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Les écoles du Nord au musée du Louvre
David Teniers: ‘Les sept oeuvres de miséricorde’.
La publication d'un catalogue de musée constitue toujours un heureux événement, quelque dévaluée que soit la notion même de catalogue.
La valeur de l'ancien catalogue raisonné résidait dans les attributions et datations soigneusement établies et commentées du matériel inventorié, mais l'illustration laissait généralement beaucoup à désirer. En revanche, le catalogue sommaire moderne est le plus souvent complet sur le plan de l'illustration mais le texte manque plus ou moins d'assises. Il est exceptionnel qu'un musée dispose de catalogues
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partiels scientifiques et puisse présenter à un prix abordable un compendium où se trouvent reproduites toutes les oeuvres de la collection. Je n'en connais pas d'exemple pour ce qui concerne les grandes collections aux Pays-Bas, et même à l'étranger c'est assez rare; il en existe à la National Gallery de Londres, par exemple.
Le catalogue complètement illustré mais plus sommaire sur le plan scientifique du Musée national d'Amsterdam, publié en 1976 par Gary Schwartz, a pu servir d'exemple pour le récent catalogue des maîtres hollandais et flamands du Louvre. Le dernier catalogue portant sur cette partie de la collection parisienne remontait à 1922 et se limitait à une liste raisonnée des toiles exposées: elles étaient cinq cents à l'époque, soit moins de la moitié de ce que possédait le Louvre.
Le musée du Louvre gère une collection de plus de onze cents tableaux originaires des ‘pays-bas’, et le nouveau catalogue constitue un premier essai d'aperçu complet. En 1979, environ trois cent soixante-quinze tableaux hollandais et flamands étaient en exposition permanente. Toutefois les ‘petits cabinets’, où se trouve la plus grande partie de cette sélection, sont rarement accessibles au visiteur moyen.
Dans ces conditions, un catalogue complet sur le plan des illustrations est particulièrement bienvenu. On pardonnera aux auteurs le caractère sommaire de l'appareil scientifique et le format plutôt petit des illustrations, même si l'impression d'ensemble laisse un goût de trop peu.
Cette publication ne permet pas une appréciation précise des objets individuels et des noms et datations y afférents, mais jamais auparavant on n'avait pu si aisément étudier la genèse et l'évolution de la collection. L'importance de la collection et le fait qu'elle remonte à des époques relativement reculées ne garantissent pas forcément qu'elle soit complète, historiquement parlant, mais le visiteur du musée ne se rendra pas de sitôt compte des lacunes.
Ainsi, le Louvre ne possède pas de Saenredam, ce qui, à notre sens, est assez curieux dans un échantillonnage de haute qualité et en principe complet de la peinture néerlandaise. Naguère encore, le Musée national d'Amsterdam ne possédait aucune oeuvre représentative d'Albert Cuyp, mais on ne s'en apercevait guère. Une fois acquise et insérée dans la collection, pareille acquisition, certes spectaculaire, prend rapidement un caractère évident. On peut même renchérir: mieux l'on choisit, mieux le tableau s'intègre dans la collection. Le Paysage fluvial avec cavaliers y prit immédiatement des allures de vieille connaissance.
Par la suite, seul le catalogue trahit encore la durée de la lacune, et ce sont précisément des catalogues de collections relativement anciennes comme celles du Louvre ou du Musée national qui jettent de singulières lueurs sur les avatars perpétuels des conceptions du patrimoine historico-artistique. La collection du Louvre permet notamment de suivre avec assez de pertinence comment a évolué dans le temps l'appréciation portée sur l'art hollandais et flamand, en partie sous l'influence des mutations du goût français.
Rembrandt: ‘Le boeuf ecorché’.
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Peter Paul Rubens: ‘Esquisse pour deux panneaux de la Vie de Marie de Médicis’.
Le noyau initial des collections du Louvre était constitué par l'ancien Fonds des rois de France. Certains aspects de l'art hollandais et flamand étaient déjà convenablement représentés dans la collection de Louis XIV, qui comprenait par exemple un groupe impressionnant de Rubens et de Van Dyck. En faisaient aussi partie des paysages riants d'un peintre comme Paul Bril et un autoportrait de Rembrandt. Confronté aux tableaux de genre bouffons de son contemporain Teniers, le roi - ainsi l'a-t-on rapporté - aurait ordonné à son chambellan d'‘ôter sur le champ ces magots’!
