensions; les peintres, dont les aspirations sont illimitées, ont toujours trouvé trop étroite cette convention.
C'est-à-dire qu'aux 3 dimensions ordinaires, ils tâchent d'ajouter une 4e dimension qui les résume et que est différemment exprimée, mais qui constitue, pour ainsi dire, le but de l'art de toutes les époques. On a dit beaucoup de bêtises à propos de cette 4e demension plastique; je tâcherai donc d'en donner une idée le plus possible exacte.
On dit que Matisse fut le premier à se servir de cette expression devant les premières recherches cubistes de Picasso. C'est une légende comme on en prête souvent à Matisse