Septentrion. Jaargang 12
(1983)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermdBelgiqueLes partis politiques Belges: neant au depart... une bonne douzaine aujourd'huiIl y eut une époque où ce pays ne comptait que des Belges; croyants ou libres penseurs, conservateurs ou anarchistes, catholiques ou libéraux, ces étiquettes n'y changeaient rien: on voulait d'abord et avant tout être Belge. En effet, lors de sa naissance, il y a cent cinquante-deux ans, la Belgique ne connaissait pas de partis politiques. De nos jours, le Parlement belge compte des députés appartenant à... treize partis: deux partis démocrates-chrétiens, deux partis libéraux, deux partis socialistes - ces trois partis traditionnels s'étant dédoublés plus ou moins récemment en sections, puis en partis distincts, en fonction de l'appartenance linguistique -, un parti communiste, deux partis nationalistes flamands, un parti fédéral bruxellois, un parti fédéral wallon, un parti écologiste et une sorte de parti antifiscal. Notre propos est de retracer, dans trois articles dont voici le premier, cette évolution d'un pays d'abord sans partis politiques vers l'émiettement et le pullulement actuel. | |
Unionisme.Face à un ennemi commun, | |
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Frans Grootjans, 2e président du PVV, ministre d'Etat, considéré comme un des chefs du libéralisme en Flandre.
on a intérêt à mettre les divergences de vues au réfrigérateur politique, ne fût-ce que temporairement... Celui qui veut comprendre les premières années de la vie des partis politiques belges tiendra compte de cette vérité élémentaire en politique. Au début du dix-neuvième siècle, le territoire formant actuellement la Belgique faisait partie du royaume des Pays-Bas gouverné par Guillaume Ier. Dans cette partie méridionale du royaume, catholiques aussi bien que libéraux critiquent beaucoup la politique de Guillaume Ier: les catholiques parce qu'il est protestant; les libéraux parce qu'il refuse la moindre démocratisation de la vie politique; tous deux parce qu'ils estiment que le régime avantage ‘les Hollandais’ - ne fût-ce qu'à l'occasion des nominations. Le résultat, c'est que catholiques et libéraux vont agir de concert - on parle d'‘unionisme’ - en vue d'imposer des réformes et qu'ensemble ils finiront par chasser Guillaume Ier et par fonder un nouvel Etat, la Belgique. Si l'unionisme fonctionnait assez facilement tant que l'ennemi commun se trouvait sur place, après son départ les antagonismes entre catholiques et libéraux ne tardèrent guère à paraître tels que pareille forme d'union et d'action commune s'avéra désormais impossible. En effet, les catholiques espéraient que la Belgique deviendrait un Etat essentiellement catholique, tandis que les libéraux comptaient y voir instaurer un Etat laïc où la religion demeurerait une affaire privée. C'était là une divergence politique fondamentale. | |
Le congrès du parti libéralLes libéraux furent les premiers à faire chavirer le gouvernement unioniste. En 1846, trois cent quatre-vingt-quatre membres d'associations électorales libérales se réunirent en congrès à Bruxelles. L'article 2 des statuts de la Confédération générale du libéralisme en Belgique - premier parti libéral belge - prônait la marche vers une ‘indépendance réelle du pouvoir civil’. Ce dernier organiserait l'enseignement public de haut en bas. En même temps, d'aucuns plaidaient aussi en faveur d'un élargissement du droit électoral et de mesures sociales à l'intention des ouvriers. Deux courants, donc, coexistaient: une aile libérale radicale subissant l'influence du socialisme naissant; une tendance conservatrice - prédominante au sein du parti - qui aspirait à un parti ‘du juste milieu’. Les tout nouveaux libéraux auraient d'emblée l'occasion de passer du rêve aux actes. En 1847, année suivant celle de la création du parti, ils remportèrent si brillamment les élections nationales que le roi Léopold Ier ne pouvait que leur demander de former un gouvernement à eux seuls. Cela sonnait le glas de l'unionisme! Dorénavant, la Belgique ne connaîtrait plus que des gouvernements de parti. Par ailleurs, les libéraux occuperaient seuls le pouvoir presque sans interruption pendant les quarante ans à venir. Deux points méritent d'être soulignés à cet égard: d'une part, au sein du parti se poursuivit la discussion entre les libéraux radicaux d'orientation plus sociale et les conservateurs défenseurs des principes libéraux traditionnels d'ordre et de liberté; d'autre part, la politique libérale évolua de plus en plus d'un anticléricalisme modéré vers une hostilité déclarée à la religion. On le vit bien en 1879, quand le gouvernement se proposa de réorganiser l'enseignement secondaire. Cette réforme impliquait notamment l'exclusion de toute instruction religieuse du programme des cours, la fermeture des écoles normales catholiques et l'interdiction, pour les communes, d'accorder des subsides aux écoles catholiques. Ces mesures donnèrent lieu à une lutte | |
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Willy de Clercq, premier président du PVV. Gantois, ministre des Finances à plusieurs reprises.
