Septentrion. Jaargang 24
(1995)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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de 36 ans -, l'écrivain néerlandais Simon Vestdijk (1898-1971) a composé une oeuvre de fiction immense. Celle-ci comporte en effet, outre une trentaine de nouvelles et un nombre quasi incalculable de poèmes, pas moins de 52 romans. Parmi tous ceux-ci, De koperen tuin (1950), paru en traduction française sous le titre Le Jardin de cuivre, semble avoir eu pour Vestdijk une importance toute particulière. Il a en effet affirmé à plusieurs reprises que c'était son roman préféré. Lorsqu'il le relisait (Vestdijk avait l'habitude de lire ses romans à haute voix à ses intimes), il lui était extrêmement difficile de maîtriser la vague d'émotion que suscitait en lui la mort tragique de l'héroïne, Trix Cuperus, qui se suicide à l'âge de 22 ans en absorbant une dose mortelle d'arsenic. L'intrigue du Jardin de cuivre se situe au début du siècle dans une petite ville de Frise, province natale de Vestdijk. La hiérarchie sociale y est d'une importance capitale et influe de façon déterminante sur les rapports qu'entretiennent entre eux les différents personnages. Ainsi, le protagoniste du roman, le jeune Nol Rieske, se désigne lui-même fréquemment comme ‘le fils du juge’. Son amour pour Trix Cuperus, dont le père, musicien de son état, mène une vie résolument anticonformiste, semble dès le départ voué à l'échec. Cet amour revêt cependant un caractère exceptionnel: il est né alors que Nol et Trix étaient encore enfants. Lors d'une chaude journée d'été, ils ont spontanément dansé ensemble dans le parc municipal, au son d'une musique frénétique orchestrée par le père de Trix. Les instruments de cuivre qui vibraient dans le soleil, les longues mains fraîches de Trix, la danse tourbillonnante, tout ceci a provoqué en Nol une exaltation intense dont le souvenir restera pour lui inoubliable. Durant toute son adolescence et bien qu'il ne la voie que rarement, il voue à cette fille pâle, longiligne et froide une véritable vénération dont il ne prend cependant conscience que très progressivement. Ce n'est que beaucoup plus tard, alors qu'il est assis sur le seuil de la maison de Cuperus, devenu entre-temps son maître de musique, et qu'il écoute celui-ci égréner une musique cristalline, que Trix et lui se déclarent leur amour et échangent leur premier baiser. Ici encore la musique apparaît en contrepoint de leur amour. Elle joue d'ailleurs un rôle primordial dans l'ensemble du roman. Les parents de Nol organisent fréquemment des soirées musicales auxquelles participent quelques célibataires qui tous occupent une position sociale prééminente et sont en outre plus ou moins amoureux de Madame Rieske. Celle-ci, une jolie personne enjouée, possède un don musical certain. Le père, par contre, un homme sec, cérémonieux et acharné au travail, apprécie la musique pour autant qu'elle n'exprime que des sentiments modérés. Chris, le frère aîné de Nol, s'acharne pendant des années au piano pour enfin se rendre compte qu'il n'a aucun talent. C'est alors que Nol prend la relève: déjà impressionné par la musique du Jardin de cuivre, il éprouve une émotion indicible en entendant une sonate de Haydn et décide alors de suivre des cours de piano chez Cuperus. C'est ainsi qu'il suit de près la gestation de plusieurs représentations d'opéra dirigées par Cuperus, la plus marquante étant celle de Carmen. La représentation de l'opéra de Bizet sera cependant un fiasco complet et marquera le début de la déchéance de Cupurus qui meurt quelques années plus tard dans une crise de delirium tremens. Peu de temps après cette représentation, Nol quitte la ville pour entamer des études de médecine mais il vit dans l'attente de revoir Trix. Il apprend bientôt que la jeune fille ‘file un mauvais coton’ (p. 183): il est de notoriété publique qu'elle est devenue la maîtresse de Vellinga, rédacteur en chef du journal local, et elle aurait eu d'autres aventures amoureuses. Trois ans plus tard, Nol la revoit au Cercle du Jardin, où elle a trouvé un emploi de serveuse. | |
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Edgar Fernhout, ‘Portrait de Simon Vestdijk’, huile sur toile, 116 × 73, 1958, ‘Letterkundig Museum’, La Haye.
