la réflexion, l'introspection intuitive. La quintessence de cet art se découvre dans un Landschaft der Seele, dans un paysage de l'âme de pierres fossilisées, de bois brûlant, de lumière éclatante, de neige blanche, d'un lac glacé. C'est notamment le cas dans De oever (1975 - La rive) et dans Ergens zijn (1977 - Etre quelque part). Dans les deux livres, nous remarquons la dialectique platonicienne: cette rive-ci (la vie apparente, le monde des sens), le lac (le trou, le vide), l'autre rive (l'existence vraie et durable de la beauté éternelle). Dans Ergens zijn, le moi parcourt un chemin dur et solitaire à travers un paysage couleur de glace sous la lumière froide. Seul son pouvoir créateur lui reste. Au bout de la route, toutefois, il y a un lac, il y a les herbes et les fleurs, il y a une maison où le moi se reconnaît, se sent chez lui. Mais il n'y a pas uniquement les paysages scandinaves. Il y a la littérature de Dagerman, Lindegren, Södergran, Ekelof, Sundman, il y a des films d'Ingmar Bergman, les toiles de Munch, les idées de Kierkegaard. C'est surtout Kierkegaard qui est présent dans De angst (1972 - L'angoisse). Les figures de ce livre représentent des étapes dans une quête spirituelle du moi. Thomas retourne vers l'anonyme horreur du monde. Il représente l'homme éthique. Otto fait le saut dans le vide par le suicide. Il est l'homme esthétique. Il se représente un point dans l'espace vers lequel veut partir le moi. Elle représente l'homme religieux. Maintenant, l'angoisse est double: l'angoisse de la plénitude apparente de la réalité sensorielle, l'angoisse aussi de ne pas parvenir à remplir d'une manière pleine de sens le vide que l'on a
soimême créé. Mais l'homme dispose aussi d'une libre volonté: ‘Tu trouves un monde d'angoisse lorsque tu ne sens rien d'autre que l'angoisse et tu trouves un monde de silence alors que tu ne voulais que le silence.’ C'est là ce que les bouddhistes appellent le karma: tous nos actes ont des conséquences et nous reviennent intensifiés dans une existence suivante. A travers nos différentes figures, nous sommes appelés à nous atteindre nous-mêmes dans notre plénitude divine. Toutes nos vies constituent une continuité de contingences. Il s'agit donc de renoncer à tout, même à notre volonté de vivre: ‘Existes-tu parce que tu n'as pas réussi à ne pas exister?’ L'éternel cycle de la vie et de la souffrance ne peut être dépassé que grâce à des conquêtes de notre volonté: ne pas se laisser absorber davantage par des objets contingents, vouloir renoncer à toute volupté, à toute passion, à tout désir, à toute haine. Dans ces conditions, le nirvâna devient possible. L'oeuvre de Van de Berge, dans sa monotonie conjuratoire, fait penser à un chant orthodoxe slave. Car c'est la langue qui rend tout éternel. ‘Tout ce que tu dis est éternel.’ Le langage épuré est notre compas pour l'éternité. Il s'agit de ne pas perdre le nord.
L'oeuvre de Van de Berge évolue du désespoir vers l'espoir et de l'espoir vers la foi. ‘Ce dont tu as besoin, ce n'est rien d'autre que la beauté; tu en as besoin plus que de quoi que ce soit, et même le désespoir n'y peut rien changer.’ Son livre le plus récent, De koude wind die over het zand waait (1978 - Le vent froid qui souffle sur le sable) témoigne dès lors des battements d'un coeur plus calme, d'un rythme plus reposé, plus harmonieux et plus libérateur. Après l'espoir et la foi, l'amour lui aussi s'imposera-t-il?
HUGO BOUSSET
Critique littéraire.
Adresse: Waterpoelstraat 71, B-1641 Alsemberg.
Traduit du néerlandais par Willy Devos.