du terme. Ces articles-là sont d'une qualité qui n'a plus jamais été égalée dans le journalisme néerlandais de l'après-guerre. Aussi est-il tout à l'honneur du journal De Volkskrant d'avoir maintenu durant toute une décennie une rubrique d'une telle étendue et d'un accès si difficile.
On peut soutenir que la critique journalistique offre à Kees Fens un cadre créé par luimême en vue d'y exposer une pensée toute personnelle mais qui cherche dans le même temps à s'intégrer dans le contexte de la tradition chrétienne et à y puiser sa signification. Ce contexte s'étend du Moyen Âge jusqu'à la poésie néerlandaise la plus récente, tout aussi vivante aux yeux de Fens que les écrits patristiques. Il est remarquable que, dans sa période ‘postmerliniste’, Fens ait développé une théorie selon laquelle la littérature se présente comme un phénomène ancré dans l'ensemble du contexte culturel. Ce faisant, et sans être un théoricien de la littérature, il a su s'initier aux théories littéraires les plus modernes, notamment à celles qui traitent des problèmes de la réception et de l'intertextualité. Deux récents recueils d'articles consacrés à la poésie, De tweede stem (La deuxième voix, 1984) et Een gedicht verveelt zich nooit (Un poème ne s'ennuie jamais, 1987), se lisent comme des dissertations qui dans une langue dénuée de tout jargon, exposent le dernier état de la question. On y voit le théoricien se justifier en se prévalant constamment de son activité de praticien alors que derrière le journaliste ne cesse de se profiler l'essayiste. Des théories que les universitaires n'arrivent à exposer qu'à coups de gros volumes semblent naître intuitivement et comme par génération spontanée sous la plume de Kees Fens, lequel puise souvent dans l'un ou l'autre événement médiatique de quoi alimenter
son intuition initiale.
La métamorphose du feuilletoniste Fens en essayiste est loin d'avoir entraîné l'adhésion de tous les passionnés de littérature aux Pays-Bas. Qu'un critique qui avait su scruter à ce point la littérature d'après-guerre, si profondément empreinte d'agnosticisme, semblât attacher une telle importance au sentiment religieux et au christianisme, voilà ce que beaucoup n'ont pas réussi à comprendre. On lui a reproché de s'être évadé du réel et d'avoir adopté une mentalité de pasteur. Mais le réel, aux yeux de Fens, contient beaucoup plus que ne soupçonnent les agnostiques. De plus, on ne saurait reprocher une mentalité de pasteur à quelqu'un qui a su trouver en soi suffisamment de force morale pour se libérer de conceptions qu'il avait luimême contribué à répandre et qui s'étaient si solidement enracinées qu'elles menaçaient de se muer en dogmes sclérosés. Celui qui voudra comprendre la mentalité néerlandaise des années 60, devra impérativement se pencher sur la réception réservée au recueil Tussentijds, devenu incontournable en tant que phénomène culturel caractéristique de cette époque.
Chaque Néerlandais qui, actuellement, s'intéresse à la littérature a une dette de reconnaissance à acquitter envers Kees Fens. Celui-ci nous a appris à regarder un texte, à ne regarder dans un premier temps que ce texte, nous faisant comprendre progressivement qu'en regardant, nous voyons en réalité plus que le texte. Au moment où il fit lui-même cette découverte, l'approche ‘merliniste’ s'était à ce point sclérosée qu'elle se révélait incapable d'intégrer ce plus. Nullement désireux de passer aux yeux de la postérité pour un ‘close reader’, Fens préféra la liberté de l'essayiste aux contraintes imposées au critique. Depuis lors, l'oeuvre de Fens n'est plus qu'un effort ininterrompu - inégalé tant sur le plan qualitatif qu'en volume - entrepris en vue de rétablir le lien entre la littérature et le ‘plus’. Il y a réussi, d'une façon parfaitement originale, sans s'opposer à la tradition chrétienne à laquelle il se sait lié, tout en se tenant à l'écart de quelque dogmatisme que ce soit.
Le bureau de Kees Fens se trouve dans l'immeuble le plus haut du campus de l'Université catholique de Nimègue où il occupe la chaire de littérature néerlandaise contemporaine. Cet immeuble porte le nom d'Erasme. Il faut y voir l'expression poétique de l'équité.
W. BRONZWAER
Professeur de littérature générale à la ‘Katholieke Universiteit Nijmegen’.
Adresse: Grameystraat 10, NL-6525 DP Nijmegen.
Traduit du néerlandais par Urbain Dewaele.