Aujourd'hui, quelque trois siècles après, le Louvre peut s'enorgueillir de posséder pas moins de trente-huit oeuvres du maître flamand. Apparemment, si la populace représentée sur ces toiles offusquait le Roi-Soleil, elle amusait ses successeurs. Les paysans de Teniers comme ceux de Van Ostade devinrent manifestement populaires au dix-huitième siècle chez les Français dans le vent. Il y eut même des contemporains pour signaler cette évolution du goût, bien qu'on échoue à cerner ce que l'on y trouvait exactement de si charmant. La collection du Louvre doit à cette nouvelle mode onze toiles de Teniers. Patrimoine aristocratique et quelquefois royal, elles furent toutes confisquées lors de la Révolution française. Mais la série des Teniers n'était pas encore complète
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Rogier van der Weyden: ‘L'annonciation’.
pour autant: le Louvre acquit encore deux de ses toiles en 1816 et en accueillit encore dixneuf, faisant partie du legs de Louis la Caze, en 1869.
La donation La Caze a définitivement changé l'aspect du musée du Louvre. La Caze collectionnait principalement des oeuvres hollandaises et flamandes du dix-septième siècle, d'un caractère présumé ‘réaliste’ et dont s'inspiraient des artistes français des années quarante du dix-neuvième siècle. Cet intérêt ne portait pas uniquement sur la forme. Le critique français Thoré, aux sympathies radicales prononcées, propagea avec succès l'art néerlandais où il voyait un art pour tous, et non réservé exclusivement à l'Etat, à l'Eglise et aux riches. Un sentiment républicain et socialiste poussait Thoré à écrire sur les sujets simples de l'école hollandaise que, dans une simplification historiquement insoutenable, il opposait à l'art flamand courtois et catholique.
Un peintre comme Courbet, qui allait jusqu'à paraphraser La ronde de nuit de Rembrandt dans son Départ des pompiers, un critique comme Thoré et un collectionneur comme Louis la Caze propagèrent et popularisèrent une vision toute nouvelle de l'art hollandais et flamand. L'intention moralisatrice et comique propre, initialement, aux sujets simples qu'on préférait, fut souvent perdue de vue ou louée en
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raison de la touchante humanité qu'on lui prêtait. Un art qui se voulait satire et qui visait à moquer la bêtise et la débauche et non à les propager, fut considéré comme une représentation fidèle de la réalité et converti en un plaidoyer en faveur de la commisération sociale.
La popularité et l'importance de peintres comme un Jan Steen et Frans Hals semblent aujourd'hui aller de soi. Le dix-huitième siècle français y était encore aveugle et le Louvre ne possédait aucune de leurs oeuvres avant 1800. Ce n'est qu'à partir de 1850 que cette situation changea et qu'on se toqua de ces peintres de l'école du Nord.
Pourquoi Teniers et pas Jan Steen? Pas par ignorance, car selon Dézallier d'Argenville, auteur français du dix-huitième siècle, Steen était surestimé aux Pays-Bas. Il en est selon lui des tableaux comme des vêtements: ‘ils dépendent du caprice et de la mode’.
Le Louvre d'avant 1800 n'en présente pas moins une image assez cohérente et suggestive de l'art hollandais et flamand. Beaucoup de paysages agréables, dus généralement à des peintres attirés par l'Italie tels que Berchem, Both et Bril. Des oeuvres sombres et dramatiques de Ruysdael aussi. A côté des paysans de Van Ostade et de Teniers, de galants tableaux de genre dus à des peintres raffinés de Leyde comme Frans van Mieris et Gerard Dou et à des maîtres dignement bourgeois comme Gerard ter Borch et Gabriel Metsu. Les plus grands peintres d'histoires, Rembrandt et Rubens, avaient conquis d'emblée une place considérable, mais Le boeuf écorché de Rembrandt n'y était pas encore et les esquisses de Rubens, elles aussi, viendraient plus tard.
