Septentrion. Jaargang 19

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Parent pauvre ou parent riche?
De la position du français aux Pays-Bas

La position de la langue française aux Pays-Bas est fort contrastée. Car nous avons affaire à une langue qui est tantôt en position d'infériorité tantôt en position de supériorité par rapport aux autres langues enseignées en Hollande: allemand, anglais et depuis peu espagnol.

L'infériorité du français en Hollande découle de toute une gamme de facteurs. D'abord le français est une langue romane, sans grande parenté avec le néerlandais, qui est de souche germanique. Et même géographiquement le français est assez éloigné des Pays-Bas qui ne partagent aucune frontière avec un pays francophone (mis à part la parcelle située entre Maastricht et Visé). C'est notamment dans l'enseignement secondaire que cet éloignement affaiblit la position du français. En dépit de tous les stimuli (méthodes audio-visuelles, chansons, jeux et distractions) les élèves se voient placés devant une langue qu'ils jugent ‘difficile’. Certes, en classe d'orientation (sixième) on note une importante motivation de départ, la nouveauté d'une langue étrangère ayant toujours quelque chose de palpitant. Mais bientôt la plupart des apprenants se lassent de cette nouveauté et ne tardent pas à la considérer comme une matière scolaire purement abstraite qui n'a ni queue ni tête. Il faut dire que, pour motiver l'élève en faveur du français, les médias ne sont d'aucun secours, à cause du caractère essentiellement anglo-saxon de la musique pop et des séries étrangères. Et seuls les très bons professeurs (ceux qui sont capables de faire vivre le français) maintiendront l'enthousiasme de l'élève jusqu'au bac, et encore faut-il le plus souvent que le français et la France fassent partie du bagage personnel des enfants. Il est vrai que de tels enfants existent, mais ce groupe est minoritaire et je suis persuadé qu'une étude sociologique montrerait que ce groupe se compose en majeure partie d'adolescents venant de milieux aisés et passant souvent leurs vacances en France en dehors du circuit strictement touristique. Mon expérience de professeur de français langue étrangère m'a suffisamment appris que, tout au moins dans l'enseignement secondaire, le français est un article de luxe.

De plus, un a priori défavorable vis-à-vis du français se transmet aux Pays-Bas de parent à enfant, un grand nombre de parents ayant été littéralement forcés de faire du français jusqu'au bac, alors que de leur temps les méthodes n'avaient rien d'attrayant, car les professeurs imposaient des exercices de grammaire et des traductions à longueur d'année scolaire. Par conséquent, pour cette génération, le français constituait une discipline fastidieuse, une langue morte pour ainsi dire - ce qui influence considérablement l'élève d'aujourd'hui.

Concrètement, dans la plupart des écoles néerlandaises l'élève se débarrasse (généralement dès la troisième ou la quatrième) du français au bénéfice de l'allemand et de l'anglais qu'on juge plus ‘faciles’, puisque plus proches du néerlandais. On trouve, bien évidemment, des écoles où le français reste solidement ancré dans le programme proposé en première et en terminale, mais ce sont malheureusement les exceptions qui confirment la règle.

Avant d'aborder les points positifs, qui, eux aussi, existent et qui déterminent également la position du français aux Pays-Bas, je tiens encore à soulever quelques problèmes liés à la situation précaire où se trouve cette langue dans ce pays. Situation qui n'est guère améliorée par la politique d'austérité menée par tous les gouvernements que les Pays-Bas ont connus depuis vingt ans. Sans cesse, de mesquins pro-

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jets de loi mettent en péril la position du français, visant soit à le supprimer complètement, soit à le réduire à un programme minimum d'une ou de deux heures de cours par semaine à tous les niveaux. Et ce n'est que grâce aux efforts incessants de quelques professeurs militants que le français a, jusqu'à maintenant, su se maintenir à côté du sacro-saint anglais et de l'allemand (qui, du point de vue grammatical, est beaucoup plus compliqué que le français). De plus, dans les universités néerlandaises le français n'est plus la discipline populaire qu'elle était, cette discipline aboutissant pratiquement toujours au professorat. Or, les gouvernements successifs susdits menant inexorablement leur politique de rigueur, la profession d'enseignant a beaucoup perdu de son lustre, ce qui fait que l'étudiant moyen aura plutôt tendance à opter pour des études qui ne le destineront pas à l'enseignement, mais à un meilleur statut social, agrémenté d'un salaire plus conséquent bien sûr.

Ce qui est très sensible aussi aux Pays-Bas, c'est que la suprématie de l'anglais a sérieusement entamé la position du français langue universelle: dans le contexte actuel l'anglais est partout; c'est indéniablement la langue de la navigation aérienne, de l'informatique - même le jargon postal (toujours domaine exclusif du français) commence à s'orienter de plus en plus vers l'anglais.

Les conséquences de tout ceci sont multiples. Premièrement de nombreux Néerlandais ignorent le français ou bien possèdent tout juste un français boiteux, à savoir les mots qu'il faut pour commander un café ou demander la clef (le clef, disent-ils alors) de leur chambre d'hôtel lors de leur passage dans un pays francophone. D'autre part, dans les entreprises, un coup de téléphone venant de France sème immanquablement

La demeure de René Descartes à Amsterdam en 1643, symbole de meilleurs temps pour le français aux Pays-Bas.

