fugace (air, respiration) au principe concret, inanimé et immobile de la colonne, de la stagnation et de la matière ‘solide’. L'abstrait et le concret, la vie et la mort fusionnent ainsi par la magie de la métaphore.
Dans les recueils suivants, Melksteen (Galactite, 1986) et Zoutsneeuw Elegieën (Neige saline. Élégies, 1987), la poésie de Hertmans emprunte toujours sa force suggestive aux métaphores dépassant les limites et polyinterprétables. Le poète semble toutefois avoir opté pour une forme plus ouverte, un vers épique et narratif élargi et plus mélodieux. Dans Zoutsneeuw, la colonne verbale ‘dépouillée’ est remplacée par un vers fluide, élégiaque.
Sur le plan du contenu également, on constate une réorientation: le poète est allé au-delà de la concentration sur l'espace intérieur. Le moi lyrique s'est détaché de l'autocontemplation hyperconcentrée pour orienter son attention principalement vers le monde et les choses, surtout vers l'héritage culturel. Totalement en conformité avec les points de départ du postmodernisme, le poète adopte une position éclectique et sélective à l'égard du passé. Dans son oeuvre, il engage un dialogue avec ce passé culturel, avec quelques points culminants de la littérature, des arts plastiques, de la musique. L'artiste moderne, en se l'appropriant, en le transformant et en le réinterprétant, fait (re)vivre l'art ‘ancien’.
Dans Zoutsneeuw et dans son recueil le plus récent Bezoekingen (Tentations, 1988), le poète fait également preuve d'une volonté formelle mûrement réfléchie. Le réseau de polyinterprétabilité déjà suggéré par le fonctionnement paradoxal des métaphores mêlant l'abstrait et le concret intervient jusque dans la structure globale des recueils. La place qu'ils occupent dans le recueil construit sur la base de reflets et d'échos internes subtilement introduits, confère en partie leur signification aux poèmes groupés de manière cyclique. Ainsi se constitue un ensemble minutieusement orchestré et riche en nuances, qui soumet au lecteur une multitude de significations.
Anne Marie Musschoot
(Tr. W. Devos)