Apprécier cette toile où Rembrandt peint un cadavre suppose un sentiment romantique de la beauté du laid qui n'accorde plus d'intérêt à la morale pratique de pareille représentation. La prédilection moderne pour l'inachevé et le spontané qui faisait préférer les esquisses de Rubens à ses oeuvres achevées était elle aussi pour une bonne part fille du romantisme. La première esquisse de Rubens à recevoir une place au Louvre fut acquise, tout à fait à propos, à la vente posthume de la collection d'Ary Scheffer, qui était lui-même un produit pas très heureux du romantisme.
Dans le domaine des natures mortes, la préférence des collectionneurs du dix-huitième siècle, en France comme ailleurs, allait vers les toiles emphatiquement ennuyeuses, aux couleurs de préférence un peu criardes, de Van Huysum et consorts. Les natures mortes hollandaises les plus anciennes, sobres, souvent presque monochromes, ne suscitaient pas encore l'intérêt.
La collection du Louvre d'avant 1800 accordait une place royale aux scènes classiques et bibliques raffinées d'Adriaen van der Werff et d'autres classicistes de la fin du dix-septième siècle. La plupart de ces toiles ne sont plus exposées actuellement. Dès le départ, il y avait aussi les inévitables portraits, des relations royales et des hommes célèbres, concession aux convenances plus qu'à l'art. Nous sommes habitués à étudier la qualité picturale d'une toile, en perdant de vue le prince ou le professeur qu'elle représente. Telle ne peut avoir été l'intention première. Le premier tableau de Frans Hals à entrer au Louvre ne fut pas acquis en tant qu'oeuvre d'Hals mais en tant que portrait du philosophe Descartes. Aujourd'hui, on pense que ce serait une copie, et le tableau se trouve au dépôt. Il est clair que l'art hollandais et flamand suscita dès avant 1800 un vif intérêt en France; cet intérêt s'attachait cependant à autre chose qu'on ne croirait à première vue.
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Quand, sous Napoléon, Paris devint le centre du monde civilisé, on pouvait y contempler pour la première fois dans l'histoire un aperçu quasi complet des écoles de peinture européennes. D'interminables convois acheminaient des trésors artistiques italiens vers le nord - opération ‘éclairée’ mais assez brutale - et les collections royales d'Allemagne subissaient le même sort. La collection du stadhouder Guillaume V aussi devait y passer, y compris Le taureau grandeur nature de Paul Potter. Après Waterloo, les collections regagnèrent leur pays d'origine, où, dans la plupart des cas, elles restèrent accessibles au public. Aux Pays-Bas, le Mauritshuis, Musée royal de La Haye, fut le résultat de ce déménagement involontaire.
On ne saurait surestimer l'impact de ces quelques années où le Louvre présenta au public ce premier aperçu de l'histoire de l'art. Le voyage d'Italie s'imposait depuis belle lurette dans toute éducation comme il faut, mais qui se rendait aux Pays-Bas, voire en Espagne? La joie de cet échange culturel fut de courte durée et coûta beaucoup de sang, mais elle eut des conséquences durables. Les primitifs tant italiens que flamands et toutes sortes de maîtres de réputation purement nationale se trouvaient pour la première fois mêlés à un rassemblement d'une grande ampleur et soumis à l'attention d'un public nombreux à un endroit où l'art moderne s'avérait éminemment réceptif. Un grand catalogue fut composé, comportant des gravures réalisées d'après les oeuvres importantes, et l'idée d'un musée public illustrant l'évolution des arts plastiques dans son ensemble se trouva ainsi concrétisée dans ce qu'on appela le ‘musée Napoléon’.
Après la chute de Napoléon, le Louvre, qui avait été pendant quelques années le plus riche magasin de pirates de l'histoire, se retrouva assez dégarni, bien que le souvenir nourrît certaines ambitions et que tout ne fût pas restitué. Une vingtaine de toiles de la collection du stadhouder hollandais furent apparemment oubliées, notamment un Van Dyck d'une certaine importance et un Honthorst attrayant. La splendide Annonciation de Rogier van der Weyden, issue de la collection royale de Turin, où sont conservés du reste les deux autres panneaux du triptyque, n'a pas non plus été un cadeau fait au Louvre, et l'autel de Joos van Cleve de l'église Santa Maria della Pace de Gênes fut lui aussi transporté à Paris comme butin. La question se pose de savoir si on a délibérément gardé ces oeuvres ou si elles ont tout simplement été oubliées. Van der Weyden et Van Cleve faisaient encore un peu partie de la ‘préhistoire’ et se trouvaient peut-être dans un dépôt de province. A l'époque non plus, l'administration italienne n'était pas parfaite.