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la panique parmi les employés. On est alors obligé de recourir ou bien au seul collègue qui maîtrise quelques rudiments de français, ou bien à l'anglais, ce qui ne facilite guère les choses et pourrait même prêter à confusion. Ceci dit, le nombre d'annonces où l'on demande du personnel francophone est franchement décevant. Pourtant là - en dépit des lignes ‘noires’ que je viens d'écrire - je tiens à signaler que les candidats qui lors de leur recrutement disent posséder le français sont généralement examinés avec un plus grand intérêt que leurs rivaux. Car, surtout dans les affaires, la tradition hollandaise a toujours accordé une valeur primordiale à la connaissance des langues. Et il ne faut pas non plus oublier que la France est un partenaire commercial extrêmement important des Pays-Bas, par exemple dans le domaine du nucléaire (centrales) pour lequel les Néerlandais eux-mêmes éprouvent toutefois une certaine aversion.

Une autre conséquence, plutôt cocasse, est que dans beaucoup de restaurants à prétention française les menus sont rédigés dans un français qu'un Français de passage en Hollande ne risquerait guère de comprendre. Ainsi j'ai été confronté un jour à une carte qui portait la mention ‘releve de viandes’. Nombreuses sont aussi les fautes de genre (la poisson, le viande) et les fautes d'orthographe (poisons varié, rockfort).

Trêve d'aspects négatifs. Passons maintenant aux points positifs qui sont également multiples. Et signalons d'emblée l'existence d'un certain nombre de Hollandais qui couvent un regret lancinant de ne pas avoir (bien) appris le français. Or, pour ces gens-là, on a mis sur pied une infrastructure qu'on appelle aux Pays-Bas ‘l'enseignement de la deuxième chance’, qui permet de suivre des cours de français à



toutes sortes de niveaux. Dans toutes les grandes villes on trouve des implantations de l'Alliance française, des centres culturels liés à l'Ambassade de France aux Pays-Bas et des universités ‘populaires’ - instituts où tout ce qu'on a raté au lycée peut être rattrapé - et il est heureux qu'un large public profite des possibilités qui lui sont offertes, généralement pour un prix modique.

Ces instituts sont, par ailleurs, très actifs dans des domaines autres que l'enseignement, organisant expositions, pièces de théâtre, séances de cinéma, conférences ou colloques avec des auteurs français, distribuant, en plus, des bourses qui permettent de séjourner pendant un certain temps en France. Tout cela, pour renforcer la position du français, bien entendu. Et on peut constater que ces initiatives sont prises non seulement par des Français résidant aux Pays-Bas, mais encore par de nombreux Néerlandais qui professent une francophilie très communicative.

Parlons aussi gastronomie. Dans mes lignes ‘noires’ j'ai déjà fait mention du peu de maîtrise

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L'intérêt pour la cuisine française augmente de jour en jour. Le foie gras fait désormais partie des menus appréciés.

du français dans la restauration aux Pays-Bas, mais il ne faut pas non plus négliger l'influence de la gastronomie française. C'est dire que l'intérêt pour la cuisine et les vins français augmente de jour en jour, ce qui débouche inéluctablement sur une curiosité toujours croissante à l'égard du pays et de la langue mêmes, puisqu'il est impossible de priser ces faits de culture hors de leur contexte.

Ce besoin de contexte se traduit aussi par un engouement remarquable pour la littérature française de la part d'un grand nombre de Néerlandais. Et là il convient de faire un certain crédit à l'enseignement. Beaucoup de professeurs réussissent à amener leurs élèves à lire en français et si le choix des textes et titres au programme est suffisamment intéressant et abordable, il est bien évident que la motivation viendra toute seule.

En outre, certains quotidiens et journaux d'opinion hollandais consacrent une attention considérable aux événements littéraires français: on parle du dernier Goncourt, du dernier Modiano, de la correspondance de Simone de Beauvoir et des conflits au sein de la maison Gallimard.

Pour rester un peu dans la culture, j'aimerais attirer l'attention sur la place que détient le cinéma français aux Pays-Bas. En dépit du préjugé contre le côté par trop psychologique de ce cinéma, le cinéphile amateur de films français ne manque aucune occasion d'aller voir des Truffauts et des Godards. Un cinéclub d'Amsterdam repasse chaque année ‘Les enfants du paradis’ entre autres grands classiques.

Une autre manifestation permet de rapprocher les deux cultures: les ‘semaines françaises’. La ville de Groningue en a connu une il y a presque deux ans: une semaine pleine de richesses, offrant cinéma, théâtre, spectacles, chansons. Il existe en Hollande, du reste, un assez vaste public qui reste fidèle à la chanson à texte: Moustaki, Brel, Ferré, Ferrat et nombre d'autres artistes français de marque. Public qui, selon toute vraisemblance, possède un bon français.

Puis, la présence de TV 5 (la télévision francophone par satellite) sur le câble néerlandais permet également au francophile de demeurer en contact avec la langue et la culture des pays francophones.

C'est donc sur une note optimiste que je conclus cet article, d'autant plus que l'Europe de 1993 aura certainement des répercussions positives sur la position du français dans l'enseignement. Car il est probable que les apprenants ne manqueront pas de prendre en considération l'importance du français dans le contexte européen. De là à dire que tous surmonteront leur hésitation à continuer à faire du français jusqu'au bac, ce serait peut-être aller un peu loin. En tout cas, il ne faut pas reculer devant une tapageuse campagne de publicité mettant en valeur tous les avantages de la langue française.

PAUL GELLINGS

Professeur de français.

Adresse: Van Limburg Stirumware 31, NL-8014 PD Zwolle.