Chants des marins de Flandre adaptés en français
Au grand dam des romantiques et autres que cela désole, force est de constater qu'en ce début du xxie siècle, la Flandre française est devenue un domaine linguistique français pour ainsi dire unilingue. Bien sûr, on y parle encore une forme de patois flamand dans les communes limitrophes de la frontière belge, où la France et la Belgique se partagent parfois la grand-rue du village. Et il est certes exact que partout entre Dunkerque et Armentières on peut encore rencontrer des gens qui comprennent plus ou moins le dialecte de la Flandre-Occidentale. Cette langue a cependant totalement perdu sa fonction sociale dans tous les domaines de la vie en Flandre française. Soit, telle est la réalité, et il s'agit là même d'une constatation somme toute peu dramatique pour la culture flamande dans ce coin tout à fait à part de la France. Il y a plus d'un siècle, des Flamands de Belgique tels que Maurice Maeterlinck ou Émile Verhaeren écrivaient de la littérature ‘flamande’ en français. Même Jacques Brel piquait quelquefois une petite colère lorsqu'on rechignait à l'appeler un chansonnier flamand!
D'autre part, il est et reste certes important que les Flamands francophones du nord de la France entretiennent l'héritage culturel de leur région ou, pour les générations plus jeunes, y soient initiés. Le barde dunkerquois Jacques Yvart donne un magnifique exemple illustrant de quelle manière le riche patrimoine musical de la Flandre française peut être rendu accessible aux Flamands de France francisés. Son CD Chants des marins de Flandre est une véritable perle qui permet aux auditeurs francophones de faire connaissance avec douze chansons ayant presque toutes un lien avec la vie dans les ports de la Flandre française.
Au chapitre 7 de son ouvrage Chants populaires des Flamands de France, Edmond de Coussemaker, de Bailleul, publiait sept zeevaertliederen - chants maritimes. Il les avait toutes consignées par écrit en écoutant chanter des marins dunkerquois. Quatre des sept chants traitent de la légendaire pêche à la morue dans les eaux islandaises. Trois d'entre eux figurent sur ce CD. Reys naar Island - Voyage vers l'Islande décrit l'itinéraire historique de la pêche en haute mer qui va de Nieuwpoort, en passant par Fayerelle, Direfjörd et Bredefjörd, jusqu'au cap Nord, et évoque aussi la vie des marins du mois de mars jusqu'au mois d'août à bord de bateaux qui devinrent des cercueils pour bon nombre d'entre eux. Les pêcheurs d'Islande quittant leur milieu familial et leur pays pour cinq mois au moins, il n'y a rien d'étonnant à ce que Het Afscheid - La Séparation ait inspiré un chant beau, émouvant mais triste. Plus féroce est Het Afzijn - L'Absence, qui certes s'apitoie sur le sort des femmes laissées seules sur le continent, mais celles-ci sont néanmoins suspectées en même temps d'être des créatures infidèles et volages:
Au fond du coeur, une peine d'amour,
on pourrait volontiers les plaindre.
Cupidon, vole à leur secours
et fasse qu'elles n'aient rien à craindre.
Yvart emprunte aussi au livre de De Coussemaker un chant de pirate ainsi qu'une chanson à boire. D'autres recueils d'airs flamands connus lui ont fourni encore trois chansons narratives.
Sur le plan international, des chants de marins sont le plus souvent associés à des shanties, des chansons susceptibles de scander le rythme de travail lors du chargement ou du déchargement dans les ports. Les shanties consistaient en des questions et des réponses. Le chantre marquait le tempo, le groupe suivait en reprenant un refrain facile. Ces refrains n'étaient souvent guère plus qu'un texte simpliste - une variante de ‘lalala’ quelque peu plus compliquée et originale - ou combinaient différentes langues de grandes puissances maritimes telles que l'anglais, le norvégien, mais également le néerlandais. Deux exemples frappants figurent ainsi sur ce CD. Douwe, jongens, douwe (Souquez, les gars, souquez) a été écrit par John Lundström, Anversois d'origine scandinave, et c'est à juste