Toute différente était l'histoire du tableau hollandais le plus populaire au Louvre au dixneuvième siècle, La femme hydropique de Gerard Dou, de Leyde. Il ne s'agissait pas d'une toile volée mais d'une toile ‘offerte’ au commandant français après l'occupation de Turin. Voulant apparemment éviter tout malentendu, celui-ci en fit cadeau le plus rapidement possible au musée, où elle est restée jusqu'à nos jours à titre de don. Dou était représenté au Louvre avec neuf oeuvres dès le dix-huitième siècle, mais la réputation de La femme hydropique les' dépassait toutes. La toile est caractéristique de tout ce qui avait fait le renom du peintre: sujet
Joos van Craesbeeck: ‘Le fumeur’.
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bourgeois et élégant, peint en souplesse et avec un rendu parfait de la matière, dans des couleurs assez claires. Des parentés sentimentales avec l'époque ne sont pas exclues. Jusqu'au milieu du siècle, pareil tableau de genre passait pour ‘vrai’ et était considéré comme le meilleur de son espèce.
La touche légère, le ton réservé et le sujet de préférence prolétarien qui susciteraient plus tard le regard d'intérêt et d'estime qu'on jetterait sur l'école hollandaise, n'étaient pas encore, sous Napoléon l'idéal préféré. L'art napoléonien était d'inspiration romaine et fuyait toute petitesse picturale. Toutefois, par son caractère encyclopédique, le musée Napoléon annonçait, sans le vouloir, la possible équivalence esthétique des écoles pictùrales historiques. Les conséquences concrètes pour l'art et l'expérience artistique ne s'en feraient sentir qu'à partir du moment où les artistes et les critiques confesseraient leurs goûts propres et se mettraient à juger du passé avec partialité, sans égards pour les canons et les procédures logiques des classiques.
Dans les années quarante du dix-neuvième siècle, les évolutions de l'époque dans le domaine de la peinture et de la politique avaient contribué à modifier fondamentalement le jugement de l'avant-garde artistique sur l'école hollandaise. Le dix-septième siècle hollandais sortit vainqueur de sa confrontation avec l'académisme italo-français et de nouvelles prédilections s'exprimèrent.
Nous l'avons déjà dit, c'est principalement le legs La Caze qui a amorcé ce revirement au Louvre. Les chefs-d'oeuvre de sa collection ne correspondaient guère aux préférences anciennes des connaisseurs et du public, ce qui ne veut pas dire que ses goûts faisaient de La Caze un parfait isolé.
La bohémienne de Frans Hals, La joyeuse compagnie de Judith Leyster et le nu banal de la Bethsabée de Rembrandt, trois tableaux provenant de La Caze, sont manifestement des découvertes de la génération de Courbet, vers 1848.
Le jeune Manet, qui subit l'influence décisive des maîtres espagnols et hollandais, réalisa une copie du Fumeur de Van Craesbeeck; léguée au Louvre par La Caze qui y voyait un autoportrait de Brouwer, la toile y était rapidement devenue l'une des favorites. L'école hollandaise était à nouveau actuelle, aussi actuelle que l'aspiration à la République et le dégoût pour l'Ecole des beaux-arts officielle. On croyait que les maîtres hollandais authentiques étaient des miroirs ‘de leur temps’ et qu'ils avaient pour ainsi dire légitimé historiquement l'idéal de l'école moderne française d'engagement inconditionnel du peintre dans son époque. Ces années-là, nombre d'artistes français visitèrent les Pays-Bas et les critiques français firent oeuvre de pionnier dans leurs travaux sur l'art hollandais.
Le Louvre suivit cette évolution avec goût et intelligence. Il acquit le magnifique tableau La dentellière de Vermeer, en 1870, soit quatre ans après que l'infatigable Thoré eut écrit la première grande étude sur ce peintre. Le tableau provenait d'une collection néerlandaise que le musée Boymans, à Rotterdam, avait malheureusement refusée dans son intégralité en 1869.