scolaire particulièrement âpre, qui, cinq ans après, se solda par une écrasante défaite électorale pour le parti libéral. L'époque de la haute conjoncture libérale était révolue: pendant près de trente ans, les libéraux se virent renvoyés aux bancs de l'opposition, où les socialistes viendraient rapidement les rejoindre. Cette nouvelle famille politique, du reste, sut attirer bon nombre de libéraux radicaux, tandis qu'au sein même du parti libéral, déjà considérablement réduit, on éprouvait des difficultés à maîtriser la lutte opposant ces mêmes radicaux libéraux aux conservateurs. Les premiers se déclaraient notamment partisans d'une assurance contre la maladie et l'invalidité et d'un plafonnement de la durée de travail. | |
Le troisième partiL'instauration, en 1919, du suffrage universel pour les hommes relégua définitivement les libéraux à la troisième place dans le classement des familles politiques belges. Ils n'en continuèrent pas moins à jouer un rôle très important sur le plan politique: des dix-huit gouvernements de l'entre-deux-guerres, on en compte seulement trois où ils ne siégeaient pas. Le parti libéral, certes, ne constituait pas un bloc monolithique; c'était plutôt une famille, où des personnalités fortes parvenaient à imposer leur conception libérale professionnelle. Tous les libéraux avaient cependant en commun l'anticléricalisme, la fidélité au libéralisme économique, la défense de la liberté et de l'ordre. Quoique comptant dans ses rangs quelques éminentes personnalités flamingantes, le parti libéral en tant que tel se montrait ouvertement allergique à toute aspiration flamande. Après la deuxième guerre mondiale, le parti libéral vit baisser sa clientèle électorale à douze pour cent à peine de l'électorat belge. Le manque d'homogénéité et l'anticléricalisme parfois très prononcé étaient pour beaucoup dans ce déclin. | |
Du PLP au PVV et au PRLEn 1961, le président Omer Vanaudenhove prit une initiative hardie: il rebaptisa le parti libéral en Parti pour la liberté et le progrès (PLP - Partij voor Vrijheid en Vooruitgang (PVV). Il abjura aussi l'anticléricalisme, opération qui assura incontestablement un certain succès électoral à l'ancien parti libéral, des fidèles aussi bien que des libres penseurs pouvant souscrire au programme néolibéral. En même temps, Vanaudenhove entendait faire de son parti le dernier refuge de tous ceux qui ne pouvaient ni ne voulaient pactiser avec des idées de régionalisation ou de fédéralisation, mais cette option s'avéra beaucoup moins rentable sur le plan électoral. Au mois de mai 1972, les libéraux flamands et leurs collègues wallons tinrent des congrès séparés, tandis qu'à Bruxelles, quatre à cinq minipartis ou groupuscules s'entredéchiraient. Pour les libéraux aussi, l'existence de plus en plus manifeste en Belgique de deux communautés distinctes s'imposait avec beaucoup plus de vigueur que l'on eût jamais pu le craindre ou l'espérer. En pays flamand, les libéraux, entre-temps, surent affirmer de plus en plus leur profil propre, au point qu'aux élections législatives de fin 1981, ils laissèrent derrière eux les socialistes flamands et occupent maintenant la deuxième place derrière les démocrateschrétiens du CVP. Leurs collègues wallons au sein du nouveau Parti réformateur libéral (PRL) parvinrent à consolider leur place parmi les partis wallons, tandis qu'à Bruxelles, les libéraux retrouvèrent leur unité et se montrèrent à même de récupérer graduellement des électeurs qui, en leur préférant le FDF, leur avaient infligé pendant | |
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Guy Verhofstadt, Gantois lui aussi, 28 ans et déjà président du 2e parti de Flandre.
