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Architecture
Kinshasa, visible et invisible
Ancienne capitale du Congo belge, Kinshasa occupe une place importante dans l'histoire de l'architecture et de l'urbanisme de la Belgique. Le concept et la réalisation de la capitale constituaient un projet grandiose témoignant de la modernité belge. Aujourd'hui, cette qualité moderniste n'est qu'une des nombreuses réalités de Kinshasa. L'architecte-curateur Koen van Synghel, l'anthropologue Filip de Boeck et la photographe Marie-Françoise Plissart ont mis sur pied, pour le pavillon belge de la Biennale internationale d'architecture de Venise (2004), une exposition consacrée à la réalité polyinterprétable de Kinshasa en tant que ville centrafricaine postcoloniale. A l'occasion de cette exposition a également été publié un livre, rédigé en anglais exclusivement (1).
Les abords charmants des Giardini confèrent parfois à la Biennale l'aspect d'une exposition universelle intéressante mais assez sage où des pays peuvent exhiber ce que leur savoir-faire architectural comporte de meilleur. Des contributions comme celle consacrée à Kinshasa, en revanche, remettent en question la portée nationaliste de l'architecture. Se focalisant sur l'urbanité plutôt spécifique de la grande ville d'Afrique centrale contemporaine, elle tend à remettre en question jusqu'à la faculté ordonnatrice de l'architecture et de l'urbanisme. Pour ces raisons, précisément, l'exposition a donné lieu à de vives controverses. Comme la Flandre n'a l'occasion de se présenter qu'une fois tous les quatre ans à Venise, en alternance avec la Communauté française de Belgique, il est évident qu'elle laissait passer ainsi une occasion de promouvoir l'architecture flamande au niveau international. La polémique s'est toutefois arrêtée lorsqu'on a appris que le pavillon belge s'était vu attribuer le Lion d'or, premier prix de la compétition de la Biennale. Une véritable aubaine pour le Vlaams Architectuurinstituut, organisateur de l'exposition.
‘Ce n'est pas, ou pas en premier lieu, l'infrastructure matérielle ou l'architecture qui fait de la ville une ville,’ souligne Filip de Boeck. ‘La ville existe d'une certaine manière par-delà son architecture.’ Selon les conceptions occidentales classiques en matière d'urbanisme, des éléments matériels tels que des bâtiments ou des infrastructures publiques permettent non seulement de conférer une forme à une ville mais également de déterminer son identité. Ce raisonnement ne tient plus debout pour ce qui est de grandes villes d'Afrique centrale telles que Kinshasa. Cherchant à appréhender la véritable identité de Kinshasa, De Boeck met en place trois miroirs dans lesquels se reflète la ville. Le premier, c'est le miroir des origines coloniales. Alors que le pays est sorti de la colonisation depuis 1960, la création et le développement du Kinshasa moderne laissent évidemment encore des traces dans la vie urbaine. L'appropriation de cet héritage est un processus laborieux qui se lit à travers les nouvelles dénominations dont chaque nouveau régime dote la ville, les rues et les quartiers. Un deuxième miroir est celui du village, de l'arrière-pays, de la brousse. Kinshasa se définit sur la base d'un contraste par rapport au village dépeint comme primitif. En fait, traditions, moeurs et passé du village ne cessent de s'infiltrer dans l'identité de Kinshasa. Des bandes de jeunes délimitent un territoire à l'intérieur de la ville comme le fait le chasseur dans la brousse. La diaspora de Kinois en Europe occidentale et aux États-Unis constitue le troisième miroir. On a cultivé assez longtemps le mythe du style de vie dans le quartier bruxellois de Matonge, où se
concentrent les Congolais émigrés, mais ce mythe cède de plus en plus