Tous deux se retrouvent dans le parc, sous la clarté laiteuse de la lune. Cette scène des retrouvailles dans ‘le Jardin des Jardins’ (p. 221) met particulièrement en lumière la complexité du sentiment qu'éprouve encore Nol pour Trix: s'y mêlent à la fois la pitié, la crainte, la soif de domination et le désir d'être protégé par elle (Nol rêve que la jeune fille, plus grande que lui, se penche pour l'enrober dans sa chaleur)... Par ailleurs, il semblerait que cette scène soit également une scène d'adieu. Trix se révèle à lui comme ‘tissée de la lumière de la lune’ (p. 223); elle est immatérielle et donc déjà morte pour lui. Elle est aussi indissolublement liée au souvenir du Jardin de cuivre qui, en ces mois d'automne, est devenu un jardin d'argent. Le lendemain, Nol se rend chez Trix et lui demande de l'épouser. La jeune fille se juge indigne de lui. Elle lui apprend alors que Vellinga a abusé d'elle après la lamentable représentation de Carmen. Par la suite elle a pris plaisir à exercer son pouvoir de séduction sur lui ainsi que sur d'autres hommes appartenant tous à la classe bien-pensante de la ville. Mais Nol n'en démord pas: il veut donner une leçon de moralité à cette ville confite dans son provincialisme en épousant celle que l'on qualifie déjà de fille publique. Trix lui demande de rester avec elle cette nuit-là, mais Nol refuse. Peu de temps après son départ, elle se suicide. Désespéré, Nol erre dans les rues. Il sait que seuls lui restent la solitude et un chagrin immense, qui deviendront son unique bien propre et qu'il refusera désormais de perdre. Le style de Vestdijk est particulièrement caractéristique: c'est un style baroque aux périodes émaillées de paradoxes, au vocabulaire recherché, de sorte qu'il est assez difficile de pénétrer dans son univers romanesque. Mais dès que l'on a quelque peu progressé dans la lecture du livre, on a l'impression que le style prend de l'ampleur, qu'il vous entraîne irrésistiblement dans un tourbillon de sentiments contradictoires qui se mêlent si étroitement que l'on ne parvient bientôt plus à distinguer l'amour de la haine, la passion du calcul, la joie de l'angoisse. Cette suggestion d'un ample mouvement qui vous emporte, nous l'avons retrouvée dans la traduction proposée par Jacques Plessen et Robert Sctrick, ce qui nous donne à penser qu'il s'agit d'une bonne traduction même si elle présente quelques défauts. Il semble en effet que les traducteurs aient voulu reproduire le style recherché de Vestdijk en utilisant un vocabulaire peu fréquent, parfois même archaïque. En voici quelques exemples: ‘faire bamboche’ (p. 130), ‘le bibendum’ (p. 136), ‘croquer le marmot’ (p. 166), ‘le carabin’ (p. 209), ‘la basoche’ (p. 229), être ‘abstème’ (p. 279), etc. Le caractère assez artificiel de la traduction qui en résulte apparaît également dans certaines tournures de phrases par trop alambiquées. Cela ne gâche | |
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cepandant pas vraiment le plaisir de (re)découvrir en langue française ce merveilleux roman de Vestdijk que d'aucuns ont surnommé avec raison ‘le Proust néerlandais’.
L. Wattier-Nachtergaele simon vestdijk, Le Jardin de cuivre (titre original: De koperen tuin), Éditions Phébus, Paris. |
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