des années de lourdes pertes électorales. Y a-t-il lieu de parler d'un renouveau libéral? Il est indéniable qu'au cours de la dernière décennie, l'élément libéral qui constituait, il y a trente ans, au sein de la société belge un phénomène politique marginal - dix pour cent à peine des voix - a bénéficié d'un véritable réveil politique. | |
Un parti catholique créé malgré luiCe fut sous la pression de l'anticléricalisme libéral de plus en plus agressif que les catholiques se virent obligés, en 1884 - soit près de quarante ans après les libéraux - de réunir leurs différentes organisations en une Fédération des cercles catholiques et des associations conservatrices, premier parti catholique que connût la Belgique. Bien que le problème social y fût incontestablement pris en compte, le parti catholique fut appelé à demeurer un organe essentiellement conservateur. La naissance des mouvements ouvriers catholiques, à la fin du siècle dernier, soulevait déjà la question du rapport entre ceux-ci et le parti catholique. D'aucuns, tel l'abbé Adolf Daens à Alost, estimaient que les démocrateschrétiens devaient préserver leur indépendance à l'égard du parti catholique conservateur, ce qui aboutit, à la création, en 1893, d'un Christelijke Volkspartij (Parti populaire chrétien), que le parti catholique officiel, soutenu en cela par l'Eglise catholique, combattrait jusqu'au bout. Cet épisode figure parmi les chapitres les moins glorieux de l'histoire du mouvement catholique en Belgique. Même si les catholiques étaient majoritaires à la Chambre des représentants et au Sénat de 1884 jusqu'à la première guerre mondiale, il faut écarter l'idée qu'il s'agissait d'un parti homogène et fort. Des conflits violents opposèrent fréquemment conservateurs et démocrates-chrétiens d'inspiration sociale, mais les interventions des autorités ecclésiastiques supérieures du pays entre autres, eurent pour effet que l'unité du parti catholique conservateur fut préservée envers et contre tout. Les démocrates-chrétiens réussirent progressivement à avancer de plus en plus de candidats à des places éligibles sur les listes catholiques unitaires, de sorte que grâce à la démocratie chrétienne, le parti, outre la bourgeoisie catholique, finit par représenter également les ouvriers chrétiens. Ce fut là l'origine de ce que l'on appelle de nos jours le ‘parti de classes’. L'instauration du suffrage universel après la première guerre mondiale mit fin aux majorités absolues au Parlement belge et inaugura le système des gouvernements de coalition. Le parti catholique étant le plus important, il sera presque toujours sollicité, et le plus souvent il fournira le premier ministre. Avec les libéraux comme partenaires, il adoptera une politique plus conservatrice, et avec les socialistes, il mettra davantage l'accent sur son inspiration sociale-démocrate. Cette alternance lui permettait de contenter à tour de rôle ses différentes composantes: bourgeoisie, classes moyennes, agriculteurs et ouvriers. C'est en s'appuyant sur ces quatre groupes que le parti se constitua, en 1921, en Union catholique belge, rassemblement plus ou moins organisé de groupes d'intérêts catholiques sous une direction commune. En 1936 - à l'issue d'un scrutin particulièrement défavorable pour lui -, le parti se transforma à nouveau, cette fois-ci en un Bloc des catholiques de Belgique, fondé sur la coexistence des Flamands et des Wallons: en Flandre se profilerait | |
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dorénavant le Katholieke Vlaamse Volkspartij (KVV - Parti populaire catholique flamand), en Belgique francophone le Parti catholique social (PCS). Le parti catholique ne demeura pas étranger non plus aux nouvelles idées en vogue dans les années trente. Du côté flamand, on notait ainsi un rapprochement entre le KVV et le parti nationaliste flamand Vlaams Nationaal Verbond (VNV - Ligue nationale flamande). Le parti catholique acceptait non seulement le modèle fédéraliste, mais aussi le principe corporatiste, tout en mettant l'accent, toutefois, sur la nécessité d'un Parlement librement élu. Par ailleurs, l'accord de principe signé entre le KVV et le VNV devait rester lettre morte par suite de l'évolution ultérieure du VNV, sur lequel nous reviendrons encore. | |
CVP-PSCPour le parti catholique aussi, la rupture de la deuxième guerre mondiale fut l'occasion d'une approche fondamentalement nouvelle. Le Bloc catholique fut, dès 1945, rebaptisé en Christelijke Volkspartij (CVP - Parti populaire chrétien) - Parti social chrétien (PSC). Le nouveau parti voulait être un parti unitaire aconfessionnel au lieu d'un parti de classes confessionnel. Le pilier principal du parti demeura cependant le syndicat chrétien indépendant, la Confédération des syndicats chrétiens (CSC), tandis que d'autres
Gaston Eyskens et Wilfried Martens: d'une génération à une autre.