L'intérêt accru que la critique contemporaine portait aux peintres du dix-septième siècle hollandais censés annoncer le réalisme du dix-neuvième entraînait, par contrecoup, une certaine déconsidération pour les peintres qui, bien que hollandais, avaient moins d'affinités avec l'art contemporain. Un peintre d'histoires
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Michael Sweerts: ‘Le jeune homme et l'entremetteuse’.
classiciste comme Gérard de Lairesse et des paysagistes tels que Berchem et les frères Both furent disqualifiés pour avoir propagé le style académique italo-français dans la peinture néerlandaise, style que combattait précisément l'avant-garde française en s'appuyant sur d'autres maîtres hollandais. L'art raffiné et angoissé de Gerard Dou tomba lui aussi en défaveur: en 1901, La femme hydropique fut décrochée de la place d'honneur qu'elle occupait au Salon Carré.
Du point de vue du musée, cette dépréciation de peintres comme Lairesse, Berchem, Both ou Dou ne posait pas de problème. L'évolution du goût n'affectait que l'emplacement et la présentation de leurs oeuvres, mais on continuait à les avoir sous la main puisqu'on les avait tant collectionnés. Mais les peintres de Haarlem qui avaient introduit la peinture académique italienne aux Pays-Bas, Van Heemskerck, puis Cornelis Cornelisz de Haarlem, Goltzius et Van Mander, ne figuraient pas dans les collections et n'en feraient pas partie de sitôt. En 1900, le Louvre n'exposait toujours aucun tableau de ces peintres, et sur ce point aussi, la critique, devenue entre-temps histoire de l'art, a montré la voie au musée.
Un particulier fit don au Louvre du premier et unique tableau de Goltzius que le musée possède à ce jour; le visiteur y cherchera toujours en vain un Van Heemskerck, un Cornelisz ou un Van Mander. Un autre peintre qui s'efforça de renouveler l'art hollandais en s'inspirant de l'Italie, Jan van Scorel, y est fort mal représenté par un seul tableau, qui n'est probablement même pas de sa main.
Une oeuvre importante du maniériste Wtewael (Utrecht) fut acquise en 1979 lors d'une vente à Paris. Elle y était attribuée à un peintre allemand du dix-huitième siècle, ce qui a probablement permis au Louvre de procéder pour un prix relativement bas à une acquisition très souhaitée et tout à fait opportune.
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Les peintres d'Utrecht qui s'inspirent du Caravage tels que Baburen et Ter Brugghen constituent un autre groupe négligé dans la collection du Louvre. Celui-ci ne possède toujours rien de Baburen, mais il a acquis un tableau de Ter Brugghen en 1954, peu après l'intéressante exposition Le Caravage et les Pays-Bas, organisée à Utrecht, où l'on pouvait voir le tableau en question, prêté par un commerçant français.
D'autres réhabilitations se voient confirmées par des acquisitions qui trahissent plus de déférence pour l'autorité que d'originalité. En 1967 fut acquise une oeuvre exemplaire de Michael Sweerts, curieux peintre marginal auquel on avait consacré une grande exposition en 1958 et une monographie peu après. Adriaen Coorte, peintre de natures mortes de la fin du dix-septième siècle, dont l'extrême simplicité ne semble appréciée à sa juste valeur que par notre siècle, est représenté au Louvre depuis 1970 par deux de ses meilleures oeuvres. Pareille politique d'acquisition est probablement judicieuse et ne suscitera guère de contestation. Elle s'avère évidemment assez coûteuse: ainsi en est-il quand le dernier client souhaite le premier choix. Parfois, c'est impossible et on ne trouve plus que le deuxième choix au prix fort. Apparemment, le Louvre n'a pas encore été victime de cette situation-là pour ce qui est des maîtres hollandais.
Après la guerre, un certain nombre de toiles remarquables et parfois dignes de convoitise sont échues au Louvre sans contrepartie financière et sans qu'on ait projeté leur acquisition. Il s'agit d'oeuvres, propriété de citoyens français, volées par l'occupant allemand, restituées au lendemain de la guerre et nationalisées faute de propriétaire particulier ou d'héritier. C'est là une règle d'application internationale passablement nauséabonde - dans les musées allemands encore plus qu'ailleurs - et je me suis étonné en constatant que le Louvre a pu acquérir entreautres par ce biais l'esquisse réalisée par Rubens pour l'Erection de la croix qui décore la cathédrale Notre-Dame d'Anvers.
