Un autoportrait de Werner Lambersy
Pour Pierre Drachline qui attendait de lui ‘tout sauf un poème’, Werner Lambersy a trempé pour la première fois sa plume dans l'encrier du prosateur. Et de Paris où il est chargé de la Promotion des lettres belges au centre Wallonie-Bruxelles, le poète de Maîtres et maisons de thé (1979) a tourné le regard vers la ville qui le vit naître, en novembre 1941. Non pas pour nous offrir l'énième guide touristique d'Anvers, mais pour renouer avec son propre passé et l'âme secrète de la ville.
Avec Anvers ou les anges pervers, Lambersy nous livre en effet quelques clés de sa vie et de sa personnalité. A quatre ans, entraîné par sa mère pour qui la guerre ne fut qu'une suite d'aventures amoureuses, il s'enfuit d'Anvers, emportant avec lui son premier souvenir conscient: un pont qui saute derrière eux. Sur son enfance passée dans une maison qui est ‘un enfer de dispute, de scènes de ménage, de mensonges et d'hypocrisies’, plane l'ombre d'un père collaborateur, condamné à vingt ans de prison. Un médecin, défenseur de l'avortement, le remplace bientôt jusqu'à ce que lui aussi soit arrêté: ‘pour intelligence avec le coeur’. Arrive un troisième qui finalement se volatilisera sans traces avec l'héritage de Lambersy et avec les images de sa jeunesse.
‘Avoir trop de pères revient à n'en pas avoir’ et oblige l'orphelin à se chercher un autre ‘sperme géniteur’: pour Lambersy, ce fut le poème, ‘Jupiter orgastique de (sa) naissance’. Aussi est-ce dans les bistrots d'Anvers que le jeune homme déluré qui vit d'expédients, se
Werner Lambersy (o1941) (Photo Jean-Pol Stercq).
transforme en poète boutonneux et que le ‘petit assotté rimailleur’ rêve du poème qui serait capable, tel qu'une femme son amant, de garder le lecteur dans la part qu'il lui refuse.
Mais Anvers est aussi l'endroit où l'adolescent, attendant le moment où il saura reconnaître l'amour, cherche le trouble nécessaire à son épanouissement. Il fréquente les cinémas spécialisés autour de la place Reine Astrid ou de la Gare centrale, s'oublie dans les bras de jeunes mamans dont il emporte dans une fiole le lait ‘pour le boire dans la solitude de la séparation’ ou s'attarde dans le zoo où ‘dans les cages comme au-dehors, le rut réglement(e) les rapports’. De Bruxelles, ni le jeune homme, ni l'adulte ne savent résister à l'appel de la cocotte aguicheuse pour virées héroïques, à la voix sourde de cette Salomé du Nord. Car, s'il y a une constante dans le livre de Lambersy, c'est bien la féminisation, voire l'érotisation d'Anvers ‘où la verge puissante du fleuve pénètr(e) dans