domaines les plus divergents de l'amour en une gerbe enivrante de tendresse, d'intertextualité, de mystique, de passion, de pornographie, de kitsch et d'extase. Dans ce chaos se révèle toutefois une constante: l'aspiration à la perte de soi et à la coïncidence du ‘je’ avec sa bien-aimée, le ‘tu’. Tout comme dans le roman De houdgreep, le but suprême de l'amour est cet échange mystique des amants, souvent dans une atmosphère de candeur enfantine. Mais dans De ziekte van jij l'idylle s'effondre pareillement; les amants se mettent à négocier: ‘peu à peu nous entamions des pourparlers’. Du coup, le poète est abandonné par sa bien-aimée.
La pureté et le désintéressement semblent définitivement perdus dans le monde de Gimmick! Ainsi s'intitule le deuxième roman de Zwagerman qui décrit un groupe d'artistes plasticiens cimenté par le goût de l'argent, la cocaïne et le sexe. Dans une discothèque, Eckhardt, le chef de la clique, dit à Raam, le personnage principal: ‘Chacun sait déjà tout et celui qui ne sait rien, en sait encore trop. On ne peut perdre l'innocence si toute innocence sur terre est déjà exterminée. Voilà ce à quoi tu dois réfléchir, Walter, si tu veux augmenter encore le succès que tu as déjà obtenu.’
Avec ce roman, qui à plusieurs égards (stylistiques notamment) fait penser à l'oeuvre d'un Brett Easton Ellis ou d'un Jay McInerney, Zwagerman a atteint du coup la notoriété aux Pays-Bas. Gimmick! serait un roman à clefs, qui camperait de façon satirique la scène amstellodamoise. Mais l'envers de ce roman, d'où il appert qu'il n'est pas qu'une simple satire, fut à peine remarqué. L'amour entre Raam et son amie Sammie prolonge l'enjeu des oeuvres antérieures. Ainsi, l'amour présente à nouveau cette allure enfantine et candide, mais se voit soumis vers la fin à des tractations; lors d'une dernière conversation avec Sammie, Raam constate: ‘Nous voilà en train de parler affaires’. Au tout début du roman, la romance avec Sammie n'est plus qu'un souvenir, et au fil du récit les souvenirs se voient à leur tour dominés par le sexuel. Il est malaisé de détecter avec précision où tout cela bascule, mais peu à peu l'idylle immaculée dégénère en obsession creuse. Tout porte à croire qu'Eckhardt aura raison. L'amère confrontation entre innocence et promiscuité fait de ce deuxième roman une oeuvre plus adulte que De houdgreep.
Dans le troisième roman, Vals licht, récemment traduit en français sous le titre La chambre sous-marine, tous les motifs et les thèmes de l'oeuvre de Zwagerman se rejoignent. C'est sans conteste son oeuvre la plus importante. Il est à remarquer que la situation de départ dans La chambre sous-marine est à l'inverse de celles qui avaient prévalu jusque-là: il n'est plus question d'une perte d'innocence comme dans les deux romans antérieurs. Ici les amants, Simon et Lizzie, tentent au contraire de regagner leur innocence. La chambre sous-marine commence là où précédemment toutes les idylles s'achevaient: dans les négociations et dans les tractations. Il se fait que Simon et Lizzie se sont rencontrés une première fois dans une chambre de bordel. Imagine-t-on meilleure histoire pour la confrontation entre un amour innocent et le grand méchant monde que le récit classique d'un coureur de pute qui tombe amoureux et essaie d'extraire sa bien-aimée du bouge où elle croupit? Cependant, La chambre sous-marine nous offre bien plus. Le regard démystifiant et parfois touchant que le livre jette sur les coulisses de la prostitution fut d'ailleurs apprécié, même dans des milieux professionnels.