C'est par la même voie que nombre de petits maîtres, très appreciés et recherchés actuellement, en particulier ceux des alentours de 1600, ont fini par se retrouver au Louvre. La liste n'en présenterait guère d'intérêt; signalons toutefois, à titre d'exemple, un magnifique paysage d'hiver de Denijs van Alsloot, daté de 1610.
La petite exposition qui, en hiver 1979, voulait attirer l'attention sur la publication du catalogue des maîtres hollandais et flamands, montrait principalement des tableaux exhumés des dépôts. L'on fut agréablement surpris entre autres par une série d'excellents tableaux du dix-neuvième siècle néerlandais, tous parvenus au Louvre grâce à l'initiative privée. Il y avait notamment un très beau paysage dans le style Biedermeier, du peintre quasi inconnu Jacobus Vrijmoet, et un excellent portrait de Taco Scheltema. Qui se serait attendu à voir cela au Louvre? Je me suis étonné au moins autant d'un excellent tableau de Jacob Maris et vois encore au catalogue un bon Mauve. Dommage que ces oeuvres n'aient guère de chances d'être montrées dans le cadre d'une exposition permanente. Des legs de ce genre sont mieux à leur place dans un petit musée qui n'a pas à choisir entre un Mauve et un Van Gogh.
Ce catalogue a du moins le mérite de présenter sur papier un aperçu d'une partie importante des collections du Louvre, ce qui permettra peut-être à certains tableaux de partir plus souvent en exposition maintenant qu'on les a tirés de l'obscurité originelle des dépôts. Les catalogues succincts de tableaux hollandais
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Gérard Dou: ‘La femme hydropique’.
et flamands du dix-septième siècle conservés dans les musées français provinciaux, catalogues publiés en 1970 et 1977 à l'occasion de deux expositions importantes à Paris, n'ont pas manqué d'avoir cet effet.
Le catalogue du Louvre comporte aussi une série d'index amusants; on y apprend notamment qu'il y a cent quatre-vingt-douze tableaux où apparaît un chien, trente-huit tableaux ovales, etc. La bibliographie est généralement assez sommaire mais d'un choix intelligent. L'ouvrage est probablement aussi bien fait que peut l'être un tel catalogue. Que cet ouvrage de référence perde aussitôt sa couverture de papier même entre les mains les plus prudentes pour se désagréger peu après, me semble impardonnable, compte tenu du prix de 100 FF.
Reste la question de savoir si le proche avenir verra la publication des catalogues scientifiques partiels des collections du Louvre, qui s'impose d'urgence. On compte aujourd'hui plus d'historiens de l'art que jamais, mais il est passé de mode pour un individu de se consacrer à la documentation et le ‘connaisseur’ a perdu une bonne part de son crédit. La recherche universitaire s'occupe surtout, et à juste titre, de l'interprétation du matériel historique. Pour ce faire, on recourt à l'inventaire, tout en sousestimant probablement le travail préalable qui consiste a l'établir. Les musées, y compris les musées français à longue tradition, sont moins que précédemment enclins à considérer comme leur mission la gestion et les publications scientifiques. On cherche surtout à présenter ce qu'on possède au plus de monde possible. L'histoire de l'art évoque encore pour la presse, la radio et la télévision le personnage du connaisseur: c'est là sans aucun doute un malentendu.
PETER HECHT
Professeur à l'Institut d'histoire d'art de l'Université d'Etat d'Utrecht.
Adresse: Professor Pullelaan 24, NL-3571 JD Utrecht
Traduit du néerlandais par Willy Devos.
Cet article parut dans le Cultureel Supplement du journal NRC-Handelsblad du 27 juin 1980.
Ecoles flamande et hollandaise, par Arnauld Brejon de Lavergnée, Jacques Foucart et Nicole Reynaud. Paris, Editions de la Réunion des musées nationaux, Catalogue sommaire illustré des peintures du musée du Louvre, 1, 1979. |
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