groupes d'intérêts catholiques tels que le Boerenbond - Ligue agricole et la Fédération des classes moyennes demeuraient présents au niveau de la direction générale du nouveau parti. La question royale, en 1950, et la lutte scolaire, en 1958, assurèrent encore d'importantes victoires électorales au parti. Puis, ce fut la dégringolade: de plus de quarante-sept pour cent au scrutin de 1950 à trente pour cent à peine en 1970. Une partie importante de ce recul est certainement imputable, en Flandre, à l'inquiétude grandissante que faisaient naître les problèmes communautaires et dont la Volksunie (Union populaire) nationaliste flamande cueillerait les fruits dans la partie nord du pays. Le succès de cette dernière contraignait l'aile flamande du CVP-PSC à une plus grande fermeté dans la défense d'aspirations flamandes telles que le transfert en région de langue française de la section française de l'Université catholique de Louvain, en 1968, et la mise en place de l'autonomie culturelle, en 1970. L'affaire de Louvain sonna le glas du parti unitaire catholique. Les deux ailes allèrent chacune leur chemin, sans toutefois jamais se tourner complètement le dos. En effet, sans le CVP, le PSC perdait sa première place dans le classement des partis politiques nationaux de Belgique; sans le CVP, le PSC n'entrerait plus en ligne de compte pour participer au gouvernement - où il est souvent surreprésenté par rapport à son importance numérique et occupe généralement des cabinets ministériels importants -; en outre, tous | |
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Charles-Ferdinand Nothomb et Wilfried Martens: deux jeunes présidents prennent la relève.
Paul van den Boeynants et Leo Tindemans, anciens présidents et anciens premiers ministres.
deux veulent, ensemble, être les défenseurs de l'enseignement catholique en Belgique, un groupe d'intérêts ayant beaucoup de poids dans la vie politique du paysGa naar eind(1). Au début des années soixantedix, deux figures remarquablement jeunes surent s'imposer à la tête des deux partis: Wilfried Martens, âgé de trente-six ans, au CVP, et Charles-Ferdinand Nothomb, du même âge, chez les démocrateschrétiens francophones. Tous deux surent redorer le blason de leur parti et, notamment grâce à une utilisation des médias digne de l'Amérique, traduire ce rajeunissement en des succès électoraux éclatants: en 1978, ils représentaient à nouveau trente-six pour cent de l'électorat belge, ce qui représentait un net progrès par rapport aux chiffres de 1970. Il est frappant que ce mouvement ascendant se soit brusquement, et sévèrement, interrompu lors des dernières élections législatives, fin 1981: le recul de plus de dix pour cent enregistré à cette occasion constitua une défaite historique pour la démocratie chrétienne belge. Côté CVP, on procéda à un vaste sondage en vue de saisir les causes de cette catastrophe. Nombre de plaintes se rapportaient au caractère insuffisamment flamand du parti ou à son profil démocrate-chrétien trop peu marqué. En d'autres termes, le parti, apparemment, ne parvenait plus à apporter des réponses spécifiques aux défis de notre époque. Côté PSC, la confusion fut telle qu'à un moment donné, le parti frôla l'éclatement pur et simple; personne n'était plus à même de dire qui exactement parlait encore au nom du parti: autant de têtes, autant d'avis. Il est, dès lors, logique que la nouvelle direction du parti s'efforce de surmonter les antagonismes qui se manifestent en son sein entre des groupes ouvertement conservateurs, des représentants des forces syndicales et des démocrates-chrétiens déclarés. D'aucuns se posent la question de savoir dans quelle mesure un parti de classes est encore capable de faire face à la situation économique et sociale actuelle et s'il est encore possible de coiffer du seul terme de ‘démocratechrétien’ l'action des nombreux groupes, dont les questions spécifiques appellent autant de réponses appropriées et qui forment ensemble le parti démocratechrétien. MARC PLATEL Adresse: Oudstrijderslaan 6, B-1950 Kraainem. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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